Aligner la stratégie climat des entreprises avec l’objectif de transition zéro carbone

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°754 Avril 2020
Par Lisa BERTRAND

Pour les entre­pris­es, s’engager pour le cli­mat doit con­sis­ter à iden­ti­fi­er et inté­gr­er dans leur stratégie à la fois les enjeux de tran­si­tion vers une économie décar­bonée et ceux de résilience face aux effets du change­ment climatique.

L’engagement nécessaire des entreprises pour le climat

Un envi­ron­nement d’affaires com­pat­i­ble avec l’Accord de Paris affectera les entre­pris­es en matière de réduc­tion d’émissions. Par ailleurs, elles devront être résilientes à monde où l’évolution des con­di­tions cli­ma­tiques et les événe­ments extrêmes affecteront de plus en plus les con­di­tions de tra­vail, les infra­struc­tures et les ressources comme l’eau ou la bio­masse1. Ce dernier exer­ci­ce est d’autant plus con­traig­nant qu’il doit s’accommoder des incer­ti­tudes quant aux échéances et aux ampli­tudes (1,5°C / 2°C / 3°C ?) du change­ment cli­ma­tique. L’analyse prospec­tive par scé­nar­ios per­met aux entre­pris­es de tester la résilience de leurs activ­ités économiques dans plusieurs futurs pos­si­bles dif­férents notam­ment sous con­traintes énergie-cli­mat. Il est impor­tant de con­naître les pos­tu­lats sous-jacents des scé­nar­ios (comme ceux de l’AIE2) util­isés dans le cadre de ces analy­ses, la plu­part n’ayant pas été conçus dans cet objec­tif3.

L’engagement pour le cli­mat d’une entre­prise est donc crédi­ble lorsque ses actions d’atténuation et d’adaptation répon­dent à la néces­saire décar­bon­a­tion des mod­èles de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion en ten­ant compte d’un con­texte tech­nologique, poli­tique, économique et social insta­ble mais aus­si et surtout des enjeux sec­to­riels et de fil­ière. Dès lors, com­ment appréci­er un tel niveau d’engagement ? Prenons l’exemple des con­struc­teurs auto­mo­biles et focal­isons-nous sur la seule dimen­sion de décar­bon­a­tion.  

L’exemple du secteur automobile

Respon­s­able de 15 % des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre (GES), le trans­port auto­mo­bile a un rôle clé dans la décar­bon­a­tion de l’économie. Pour­tant seule­ment 5 con­struc­teurs auto­mo­biles par­mi les 25 plus grands prévoient de réduire les émis­sions de GES liées à l’utilisation des véhicules pro­duits de façon à align­er leurs tra­jec­toires de tran­si­tion bas car­bone avec les objec­tifs d’atténuation de l’Accord de Paris4. Aus­si les ventes de véhicules bas car­bone5 de 16 d’entre eux représen­tent moins de 1 % de leurs chiffres d’affaires. Autrement dit, 99 % des ventes de ces con­struc­teurs ver­rouil­lent des émis­sions futures au tra­vers de véhicules à com­bus­tion interne qui vont par­courir des mil­liards de kilo­mètres. Cepen­dant, la décar­bon­a­tion du secteur auto­mo­bile doit égale­ment être soutenue par des poli­tiques publiques qui créent un envi­ron­nement favor­able au développe­ment et à la com­mer­cial­i­sa­tion de véhicules bas car­bone. C’est le cas en Europe où l’anticipation des récentes normes en matière de seuil d’émissions explique en par­tie une meilleure per­for­mance des con­struc­teurs auto­mo­biles qui com­mer­cialisent sur ce marché. Des investisse­ments R&D sont néces­saires dès main­tenant pour dévelop­per des tech­nolo­gies appliquées aux sys­tèmes de trans­mis­sions bas car­bone mais aus­si pour réduire le coût de tech­nolo­gies matures afin d’augmenter leur péné­tra­tion du marché. 

Enfin de nou­veaux mod­èles d’affaires fondés sur l’accès à la mobil­ité en tant que ser­vice créent des avan­tages com­péti­tifs. Mais le déploiement de ces mod­èles comme le cov­oiturage et la mise à dis­po­si­tion de véhicules partagés reste encore lim­ité et ne trans­forme pas suff­isam­ment l’accès à la mobil­ité pour attein­dre les objec­tifs de réduc­tion de décar­bon­a­tion du secteur.

“Pour rendre compte de l’engagement d’une entreprise vis-à-vis d’une transition zéro carbone,
les enjeux associées à la décarbonation doivent se refléter quelle que soit l’entreprise,
à tous les niveaux de sa stratégie.”

Évaluer l’engagement des entreprises automobiles

Quel est le pro­fil d’une entre­prise du secteur de la con­struc­tion auto­mo­bile qui s’engage pour la tran­si­tion ? Selon la méthode dévelop­pée par l’initiative ACT6 pour le secteur auto­mo­bile, cela ne doit pas se refléter unique­ment sur la fix­a­tion d’objectifs de décar­bon­a­tion ambitieux mais bien imprégn­er toute la stratégie de l’entreprise. Celle-ci s’est donc a min­i­ma fixé des objec­tifs de réduc­tion des émis­sions de GES, fondées sur la con­nais­sance sci­en­tifique des évo­lu­tions du cli­mat7, pour la flotte de véhicules ven­dus (et pas seule­ment pour la per­for­mance de ses usines) alignés avec la tra­jec­toire de décar­bon­a­tion du secteur8.

Pour assur­er le renou­velle­ment du parc au bon rythme et avoir un impact sig­ni­fi­catif, ces objec­tifs doivent tenir compte de la durée d’utilisation du véhicule mis sur le marché et des émis­sions de GES de l’énergie depuis l’extraction jusqu’à la con­som­ma­tion des véhicules (WTW9). Pour attein­dre ces objec­tifs, l’entreprise s’est déjà engagée durable­ment dans la réduc­tion de l’intensité car­bone10 des véhicules qu’elle met sur le marché. 

Par ailleurs, les respon­s­abil­ités de la tran­si­tion bas car­bone doivent être portées au plus haut niveau déci­sion­nel de l’entreprise et le plan stratégique asso­cié doit présen­ter des objec­tifs, jalon­nés dans le temps, de la crois­sance des ventes de véhicules à très faibles émis­sions rap­portée au taux de crois­sance req­uis par le secteur de la con­struc­tion auto­mo­bile pour rester dans sa tra­jec­toire de tran­si­tion alignée avec l’accord de Paris11.

Un con­struc­teur auto­mo­bile ain­si engagé investit égale­ment dans la R&D sur des tech­nolo­gies non matures pour dévelop­per des alter­na­tives qui ne sont pas encore source de revenus. 

Une entre­prise réelle­ment engagée va aus­si soutenir des stan­dards et des poli­tiques publiques plus con­traig­nants per­me­t­tant de répon­dre aux enjeux du change­ment cli­ma­tique et con­tribuer à chang­er le com­porte­ment de ses clients vis-à-vis de la mobil­ité. En effet peu d’entreprises de ce secteur font la pro­mo­tion d’un accès à la mobil­ité autre que la voiture unipersonnelle. 

Des défis spécifiques à chaque secteur

En résumé, pour ren­dre compte de l’engagement d’une entre­prise vis-à-vis d’une tran­si­tion zéro car­bone12, les enjeux asso­ciées à la décar­bon­a­tion doivent se refléter quelle que soit l’entreprise, à tous les niveaux de sa stratégie : objec­tifs, investisse­ments matériels et de R&D, per­for­mance car­bone des pro­duits ou ser­vices, man­age­ment, mobil­i­sa­tion four­nisseurs, engage­ment avec les clients et les pou­voirs publics et mod­èle économique. Les défis sont néan­moins dif­férents d’un secteur d’activité à l’autre et il con­vient d’identifier et de suiv­re dif­férents indi­ca­teurs pour tenir compte des oppor­tu­nités et risques face à la tran­si­tion bas car­bone de chacun.


1. An IPCC spe­cial report on the impacts of glob­al warm­ing of 1.5°C above pre-indus­tri­al lev­els and relat­ed glob­al green­house gas emis­sion path­ways, in the con­text of strength­en­ing the glob­al response to the threat of cli­mate change, sus­tain­able devel­op­ment, and efforts to erad­i­cate pover­ty. https://www.ipcc.ch/sr15/

2. Agence Inter­na­tionale de l’Énergie

3. Scé­nar­ios énergie-cli­mat, Rap­port du Think tank The Shift Project pour l’Afep https://afep.com/wp-content/uploads/2019/11/Etude-Sc%C3%A9narios-Afep_TSP-4-pages-FR‑2.pdf

4. https://climate.worldbenchmarkingalliance.org/

5. Hybrides, hybrides recharge­ables et élec­triques à batteries. 

6. ACT – Assess­ing low Car­bon Tran­si­tion®, portée par l’ADEME et le CDP , soutenue par le gou­verne­ment français et recon­nue par le Mar­rakech Part­ner­ship for Glob­al Cli­mate Actions, per­met d’évaluer l’engagement des entre­pris­es secteur par secteur au regard de l’objectif de mit­i­ga­tion de l’Accord de Paris actinitiative.org

7. Alignée sur les objec­tifs de mit­i­ga­tion de l’Accord de Paris, com­prenant des objec­tifs de réduc­tion en valeur absolue mais aus­si en terme de vitesse de décar­bon­a­tion des activ­ités émettrices.

8. Cal­culée à par­tir des scé­nar­ios cli­ma­tiques monde en util­isant par exem­ple la méthode Sec­toral Decar­bon­i­sa­tion Approach dévelop­pée par la Sci­ence Based Tar­gets initiative. 

9. Well to Weel (WTW).

10. WTW gCO2e/p.km.

11. Objec­tif de mit­i­ga­tion de l’Accord de Paris approu­vé suite aux négo­ci­a­tions de la COP21 par 195 pays recon­nus par l’ONU et entré en vigueur en novem­bre 2016.

12. Net Zéro en 2050

Commentaire

Ajouter un commentaire

Bernard Beauza­myrépondre
10 avril 2020 à 14 h 31 min

Voir l’ar­ti­cle de Paul Deheuvels, de l’A­cadémie des Sci­ences : http://www.scmsa.eu/archives/Deheuvels_Climat.pdf ; la lutte con­tre le CO2 est une absurdité

Nota du webmestre : après hési­ta­tion, je poste ce com­men­taire de Bernard Beauza­my, non pas dans l’in­ten­tion de pro­mou­voir pour le plaisir sur ce site des thès­es hétéro­dox­es, mais avec la con­vic­tion qu’il y a plus à appren­dre à se con­fron­ter à ces thès­es et à chercher à com­pren­dre quels sont les points d’a­choppe­ment (tout sauf triv­i­aux dans ce cas) et à les appro­fondir. Pour vous y aider, voir par exem­ple l’ar­ti­cle récent sig­nalé par Valery Mas­son-Del­motte, co-prési­dent du GR1 du GIEC : 

Green­house Effect : The Rel­a­tive Con­tri­bu­tions of Emis­sion Height and Total Absorption
https://journals.ametsoc.org/doi/full/10.1175/JCLI-D-19–0193.1

Répondre