Croissance et environnement en Chine : un arbitrage difficile

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Jie HE


Serres maraî­chères au sud-est de Séoul, Corée du Sud (37°33’ N – 126°58’ O).

Au XIVe siècle, la dynas­tie Cho­son choi­sît d’implanter à Séoul sa capi­tale au pied de mon­tagnes sur la berge nord du Fleuve Han, où sub­sistent quelques quar­tiers his­to­riques, tel le palais Chang­deok-gung, ins­crit sur la Liste du patri­moine mon­dial de l’Unesco en 1997. Ce n’est qu’en 1949 que les enceintes de Séoul s’étendirent au sud du fleuve. Urba­ni­sée à un rythme inten­sif ces trente der­nières années, Séoul n’en reste pas moins une capi­tale ancrée à sa terre et à ses mon­tagnes. Les prai­ries, les espaces ouverts et les forêts occupent plus de 40 % de la ville et l’agriculture, encore près de 5 %. Les construc­tions res­pectent tant que pos­sible les prin­cipes de la géo­man­cie, art divi­na­toire attri­buant des flux d’énergie posi­tive ou néga­tive selon le relief. C’est ain­si que récem­ment, le Musée Natio­nal fut détruit et le cours du TGV coréen dévié pour ne pas cou­per des veines géo­man­tiques favo­rables. Mais la pres­sion démo­gra­phique gri­gnote les espaces verts et repousse l’agriculture hors de la ville. Le déve­lop­pe­ment des cultures maraî­chères sous serre, ain­si que celui de l’élevage, témoignent de la hausse du niveau de vie des Coréens, de plus en plus deman­deurs de fruits et légumes variés et de pro­duits animaux.

La difficile articulation entre l’environnement et la croissance

La Répu­blique popu­laire de Chine a connu un chan­ge­ment radi­cal de poli­tique éco­no­mique à par­tir de 1978. En effet, les réformes éco­no­miques inté­rieures de la Chine ont tou­ché pro­gres­si­ve­ment le sec­teur agri­cole, urbain-indus­triel et ter­tiaire à tra­vers la tran­si­tion d’une éco­no­mie pla­ni­fiée à une éco­no­mie de mar­ché. Ces réformes se sont tra­duites aus­si par une inté­gra­tion crois­sante dans l’é­co­no­mie mon­diale, comme en témoignent l’adhé­sion à l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce (OMC) en décembre 2001 et le ren­for­ce­ment des rela­tions avec les pays d’A­sie du Sud-Est et les pays africains.

Après vingt ans de réformes les suc­cès éco­no­miques sont remar­quables : une crois­sance excep­tion­nelle tant par son ampleur que par sa durée (9 % par an avec des pointes à plus de 11 % dans plu­sieurs sec­teurs indus­triels), et une forte aug­men­ta­tion du com­merce inter­na­tio­nal et du flux entrant des inves­tis­se­ments directs étran­gers (IDE). En 2003, la somme des expor­ta­tions et des impor­ta­tions a atteint 60 % du PIB, et depuis 2004 la Chine est deve­nue le pays rece­vant le plus d’IDE au monde.

L’a­mé­lio­ra­tion des situa­tions éco­no­miques a fait for­te­ment dimi­nuer la pau­vre­té et per­mis l’ac­crois­se­ment géné­ral des reve­nus et de la com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique. La Chine est désor­mais l’une des plus grandes éco­no­mies du monde. Encore à la sixième place en 2005 elle est pas­sée devant la France, le Royaume-Uni et devrait dépas­ser l’Al­le­magne en 2007 pour deve­nir la troi­sième puis­sance éco­no­mique mon­diale der­rière les Etats-Unis et le Japon.
 

Néan­moins, bien que les poli­tiques éco­no­miques soient plus effi­caces, elles sou­lèvent de plus en plus d’in­quié­tudes sur le plan envi­ron­ne­men­tal car la Chine est à la fois très peu­plée et pauvre en matières pre­mières dans un éco­sys­tème fra­gile. Selon les sta­tis­tiques les plus récentes, 22 % de la popu­la­tion mon­diale se concen­trant dans ce pays pos­sède seule­ment 11 % des terres culti­vables, 4 % des res­sources fores­tières et 5 % de l’eau douce du monde. Or, les acti­vi­tés éco­no­miques du pays, avant et après 1978, ont sou­vent été réa­li­sées au détri­ment de l’en­vi­ron­ne­ment. Avec son effet de masse la crois­sance éco­no­mique de ces cin­quante der­nières années s’est accom­pa­gnée d’une forte dégra­da­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, de la qua­li­té de l’air et de l’eau.

La Chine est actuel­le­ment le deuxième émet­teur de gaz à effet de serre juste der­rière les États-Unis, et dans beau­coup de grandes villes, la pol­lu­tion dépasse lar­ge­ment les stan­dards inter­na­tio­naux. Par­mi les 338 villes pos­sé­dant un sys­tème d’ins­pec­tion de pol­lu­tion aérienne, deux tiers des villes ont un taux de pol­lu­tion consi­dé­ra­ble­ment éle­vé. Si 16 des 20 villes les plus pol­luées du monde sont chi­noises, on estime éga­le­ment que dans les 11 plus grandes villes chi­noises envi­ron 50 000 décès pré­ma­tu­rés chaque année sont dûs à la pol­lu­tion. Glo­ba­le­ment, la pol­lu­tion atmo­sphé­rique coûte à la Chine 2 % à 3 % de son PIB, car les pluies acides engendrent des pertes supé­rieures à 110 mil­liards de yuan (13,3 mil­liards $) par an, selon des experts chinois.

En rai­son de l’in­dus­tria­li­sa­tion et de l’ur­ba­ni­sa­tion rapide ain­si que de l’u­ti­li­sa­tion d’en­grais et de pes­ti­cides pour l’a­gri­cul­ture, la Chine connaît éga­le­ment une pénu­rie d’eau potable, de graves pro­blèmes d’é­ro­sion de la terre et de déser­ti­fi­ca­tion. Les pluies acides liées aux pro­blèmes de la pol­lu­tion de SO2 touchent un tiers du ter­ri­toire et le pays perd 740 000 hec­tares de forêts par année. Si aucune poli­tique volon­ta­riste n’est mise en œuvre, la pour­suite de la crois­sance et de l’ur­ba­ni­sa­tion risque d’ag­gra­ver une situa­tion déjà très préoccupante.

Mal­gré une crois­sance éco­no­mique remar­quable, presque tous les indi­ca­teurs éco­no­miques per capi­ta en Chine sont encore très bas par rap­port à ceux des pays déve­lop­pés (voir figure 2a), et ce, en rai­son de la taille de la popu­la­tion. La figure 2b sug­gère que la Chine est à l’é­tape pré­li­mi­naire de l’in­dus­tria­li­sa­tion, alors que le Japon, la France et les États-Unis sont des pays post­in­dus­tria­li­sés. Ain­si, la Chine doit tou­jours tra­ver­ser la « mon­tagne » de l’in­ten­si­té indus­trielle, repré­sen­tée ici par la Corée du Sud. Même si la solu­tion pour la Chine afin de contour­ner le som­met de cette « mon­tagne » demeure le pro­grès tech­nique, nous ne pou­vons pas anti­ci­per une solu­tion totale du pro­blème de pollution.

La dis­cus­sion sur la rela­tion entre la crois­sance et l’en­vi­ron­ne­ment depuis trente ans a abou­ti à une hypo­thèse très connue sou­vent appe­lée la courbe de Kuz­nets envi­ron­ne­men­tale (CKE). Une inter­pré­ta­tion de cette hypo­thèse est que la pol­lu­tion aug­mente d’a­bord avec la crois­sance éco­no­mique au début du déve­lop­pe­ment. Puis, lorsque le reve­nu atteint un cer­tain seuil cri­tique, cette pres­sion envi­ron­ne­men­tale s’in­verse pour dimi­nuer avec la crois­sance. Des ana­lyses éco­no­miques pré­disent le point de retour­ne­ment où l’aug­men­ta­tion de la pol­lu­tion se découple de la crois­sance éco­no­mique à 5 000 $-8 000 $ de PIB par tête (Stern, 2004 ; Gross­man et Kreu­ger, 1991, etc.). Puisque la Chine pos­sède actuel­le­ment un niveau de PIB par tête de 1 200 $, cette hypo­thèse signi­fie-t-elle que les Chi­nois doivent conti­nuer à sup­por­ter la dété­rio­ra­tion de l’en­vi­ron­ne­ment pour s’en­ri­chir ? En tenant compte du fait que la situa­tion est déjà très grave, existe-t-il un dan­ger que la capa­ci­té natu­relle d’ab­sorp­tion de la pol­lu­tion soit déjà atteinte en Chine avant qu’elle ne s’ap­proche de ce point de retournement ?

L’apparition d’un découplage entre la dégradation de l’environnement et la croissance

Les faits montrent que le décou­plage entre la crois­sance éco­no­mique et la dété­rio­ra­tion envi­ron­ne­men­tale s’est déjà pro­duit en Chine à un seuil de PIB bien infé­rieur à celui pré­dit par l’hy­po­thèse de CKE. Les gra­phiques de la figure 3 illus­trent que les écarts entre la crois­sance éco­no­mique et l’é­vo­lu­tion de la plu­part des indi­ca­teurs de pol­lu­tion deviennent de plus en plus impor­tants dans le temps. Alors, si le dyna­misme de la situa­tion envi­ron­ne­men­tale en Chine montre une amé­lio­ra­tion rela­ti­ve­ment tôt, quelles sont les sources de cette amélioration ?

Une ana­lyse de décom­po­si­tion sur l’é­mis­sion indus­trielle de SO2 (He, 2005a) semble four­nir quelques indices. Dans le gra­phique 4, les varia­tions de l’é­mis­sion de SO2 mon­trées par la ligne noire, sont décom­po­sées en contri­bu­tions de la crois­sance éco­no­mique (effet d’é­chelle), des chan­ge­ments struc­tu­rels (l’ef­fet de com­po­si­tion) et des pro­grès tech­niques (effet tech­nique). Il est évident que les varia­tions rela­ti­ve­ment lentes de l’é­mis­sion de SO2 par rap­port à la crois­sance éco­no­mique sont dues à la réduc­tion de la pol­lu­tion issue des pro­grès tech­niques. Ces der­niers annulent en grande par­tie l’aug­men­ta­tion de pol­lu­tion due à la crois­sance éco­no­mique et à l’é­vo­lu­tion de l’industrialisation.

Les limites de la mise en place d’un corpus réglementaire et législatif

Indé­pen­dam­ment des pro­grès tech­niques, les efforts de l’É­tat dans les diverses mesures de contrôle de la pol­lu­tion ne doivent pas être igno­rés. Plu­sieurs études de la Banque mon­diale ont déjà mon­tré que la per­for­mance du sys­tème de contrôle de pol­lu­tion en Chine est net­te­ment plus effi­cace contrai­re­ment à la croyance popu­laire. Effec­ti­ve­ment, un rapide déve­lop­pe­ment d’un cor­pus régle­men­taire et légis­la­tif fut obser­vé durant les trente der­nières années.

La mon­tée d’une conscience envi­ron­ne­men­tale en Chine peut être déce­lée au début des années soixante-dix lorsque l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale de la san­té (OMS) a révé­lé pour la pre­mière fois les effets néga­tifs de la pol­lu­tion sur la san­té en Chine. En 1971, le pre­mier orga­nisme s’oc­cu­pant de l’u­ti­li­sa­tion et de la ges­tion des eaux usées a ain­si été créé. La pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment a été intro­duite dans l’a­gen­da de l’ad­mi­nis­tra­tion de l’É­tat en 1973. Ensuite, le gou­ver­ne­ment a créé en 1974 une agence d’É­tat spé­cia­li­sée dans la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment : la SEPA, soit en fran­çais, l’a­gence natio­nale pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. De 1973 à 1978, sous les efforts de la SEPA et du Conseil des affaires de l’É­tat, une série de poli­tiques visant à pro­té­ger l’en­vi­ron­ne­ment ont été éta­blies, comme « le sys­tème des trois simul­ta­nés », « le sys­tème de l’é­li­mi­na­tion avant la date limite », etc. En 1978, la Consti­tu­tion chi­noise était amen­dée par l’a­jout du fameux article 11 sou­li­gnant l’o­bli­ga­tion pour l’É­tat « de pro­té­ger et d’a­mé­lio­rer l’en­vi­ron­ne­ment, ain­si que de pré­ve­nir la pol­lu­tion et les autres formes de périls publics ».

La pro­mul­ga­tion de la loi sur l’en­vi­ron­ne­ment lors de la 11e Assem­blée popu­laire natio­nale (APN) en 1979 est, dans cette optique, un jalon impor­tant dans la construc­tion d’un sys­tème légal de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Au cours des cinq années sui­vantes, les lois sur la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment marin, sur la pré­ven­tion de la pol­lu­tion des eaux et sur la pré­ven­tion de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique ont été pro­mul­guées les unes après les autres. Paral­lè­le­ment, durant la même période, le Conseil des affaires de l’É­tat et la SEPA n’ont ces­sé d’é­ta­blir des règles visant à amé­lio­rer la ges­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Ces der­nières ont concer­né la ges­tion des paie­ments pour les déver­se­ments, les études d’im­pact des nou­veaux pro­jets sur l’en­vi­ron­ne­ment, le sys­tème d’a­lerte des acci­dents de pol­lu­tion, la ges­tion des com­por­te­ments pol­luants des petites entre­prises au niveau des can­tons et des vil­lages, etc.

Cepen­dant, bien que la pro­mul­ga­tion de ces dif­fé­rentes lois témoigne de la mise en place d’un cadre poli­tique visant à pro­té­ger l’en­vi­ron­ne­ment, elle ne signi­fie pas pour autant l’ap­pli­ca­tion des lois et des règle­ments en réa­li­té. Durant la période 1970–1990, la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment était certes sou­hai­table, tou­te­fois la prio­ri­té du gou­ver­ne­ment et de la popu­la­tion chi­noise demeu­rait la vigueur de la crois­sance éco­no­mique et l’a­mé­lio­ra­tion des condi­tions de vie.

Au cours des années 1990, la rela­tion entre l’en­vi­ron­ne­ment et la crois­sance éco­no­mique dans la stra­té­gie du gou­ver­ne­ment chi­nois s’est com­plexi­fiée. D’une part, la crois­sance éco­no­mique est pas­sée d’une éco­no­mie pla­ni­fiée à une éco­no­mie de mar­ché qui offre à la Chine davan­tage de pos­si­bi­li­tés de crois­sance grâce au ren­for­ce­ment de sa com­pé­ti­ti­vi­té sur le mar­ché mon­dial. D’autre part, l’ac­cen­tua­tion de la dégra­da­tion envi­ron­ne­men­tale et la pres­sion exer­cée par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale pour mieux contrô­ler la pol­lu­tion ont conduit la Chine à prendre des mesures plus concrètes. Ain­si, l’é­vo­lu­tion du cadre poli­tique de contrôle de la pol­lu­tion ne se tra­duit plus uni­que­ment par une diver­si­fi­ca­tion des lois de pré­ven­tion et de pro­tec­tion et un ren­for­ce­ment du pou­voir de la SEPA, mais aus­si par la mise en œuvre de contrôles sur l’ap­pli­ca­tion des règle­ments et l’ap­pa­ri­tion des ins­tru­ments éco­no­miques de sui­vi de la pol­lu­tion. Au même moment, la Chine a com­men­cé à assu­mer et même ren­for­cer son rôle inter­na­tio­nal dans le domaine de l’en­vi­ron­ne­ment ce qui s’est mani­fes­té, entre autres, par la signa­ture des conven­tions « envi­ron­ne­ment et déve­lop­pe­ment » et de l’ac­cord de Kyo­to pour la pré­ven­tion des chan­ge­ments cli­ma­tiques et de la conven­tion de Stock­holm afin d’é­li­mi­ner et limi­ter la pro­duc­tion, l’u­ti­li­sa­tion et les rejets des pol­luants orga­niques per­sis­tants (POP).

À la suite d’une ving­taine d’an­nées de déve­lop­pe­ment, le cor­pus des lois de contrôle de la pol­lu­tion en Chine est presque com­plet. Bien que celui-ci ait déjà aidé la Chine à réa­li­ser, jus­qu’à un cer­tain degré, un décou­plage entre l’aug­men­ta­tion de la pol­lu­tion et la crois­sance éco­no­mique, il existe encore de nom­breux pro­blèmes d’ef­fi­ca­ci­té des mesures envi­ron­ne­men­tales. Les pro­blèmes les plus fla­grants sont le manque d’ef­fi­ca­ci­té des mesures de contrôle et le fait que la plu­part des méthodes uti­li­sées sont celles d’une éco­no­mie pla­ni­fiée à laquelle il manque des inci­ta­tions éco­no­miques et des ini­tia­tives pri­vées. De plus, la Chine éprouve sou­vent de la dif­fi­cul­té à sur­veiller et punir les petites entre­prises en faute. Éga­le­ment, la péna­li­té infli­gée aux grands pol­lueurs reste encore trop faible. En fait, les méca­nismes de contrôle n’exigent des pol­lueurs que de payer la par­tie dépas­sant la norme, et s’il existe dif­fé­rents pol­luants, ils ne paie­ront que pour le pol­luant qui dépasse le plus la norme. Wang (2000) montre ain­si que le taux de paie­ment actuel­le­ment appli­qué en Chine pour une uni­té de pol­lu­tion est seule­ment égal à la moi­tié du coût d’in­ves­tis­se­ment dans les tech­no­lo­gies de dépol­lu­tion et 110 du coût sur la san­té publique. Donc, pour un pro­duc­teur, pol­luer et payer les péna­li­tés coûte moins cher que de se moder­ni­ser et réduire ses émissions.

Principaux problèmes du système de protection de l’environnement en Chine

Ce manque d’ef­fi­ca­ci­té pour­rait être expli­qué par plu­sieurs rai­sons sociales, éco­no­miques et administratives.

En pre­mier lieu, le carac­tère stra­té­gique de l’en­vi­ron­ne­ment n’est pas vrai­ment pris en compte par le gou­ver­ne­ment chi­nois qui consi­dère tou­jours que la crois­sance éco­no­mique et l’en­ri­chis­se­ment maté­riel sont prio­ri­taires. Cela explique le fait que la pro­mul­ga­tion des lois et des règle­ments n’en­traîne pas for­cé­ment leur appli­ca­tion et que la posi­tion admi­nis­tra­tive actuelle de la SEPA, même si elle s’a­mé­liore, reste tou­jours mar­gi­nale par rap­port aux autres minis­tères qui s’oc­cupent des affaires économiques.

Deuxiè­me­ment, la mise en appli­ca­tion de cer­taines poli­tiques de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment repose aus­si sur un com­pro­mis entre l’en­vi­ron­ne­ment et le béné­fice éco­no­mique. Plu­tôt que d’ap­pli­quer de façon égale la légis­la­tion à toutes les entre­prises, le gou­ver­ne­ment chi­nois a sou­vent ten­dance à prendre en compte la capa­ci­té d’une entre­prise à sup­por­ter ces mesures lors de leur appli­ca­tion. La rigueur de la régu­la­tion envi­ron­ne­men­tale sur une entre­prise est aus­si sou­vent assou­plie en fonc­tion du nombre d’employés. En outre, cer­taines poli­tiques éco­no­miques vont à l’en­contre des prin­cipes de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Un bon exemple est que le prix de matières pre­mières tels que le char­bon et l’eau est tou­jours pla­fon­né, ce qui a pour but de pro­mou­voir cer­tains sec­teurs indus­triels lourds sou­vent consi­dé­rés comme stra­té­giques dans le pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment et d’industrialisation.

Troi­siè­me­ment, la coopé­ra­tion entre les gou­ver­ne­ments cen­traux et locaux est insuf­fi­sante. Cela a pour effet que les gou­ver­ne­ments locaux appliquent avec beau­coup de sou­plesse les mesures de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Bien que l’im­por­tance de l’en­vi­ron­ne­ment fut déjà signa­lée par le gou­ver­ne­ment cen­tral dès 1990, les cri­tères ser­vant à éva­luer la capa­ci­té des chefs des gou­ver­ne­ments locaux res­tent tou­jours for­te­ment liés à l’é­co­no­mie : la crois­sance de PIB, la créa­tion de l’emploi, les expor­ta­tions, l’en­trée des IDE, etc. Puisque la struc­ture admi­nis­tra­tive en Chine est simi­laire à un sys­tème fédé­ra­liste, les dif­fé­rentes pro­vinces se sentent en com­pé­ti­tion de sorte que les gou­ver­ne­ments locaux ont sou­vent ten­dance à sacri­fier l’en­vi­ron­ne­ment pour obte­nir de meilleures sta­tis­tiques éco­no­miques. On note très sou­vent la négli­gence voire même la dis­si­mu­la­tion de la véri­té sur les dégâts envi­ron­ne­men­taux dans les rap­ports gou­ver­ne­men­taux des pro­vinces. Seule­ment quelques pro­vinces déjà rela­ti­ve­ment riches et aisées, comme Shan­ghai, Jiang­su, Zhe­jiang, etc., com­mencent à vrai­ment s’in­té­res­ser au pro­blème de l’environnement.

Par ailleurs, le non-achè­ve­ment d’un sys­tème juri­dique indé­pen­dant en Chine nuit au bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème de contrôle, car les déci­sions peuvent être influen­cées par le pou­voir de négo­cia­tion des entre­prises, par les béné­fices com­mer­ciaux, par les acti­vi­tés de cor­rup­tion et par les inter­ven­tions du gou­ver­ne­ment. Même si dans plus de 90 % des cas, la déci­sion d’un juge est accep­tée par les par­ties concer­nées, les juges chi­nois admettent que leurs déci­sions sont prises en tenant en compte de fac­teurs tels que la capa­ci­té à payer les amendes et les inter­ven­tions poten­tielles pro­ve­nant du gou­ver­ne­ment. Pour les 10 % de cas res­tants, ils sont réso­lus par des média­tions semi-for­melles entre les régu­la­teurs, les pol­lueurs et les victimes.

La nou­velle ten­dance du déve­lop­pe­ment éco­no­mique de la Chine pour­rait faci­li­ter l’a­mé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té du sys­tème de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, par l’ap­pa­ri­tion et la per­fec­tion des ins­tru­ments de mar­ché, l’ou­ver­ture et le ren­for­ce­ment de la conscience publique sur l’en­vi­ron­ne­ment. Mal­gré cela, nous ne pou­vons pas igno­rer quelques dif­fi­cul­tés dont les causes pro­fondes pour­raient conti­nuer à empê­cher l’ap­pa­ri­tion d’une meilleure ges­tion de l’en­vi­ron­ne­ment en Chine.

  1. Le conflit entre le besoin d’un sys­tème légis­la­tif effi­cace et l’hé­ri­tage de la phi­lo­so­phie confu­céenne. Pour ache­ver la construc­tion de sys­tèmes légis­la­tifs et juri­diques et ren­for­cer l’ef­fi­ca­ci­té du contrôle de la pol­lu­tion en Chine, le chan­ge­ment de la posi­tion subal­terne des sys­tèmes juri­diques par rap­port au gou­ver­ne­ment et la construc­tion d’une véri­table socié­té de droit sont inévi­tables. Cepen­dant, ceci bous­cule l’hé­ri­tage de la phi­lo­so­phie confu­céenne, qui a gui­dé l’or­ga­ni­sa­tion du sys­tème poli­tique en Chine depuis plu­sieurs mil­liers d’an­nées et sou­ligne la ver­tu du lea­der poli­tique au lieu d’un sys­tème légis­la­tif effi­cace. Ain­si, le défi le plus impor­tant dans l’é­vo­lu­tion poli­tique et socio­lo­gique de la Chine consiste à gérer l’ar­ti­cu­la­tion entre la tra­di­tion idéo­lo­gique et la construc­tion d’une socié­té de droit et de lois.
     
  2. L’ac­crois­se­ment des dis­pa­ri­tés régio­nales devient de plus en plus mar­quant en Chine en rai­son de la crois­sance éco­no­mique excep­tion­nelle. Le sys­tème de contrôle de pol­lu­tion étant sou­vent déter­mi­né par l’as­pect éco­no­mique de la région elle-même, la dis­pa­ri­té entre les dif­fé­rentes régions pour­rait consti­tuer un grand dan­ger pour les pro­vinces les plus pauvres, car elles pour­raient sacri­fier la qua­li­té de leur envi­ron­ne­ment dans le but de sti­mu­ler leur crois­sance économique.
     
  3. L’a­mé­lio­ra­tion du niveau de vie, l’ur­ba­ni­sa­tion et l’ac­crois­se­ment de la demande pour des biens manu­fac­tu­rés sont des fac­teurs qui entraî­ne­ront néces­sai­re­ment l’aug­men­ta­tion du tra­fic rou­tier. Selon He et Roland-Hol­st (2005), la consom­ma­tion quo­ti­dienne du trans­port devien­dra la source de pol­lu­tion la plus impor­tante en Chine à par­tir de 2015. Par consé­quent, encou­ra­ger l’a­mé­lio­ra­tion des trans­ports publics dans les zones urbaines demeure un défi majeur.
     
  4. Fina­le­ment, selon l’hypo­thèse du « havre de pol­lu­tion », la Chine, pos­sé­dant un niveau de régle­men­ta­tion de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment rela­ti­ve­ment moins rigou­reux, risque de deve­nir un havre de pol­lu­tion vers lequel les pays riches auront inté­rêt à délo­ca­li­ser leurs pro­duc­tions pol­luantes. Ain­si, face à un accrois­se­ment inévi­table de la mon­dia­li­sa­tion, un autre défi pour le gou­ver­ne­ment chi­nois reste de bien arbi­trer entre le béné­fice éco­no­mique qu’il pour­rait tirer de l’é­co­no­mie mon­diale et les dégâts envi­ron­ne­men­taux qu’il pour­rait subir.
     

Bref, une réforme plus pro­fonde du sys­tème de contrôle de la pol­lu­tion en Chine est tou­jours indis­pen­sable. Cepen­dant, cette réforme n’in­fluence pas uni­que­ment l’as­pect envi­ron­ne­men­tal. Effec­ti­ve­ment, ces mesures vont for­cé­ment entraî­ner des chan­ge­ments dans le domaine social, poli­tique, éco­no­mique et struc­tu­rel, car une réforme effi­cace et réus­sie requiert la coor­di­na­tion des poli­tiques dans ces domaines.

BIBLIOGRAPHIE

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