Celui qui voulait tout changer – les années JJSS

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°605 Mai 2005Par : Jean BOTHORELRédacteur : Louis-Aimé de FOUQUIÈRES (77)

À tra­vers un bilan de la car­rière de Jean-Jacques Ser­van- Schrei­ber (43), Jean Botho­rel nous fait connaître l’homme, ses convic­tions, ses moti­va­tions. Le pro­pos est étayé par les docu­ments per­son­nels et les témoi­gnages inédits de ses proches, notam­ment de son épouse Sabine et de ses quatre fils. Un regard que ni la dizaine d’ouvrages de JJSS, ni les nom­breuses publi­ca­tions sur le per­son­nage public et ses idées ne pou­vaient nous donner.

La réus­site du concours de l’École poly­tech­nique est un des pre­miers objec­tifs que son entou­rage assigne au jeune Jean-Jacques. Claude Aba­die (38), ami proche de la famille, lui en montre le che­min. À son entrée en 1945, JJSS y retrouve Chris­tian Beul­lac (43) et Claude Char­mont (42), et se lie avec Paul Lepercq (42) et Guy Mon­ge­rot (44). De cette époque date la créa­tion de sa pre­mière revue. Dès le numé­ro un (il en paraî­tra cinq), il évoque une des idées qui le pas­sionnent le plus : les États-Unis du monde…

Quelques années plus tard, Louis Armand (24) et Alfred Sau­vy (20 S) feront notam­ment par­tie des quelque cent per­son­na­li­tés qui contri­buent aux tout pre­miers numé­ros de L’Express. La qua­si-tota­li­té des jour­na­listes qui comptent aujourd’hui et qui étaient en âge d’exercer ont col­la­bo­ré à L’Express à un moment ou à un autre.

Jean Botho­rel révèle les rouages des rela­tions ami­cales et fami­liales qui contri­buèrent aux actes mar­quants de cette ful­gu­rante car­rière : le retour de Fran­çoise Giroud à L’Express en 1961, la vente des Échos à Jac­que­line Bey­tout en 1963, la genèse du Défi amé­ri­cain en 1967, la mort du père de Jean-Jacques fin 1967, son der­nier garde-fou, comme le note Claude Aba­die, etc.

L’épilogue, émou­vante, évoque les der­niers éclairs de cette intel­li­gence aujourd’hui ron­gée par la mala­die. Si la place qu’a occu­pée JJSS sur la scène poli­tique fut en quelque sorte déri­soire, son rôle sur la trans­for­ma­tion des idées est consi­dé­rable. Il est peu d’enjeux éco­no­miques et poli­tiques majeurs aux­quels il n’ait ini­tié les Fran­çais. Que l’on pense à ce qu’on appelle aujourd’hui la mon­dia­li­sa­tion, à l’économie de l’information, à l’Europe comme État supra­na­tio­nal avec aujourd’hui sa mon­naie, au pou­voir des régions ; que l’on songe à ce qu’est deve­nu le Concorde en com­pa­rai­son avec l’Airbus, à la fin des essais nucléaires deman­dés trop tôt mais obte­nus à terme, à la place de la femme dans la vie poli­tique et éco­no­mique, à l’importance de la réforme (notam­ment celle de l’État) dans la conduite des affaires publiques…

Pour la géné­ra­tion des trente glo­rieuses, il reste l’homme du Défi amé­ri­cain, et sans doute le pre­mier pro­mo­teur de ce qu’on appelle aujourd’hui le déve­lop­pe­ment durable, c’est-à-dire d’un pro­gramme que l’on construit dans une vision à vingt-cinq ans.

Le rideau est tom­bé. Lui qui esti­mait que le mariage était un simple contrat et la pater­ni­té un devoir, c’est entou­ré de son épouse et de ses quatre fils, dans l’intimité fami­liale, qu’il contemple désor­mais ce monde dont naguère il don­nait la vision.

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