André Bénard (42) en Grand Uniformr

André BÉNARD (42) : un grand monsieur

Dossier : TrajectoiresMagazine N°719 Novembre 2016Par : Gérard Cohen (70) avec les contributions d’Alain Bertrand (65), Jean Guéguinou, Denis Guyot-Sionnest, Claude Janssen (50), Jeanne Labrousse, Paul Skinner, Jacqueline et Jean-Marie Bénard, son épouse et son fils

Né le 19 août 1922 à Draveil, André Bénard est admis à l’X en 1942. Il se révolte con­tre le com­man­de­ment de l’École qui donne instruc­tion aux élèves entrants de par­tir en Alle­magne au titre du STO. 

Il rejoint la Résis­tance, puis parvient à gag­n­er le Maroc via l’Espagne. Il intè­gre l’armée française de la Libéra­tion en Afrique du Nord, par­ticipe au Débar­que­ment de Provence en août 1944 et remonte le Rhône, et con­naît un choc véri­ta­ble avec l’armée alle­mande à Belfort. L’École le rap­pelle alors pour effectuer sa scolarité. 

Raoul Dautry, alors min­istre de la Recon­struc­tion et de l’Urbanisme, envoie en 1945 une mis­sion aux États-Unis à laque­lle il lui demande de se join­dre. Au déje­uner de récep­tion à Wash­ing­ton, étant celui qui par­lait le mieux l’anglais, il est chargé du dis­cours de la délé­ga­tion française, et est remar­qué par Léon Kaplan, alors prési­dent de la SA des Pétroles Jupiter. 

À sa sor­tie de l’École, en 1946, André Bénard devient son assis­tant per­son­nel, dans cette société qui devien­dra bien­tôt Shell Française. Ain­si com­mence une car­rière excep­tion­nelle à la Shell, entre Paris, Lon­dres et La Haye, jusqu’à sa pre­mière retraite en 1983. 

VISIONNAIRE ET DIPLOMATE

Chef du départe­ment Bitumes de 1950 à 1958 ; directeur, puis en 1962 directeur général d’URG (Util­i­sa­tion rationnelle du gaz, qui devien­dra plus tard Butagaz) ; vice-prési­dent mar­ket­ing en 1964, puis PDG de Shell Française de 1967 à 1970, il fait preuve de puis­santes capac­ités d’innovation et d’une grande vision stratégique. 

“ Cette Angleterre que j’admirais autant que je l’aimais ”

En 1970, à La Haye, il devient coor­di­na­teur des opéra­tions de Shell en Europe, ini­tiant un proces­sus de rap­proche­ment des com­pag­nies nationales, puis il entre en 1971, à Lon­dres, au comité des directeurs généraux, l’organe de direc­tion exéc­u­tive du groupe, seul Français à y être admis. 

Il y fait preuve de ses grandes qual­ités de vision­naire et de diplo­mate sur la scène inter­na­tionale. En charge du Moyen- Ori­ent, il est l’un des deux chefs de la délé­ga­tion qui ren­con­tre l’OPEP à Vienne, en octo­bre 1973, pour dis­cuter de ses exi­gences de dou­ble­ment du prix du pét­role. Alors que la délé­ga­tion se rassem­ble, la guerre de Yom Kip­pour éclate, changeant toutes les données. 

Après sa retraite, jusqu’en 1993, il est mem­bre du con­seil de sur­veil­lance du Groupe, dont il restera comme l’un des très grands dirigeants de son pre­mier siè­cle d’existence.

Il est égale­ment, de 1983 à 1998, un grand admin­is­tra­teur de l’INSEAD dans une péri­ode de forte crois­sance, alors que la répu­ta­tion mon­di­ale de l’Institut n’est pas encore affirmée. 

LE TUNNEL SOUS LA MANCHE

En 1986, en recherche de fonds pour la réno­va­tion de l’abbaye de Mont­ma­jour, il con­tacte Alain Cheva­lier, alors PDG de Moët-Hen­nessy, qui lui pro­pose en retour de pren­dre la prési­dence d’Eurotunnel. Peut-être pense-t-il alors à son grand-père Adrien Bénard, le pre­mier prési­dent du métro parisien en 1900 ? 

Comme il l’écrit dans des mémoires non encore pub­liées : « Sans doute ai-je cédé à des raisons peu raisonnables et d’abord à la fierté de con­tribuer à un ouvrage qui allait matéri­alis­er mes con­vic­tions européennes et qui sym­bol­is­erait l’union de mon pays et de cette Angleterre que j’admirais autant que je l’aimais. »

Sortie du tunnel sous la Manche
André Bénard a mis toute son expéri­ence au ser­vice de la réal­i­sa­tion du tun­nel sous la Manche. © CLUBFOTO / FOTOLIA.COM

Il con­fie à Alain Bertrand, directeur de l’exploitation d’Eurotunnel : « Je crois pro­fondé­ment que le tun­nel sous la Manche sera bon pour la France et bon pour le développe­ment des liens entre nos peu­ples ; il y aura des dif­fi­cultés colos­sales à résoudre […] ; je met­trai toute mon expéri­ence acquise au sein de Shell au ser­vice de cette grande cause. » 

Toute la per­son­nal­ité d’André Bénard se retrou­ve dans ces pro­pos : son sens de la Nation, une anglophilie éclairée, une capac­ité d’analyse hors du com­mun, une énergie sans bornes au ser­vice de sa mission. 

Il choisit lui-même son coprési­dent bri­tan­nique : Sir Alas­tair Mor­ton, fon­ceur, au car­ac­tère incen­di­aire si éloigné du sien. André Bénard est un allié sûr et déter­miné, mais aus­si un con­tre­poids respec­té et écouté sur les grandes ori­en­ta­tions stratégiques. 

En par­ti­c­uli­er, le pro­jet n’ayant été accep­té par le gou­verne­ment Thatch­er qu’à la con­di­tion absolue de l’absence de fonds publics, c’est lui qui fait le tour des grands financiers inter­na­tionaux (notam­ment les ban­ques japon­ais­es) pour trou­ver le finance­ment ban­caire, en com­plé­ment de l’apport des action­naires prin­ci­pale­ment individuels. 

Tout au long de la con­struc­tion, il domine une sit­u­a­tion inex­tri­ca­ble de prob­lèmes tech­niques, financiers, poli­tiques, admin­is­trat­ifs, qui à plusieurs repris­es met­tent grave­ment en péril l’achèvement du projet. 

Le Tun­nel est finale­ment inau­guré le 6 mai 1994 par la reine Élis­a­beth II et le prési­dent Mit­ter­rand. Ce « pro­jet majeur de génie civ­il des cent dernières années » pour la Fédéra­tion inter­na­tionale des ingénieurs-con­seils, et « l’une des sept mer­veilles du monde mod­erne » pour la Société améri­caine de génie civ­il, « n’aurait jamais pu être réal­isé sans André Bénard » juge le Finan­cial Times. 

UNE SECONDE RETRAITE

Il quitte ses fonc­tions peu après la mise en ser­vice com­mer­ciale. Mais sa sec­onde retraite est assom­brie par la plainte déposée en 1994 par un groupe de petits action­naires français, qui l’accusent d’avoir dif­fusé des infor­ma­tions trompeuses lors des aug­men­ta­tions de cap­i­tal d’Eurotunnel. Mis en exa­m­en en 2003, avec Alas­tair Mor­ton (qui décède en 2004), il béné­fi­cie d’un non-lieu en 2007, mais l’affaire le mar­que profondément. 

“ Une situation inextricable de problèmes techniques, financiers, politiques et administratifs ”

Il se partage alors, avec son épouse, entre Lon­dres, Paris et sa mai­son des Mouliérettes, dans le Var, entre l’opéra, ses oliviers et la poésie qu’il aime tant. Son immense cul­ture, sa pas­sion pour les arts, l’aura d’ailleurs con­duit à être dix ans admin­is­tra­teur du Fes­ti­val d’automne, à Paris. 

André Bénard était un grand mon­sieur, d’une autorité imposante, mais d’une cour­toisie sans faille. Il a pu par son sens de la diplo­matie dénouer nom­bre de sit­u­a­tions périlleuses. Recon­nu pour son intel­li­gence des sit­u­a­tions, sa vision à long terme, son dis­cerne­ment, son « esprit de sur­plomb » pour utilis­er une for­mule qui lui était chère. Mais aus­si son humil­ité, sa volon­té de servir, sa générosité et sa liber­té de penser. 

Sou­tenant l’enthousiasme tout en prô­nant la mesure dans ce pro­jet Euro­tun­nel où tout était hors normes, il lais­sait à cha­cun l’espace néces­saire au meilleur exer­ci­ce de ses respon­s­abil­ités. Et à l’aise avec tous, avec la reine d’Angleterre comme avec les ouvri­ers au fond des tun­nels ou avec les ban­quiers du monde entier. 

Tout dans sa per­son­nal­ité tendait vers un idéal human­iste de pro­grès dans lequel le tun­nel sous la Manche tenait une place impor­tante : ce « chaînon man­quant » entre la Grande Île et le Con­ti­nent allait apporter un essor con­sid­érable aux échanges entre les hommes et à la con­struc­tion de l’Europe à laque­lle il tenait tant. Il aurait été hor­ri­fié à la pen­sée d’un quel­conque « Brexit ». 

André Bénard était com­man­deur de la Légion d’honneur, cheva­lier de l’ordre nation­al du Mérite, médaille de la Résis­tance, cheva­lier du Mérite agri­cole, com­man­deur de l’ordre d’Orange-Nassau et cheva­lier de l’Empire britannique.

4 Commentaires

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Flo­rencerépondre
16 novembre 2016 à 16 h 54 min

André Bénard
Je con­firme, André Bénard était un géant, un homme bon, ouvert, com­pé­tent. Nous n’é­tions que 10 à la Défense au com­mence­ment du pro­jet du tun­nel. Que de bons souvenirs…

Jean-Marie Bénardrépondre
3 avril 2018 à 18 h 00 min
– En réponse à: Florence

Mer­ci beau­coup Flo­rence pour
Mer­ci beau­coup Flo­rence pour ce com­men­taire qui me va droit au cœur. Mon père me manque tous les jours, et votre témoignage me fait un plaisir immense. Bien cor­diale­ment, Jean-Marie Bénard

MATHIEU Chris­t­ianrépondre
7 février 2019 à 2 h 33 min

a Jean Marie Bénard je voudrais présen­ter toutes mes respectueuses salu­ta­tions en sou­venirs des ami­ties vis a vis de votre pére et surtout de votre grand pére mon oncle qui m’a élevé tra­vail­lait avec lui pour sa soci­ete a Schiltigheim en Alsace par­fois je regarde encore cer­tains jours des pho­tos sou­venirs ou vous etes avec vos par­ents votre pére m’a aidé au début de ma car­riere de pilote auto­mo­bile ! mais il y a si longtemps !

thier­ry jayetrépondre
25 juillet 2020 à 22 h 43 min

Bon­jour Jean Marie
En tra­vail­lant comme gar­di­ens aux Moulierettes, nous avons ren­con­tré en votre père Un Grand Mon­sieur et nous sommes très fiers Mar­tine et Moi de l’avoir con­nu. Les Moulierettes restent un très bon sou­venir pour nous
Nos ami­tiés à votre mère
Bien cordialement

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