Atelier des sols vivants

L’atelier des sols vivants pour la préservation des sols

Dossier : Alimentation durableMagazine N°790 Décembre 2023
Par Christian de BOISREDON

L’Atelier des sols vivants est une ini­tia­tive pri­vée ras­sem­blant asso­cia­tion et entre­prises pour four­nir à un large public une ini­tia­tion aux ques­tions de pré­ser­va­tion des sols. Sa pré­sen­ta­tion est l’occasion de don­ner des exemples ver­tueux de pré­ser­va­tion des sols. 

L’Ate­lier des sols vivants démarre tou­jours par la même ques­tion : quand vous pen­sez au(x) sol(s), quelle est la pre­mière chose que cela vous évoque ? Des réponses reviennent sou­vent : agri­cul­ture, plantes, terre, vers de terre… Mais un mot, en par­ti­cu­lier, fait sou­vent appa­ri­tion lors de ces par­tages : la vie. Les sols, c’est la vie. Ils sont au cœur et au croi­se­ment d’une grande par­tie des ques­tions envi­ron­ne­men­tales (et donc socié­tales) d’aujourd’hui : cli­mat et car­bone, pol­lu­tion, bio­di­ver­si­té et, sur­tout, res­source en eau, ali­men­ta­tion et agri­cul­ture. 

Les questions fondamentales

D’ailleurs, si l’on prend le sujet des sols par le prisme des neuf limites pla­né­taires (seuils éta­blis en 2009 par une équipe de scien­ti­fiques, au-delà des­quels les condi­tions d’habitabilité de la pla­nète sont mena­cées de manière irré­ver­sible), il est rapi­de­ment évident qu’elles sont déter­mi­nantes pour plus de la moi­tié d’entre elles : bio­di­ver­si­té, cli­mat, cycle de l’azote et du phos­phore, eau, usage des sols. Au cœur de toutes ces pro­blé­ma­tiques, les sols sont des alliés pré­cieux et menacés.

Qu’est-ce qui fait du sol ce réser­voir de vie si pré­cieux ? Sait-on vrai­ment ce qu’il se passe sous nos pieds ? Réa­lise-t-on véri­ta­ble­ment l’importance de ces éco­sys­tèmes sou­ter­rains, invi­sibles ? C’est pour éclai­rer le plus grand nombre sur ces ques­tions qu’est né l’Atelier des sols vivants en 2022. En deux heures et à l’aide de trente cartes, cet ate­lier ludique, repo­sant sur l’intelligence col­lec­tive des par­ti­ci­pants faci­li­tée par un ani­ma­teur, vise à dif­fu­ser les connais­sances essen­tielles sur le fonc­tion­ne­ment des sols et les sujets liés à leur pré­ser­va­tion. 

Plusieurs contributeurs, un seul objectif

L’histoire de l’Atelier des sols vivants com­mence par une ren­contre entre l’association Ludi Soli, l’entreprise à impact Spark­news et le groupe Moët Hennessy.

En 2021, Mor­gane Van Dam et Coren­tin Bisot, jeunes ingé­nieurs agro­nomes aux Pays-Bas, créent Ludi Soli, un jeu péda­go­gique sur le sys­tème sol ins­pi­ré de la Fresque du climat.

En 2022 Moët Hen­nes­sy, entre­prise enga­gée pour la pré­ser­va­tion des sols vivants, annonce l’organisation du World Living Soils Forum les 1er et 2 juin 2022, évé­ne­ment inter­na­tio­nal visant à ras­sem­bler experts, cher­cheurs, pro­fes­sion­nels, col­la­bo­ra­teurs et étu­diants autour des ques­tions liées aux sols vivants.

En sep­tembre 2021, Spark­news pro­po­sa l’idée d’un ate­lier des sols vivants à Moët Hen­nes­sy, dans le cadre de leur pro­jet de plai­doi­rie. Puis, décou­vrant leurs pro­jets res­pec­tifs et leurs objec­tifs par­ta­gés, Spark­news et Ludi Soli se ren­con­trèrent en jan­vier 2022 avec l’intention d’unir leurs forces dans un inté­rêt com­mun – celui de mettre en lumière les connais­sances fon­da­men­tales sur les sols et les pro­blé­ma­tiques qui leur sont liées. Les deux orga­ni­sa­tions firent alors le choix de fusion­ner leurs pro­jets afin de déployer un seul et même outil à l’échelle natio­nale et inter­na­tio­nale. 

Animation de l’Atelier des sols vivants au World Living Soils Forum organisé par Moët Hennessy, juin 2022.
Ani­ma­tion de l’Atelier des sols vivants au World Living Soils Forum orga­ni­sé par Moët Hen­nes­sy, juin 2022.

Une diffusion à grande échelle

Un peu plus d’un an plus tard, ce sont près de mille per­sonnes sen­si­bi­li­sées par l’Atelier des sols vivants et ses ani­ma­teurs, dont le nombre gran­dit et atteint plus de quatre-vingts per­sonnes aujourd’hui. En effet, sur le même fonc­tion­ne­ment que la Fresque du cli­mat, l’outil a voca­tion à être auto­por­tant pour tou­cher un public aus­si large que pos­sible : une fois que l’on a par­ti­ci­pé à un ate­lier, on peut se for­mer à l’animation pour par­ti­ci­per de manière béné­vole à sa dif­fu­sion. Ain­si, l’Atelier des sols vivants a été mis en lumière en 2023 sur de grands évé­ne­ments tels que Chan­ge­Now, l’Université de la terre, le Salon inter­na­tio­nal de l’agriculture, Talents for the Pla­net, Forum Low Car­bon, au vil­lage des fresques de l’Académie du cli­mat… sus­ci­tant certes l’intérêt du grand public, mais inter­pel­lant éga­le­ment les entre­prises. 

Pourquoi les entreprises ? 

Parce que les sols sont une porte d’entrée concrète, fai­sant le lien avec les ques­tions cli­mat et bio­di­ver­si­té, mais sur­tout avec l’alimentation et l’approvisionnement. De ce fait, de nom­breux sec­teurs – agroa­li­men­taire, vins et spi­ri­tueux, cos­mé­tique et mode, luxe, banques et fonds d’investissement – placent désor­mais leur pré­ser­va­tion au cœur de leur stra­té­gie de déve­lop­pe­ment durable. 

En déployant l’Atelier des sols vivants au sein de leur orga­ni­sa­tion, de grands groupes comme Moët Hen­nes­sy (800 col­la­bo­ra­teurs), Per­nod Ricard et bien­tôt L’Oréal, Cré­dit Agri­cole… dépassent le seul prisme cli­mat et pro­voquent une prise de conscience col­lec­tive de nos inter­dé­pen­dances avec le vivant, afin d’accélérer les actions en faveur de sa préservation. 

Ils se sont éga­le­ment ren­du compte que l’Atelier des sols vivants pou­vait être un for­mi­dable outil d’acculturation des col­la­bo­ra­teurs, car il per­met une com­pré­hen­sion par­ta­gée des enjeux, préa­lable au lan­ce­ment d’initiatives construc­tives et trans­ver­sales. C’est éga­le­ment une manière de rendre tan­gible la double contrainte à laquelle les entre­prises sont sou­vent confron­tées : dépendre des sols tout en étant le moteur de leur dégra­da­tion par leurs acti­vi­tés. 

Apprendre, comprendre et agir

Dif­fu­ser un ate­lier est une chose. Mais reste encore à s’assurer que, chez les per­sonnes tou­chées, il pro­voque un réel déclic. Pour cela, trois par­ties se suivent et s’articulent et dotent les par­ti­ci­pants d’une vision d’ensemble des enjeux, tout en leur don­nant envie de pas­ser à l’action.

Dans un pre­mier temps, ils sont gui­dées dans la décou­verte du sol et de ses acteurs : carte par carte, tout en cou­leurs et en illus­tra­tions à l’aquarelle, on iden­ti­fie les élé­ments clés d’un sol vivant – l’eau, les ani­maux sur et dans le sol, les cham­pi­gnons et les bac­té­ries, les sels minéraux… 

On explore ensuite les inter­ac­tions, com­plexes mais essen­tielles, qui lient entre eux ces élé­ments vivants et non vivants. On apprend que, dans un sol, la cir­cu­la­ri­té est de mise : la matière orga­nique nour­rie des végé­taux et ani­maux morts consti­tue un garde-man­ger pour les orga­nismes qui s’en nour­rissent, la décom­posent pour créer des nutri­ments à leur tour essen­tiels à la vie – rien ne se perd, tout se récu­père et la vie du sol s’autoalimente dans un cycle infi­ni ! On apprend aus­si que 80 % des plantes sont en sym­biose avec les racines des cham­pi­gnons – le mycé­lium – et qu’ils se rendent mutuel­le­ment ser­vice dans leur crois­sance. 

L’Atelier des sols vivants, sur le modèle de la Fresque du climat, est un outil qui a vocation à toucher un public aussi large que possible.
L’Atelier des sols vivants, conçu sur le modèle de la Fresque du cli­mat, est un outil qui a voca­tion à tou­cher un public aus­si large que possible.

Avoir un sol en bonne santé

Ain­si est la vie d’un sol en bonne san­té, un sol qui four­nit à l’humanité des ser­vices vitaux : pro­duc­tion de bio­masse pour notre ali­men­ta­tion, sto­ckage du car­bone, régu­la­tion du cycle de l’eau, réser­voir de bio­di­ver­si­té. Mais les sols en bonne san­té ne sont plus mon­naie cou­rante, puisque les pra­tiques humaines les affectent. En par­ti­cu­lier, cet ate­lier est l’occasion de se pen­cher sur l’impact des pra­tiques agri­coles inten­sives que nous avons mises en place : c’est l’objet de la deuxième par­tie. Il s’agit d’abord de poser le contexte, de com­prendre les grandes lignes du déve­lop­pe­ment du sys­tème agri­cole actuel et d’en décryp­ter les pra­tiques : méca­ni­sa­tion, irri­ga­tion, usage d’engrais et de pesticides… 

Ces pra­tiques sont ana­ly­sées sous le prisme des bien­faits qu’elles ont pu appor­ter dans un contexte de recherche de ren­de­ment et de pro­duc­ti­vi­té. Puis leurs impacts néga­tifs sur les sols sont décryp­tés : les par­ti­ci­pants tracent des flèches pour relier le chan­ge­ment d’usage des sols à la perte de bio­di­ver­si­té, l’épandage des engrais à l’épuisement des res­sources minières et à aux émis­sions de gaz à effet de serre… Pour acqué­rir in fine une com­pré­hen­sion per­ti­nente des dégra­da­tions phy­siques, chi­miques et bio­lo­giques des­quelles sont vic­times 40 % de nos sols aujourd’hui à l’échelle mon­diale. 

Imaginer des solutions

Enfin, une troi­sième par­tie est consa­crée aux solu­tions : com­ment mettre en place une ges­tion plus durable de ces pré­cieux éco­sys­tèmes ? Com­ment s’assurer de conser­ver des sols fer­tiles à même de nous nour­rir, tout en pré­ser­vant leur capa­ci­té à abri­ter la vie et à sto­cker du car­bone ? Dans ce long che­min, de mul­tiples acteurs ont leur rôle à jouer : les agri­cul­teurs, évi­dem­ment. Mais aus­si les poli­tiques, les entre­prises, et nous tous, les citoyens et consom­ma­teurs. En pre­nant les rôles de cha­cun de ces acteurs de la socié­té, les par­ti­ci­pants réflé­chissent aux contraintes et aux occa­sions qu’a cha­cun d’entre eux pour contri­buer à une tran­si­tion agro-éco­lo­gique res­pec­tueuse des sols. Tout en pre­nant conscience des inter­dé­pen­dances entre les sphères et du besoin de recon­nec­ter l’agriculture aux sphères citoyennes, poli­tiques et pri­vées. 

Inventer de nouveaux modèles agricoles

Mais un ate­lier de sen­si­bi­li­sa­tion ne suf­fit pas à faire avan­cer un sujet aus­si impor­tant. Plus lar­ge­ment, quelles sont les solu­tions que nous vou­drions voir émer­ger ? Quelle trans­for­ma­tion de l’agriculture pour un modèle res­pec­tueux de la res­source sol ? Quelques ini­tia­tives sont par­ti­cu­liè­re­ment ins­pi­rantes et pro­meuvent de nou­veaux modèles désirables. 

Pre­nons l’exemple de Native, cette entre­prise bré­si­lienne qui à ce jour semble être l’un des exemples les plus abou­tis d’un chan­ge­ment de pra­tiques réus­si. Plus grand pro­duc­teur mon­dial de canne à sucre et d’éthanol bio, l’entreprise a réa­li­sé un chan­ge­ment de modèle de pro­duc­tion en l’espace de vingt ans, entre les années 1980 et 2000. Aban­don des intrants chi­miques et de la tech­nique du brû­lis, expé­ri­men­ta­tion de pra­tiques agri­coles régé­né­ra­trices et de conser­va­tion des sols… Le résul­tat ne se fait pas attendre : une bio­di­ver­si­té res­tau­rée et désor­mais flo­ris­sante dans l’ensemble des dizaines de mil­liers d’hectares de culture, qui accueillent aujourd’hui une mul­ti­tude d’animaux sau­vages. 

Accompagner les producteurs

Pour que les agri­cul­teurs puissent chan­ger leurs pra­tiques, ils doivent être accom­pa­gnés, aidés, et ils doivent avoir la garan­tie que les débou­chés seront à la hau­teur de leurs inves­tis­se­ments (en argent et en temps). Tout au long des trois dif­fi­ciles années de la conver­sion, la marque Pour­De­main accom­pagne les agri­cul­teurs et leur assure un reve­nu juste – les prix des pro­duits sont fixés en accord avec les pro­duc­teurs afin de prendre en compte les sur­coûts de la conver­sion. Une alliance ver­tueuse entre pro­duc­teurs, marque reven­deuse et consom­mateurs prêts à payer le prix juste pour per­mettre une trans­formation des pra­tiques agri­coles ! 

“Ne plus seulement aborder les sujets environnementaux par le prisme de la décarbonation.”

Le rôle des pouvoirs publics

Et quel rôle pour le sec­teur public ? Depuis 2019, la métro­pole de Mar­seille s’engage pour l’agriculture urbaine, avec un plan d’action de 2,1 mil­lions d’euros pour sou­te­nir l’installation de cent pro­jets publics et pri­vés. Inté­grer l’agriculture au déve­lop­pe­ment urbain a de mul­tiples avan­tages pour une col­lec­ti­vi­té : accès à une ali­men­ta­tion saine et locale, créa­tion d’îlots de fraî­cheur dans un contexte de cani­cules exa­cer­bées par le dérè­gle­ment cli­ma­tique, créa­tion de lien social et amé­lio­ra­tion du cadre de vie des habi­tants. Sou­tien tech­nique, finan­cier, régu­la­tion de la tari­fi­ca­tion de l’eau… le déve­lop­pe­ment de la rési­lience ali­men­taire au niveau local ne peut se faire sans le sou­tien des pou­voirs publics. La dyna­mique a déjà don­né lieu à plus de 40 hec­tares de terre mis ou remis en culture sur le ter­ri­toire de Mar­seille et plus de 20 exploi­ta­tions agri­coles pro­fes­sion­nelles ins­tal­lées ou finan­cées. 

Que cent fleurs s’épanouissent ! 

Régé­né­ra­tion des sols et de la bio­di­ver­si­té, conver­sion à des pra­tiques plus ver­tueuses (bio, local, de sai­son), accès à une ali­men­ta­tion saine, auto­no­mie ali­men­taire des ter­ri­toires… Autant de solu­tions pro­mues et pro­po­sées à l’issue de l’Atelier des sols vivants d’ores et déjà prises à bras-le-corps par agri­cul­teurs, entre­prises et col­lec­ti­vi­tés. Mais ces solu­tions ne sont que des exemples, et par­tout fleu­rissent des pro­jets per­met­tant aux pay­sans de se réap­pro­prier la terre hors du joug des géants agroa­li­men­taires (Terre de Liens, Renou­veau pay­san), encou­ra­geant l’apport de matière orga­nique pour enri­chir les sols en car­bone (4 pour 1 000), ou encore démon­trant qu’il est pos­sible de pro­duire, à petite échelle, en har­mo­nie avec l’ensemble du vivant sur un ter­ri­toire don­né (la ferme du Grand Laval, la ferme du Bec-Hel­louin…). 

Face à l’urgence… l’éducation

Aujourd’hui, ce sont 40 % des sols qui sont modé­ré­ment à sévè­re­ment dégra­dés à l’échelle mon­diale (UNCCD, Uni­ted States Conven­tion to Com­bat Deser­ti­fi­ca­tion). Il est grand temps de réa­li­ser les menaces que nous fai­sons peser sur ces éco­sys­tèmes, com­pro­met­tant nos condi­tions de sur­vie en appau­vris­sant leur fer­ti­li­té. Il est grand temps de faire un pas de côté et de ne plus seule­ment abor­der les sujets envi­ron­ne­men­taux par le prisme de la décar­bo­na­tion. Nous devons réa­li­ser les inter­dé­pen­dances qui nous lient au vivant et ouvrir une dis­cus­sion pour mieux pro­té­ger ce qui vit sous nos pieds. Pour cela, l’Atelier des sols vivants est un outil, une porte d’entrée, un pre­mier pas pour ouvrir les consciences et la dis­cus­sion. Vous aus­si, venez plon­ger sous le sol : 

https://www.ateliersolsvivants.org/fr/accueil

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