Le drapeau de l’École polytechnique et sa garde devant l’ancienne École royale du génie de Mézières

Ancêtre peu connue de l’Ecole polytechnique, l’Ecole royale du génie de Mézières et sa belle descendance (1748–1794)

Dossier : Libres ProposMagazine N°553 Mars 2000Par : Pierre BOULESTEIX (61)

L’École royale du génie de Mézières

Origine et création

L’École royale du génie de Mézières

Origine et création

Au milieu du XVIIIe siè­cle, le ” départe­ment des for­ti­fi­ca­tions “, direc­tion du min­istère de la Guerre, con­fié au comte d’Ar­gen­son, est rat­taché au roi. Jusqu’alors c’é­tait le même corps d’ingénieurs de l’É­tat qui s’oc­cu­pait, non seule­ment des travaux mil­i­taires de for­ti­fi­ca­tions, mais aus­si des travaux publics, parce que les routes étaient ” dimen­sion­nées ” (tracé, largeur, résis­tance) en fonc­tion des char­rois les plus lourds, qui étaient ceux de l’ar­tillerie (déjà Sul­ly, 1560–1641, avait été suc­ces­sive­ment ou simul­tané­ment sur­in­ten­dant des finances, sur­in­ten­dant des for­ti­fi­ca­tions, grand maître de l’ar­tillerie et grand voyer).

C’est de cette époque que date l’ex­pres­sion ” d’ingénieur civ­il ” par oppo­si­tion, non pas à ” ingénieur mil­i­taire ” au sens actuel du terme, mais à ” ingénieur de l’É­tat ” (cette accep­tion de l’ad­jec­tif ” civ­il ” fait une nou­velle car­rière depuis quelques années dans ” société civile “, antin­o­mique non pas de ” société mil­i­taire ” mais de ” société de l’ad­min­is­tra­tion et des ser­vices publics ”).

L’É­cole des ponts et chaussées ayant été créée en 1747 par Tru­daine et Per­ronet, par con­tre­coup le corps des ingénieurs des for­ti­fi­ca­tions se mil­i­tarise. Les batailles de la guerre de suc­ces­sion d’Autriche (1740–1748), tout spé­ciale­ment celle de Fontenoy en mai 1745, sont coû­teuses en hommes et en ingénieurs, car ” l’or­gan­i­sa­tion du ter­rain ” est insuffisante.

Il faut donc ” pro­fes­sion­nalis­er ” ce secteur ; les cir­con­stances et l’e­sprit du temps y pré­paraient, car la paix rev­enue per­me­t­tait de recon­stru­ire l’ar­mée et son admin­is­tra­tion, et c’é­tait l’es­sor de la pen­sée des ency­clopédistes dans le Siè­cle des lumières.

C’est ain­si que, le 11 avril 1748, d’Ar­gen­son, min­istre de la Guerre, écrit aux ” provin­ci­aux ” (les directeurs des for­ti­fi­ca­tions) pour que cha­cun organ­ise la for­ma­tion de ses pro­pres ingénieurs. Il y eut de pre­mières réal­i­sa­tions intéres­santes à Embrun et à Greno­ble (écoles de topogra­phie), à Metz, à Saint-Omer et à Neuf-Brisach (écoles d’attaque).

Mais c’est le pro­jet de Méz­ières qui apparut comme le meilleur. Nico­las de Chastil­lon, gou­verneur des places de la Meuse, est l’ingénieur en chef de Méz­ières, et, pour for­ti­fi­er cette ville (bas­tions de la couronne de Cham­pagne) se fait un devoir de for­mer (en cours du soir au début) de nou­veaux ” ingénieurs volon­taires “. Par­al­lèle­ment, tout près de là, à Sedan, Hen­ri de la Tour d’Au­vergne avait créé ” l’A­cadémie des exer­ci­ces ” pour l’é­tude de la topogra­phie, de la stratégie et de la tac­tique. Du coup, le roi décide de créer à Méz­ières une école unique pour l’ensem­ble des ingénieurs du Génie. D’ailleurs Méz­ières ne vient-il pas du latin mac­e­ri­ae maçon­ner­ies, murs, remparts ?

Dès 1749 l’É­cole du génie de Méz­ières (qui ne devien­dra ” royale ” qu’en 1777) est la seule pour for­mer les futurs officiers et les futurs ingénieurs du Génie ; naturelle­ment de Chastil­lon en est le pre­mier com­man­dant et assumera la tran­si­tion de la pen­sée de Vauban vers le Génie moderne.

Régime


Charleville-Méz­ières, 7 mai 1999 : le dra­peau de l’École poly­tech­nique et sa garde devant l’ancienne École royale du génie de Méz­ières, actuelle­ment pré­fec­ture des Ardennes. PHOTO 3e RÉGIMENT DU GÉNIE

Pour les dix à quinze élèves recrutés chaque année il y a d’abord une présélec­tion (états de ser­vice, quartiers de noblesse). Les ” pré­pas ” sont les écoles mil­i­taires de Paris, Bri­enne et Pont-à-Mous­son, ain­si que les pen­sions parisi­ennes Long­pré et Berthaud. Puis c’est l’ex­a­m­en à Paris, essen­tielle­ment une épreuve de math­é­ma­tiques ; en effet le recrute­ment est au mérite alors qu’à la même époque les Écoles des mines et des ponts et chaussées font une large place aux recom­man­da­tions. Un can­di­dat sur trois est pris ; les admis ont de seize à trente ans (vingt ans en moyenne).

Le ” cur­sus ” com­plet est de six années, avec tout d’abord deux ans à Méz­ières (pre­mière année : cours théoriques, exer­ci­ces, topogra­phie, stéréo­tomie, levers, métrés avec ” con­trôle con­tinu des con­nais­sances ” ; deux­ième année : exer­ci­ces mil­i­taires, for­ma­tion à l’encadrement).

Au début, les cours sont dis­pen­sés dans une mai­son louée et les élèves logent chez l’habi­tant ; puis l’É­cole s’in­stalle dans ses nou­veaux locaux (devenus en 1800 pré­fec­ture des Ardennes, de 1914 à 1918 ils furent occupés par le Kro­n­prinz impér­i­al et son groupe d’ar­mées qui y instal­lèrent le grand quarti­er général et le grand état-major ; la salle du Con­seil général, anci­enne salle de dessin de l’é­cole, était dev­enue la salle des opéra­tions aux murs tapis­sés de cartes).

Les repas sont pris dans les auberges de la ville, en mélangeant les deux ” pro­mo­tions “. Les élèves s’im­pliquent dans la vie locale (académies sci­en­tifiques et artis­tiques, loges maçon­niques). L’ensem­ble est tout à fait orig­i­nal en Europe. Après les deux ans à Méz­ières, les élèves ser­vent deux ans dans un rég­i­ment d’in­fan­terie puis encore deux ans dans une place ou une citadelle pour l’ap­pren­tis­sage aux côtés d’un ancien. En final c’est encore un exa­m­en pour l’in­té­gra­tion dans le corps des ingénieurs.

Corps enseignant et encadrement

Charles Éti­enne Camus, exam­i­na­teur à l’en­trée et à la sor­tie depuis l’o­rig­ine, meurt en 1768. C’est l’ab­bé Bossut qui lui suc­cède, mem­bre de l’A­cadémie des sci­ences, pro­tecteur de Mon­ge. L’ab­bé Nol­let enseigne la physique à par­tir de 1761. Clou­et est tit­u­laire de la chaire de chimie, Lelièvre donne des leçons d’ar­chi­tec­ture, Leclerc enseigne la géo­gra­phie, Mar­i­on pro­fesse la stéréo­tomie (taille des pier­res) et la char­p­ente, Savart se voit con­fi­er la mécanique, Hachette assume la géométrie et les math­é­ma­tiques, Bar­ré est le bibliothécaire.

Gas­pard Mon­ge tient une place toute par­ti­c­ulière. Né à Beaune en 1746, fils d’un marc­hand forain, il enseigne la stéréo­tomie en 1764 et dans ce cadre crée la géométrie descrip­tive comme méthode uni­verselle de représen­ta­tion et d’é­tude de l’e­space. Il est nom­mé pro­fesseur de math­é­ma­tiques (aux­quelles est rat­taché le dessin) en 1769 lorsque l’ab­bé Bossut devient exam­i­na­teur, puis fut de sur­croît pro­fesseur de physique en 1770. Il entre en 1772 à l’A­cadémie des sciences.

Mon­ge sera l’âme de l’É­cole de Méz­ières durant vingt ans de 1764 à 1783, année où il devient exam­i­na­teur de la Marine à Paris, rem­placé à Méz­ières par Pierre-Joseph Fer­ry comme pro­fesseur de mathématiques.

Les directeurs suc­ces­sifs sont d’une cer­taine longévité au début : Nico­las de Chastil­lon 1748–1765, Rault Ram­sault de Rocourt 1765–1776, Caux de Blac­que­tot 1776–1792 ; puis tout s’ac­célère : Salaignac 1792-févri­er 1793, de Vil­le­longue (le seul com­man­dant ancien élève de 1751 à 1752) févri­er 1793-sep­tem­bre 1793.

Les élèves

Au total cinq cent quar­ante-deux élèves seront passés par l’É­cole de Méz­ières de 1748 à 1793, dont par la suite quar­ante-huit sont devenus généraux, sept sont morts pour la France, et vingt-six auront leur nom gravé sur les murs de l’Arc de Tri­om­phe ; par­mi les plus connus :

  • Lazare Carnot (1753–1823), élève en 1771, est ” l’or­gan­isa­teur de la victoire “,
  • Coulomb (1736–1806), élève en 1760–1761, a fait des décou­vertes essen­tielles en mécanique des sols, en élec­tric­ité et à pro­pos de l’élec­tro­sta­tique (loi q.q’/d2),
  • Bor­da (1733–1799), élève en 1758–1759, fut un savant (bal­is­tique, nav­i­ga­tion, trigonométrie) et un grand marin,
  • Dejean (1749–1824), élève en 1766, ” pre­mier inspecteur général du Génie “, fut gou­verneur de l’É­cole poly­tech­nique en 1814, puis grand tré­sori­er de la Légion d’honneur,
  • Caf­farel­li du Fal­ga (1756–1799) com­man­da le Génie de l’ex­pédi­tion d’É­gypte, puis créa l’In­sti­tut du Caire avant de trou­ver la mort sous les murs de Saint-Jean-d’Acre,
  • Haxo (1774–1838), offici­er du Génie, fit les cam­pagnes de Napoléon comme général puis devint inspecteur général des for­ti­fi­ca­tions et enfin pair de France,
  • Meusnier de la Place (1754–1793), élève en 1774–1775, théoricien de l’aéro­sta­tion, inspi­ra Mon­ge pour la géométrie descrip­tive, puis fut tué au siège de Mayence,
  • Rouget de Lisle (1760–1836), élève en 1782–1783, qu’il est inutile de présenter,
  • du Por­tail (1743–1802), élève en 1762–1764, créa le Génie américain,
  • Pierre L’En­fant (1754–1825) fut l’ur­ban­iste de Wash­ing­ton et à ce titre est enter­ré au cimetière mil­i­taire d’Ar­ling­ton (son pas­sage à Méz­ières est controversé),
  • Bertrand (1773–1844) sapeur-pon­ton­nier, grand maréchal du palais, fidèle à Napoléon dans ses deux exils insulaires,
  • Cug­not (1725–1804) se ren­dit célèbre par la mise au point en 1769 de son ” fardier ” à vapeur de trois roues, pre­mier véhicule ” automobile “,
  • Prieur-Duver­nois, dit de la Côte-d’Or (1763–1832), l’un des fon­da­teurs de l’É­cole polytechnique,
  • Marescot (1758–1832) élève en 1778, pre­mier inspecteur général du Génie,
  • Chas­seloup-Laubat (1754–1833), général du Génie, etc.

Les élèves de Méz­ières étaient demandés partout : Con­stan­tino­ple, Saï­gon, Hué, Hanoi, La Guade­loupe, La Mar­tinique, Saint-Domingue, Gorée (Dakar), Cana­da, Louisiane… L’un est assas­s­iné en Mésopotamie, un autre dis­paraît avec La Pérouse sur l’Astro­labe en 1788, etc.

En 1791–1792, qua­tre-vingt-six émi­grent en Angleterre (soix­ante-huit nobles, dix-huit roturi­ers) dont trois seront fusil­lés après le débar­que­ment de Quiberon ; soix­ante-sept démis­sion­nent (trente-neuf nobles, vingt-huit roturiers).

Déclin et fin

À par­tir de 1781 il faut en principe qua­tre quartiers de noblesse pour pou­voir entr­er à l’É­cole de Méz­ières, ce qui ren­force le car­ac­tère aris­to­cra­tique du recrute­ment : la pro­por­tion de non-nobles chute de 40 % à 14 %. Il en résulte de vives ten­sions au moment de la Révolution.

Au début de celle-ci la sit­u­a­tion est calme : en juil­let 1791, de Vil­le­longue, les pro­fesseurs et les élèves prê­tent ser­ment de fidél­ité. Mais dès 1792, les ten­sions s’ag­gravent : les élèves aris­to­crates s’op­posent de plus en plus vive­ment aux pro­fesseurs engagés poli­tique­ment dans les clubs et assem­blées de la ville (Fer­ry et Hachette en par­ti­c­uli­er). Démis­sions et déser­tions sont enreg­istrées chez les élèves. Épuisé, de Vil­le­longue, révo­qué, doit se retir­er puis passe un an en prison, comme son adjoint.

Desprez dirige l’É­cole de sep­tem­bre 1793 à novem­bre 1793 ; sa suite est prise par Lecomte, offici­er retraité, qui reprend du ser­vice comme volon­taire pour ” défendre la liber­té et la jus­tice “. Mais, n’ar­rivant pas à s’im­pos­er, écœuré par les dénon­ci­a­tions, il se sui­cide le 18 jan­vi­er 1794.

Devant l’im­pos­si­bil­ité de ramen­er le calme à Méz­ières, Carnot, ancien élève, décide la fer­me­ture de l’É­cole. Elle est recréée le 12 févri­er 1794 à l’ab­baye de Saint-Arnould à Metz aux ordres du cap­i­taine Duhays. Mais, comme l’indique le grade rel­a­tive­ment mod­este de cet offici­er, il ne s’ag­it plus que d’une école de siège, la for­ma­tion théorique supérieure revenant de fait à l’É­cole poly­tech­nique, en cours de créa­tion à ce moment-là.

Longtemps, l’É­cole d’ap­pli­ca­tion de l’ar­tillerie et du génie de Metz sera encore appelée ” École de Méz­ières “, comme a con­servé son nom l’É­cole ” de Saint-Cyr ” bien qu’elle soit depuis des dizaines d’an­nées en Ille-et-Vilaine et non plus près de Ver­sailles. Les ouvrages de la bib­lio­thèque sont partagés entre l’É­cole du génie de Metz et l’É­cole des ponts et chaussées. Les ” col­lec­tions de physique ” (ces splen­dides instru­ments en laiton et en aca­jou, exposés récem­ment) sont dévolues à l’É­cole polytechnique.

N’ayant existé que quar­ante-six ans, l’É­cole du génie de Méz­ières laisse le sou­venir d’une lacune, d’une impasse et d’une promesse :

  • une lacune : pas d’en­seigne­ment de l’histoire,
  • une impasse : la guerre n’est pas rationalisable,
  • une promesse : l’ar­tic­u­la­tion des sci­ences théoriques et des tech­niques de l’ingénieur.

La filiation de l’École polytechnique et de l’École du génie de Mézières

À l’époque révo­lu­tion­naire l’É­cole des ponts et chaussées, fondée en 1747, était dirigée par Lam­blardie, lequel con­statait avec regret que son étab­lisse­ment était peu fréquen­té parce que l’É­cole du génie de Méz­ières lui enl­e­vait les meilleurs élèves et que la rareté des étu­di­ants, liée à l’ag­i­ta­tion de ces années-là, ne per­me­t­trait pas d’en recruter d’autres. La même crise du recrute­ment touchait aus­si l’É­cole des mines, l’É­cole des ingénieurs de la marine, etc.

C’est pour y faire face que Lam­blardie eut alors l’idée d’une école pré­para­toire pour les Ponts et Chaussées et pour tous les corps d’ingénieurs. Il en par­la à Mon­ge, très qual­i­fié puisque longtemps pro­fesseur à Mézières.

C’est ain­si que ” l’É­cole cen­trale des travaux publics ” fut créée par décret du 21 ven­tôse an II (11 mars 1794) avec voca­tion à for­mer des ingénieurs pour les Ponts et Chaussées, le Génie, le Ser­vice géo­graphique et le Ser­vice hydro­graphique. Qua­tre per­son­nages en sont à l’o­rig­ine : Lam­blardie, Mon­ge, Lazare Carnot et Prieur-Duver­nois dit de la Côte-d’Or dont les por­traits dans de beaux cadres dorés ovales ornent la salle du Con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’É­cole poly­tech­nique ; les trois derniers étaient anciens pro­fesseurs ou anciens élèves de Mézières.

La nais­sance effec­tive de l’é­cole procède de la loi du 7 vendémi­aire an III (28 sep­tem­bre 1794). Son nom d’É­cole poly­tech­nique lui fut don­né par la loi du 15 fruc­ti­dor an III (1er sep­tem­bre 1795). Une nou­velle loi du 30 vendémi­aire an IV (22 octo­bre 1795) fit de l’ar­tillerie un nou­veau débouché pour les élèves.

Pour organ­is­er l’en­seigne­ment de la nou­velle école, Mon­ge s’in­spi­ra des méth­odes de l’É­cole du génie de Méz­ières : grande place à la géométrie descrip­tive et à ses appli­ca­tions (stéréo­tomie — archi­tec­ture — for­ti­fi­ca­tions), peu de math­é­ma­tiques, de physique et de chimie — à tel point qu’elle sera appelée ” l’é­cole de Mon­ge ” jusqu’à la Restau­ra­tion (puis ” l’é­cole de Laplace ” lorsque l’analyse math­é­ma­tique y devien­dra prépondérante).

Le mono­pole d’ac­cès des poly­tech­ni­ciens aux écoles d’ap­pli­ca­tion de l’époque fut con­sid­éré dès le début comme un ” priv­ilège ” tout de suite attaqué (et ceci jusqu’à nos jours, mal­gré des accom­mode­ments pro­gres­sifs). L’É­cole de Méz­ières (à Metz) fut très vite hos­tile à ce ” priv­ilège ” car le corps des Ponts et Chaussées atti­rait plus les élèves que les car­rières d’of­ficiers du Génie ou de l’Ar­tillerie, ce qui était désagréable­ment ressen­ti par les généraux du pres­tigieux ” Comité des fortifications “.

Lam­blardie fut le pre­mier directeur de la jeune école jusqu’à ce qu’il reprenne la direc­tion de l’É­cole des ponts et chaussées en 1796 (il mour­ra en 1797). Mon­ge lui suc­cé­da, avant de ” s’ab­sen­ter ” de mai 1798 à octo­bre 1799 pour cause d’ex­pédi­tion d’É­gypte en com­pag­nie de cinq pro­fesseurs ou exam­i­na­teurs et de quar­ante-deux élèves ou anciens élèves.

Sous l’Em­pire, le décret du 27 mes­si­dor an XII (16 juil­let 1804) instau­ra le régime mil­i­taire de l’é­cole. Celle-ci dépen­dra alors du min­istère de la Guerre et non plus de celui de l’In­térieur, ce qui ne mod­i­fiera pas beau­coup la vie courante puisque ce dernier avait déjà imprimé un régime strict : inter­nat, uni­forme, sol­de de ser­gent d’ar­tillerie… Le classe­ment de sor­tie unique fut insti­tué en 1806.

Vers 1811 l’É­cole de Metz relança les cri­tiques con­tre l’É­cole poly­tech­nique, fustigeant la faib­lesse de ses élèves en dessin, comme si le trait au tire-ligne et le lavis étaient les activ­ités pri­mor­diales des officiers.

Puis, en 1818, ce fut la mort de Mon­ge qui avait tant fait pour l’É­cole ; créa­teur, directeur, pro­fesseur, pro­tecteur, bien­fai­teur… après avoir joué un rôle tout aus­si déter­mi­nant en faveur de l’É­cole de Méz­ières. Après ce triste événe­ment pour les deux maisons, la petite sœur ayant claire­ment pris sa place en amont de l’aînée, il n’y eut plus de rela­tions entre l’É­cole poly­tech­nique et les écoles suc­ces­sives du Génie autres que les rela­tions nor­males et con­fi­antes entre une école de for­ma­tion générale et une école d’application.

Aux États-Unis : Génie et écoles

L’épopée de Du Portail

En cette fin du XVIIIe siè­cle la guerre d’indépen­dance fait rage en Amérique. À la bataille de Boston, en 1775, le siège de Bunker­hill met en évi­dence le rôle de la for­ti­fi­ca­tion. Wash­ing­ton fait appel à la France pour dis­pos­er d’ingénieurs qual­i­fiés, et dépêche Ben­jamin Franklin à Ver­sailles pour obtenir de l’aide et négoci­er une alliance.

“ Essayons ” est la devise du blason du Génie américain
“ Essayons ” est la devise du bla­son du Génie améri­cain depuis deux siè­cles. PHOTO INSPECTION DU GÉNIE

C’est ain­si qu’au début de 1777 Louis XVI accepte l’en­voi secret en Amérique (sous cou­vert d’une disponi­bil­ité de deux ans pour con­ve­nances per­son­nelles) de quelques officiers du corps roy­al du Génie, con­duits par le cap­i­taine Le Bègue du Por­tail (nom­mé rapi­de­ment lieu­tenant-colonel) les autres étant La Radière et de Gou­vion. Louis Le Bègue du Por­tail, né à Pithiviers en 1743, fut élève à Méz­ières en 1762–1764, sco­lar­ité émail­lée d’une année de forter­esse pour s’être opposé à l’ad­mis­sion dans sa pro­mo­tion de qua­tre ingénieurs de la Marine qu’il jugeait de trop basse extraction.

En juin 1777 l’équipée arrive à Philadel­phie puis rejoint Wash­ing­ton à Coryells Fer­ry. Le Con­grès le nomme colonel puis brigadier général et lui ordonne de pren­dre le com­man­de­ment de tous les sapeurs améri­cains qu’il assumera de juil­let 1777 à octo­bre 1783, par­tic­i­pant à ce titre aux travaux du Con­seil de guerre à Val­ley Forge, où il installe la pre­mière école du Génie en juin 1778. En mai 1778 Wash­ing­ton crée un ” départe­ment du Génie ” ; du Por­tail organ­ise le corps du Génie tout en étab­lis­sant divers pro­jets de for­ti­fi­ca­tions et en super­visant la con­struc­tion des défens­es de West Point.

En mars 1779, un décret crée l’arme du Génie et du Por­tail en est nom­mé com­man­dant en chef, dépen­dant directe­ment du Con­grès. Il se rend alors dans le sud où la sit­u­a­tion mil­i­taire est déli­cate, ce qui lui vaut d’être fait pris­on­nier (avec L’En­fant) par les Anglais en mai 1780, lors de la red­di­tion de Charlestown par le général Lincoln.

Rocham­beau négo­cie un échange de pris­on­niers, du Por­tail se retrou­ve donc à Philadel­phie en févri­er 1781, puis accom­pa­gne Wash­ing­ton et Rocham­beau vers le sud pour faire cam­pagne : sous les ordres du sec­ond, siège de York­town (avec Bechet de Belle­fontaine) jusqu’à la capit­u­la­tion des Anglais le 19 octo­bre 1781.

Cela lui vaut d’être nom­mé major général (équiv­a­lent de général de corps d’ar­mée) en octo­bre 1781, à trente-huit ans, qua­tre ans et demi après avoir déposé ses trois mod­estes galons de cap­i­taine français.

Dans son ” mémoire de propo­si­tion ” Wash­ing­ton loue non seule­ment ses com­pé­tences et réus­sites mil­i­taires, mais aus­si la per­ti­nence de son juge­ment en toutes circonstances.

Du Por­tail rédi­ge en 1783 un mémoire sur la créa­tion d’un corps ” de l’Ar­tillerie et du Génie ” et jette les bases de l’a­cadémie mil­i­taire devant être l’é­cole mère de ces deux armes. De proche en proche ces travaux aboutis­sent à la créa­tion en 1795 de l’é­cole mil­i­taire de West Point, à la fois, comme à Méz­ières, académie mil­i­taire et école d’ingénieurs.

Ses pro­grammes sont inspirés de ceux de l’É­cole poly­tech­nique, eux-mêmes héri­tiers de ceux de l’É­cole de Méz­ières. En 1802, sous l’in­flu­ence de Jef­fer­son, ” West Point ” devient l’A­cadémie mil­i­taire des États-Unis (“ Unit­ed States Mil­i­tary Acad­e­my ”), tout en restant la seule école d’ingénieurs du pays jusqu’en 1824.

De retour en France en 1783, du Por­tail est hon­oré par Louis XVI, sert auprès du roi de Naples, est fait maréchal de camp en 1788, puis est min­istre de la Guerre d’oc­to­bre 1790 à décem­bre 1791. Déclaré sus­pect en tant que noble il se cache à Paris en 1792 puis émi­gre aux USA et s’établit fer­mi­er près de Val­ley Forge (son ancien quarti­er général) de 1792 à 1802. C’est alors que Napoléon le rap­pelle, mais il meurt durant la traversée.

Les liens entre West Point, le Génie américain et l’École polytechnique

Au début, le français était couram­ment util­isé à West Point pour l’en­seigne­ment des cadets. Le Génie améri­cain a comme devise ” Essayons ” tou­jours lis­i­ble sur les bou­tons d’u­ni­forme et sur le bla­son offi­ciel (une devise dans notre langue, si elle n’est pas rare en Angleterre ” Dieu et mon droit “, ” Hon­ni soit qui mal y pense ” est excep­tion­nelle aux États-Unis). Sur les mêmes élé­ments, le château (styl­isé) flan­qué de deux tours fig­ur­erait la ” porte chaussée ” de Verdun.

Le ” Corps of Engi­neers “, par­ti des for­ti­fi­ca­tions, a éten­du ses com­pé­tences à presque toutes les branch­es des Travaux publics : routes, canaux (Pana­ma), ouvrages d’art, voies fer­rées, et, plus récem­ment, aéro­dromes, génie civ­il des pro­grammes nucléaires, bases de la NASA. Dans le courant du XIXe siè­cle West Point devint une académie mil­i­taire de for­ma­tion générale, com­pa­ra­ble à notre École de Saint-Cyr ; cela con­duisit à créer une école du Génie séparée, suc­ces­sive­ment établie à Wields Point (New York), Wash­ing­ton D.C., Fort Belvoir D.C., enfin à Fort Leonard Wood (Mis­souri).

Le signe con­cret le plus vis­i­ble du lien de West Point et de l’É­cole poly­tech­nique est la stat­ue de The­unis­sen. L’o­rig­i­nale (désor­mais à Palaiseau en bor­dure de la cour des céré­monies) fut inau­gurée rue Descartes le 8 juil­let 1914 par Ray­mond Poin­caré, prési­dent de la République, en hom­mage à la part prise par les élèves de l’É­cole dans la défense de Paris les 29 et 30 mars 1814. Sur son socle cylin­drique est sobre­ment écrit : ” L’É­cole poly­tech­nique à la Défense de Paris — 1814 “. Une réplique de cette stat­ue bien con­nue de tous les poly­tech­ni­ciens fut offerte par la S.A.S. (Société ami­cale de sec­ours — ancêtre de l’A.X.) à West Point le 21 octo­bre 1919, en hom­mage à la fra­ter­nité d’armes fran­co-améri­caine née en 1776–1778 et renou­velée en 1917–1918.

Sa base en tronc de pyra­mide porte l’in­scrip­tion ” L’É­cole poly­tech­nique de France à l’É­cole sœur des États-Unis d’Amérique entrés dans la lutte pour la liber­té du monde le 8 avril 1917 ” (date de l’en­trée en guerre des USA). Lors de la céré­monie mil­i­taire de l’in­au­gu­ra­tion les cadets améri­cains défilèrent avec leur grand uni­forme : habit à la française, bau­dri­er blanc croisé, shako à plumet rouge… pré­cisé­ment la tenue des poly­tech­ni­ciens de 1814, figée dans le bronze par Theunissen.

À par­tir de 1830 les élèves des deux écoles échangèrent des ” adress­es “, mes­sages solen­nels voire empha­tiques pour les grands événe­ments : mort de Vaneau (pro­mo­tion 1829, tombé héroïque­ment le 28 juil­let 1830 durant les Trois Glo­rieuses), Guerre mon­di­ale en 1918. Le 12 décem­bre 1944, le ” sesqui­cen­te­naire “1 de l’É­cole poly­tech­nique fut mar­qué par une céré­monie mil­i­taire à West Point et un grand dîn­er de gala de 1 200 per­son­nes au Wal­dorf Asto­ria de New York.

Désormais à Palaiseau, la statue de Theunissen inaugurée rue Descartes le 8 juillet 1914.
Désor­mais à Palaiseau, la stat­ue de Theunissen
inau­gurée rue Descartes le 8 juil­let 1914.
À West Point, la réplique de la statue de Theunissen inaugurée le 21 octobre 1919.
À West Point, la réplique de la stat­ue de Theunissen
inau­gurée le 21 octo­bre 1919. PHOTO PIERRE BRAULT

Simon Bernard

Né à Dole en 1779, il entre à l’É­cole poly­tech­nique en 1794 dans la pre­mière pro­mo­tion (à quinze ans, ce qui n’é­tait pas rare à l’époque). Il abor­de une car­rière clas­sique dans le Génie : École de Metz, armée du Rhin, Ital­ie, for­ti­fi­ca­tions d’An­vers, grands travaux en Dal­matie, puis avec Napoléon jusqu’à Water­loo (en recon­nais­sance vers une loin­taine cav­a­lerie le 18 juin 1815, c’est lui qui rap­porte la nou­velle que c’é­tait Blüch­er et non Grouchy ; est-ce pour cela que l’Em­pereur ne voulut pas qu’il l’ac­com­pa­g­nât à Sainte-Hélène ?).

Il part ensuite aux États-Unis et, recom­mandé à La Fayette, prend comme général du Génie améri­cain la tête d’une équipe de bâtis­seurs pour créer des forts, des routes, des canaux : grand canal Chesa­peake-Ohio, Fort Mon­roë en Vir­ginie ” le Gibral­tar de la baie de Chesa­peake ” où est un musée à la mémoire de celui surnom­mé ” le Vauban du nou­veau monde “. En 1831 Simon Bernard ren­tre en France et devient min­istre de la Guerre en 1834. Il meurt en 1839.

Claudius Crozet et le Virginia Military Institute

Né en 1790, Crozet entre à l’É­cole poly­tech­nique en 1805, puis fait les cam­pagnes napoléoni­ennes. Il aban­donne ensuite la car­rière mil­i­taire et va en 1816 aux USA où il ren­con­tre Simon Bernard. Il devient pro­fesseur de génie mil­i­taire à West Point dès cette année-là et applique le mod­èle de Mon­ge en util­isant la géométrie descrip­tive, qu’il traduit en anglais. Puis il se met au ser­vice de l’É­tat de Vir­ginie dont il est ” prin­ci­pal engi­neer ” au ” Vir­ginia Board of Pub­lic Works ” et à ce titre con­stru­it de nom­breuses infra­struc­tures (routes, canaux, voies fer­rées avec en par­ti­c­uli­er le chemin de fer à tra­vers les Appalaches).

Pour pou­voir dis­pos­er d’ingénieurs com­pé­tents, il conçoit en 1835 le ” Vir­ginia Mil­i­tary Insti­tute ” qu’il crée à Lex­ing­ton. Les élèves, âgés de 17 à 21 ans, por­tent l’u­ni­forme de West Point (lui-même dérivé de celui de l’É­cole poly­tech­nique), et reçoivent une instruc­tion sci­en­tifique générale de haut niveau ain­si qu’une for­ma­tion d’ingénieurs militaires.

L’in­au­gu­ra­tion offi­cielle du ” V.M.I. ” aura lieu en 1839, la pre­mière pro­mo­tion com­por­tant vingt-trois élèves. Prési­dent de l’étab­lisse­ment de 1837 à 1845, Crozet est hon­oré en tant que père fon­da­teur, comme Mon­ge pour l’É­cole poly­tech­nique et du Por­tail pour West Point. Son nom a été don­né au hall prin­ci­pal, le ” Crozet Hall “. Sa tombe fut trans­férée dans les jardins en 1947. Le 11 novem­bre 1989 fut célébré le ” sesqui­cen­te­naire ” du V.M.I. en présence d’une délé­ga­tion de l’É­cole poly­tech­nique con­duite par le général Par­raud (58), alors son directeur général.

Dans le cadre du bicen­te­naire de l’É­cole poly­tech­nique, un batail­lon de trente-sept cadets du Vir­ginia Mil­i­tary Insti­tute par­tic­i­pa à la prise d’armes du 10 mars 1994 à Palaiseau, et le 29 mars 1994, proclamé ” École poly­tech­nique Day ” par le maire de New York, fut organ­isé dans cette ville un débat entre le prési­dent Valéry Gis­card d’Es­taing (44) et l’an­cien secré­taire d’É­tat Hen­ri Kissinger ” la démoc­ra­tie représen­ta­tive et le monde de l’après-guerre froide “.

Pour con­clure au sujet des étab­lisse­ments d’en­seigne­ment mil­i­taire supérieur améri­cains liés à l’É­cole poly­tech­nique, West Point en serait plutôt la sœur aînée et le Vir­ginia Mil­i­tary Insti­tute la fille cadette.

Les écoles françaises du Génie

Recréée donc à Metz en févri­er 1794 après sa fer­me­ture à Méz­ières, l’É­cole du génie con­naî­tra de nom­breuses évo­lu­tions ne faisant que refléter les pro­pres mod­i­fi­ca­tions du Génie (et de l’Ar­tillerie) ; mais ces péripéties avaient com­mencé bien avant. En 1690 Vauban crée le corps des ingénieurs militaires :

  • ingénieurs ordi­naires (con­stru­ire, amélior­er, entretenir les places),
  • ingénieurs extra­or­di­naires en cas de con­flit (ingénieurs civils et officiers d’infanterie).


Le terme ” génie ” appa­raît offi­cielle­ment en févri­er 1744. Le corps du Génie est réu­ni à celui de l’Ar­tillerie le 8 décem­bre 1755 pour for­mer le ” corps roy­al de l’Ar­tillerie et du Génie “. Mais dès le 5 mai 1758 Artillerie et Génie repren­nent leur indépen­dance, le Génie s’ap­pelant ” corps roy­al des ingénieurs “.

La nouvelle entrée de l’École du génie à Angers réalisée en 1995 (Caserne Eblé).
La nou­velle entrée de l’École du génie à Angers réal­isée en 1995 (Caserne Eblé).

L’or­don­nance du roi du 31 décem­bre 1776 est con­sid­érée comme ayant véri­ta­ble­ment fondé le Génie, en créant le ” corps roy­al du Génie ” et en con­férant aux ingénieurs mil­i­taires le titre ” d’of­fici­er audit corps roy­al “. Au-delà des désig­na­tions, l’essen­tiel est la réu­nion de l’arme du Génie (unités com­bat­tantes, pon­ton­niers, arti­ficiers) et du ser­vice du Génie (maîtrise d’ou­vrage et maîtrise d’œu­vre des for­ti­fi­ca­tions, caserne­ments et autres infrastructures).

Dans un domaine dif­férent, c’est comme s’il y avait fusion entre les officiers de marine et les ingénieurs du génie mar­itime… C’est aus­si à ce moment-là que le Génie est doté d’un insigne offi­ciel : ” corcet d’armes ” (cuirasse) et ” pot-en-tête ” (casque) sur velours noir avec lis­eré rouge. Le 21 mars 1793, pour faire face aux besoins des guer­res de la Révo­lu­tion, sont inté­grés dans le Génie des officiers des autres armes, des ingénieurs géo­graphes et des ingénieurs des Ponts et Chaussées.

Pour en revenir à ” l’É­cole de Méz­ières “, désor­mais à Metz, le 20 vendémi­aire an XI (13 octo­bre 1802) sont réu­nies les Écoles de l’ar­tillerie et du génie. En 1831 l’Ar­tillerie cherche à impos­er des enseignants indépen­dants de leur arme d’o­rig­ine, d’où un partage des cours entre les deux armes, ce qui entraîne une baisse de la qual­ité des enseignants (tous les cours ne sont pas rédigés). Il y a ” alter­nance ” Génie/Artillerie à la tête de l’É­cole et pour tous les postes impor­tants (bib­lio­thé­caire, etc.). La réu­nion des écoles était souhaitée par l’Ar­tillerie car l’É­cole du génie était réputée, mais le Génie était réti­cent. L’en­jeu était en fait non la seule réu­nion des écoles, mais la fusion des deux armes, rivales pour les rangs de sor­tie de l’É­cole poly­tech­nique de leurs futurs officiers.

Au milieu du XIXe siè­cle, le régime mil­i­taire de l’É­cole de Metz est de plus en plus mar­qué. En 1870, en rai­son de la guerre avec l’Alle­magne, l’É­cole d’ap­pli­ca­tion de l’ar­tillerie et du génie de Metz est fer­mée, puis est recréée à Fontainebleau en décem­bre 1871, bien que ce site ne soit guère favor­able : pas de for­ti­fi­ca­tion, pas de poly­gone, pas de plan d’eau… En octo­bre 1912, l’É­cole du génie, séparée de celle de l’ar­tillerie, s’in­stalle à Ver­sailles, aux Mortemets (route de Saint-Cyr), s’ap­pelant à par­tir de 1925 École mil­i­taire et d’ap­pli­ca­tion du génie. Dans les années trente de nom­breux officiers et sous-officiers sont mutés de l’arme dans le ser­vice pour la con­struc­tion de la ligne Mag­inot. Le Génie décline, l’ère des savants fait place à l’ère des ingénieurs.

En 1940, l’É­cole du génie s’in­stalle à Avi­gnon. L’arme et le ser­vice sont séparés, seule la pre­mière comp­tant dans l’ar­mée de l’armistice lim­itée à 100 000 hommes. En novem­bre 1942, l’É­cole est fer­mée, après l’en­vahisse­ment de la zone jusqu’alors non occupée.

L’É­cole d’ap­pli­ca­tion du génie est créée en octo­bre 1945 à Angers, où elle dis­pose de plans d’eau et de poly­gones pour for­mer les officiers de l’arme. Ceux du ser­vice sont instru­its à Ver­sailles où l’É­cole supérieure tech­nique du génie est créée en 1946 et pren­dra le nom d’É­cole supérieure du génie mil­i­taire en 1974 ; elle délivre le titre d’ingénieur.

Dis­soute en juil­let 1995, en fait elle fusionne avec l’É­cole d’ap­pli­ca­tion du génie pour for­mer l’É­cole supérieure et d’ap­pli­ca­tion du génie, com­muné­ment appelée ” École du génie “, comme en témoigne l’en­seigne au-dessus du por­tail prin­ci­pal, pour faire plus court (et pour faire oubli­er l’as­so­ci­a­tion d’un adjec­tif et d’un géni­tif). Après la sépa­ra­tion de 1912, l’É­cole d’ar­tillerie reste quelque temps seule à Fontainebleau, puis va à Châlons-sur-Marne en 1953 et enfin est trans­férée à Draguig­nan en 1976.

Dans l’ar­mée, tout ce qui est nou­veau et tech­nique naît au sein du Génie puis prend son essor :

  • l’aéro­sta­tion de 1874 à 1914, avant d’être rat­tachée à l’aéro­nau­tique mil­i­taire, (il y avait déjà eu des aérostiers mil­i­taires de 1794 à 1799 avec une école à Chalais-Meudon),
  • les trans­mis­sions de 1878 à 1942 où elles devi­en­nent une arme autonome (les trans­mis­sions garderont l’in­signe du Génie décrit ci-dessus, si ce n’est qu’un lis­eré bleu rem­place le lis­eré rouge),
  • l’avi­a­tion de 1910 à 1912, avant d’être une arme autonome, ” l’aéro­nau­tique mil­i­taire “, puis de devenir ” l’ar­mée de l’air ” en 1928 (avec un min­istère de l’Air),
  • la topogra­phie en 1793,
  • les sapeurs-pom­piers, dont l’o­rig­ine remonte aux ” sapeurs de la Garde impéri­ale ” de 1810, inté­grés au Génie en 1965, rég­i­ment puis brigade des sapeurs-pom­piers de Paris,
  • et ceci en plus des des­tins indi­vidu­els : comme les deux cap­i­taines du Génie, Pierre Vernier 1580–1637 (l’in­ven­teur de ce pied à coulisse très par­ti­c­uli­er pour mesur­er les petites longueurs à l’œil nu avec une pré­ci­sion d’un dix­ième ou d’un vingtième de mil­limètre), Claude Chappe 1763–1805 (l’homme de la courte et belle his­toire du télé­graphe optique), etc.


Lorsqu’il y eut moins de poly­tech­ni­ciens dans l’ar­mée, il y eut moins d’ingénieurs. Les besoins restant les mêmes, cela con­duisit à aug­menter le niveau sci­en­tifique des saint-cyriens, ceux de l’op­tion sci­ences y rece­vant le titre d’ingénieur. Ain­si, après de nom­breuses péripéties, per­dure le souci de ne pas laiss­er diverg­er la tech­nique et la tac­tique, et de don­ner à une par­tie des officiers une for­ma­tion d’ingénieurs général­istes, comme à l’É­cole de Méz­ières voici deux cent cinquante ans.

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1. Cent cinquan­tième anniver­saire. Ce terme de ” sesqui­cen­te­naire ” n’est ren­con­tré nulle part ailleurs que dans l’his­toire de l’É­cole poly­tech­nique et est absent des dic­tio­n­naires. Peut-être arrivé sous forme de plaisan­terie, il n’en est pas moins ” éty­mologique­ment cor­rect “, le pré­fixe ” sesqui ” cor­re­spon­dant au mul­ti­pli­ca­teur 1,5, comme dans le sesquioxyde de fer Fe2O3 qui com­porte bien trois atom­es d’oxygène pour deux atom­es de fer. Tou­jours dans le vocab­u­laire poly­tech­ni­cien (du moins jusqu’en 1975) ” sesqui ” sig­ni­fie couloir dérobé car dans l’an­cien bâti­ment Foch un étage tech­nique de faible hau­teur était desservi par un tel pas­sage et, avec le niveau inférieur, équiv­alait à un étage et demi, un ” sesquiétage “.

2 Commentaires

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Serge Le Pottierrépondre
30 mars 2011 à 12 h 39 min

Colonel du Génie (er)
Economica,vient defaire paraître mon livre“Duportail(1seul mot)le Génie de George Wash­ing­ton”. S’il créa le Corps of Engi­neers, il le com­man­da et fut surtout con­seiller écouté de stratégie pour Wash­ing­ton. Il meurten 1801 et non en 1802, et son oeu­vre de réor­gan­is­tion de l’ar­mée sous la Con­sti­tu­ante fut bien utile à Carnot comme à Bona­parte . Mon livre vous en dira plus . 

jacqueline.duguet1@orange.frrépondre
2 décembre 2011 à 20 h 57 min

LEBLANC Jean François LEBLANC Jean­Jacques­MarieAu­gustin
les anciens officiers du genie au XXVI­I­Iéme siécle

grace aux reg­istres de la légion d’Hon­neur je retrou­ve bien JJMAu­gustin LEBLANC (1798–1852)colonel du Génie, X 1817 (du reste sur le site de l’X n’est porté que l’acte de naissance,je tiens son acte de deces à disposition)
mais où trou­ver les annu­aires com­por­tant son pére ( mon arriére…arriére grand’pére)jean françois inscrit cap­i­taine du Génie sur l’acte de nais­sance de son fils ‚au Ques­noy (nord)?
famille orig­i­naire du NORD ce jean françois fut-il un éléve à MEZIERES ?
Votre arti­cle est tres interessant,en per­me­t­tant de suiv­re l’évo­lu­tion de cette dis­ci­pline au cours des sié­cles précédents
En vous remer­ciant par avance

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