Au service de la décision publique

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011
Par Françoise WEBER
Par Jean-Claude DESENCLOS

Une approche empirique

Snow pro­po­sa une manière d’enrayer des épi­dé­mies dévastatrices

Un des pre­miers épi­dé­mio­lo­gistes de ter­rain fut John Snow (1813−1858). En étu­diant la pro­pa­ga­tion de l’épidémie de cho­lé­ra à Londres en 1854, Snow émit l’hypothèse d’une dis­sé­mi­na­tion par l’intermédiaire de la dis­tri­bu­tion d’eau. Pour recher­cher la source de l’épidémie, il uti­li­sa une carte de la ville en repré­sen­tant la den­si­té des cas (on dirait aujourd’hui l’incidence) sur plu­sieurs périodes.

Approche qui lui per­mit de mon­trer que les cas étaient concen­trés autour d’une pompe à eau de Broad Street, dans le dis­trict de Soho. Bien que l’origine micro­bienne du cho­lé­ra lui soit incon­nue, Snow concep­tua­li­sa ain­si la thèse de l’origine hydrique de l’agent patho­gène incon­nu et sur­tout pro­po­sa, mal­gré l’absence de l’ensemble des cri­tères de cau­sa­li­té, une manière d’enrayer des épi­dé­mies dévastatrices.

REPÈRES
L’épidémiologie est une science qui s’intéresse à la dis­tri­bu­tion et aux déter­mi­nants de san­té à l’échelle d’une popu­la­tion. S’il s’agit avant tout d’une dis­ci­pline de recherche, c’est aus­si un outil éprou­vé d’aide à la déci­sion en matière de san­té publique. La connais­sance de la situa­tion sani­taire, d’une menace de san­té et des vul­né­ra­bi­li­tés par­ti­cu­lières des popu­la­tions per­met de mieux orien­ter et cali­brer l’action publique, pour un rap­port coût-effi­ca­ci­té optimal.

Joseph Gold­ber­ger (1874−1929) a, quant à lui, lar­ge­ment contri­bué à la concep­tua­li­sa­tion de la démarche épi­dé­mio­lo­gique de ter­rain, suite à l’étude sur le ter­rain d’épidémies de pel­lagre dans les États du Sud des États-Unis. S’il fut le pre­mier à émettre l’hypothèse que cette mala­die était d’origine nutri­tion­nelle et non pas infec­tieuse, son immense mérite est d’avoir démon­tré qu’on pou­vait la pré­ve­nir par un régime ali­men­taire adap­té. Dans un orphe­li­nat du Mis­sis­sip­pi, il intro­dui­sit un régime varié dans une par­tie de l’établissement, en lais­sant l’usage du régime ali­men­taire habi­tuel, à base qua­si exclu­sive de farine de blé et très pauvre en pro­duits frais, dans le reste de l’établissement. L’observation épi­dé­mio­lo­gique qui en résul­ta fut démons­tra­tive, la pré­va­lence de la mala­die pas­sant de 47 % à pra­ti­que­ment zéro dans le pre­mier groupe, sans modi­fi­ca­tion dans l’autre. Gold­ber­ger for­ma­lise ain­si l’analyse épi­dé­mio­lo­gique des ques­tions de san­té publique et sur­tout l’évaluation sur le ter­rain des solu­tions pour y remédier.

Un métier multiforme

Sur­veiller, enquê­ter, évaluer
L’essentiel de l’activité de l’épidémiologiste de ter­rain, et donc de l’InVS, peut être regrou­pé autour de trois axes : la sur­veillance épi­dé­mio­lo­gique et la veille (de la mise en place à l’évaluation des sys­tèmes en pas­sant par la pro­duc­tion des indi­ca­teurs, l’analyse des signaux d’alerte, leur mise en pers­pec­tive déci­sion­nelle et leur dif­fu­sion, en bref l’information pour l’action), les enquêtes de ter­rain incluant l’investigation des phé­no­mènes épi­dé­miques dans toutes leurs com­po­santes des­crip­tives et ana­ly­tiques, et enfin la contri­bu­tion à l’évaluation des actions de pré­ven­tion et de contrôle.

De manière opé­ra­tion­nelle, l’épidémiologie de ter­rain moderne est réel­le­ment née aux Cen­ters for Disease Control (CDC) d’Atlanta, aux États- Unis, qui res­tent la réfé­rence en la matière. C’est aus­si deve­nu en France le métier prin­ci­pal de l’Institut de veille sani­taire (InVS), agence de sécu­ri­té sani­taire qui a la mis­sion d’observer et sur­veiller l’état de san­té de la popu­la­tion, de veiller et d’alerter sur les menaces sani­taires, et d’apporter un appui à la ges­tion des crises sani­taires. Le tout s’accompagnant de façon indis­so­ciable d’actions de com­mu­ni­ca­tion envers dif­fé­rents publics. Les déci­deurs sont les pre­miers inter­lo­cu­teurs de l’épidémiologiste. Celui­ci doit aus­si plus géné­ra­le­ment infor­mer des résul­tats de ses travaux.

Enfin, l’épidémiologiste de ter­rain doit maî­tri­ser d’autres fonc­tions impor­tantes en san­té publique et être capable notam­ment de tra­vailler avec des experts en bio­sta­tis­tique, bio­ma­thé­ma­tique, ges­tion, pla­ni­fi­ca­tion, conseil et bien sûr recherche et formation.

Il existe donc une véri­table pro­fes­sion de l’épidémiologie de ter­rain dont le péri­mètre est vaste, les com­pé­tences enra­ci­nées dans une solide métho­do­lo­gie scien­ti­fique, et dont la fonc­tion est d’apporter des réponses rapides et concrètes aux ques­tions posées par les déci­deurs sur l’état de san­té des popu­la­tions, afin d’éclairer l’action publique en la matière.

Investigation et déduction

Agir au cœur de l’alerte
Au cœur de l’alerte, l’épidémiologiste doit par­fois savoir pro­duire des indi­ca­teurs simples, dont les limites sont connues, qui per­mettent non pas de décrire pré­ci­sé­ment une situa­tion, mais d’approcher des ten­dances évo­lu­tives et d’orienter un mini­mum la déci­sion publique. Là aus­si, une com­mu­ni­ca­tion claire sur les limites des infor­ma­tions appor­tées est le corol­laire de l’adaptation aux besoins les plus immé­diats de la déci­sion publique.

L’épidémiologiste de ter­rain tra­vaille sur les seules don­nées dis­po­nibles, et doit sou­vent accu­mu­ler des don­nées qui n’existent pas a prio­ri sous une forme orga­ni­sée : ain­si lors de la pan­dé­mie grip­pale de 2009–2010, aucun sys­tème satis­fai­sant de recueil des don­nées sur les cas graves de grippe n’existait en France. Il a fal­lu, avec l’aide des réani­ma­teurs, en construire un dans un délai très rapide, pour pou­voir rendre compte de l’impact très par­ti­cu­lier du virus A (H1N1) 2009 sur une popu­la­tion jeune habi­tuel­le­ment épar­gnée par les épi­dé­mies de grippe saisonnière.

Lorsque l’InVS a par­ti­ci­pé à l’investigation sur le SARS en 2003, il a fal­lu la coopé­ra­tion d’épidémiologistes de mul­tiples pays pour orga­ni­ser de toute urgence les don­nées et com­prendre très rapi­de­ment le mode de dif­fu­sion de cette mala­die incon­nue, à savoir sa trans­mis­sion lors de contacts rap­pro­chés et pro­lon­gés avec un sujet malade. Grâce à ce constat et à une pre­mière esti­ma­tion de la durée d’incubation (dix jours au maxi­mum) les pre­mières mesures ont pu être recom­man­dées au niveau mon­dial par l’OMS le 15 mars 2003, alors que le virus du SRAS n’avait pas encore été iso­lé. Les mesures simples déduites de l’investigation sur le ter­rain consis­taient en l’isolement strict des malades, la pro­tec­tion res­pi­ra­toire de leurs soi­gnants par les masques et la qua­ran­taine pen­dant dix jours des per­sonnes ayant été en contact avec les malades. Ain­si, aus­si vite qu’il était appa­ru, le SRAS fut maî­tri­sé en quelques semaines.

Communiquer avant tout

L’épidémiologiste de ter­rain est avant tout un homme ou une femme d’action et de prévention

Lorsqu’il étu­die l’impact sur la san­té d’un site pol­lué, l’épidémiologiste de ter­rain doit, dans des délais qui per­mettent de répondre aux inquié­tudes de la popu­la­tion et à la néces­si­té d’agir, trou­ver et mettre en oeuvre la métho­do­lo­gie adé­quate, même lorsque la taille de la popu­la­tion, les don­nées dis­po­nibles et les fac­teurs de confu­sion ne sont pas par­fai­te­ment maî­tri­sés comme c’est le cas dans un pro­to­cole expé­ri­men­tal, tout en res­pec­tant la plus grande rigueur scien­ti­fique. Cela demande de sur­croît de dis­po­ser de grandes capa­ci­tés de com­mu­ni­ca­tion vis-à-vis de publics de tous ordres, pour expli­quer ce que l’on fait et faire com­prendre les limites des résul­tats produits.

Au-delà de l’alerte et de la menace immé­diate, l’épidémiologiste de ter­rain met en place des sys­tèmes de sur­veillance per­met­tant aux déci­deurs de dis­po­ser de toute la visi­bi­li­té néces­saire sur les prin­ci­paux far­deaux en matière de san­té. Il s’appuie pour cela sur les sources de don­nées exis­tantes : réseaux de pro­fes­sion­nels de san­té, d’hôpitaux ou de labo­ra­toires qu’il sou­tient et anime, bases de don­nées de l’assurance mala­die, d’unités de recherche comme le CépiDc de l’INSERM pour la mor­ta­li­té, bases de don­nées hospitalières.

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