Daniel Schwartz (37), fondateur de l’épidémiologie moderne

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011Rédacteur : Alain-Jacques VALLERON (63)

Unanime­ment con­sid­éré comme le fon­da­teur de l’épidémiologie française mod­erne, Daniel Schwartz a créé le pre­mier lab­o­ra­toire de recherche dédié à cette dis­ci­pline au début des années 1950 et fondé une école dont les élèves ont cou­vert tous les champs de la médecine ; il a apporté des con­tri­bu­tions impor­tantes, aus­si bien sur le plan médi­cal que sur le plan méthodologique ; enfin, il a for­mé à la recherche épidémi­ologique, et même au-delà à la démarche sci­en­tifique, des dizaines de mil­liers de médecins et de biol­o­gistes. Son œuvre a été rap­pelée dans un arti­cle précé­dent de La Jaune et la Rouge (Lel­louch et col., jan­vi­er 2010).

Daniel Schwartz, sor­ti dans le corps des « man­u­fac­tures de l’État », avait tout de suite man­i­festé son intérêt pour la biolo­gie, végé­tale d’abord, à tra­vers l’étude des mal­adies de la plante du tabac. Il com­prend que le vrai sujet, ce sont les mal­adies que cause le tabac. On est alors encore dans l’ignorance à ce sujet. Ce n’est qu’en 1950 que parais­sent les pre­mières études cas témoins sur les can­cers des bronch­es et l’usage de la cig­a­rette. Leurs résul­tats sont vive­ment con­testés, par ceux qui ne croient pas à la démarche sta­tis­tique ; par ceux qui ne jurent que par l’expéri men­ta­tion ani­male (inca­pable d’adresser ce prob­lème); par l’industrie du tabac. Mais ces études con­va­in­quent Daniel Schwartz, et il va en France, en rejoignant l’institut Gus­tave-Roussy à Ville­juif, apporter sa con­tri­bu­tion au sujet.

L’épidémiologie mod­erne est en marche : les pre­mières études de cohort­es (on suit prospec­tive­ment une pop­u­la­tion dont on con­naît le détail des car­ac­téris­tiques au temps zéro de ce suivi, et on observe l’arrivée de can­cers en rela­tion avec ses car­ac­téris­tiques de départ), se lan­cent : des mil­liers de sujets vont être suiv­is en détail pen­dant des années (40000 médecins anglais par Doll, 188000 volon­taires de l’American Can­cer Soci­ety par Ham­mond). Daniel Schwartz va à ses débuts se lancer avec suc­cès dans la com­péti­tion inter­na­tionale en ce qui con­cerne l’étude de la rela­tion entre tabac et can­cer des bronch­es. Il apportera des argu­ments impor­tants sur la causal­ité de cette rela­tion. Mais, plus générale­ment, on pressent que ce nou­veau champ de la recherche médi­cale va s’étendre, car il est à même d’identifier des fac­teurs de risque des grandes mal­adies qui ne peu­vent être décou­verts par les approches expéri­men­tales ou cliniques.

Les études de cohort­es vont coûter très cher, et néces­siter le développe­ment de méth­odes sta­tis­tiques com­plex­es, cer­taines nou­velles. C’est ce que com­prend tout de suite Daniel Schwartz qui saura per­suad­er des décideurs var­iés d’entrer dans ce nou­veau champ de recherche. Ensuite, il recrute à la fois des médecins de qual­ité et des sta­tis­ti­ciens-math­é­mati­ciens, plusieurs X notam­ment (à cette époque, la France, si féconde en bons math­é­mati­ciens, était peu dynamique dans le domaine de la sta­tis­tique). Con­scient des lacunes en for­ma­tion en sta­tis­tique, Daniel Schwartz a beau­coup investi dans l’enseignement de la sta­tis­tique, non seule­ment à l’intention de ses col­lab­o­ra­teurs directs, mais surtout à celle des médecins, chercheurs et cliniciens.

En médecine, c’est bien enten­du dans le domaine de la thérapeu­tique que les affir­ma­tions non prou­vées peu­vent faire le plus de mal, coûter le plus d’argent comme on le con­state tou­jours aujourd’hui. C’est pourquoi sa recherche méthodologique con­cer­na en pri­or­ité l’épidémiologie expéri­men­tale, c’est-à-dire l’expérimentation humaine dans laque­lle l’évaluation de l’efficacité d’un traite­ment par rap­port à un autre est opérée par la con­sti­tu­tion de deux groupes de sujets, désignés par tirage au sort. La recherche con­cerne les sché­mas expéri­men­taux (qui sont con­di­tion­nés par les préoc­cu­pa­tions éthiques) et les méth­odes d’analyse des don­nées. Daniel Schwartz a don­né plusieurs con­tri­bu­tions extrême­ment impor­tantes, notam­ment sur l’impact, en ter­mes de plan­i­fi­ca­tion et d’analyse, de la dif­férence entre ce qu’il a appelé les essais « expli­cat­ifs » (des­tinés par exem­ple à com­pren­dre le mécan­isme d’action d’un nou­veau traite­ment) et les essais « prag­ma­tiques » (des­tinés à éval­uer si – dans les con­di­tions pra­tiques – un traite­ment est meilleur qu’un autre). Ses travaux, con­tin­uelle­ment cités, ont été traduits notam­ment aux États-Unis.

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