Appauvrissez-vous !

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°601 Janvier 2005Par : François de WITT (64)Rédacteur : Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

Actuel­le­ment chro­ni­queur éco­no­mique à France Info, notre cama­rade de Witt s’est spé­cia­li­sé depuis sa sor­tie de l’École dans la for­ma­tion du grand public aux mys­tères de l’économie et de la finance. Il a été long­temps jour­na­liste à L’Expansion puis a diri­gé la rédac­tion de grands maga­zines éco­no­miques et finan­ciers comme La Vie fran­çaise (deve­nue Vie finan­cière), Chal­lenges, Mieux vivre votre argent, sans oublier, si je me sou­viens bien, La Jaune et la Rouge.

Sous un titre qui inter­pelle en pre­nant le contre-pied d’un impé­ra­tif apo­cryphe attri­bué à un autre Fran­çois (Gui­zot), il nous régale aujourd’hui avec un essai savou­reux mais très docu­men­té et robo­ra­tif sur le thème de la trans­mis­sion du patri­moine entre générations.

Avec le ral­lon­ge­ment de la vie humaine, de l’ordre de un an tous les quatre ans, de Witt remarque que les géné­ra­tions ne se suc­cèdent plus comme avant mais coexistent de plus en plus long­temps. Il fau­drait d’ailleurs modi­fier le deuxième cou­plet de la Mar­seillaise qui dit : “ Nous entre­rons dans la car­rière quand nos aînés n’y seront plus ” (et peut-être aus­si le refrain guer­rier, mais c’est une autre his­toire…). La trans­mis­sion de patri­moine, qui se fait tra­di­tion­nel­le­ment au moment de la suc­ces­sion, inter­vient donc sou­vent à un moment où les enfants sont déjà retrai­tés et où les petits-enfants sont même déjà entrés dans la vie active.

La thèse de Witt est que les vieillards (je n’utilise pas le mot poli­ti­que­ment cor­rect de “ senior ” car je ne vois pas pour­quoi on n’appellerait pas un chat un chat) n’ont pas besoin de beau­coup d’argent pour vivre et ont un taux d’épargne qui croît inuti­le­ment alors que les jeunes ont besoin d’argent pour s’installer et sont sus­cep­tibles de faire repar­tir par leur consom­ma­tion une éco­no­mie fran­çaise chan­ce­lante. Il pré­co­nise donc que les vieillards orga­nisent le trans­fert de leur patri­moine à leurs des­cen­dants – ou à des orga­nismes d’utilité publique – bien avant que la mort s’en charge. L’âge de 75 ans lui paraît le plus appro­prié pour ce faire, les habi­tudes de consom­ma­tion décli­nant for­te­ment à par­tir de cet âge.

Ce trans­fert doit se faire par dona­tion immé­diate et non par legs tes­ta­men­taire et por­ter sur la pleine pro­prié­té des biens et non sur la seule nue-pro­prié­té comme cela se fait sou­vent. Bien enten­du, le dona­teur doit conser­ver ce qu’il lui faut pour vivre, même en cas de perte d’autonomie, afin de ne pas deve­nir dépen­dant finan­ciè­re­ment, même de ses enfants. Mais l’objectif à atteindre doit être, selon l’auteur, de vivre riche et de mou­rir fau­ché. Dans Ce qu’il faut de terre à l’homme, Léon Tol­stoï avait déjà remar­qué il y a quelques siècles que les morts n’ont pas besoin de grand-chose.

Le gou­ver­ne­ment a fort heu­reu­se­ment com­pris tout l’intérêt qu’il peut y avoir pour la Nation à ce que l’argent cir­cule plus vite entre les géné­ra­tions. Il a ain­si pris depuis quelques années diverses dis­po­si­tions d’ordre fis­cal pour inci­ter à faire des dona­tions anti­ci­pées aux enfants ou aux petits-enfants. Ces mesures ont eu un effet cer­tain, mais de Witt montre que les sommes ain­si trans­fé­rées ne repré­sentent qu’une goutte d’eau par rap­port à ce qui pour­rait – et devrait – être fait.

Truf­fé de chiffres sérieux et d’exemples pit­to­resques tirés de son expé­rience pro­fes­sion­nelle, le livre de Fran­çois de Witt se lit très faci­le­ment et il est très convain­cant. Devant bien­tôt fêter mon sep­tan­tième anni­ver­saire, j’ai aus­si­tôt pris ren­dez-vous avec mon notaire avec mon épouse pour orga­ni­ser une dona­tion à nos enfants et petits-enfants. Je vous recom­mande d’en faire autant sans tar­der si vous le pouvez.

Dans notre pauvre pays où le tra­vail a ces­sé d’être une valeur recom­man­dable et où un livre fai­sant l’éloge de la paresse fait un tabac, je sou­haite que notre cama­rade Fran­çois de Witt ne s’arrête pas en si bon che­min et applique main­te­nant ses talents de péda­gogue à pro­lon­ger le tra­vail de la Fon­taine en écri­vant un livre qui pour­rait être inti­tu­lé Tra­vaillez, pre­nez de la peine

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