La réinsertion des jeunes délinquants

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998Par : Sébastien JEAN, élève de la promotion 96

Lorsque l’a­mi­ral Brac de La Per­rière a fon­dé l’as­so­cia­tion Jeunes en équipes de tra­vail (JET) il y a main­te­nant plus de onze ans, il par­tait du constat sui­vant : lorsque des jeunes délin­quants pri­maires sont condam­nés à pur­ger une peine mineure, ils se trouvent au contact de délin­quants mul­ti­ré­ci­di­vistes. Il fal­lait les sor­tir le plus tôt pos­sible d’une telle influence.

Deux centres ont été créés : l’un près de Cler­mont-de-l’Oise, l’autre près de Gre­noble. De capa­ci­té réduite (30 à 40 places), ils accueillent des jeunes sta­giaires qui, âgés de 19 à 25 ans, ont déjà pur­gé la moi­tié de leur peine. En assu­rant un com­plé­ment d’ins­truc­tion à ces jeunes et en leur pro­po­sant des tra­vaux en groupe, l’as­so­cia­tion contri­bue à leur réinsertion.

Lorsque j’ai été confron­té à cette popu­la­tion, j’ai eu l’im­pres­sion d’une masse homo­gène qui avait été for­ma­tée par la pri­son. La dis­ci­pline impo­sée par l’en­ca­dre­ment mili­taire accen­tuait cette impres­sion, et il est de fait que jamais je ne suis arri­vé à repé­rer des individualités.

Ayant côtoyé ces groupes vingt-quatre heures sur vingt-quatre pen­dant plu­sieurs mois, j’en ai décou­vert les façons de vivre. Tout d’a­bord, un pro­fond désir d’af­fir­ma­tion de soi qui m’a cho­qué, tant leur orgueil zélé les pous­sait par­fois à accom­plir des actes appa­rem­ment dénués de sens et leur por­tant préjudice.

À l’is­sue du stage JET, les sta­giaires se voient attri­buer un tra­vail – un simple contrat CES le plus sou­vent -, un loge­ment et… la liber­té, qui peut être défi­ni­tive ou condi­tion­nelle. L’as­so­cia­tion per­met aus­si à ses sta­giaires de pas­ser leur per­mis de conduire.

Tout cela appa­raît ration­nel, mais tous les inté­res­sés ne le vivent pas tou­jours comme tel. Je me sou­viens d’un jeune qui, deux jours avant la fin de son séjour, n’a plus accep­té l’au­to­ri­té du chef de stage, car il avait l’im­pres­sion de se sen­tir rabais­sé aux yeux du groupe. Sa conduite entraî­na son exclu­sion. Entre deux jours à attendre pour sa liber­té et une révolte pour affir­mer sa fier­té, il avait choi­si la fierté.

Cela me conduit à évo­quer une autre carac­té­ris­tique, que j’ai trou­vée bou­le­ver­sante, il s’a­git de leur inca­pa­ci­té à se pro­je­ter dans l’a­ve­nir. Il ne res­tait à ce jeune que deux jours, alors qu’il s’é­tait spon­ta­né­ment inves­ti tout au long du stage pen­dant trois mois, et sur un coup de tête, il aban­don­nait la chance de réin­ser­tion qui lui avait été donnée.

Beau­coup sem­blaient ain­si vivre au jour le jour, sai­sis­sant une oppor­tu­ni­té un jour pour ensuite la lais­ser s’envoler…

Ceci ne doit pas faire dou­ter cepen­dant de la capa­ci­té de ces jeunes à s’in­ves­tir dans un pro­jet et à le mener à bien.

Les nom­breux chan­tiers que nous avons menés prouvent la vaillance des sta­giaires, quand ils sont bien enca­drés. Je vois une autre preuve de leur achar­ne­ment à s’en sor­tir dans le sou­ve­nir de ce jeune qui ne savait pas lire. Ils étaient nom­breux dans son cas quand ils arri­vaient à JET. Lui, issu du milieu forain, connais­sait à peine l’alphabet.

Contrai­re­ment à cer­tains de ces cama­rades qui s’en sou­ciaient peu, il mani­fes­tait un vif inté­rêt pour l’ap­pren­tis­sage de la lec­ture. Après deux semaines de tra­vail inten­sif, il par­ve­nait à lire des phrases simples. Nul ne peut se figu­rer mon émo­tion lors­qu’un soir ce jeune de mon âge est venu me retrou­ver, les larmes aux yeux, pour me pré­sen­ter SA pre­mière lettre. Pour la pre­mière fois, il écri­vait quelque chose de compréhensible !…

J’ai reti­ré de cette année la convic­tion que, bien enca­drés et plon­gés dans un uni­vers dif­fé­rent du leur, ces jeunes pou­vaient se réinsérer.

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