Anton BRUCKNER : septième symphonie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°679 Novembre 2012Par : l'orchestre philharmonique de Berlin, Sergiu CelibidacheRédacteur : Marc DARMON (83)

Ce disque est un véri­ta­ble événe­ment. Cette rubrique ne suf­fi­rait pas pour décrire le poids his­torique et la qual­ité musi­cale d’une telle réalisation.

Sergiu Celi­bidache a été incon­testable­ment un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siè­cle. Il est né en Roumanie il y a juste cent ans. Sa notoriété moin­dre que celle d’autres géants (Kara­jan, Solti, Kleiber, Furtwän­gler, etc.) vient de l’absence totale d’enregistrements offi­ciels, Celi­bidache ayant hor­reur du disque. Les témoignages qu’il nous reste sont exclu­sive­ment des enreg­istrements de con­certs, ce qui les réser­vait aux spé­cial­istes et les rendait absents des cat­a­logues des grandes maisons de disques.

Coffret du DVD 7ème Symphonie de Bruckner dirigé par Celidibache Son dédain pour l’enregistrement vient très naturelle­ment de sa con­cep­tion de la musique et du son : une lec­ture « hor­i­zon­tale » de la musique qui fait ressor­tir l’architecture de l’œuvre, mais avant tout une atten­tion portée « ver­ti­cale­ment » au son instan­ta­né lui-même, qui demandait des équili­bres très sophis­tiqués des pupitres et un temps de répéti­tion impor­tant, pour s’adapter aux dif­férentes acous­tiques. Et naturelle­ment des tem­pos qui per­me­t­tent au son de s’épanouir comme il le souhaitait, donc dépen­dant de l’acoustique de la salle.

Cette descrip­tion très sim­pli­fiée de ce qui était en fait une vision qua­si mys­tique du rôle de l’interprète per­met de com­pren­dre pourquoi la pos­si­bil­ité de repro­duc­tion illim­itée d’un événe­ment unique et encore plus celle d’enregistrement avec une dégra­da­tion inévitable du son entre le con­cert orig­i­nal et le disque sont des notions aux antipodes de la vision de la musique par Celibidache. 

Le doc­u­men­taire joint en bonus au DVD est pas­sion­nant, mon­trant com­ment Celi­bidache assim­i­le ratio­nal­ité (des études poussées de math­é­ma­tiques, de physique, d’acoustique et d’harmonie) et subjectivité.

Mais la vision de Celi­bidache serait anec­do­tique si elle ne s’accompagnait d’une sub­lime capac­ité d’interprétation musi­cale. Cer­tains enreg­istrements publics sont les per­les des dis­cothèques des con­nais­seurs (essayez de trou­ver ses Tableaux d’une expo­si­tion, orchestrés par Rav­el, c’est pro­pre­ment inouï).

Mais le com­pos­i­teur pour lequel Celi­bidache est recon­nu comme iné­gal­able est Anton Bruck­n­er. Ce com­pos­i­teur autrichien laisse à sa mort unique­ment une dizaine de sym­phonies (seules neuf sont offi­cielle­ment numérotées, comme chez Beethoven, Schu­bert, Dvo­rak, Mahler), un Te Deum et trois mess­es. Ses sym­phonies, toutes sur la même struc­ture (héritée de Beethoven), dévelop­pent une orches­tra­tion wag­néri­enne assez impres­sion­nante. Des œuvres mon­u­men­tales, claire­ment adap­tées au « sys­tème » Celi­bidache. La Sep­tième Sym­phonie, créée en 1884, est con­sid­érée comme une des plus belles, sûre­ment celle par laque­lle com­mencer sa décou­verte de l’univers bruck­nérien. Plusieurs enreg­istrements publics de Celi­bidache cir­cu­lent de sym­phonies de Bruck­n­er (notam­ment une Neu­vième, à Munich, EMI, ver­sion de référence), tous mar­qués par des tem­pos très amples, et une ten­sion très forte. Mais rien qui atteigne la force de cet enregistrement.

L’Orchestre phil­har­monique de Berlin est naturelle­ment un des meilleurs orchestres au monde, cer­tains dis­ent le meilleur. Celi­bidache en fut le chef prin­ci­pal après la guerre, à une époque où Wil­helm Furtwän­gler attendait en Suisse sa dénaz­i­fi­ca­tion. Au retour de Furtwän­gler, Celi­bidache con­tin­ua à diriger Berlin, mais lorsqu’en 1955 Kara­jan en devint le chef (à vie!), Celi­bidache ne dirigea plus jamais ici. Jusqu’à cette soirée d’avril 1992, trente-huit ans plus tard, pour ce con­cert mirac­uleuse­ment con­servé, et unique.

Ce DVD per­met de retrou­ver tout cela : un événe­ment his­torique, un chef mythique qui n’avait plus dirigé cet orchestre phénomé­nal depuis près de quar­ante ans, un son for­mi­da­ble, chaud et épanoui, tra­vail­lé pen­dant des répéti­tions innom­brables, ren­du clair par des tem­pos d’une ampleur record (une heure pour les seuls deux pre­miers mou­ve­ments) et resti­tué mag­nifique­ment en haute déf­i­ni­tion sur ce DVD (préférez le Blu-Ray, encore mieux défi­ni, son resti­tué en 24 bits, la qual­ité du SACD). Et l’image, con­ver­tie au stan­dard mod­erne seize neu­vièmes, fait com­plète­ment oubli­er que l’on regarde une archive réelle­ment historique.

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