Les barrages de Serre-Ponçon et de Sainte-Croix commandent une chaîne hydraulique de 2GW, soit la puissance de deux réacteurs nucléaires. Ils desservent aussi 3 M d’habitants en eau potable sur le littoral méditerranéen, ainsi que l’agriculture provençale.

L’hydraulique : une énergie pas comme les autres !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°758 Octobre 2020Par Yves GIRAUD (81)

L’hydraulique est la pre­mière énergie renou­ve­lable, et deux­ième source pour la pro­duc­tion d’électricité en France. Yves Giraud (81), Directeur d’EDF Hydro, nous en dit plus sur la place de cette énergie dans le mix énergé­tique français et les défis du change­ment cli­ma­tique et de la tran­si­tion énergétique.

Comment la production hydraulique d’EDF a t‑elle traversé la crise du Covid 19 ?

Nos bar­rages ont bien résisté au Covid 19 ! En France nous sommes fiers d’avoir pu assur­er la pro­duc­tion d’hydroélectricité sans aucune inter­rup­tion ni diminu­tion pen­dant toute la péri­ode de con­fine­ment. Je salue les 5700 salariés d’EDF Hydro qui ont réus­si cette prouesse, tout en respec­tant scrupuleuse­ment les mesures de pro­tec­tion san­i­taire. L’essentiel de notre puis­sance instal­lée en France con­ti­nen­tale (20 GW) est pilotée à dis­tance par des cen­tres de con­duite. Nos exploitants, au plus près de nos quelques 500 bar­rages, sur­veil­lent en per­ma­nence nos ouvrages, les écoule­ments de l’eau et la pro­duc­tion sur leurs smart­phones, et inter­vi­en­nent si néces­saire. Notre plus gros chantier hydraulique de France, l’ouvrage neuf de Gavet près de Greno­ble, est en train d’être mis en ser­vice avec seule­ment quelques semaines de retard dues au Covid 19. Dans le monde, nos bar­rages au Laos et au Brésil ont été peu affec­tés, les chantiers que nous pilo­tons au Camer­oun où nous sommes co-investis­seurs, ou à Dubaï, pour le compte de l’Autorité locale, ont dû être inter­rom­pus puis redémarrés.

Quels sont les défis de la reprise ?

Le défi d’EDF Hydro est de pré­par­er l’hiver, où nous savons que la sit­u­a­tion en France sera ten­due, compte tenu des per­tur­ba­tions du cal­en­dri­er de main­te­nance nucléaire. L’hydraulique joue, en effet, un rôle essen­tiel à la pointe de con­som­ma­tion, elle représente 20 % de la puis­sance instal­lée en France, et de 50 à 70 % sur l’ajustement final de l’offre et la demande. Nous devons donc accélér­er cer­tains travaux et en dif­fér­er d’autres, pour avoir le max­i­mum de puis­sance disponible cet hiver.

Un autre défi moins con­nu est celui de l’été : avec 75 % du stock­age arti­fi­ciel de l’eau der­rière nos bar­rages, EDF Hydro est de fait le pre­mier ges­tion­naire de l’eau en France. Nous voulons assur­er dans les meilleures con­di­tions les « cotes touris­tiques » de nos retenues, c’est-à-dire le niveau d’eau qui per­met les activ­ités touris­tiques sur les grands lacs de bar­rage, comme à Serre-Ponçon, Sainte-Croix-du-Ver­don, Bort-les-Orgues, Vouglans et beau­coup d’autres. Nous voulons dans le même temps assur­er le sou­tien d’étiage des fleuves et riv­ières pour l’agriculture et l’eau potable. L’été dernier, nous l’avons réal­isé dans des con­di­tions très dif­fi­ciles, avec deux canicules en moins d’un mois, au cœur de l’été.

Comment EDF anticipe-t-il justement le risque climatique ? 

Toutes nos instal­la­tions de pro­duc­tion sont sen­si­bles au cli­mat, car dépen­dantes de la ressource en eau, du vent ou de l’ensoleillement. Le nucléaire bord de riv­ière est lui-même soumis à une régle­men­ta­tion sévère sur la tem­péra­ture de l’eau. Le change­ment cli­ma­tique est donc un risque, empreint de nom­breuses incer­ti­tudes. Mais voyons le plutôt comme un immense chal­lenge à relever, le grand défi du siè­cle, dans lequel les énergéti­ciens jouent un rôle central.

Le groupe EDF est pré­cisé­ment très impliqué dans la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, et l’a inscrit au cœur de sa toute récente « rai­son d’être ». Nous sommes le cham­pi­on de l’énergie décar­bonée, avec nos éner­gies renou­ve­lables et nos parcs nucléaires français et bri­tan­nique. Nous dis­posons, depuis les années 90, d’une com­pé­tence spé­ci­fique de R&D sur les enjeux climatiques.

Le barrage de Sainte-Croix géré par EDF Hydro
Le bar­rage de Sainte-Croix.

Que dire du rôle de l’hydraulique face à ce changement climatique ?

L’hydraulique est bien sûr dépen­dante de la ressource en eau. Nos experts, en par­ti­c­uli­er dans notre ser­vice météo de Greno­ble, suiv­ent de très près l’évolution des pré­cip­i­ta­tions, des débits en riv­ière, des niveaux d’enneigement ou des glac­i­ers alpins. Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique active le cycle de l’eau et con­duit donc à des pré­cip­i­ta­tions sou­vent plus impor­tantes sur une vaste par­tie du globe. Mais « l’évapotranspiration » de l’eau sur les sols, due à la tem­péra­ture, nous fait per­dre cet effet béné­fique. Au total, il ne devrait pas for­cé­ment y avoir moins d’eau, mais une eau répar­tie dif­férem­ment dans le temps et dans l’espace. Les péri­odes de sécher­esse seront plus longues, comme on le con­state déjà ces derniers étés. La ges­tion de l’eau, qui est au cœur du méti­er d’hydraulicien, va devenir un enjeu crois­sant dans les années qui viennent.

L’hydraulique, qui der­rière ses bar­rages stocke à la fois l’eau et l’électricité, a un rôle majeur à jouer dans ce change­ment cli­ma­tique. C’est une énergie renou­ve­lable « pas comme les autres », flex­i­ble et stock­able. Mais c’est aus­si un for­mi­da­ble out­il pour gér­er l’eau pour l’ensemble de ses util­isa­teurs. Ceci ne peut se faire bien sûr que dans le cadre d’une gou­ver­nance partagée, par exem­ple au sein des Comités de Bassin qui réu­nis­sent élus et util­isa­teurs de l’eau d’un même bassin hydrographique.

L’énergie hydraulique a‑t-elle encore un potentiel de développement aujourd’hui ?

Oui, l’hydraulique dis­pose d’un immense poten­tiel de développe­ment dans le monde, comme en témoignent nos pro­jets et chantiers, en Afrique, Amérique Latine, Asie et même Moyen Ori­ent. Au Camer­oun, le bar­rage de Nachti­gal que nous con­stru­isons avec l’Etat et d’autres investis­seurs apportera 30 % de l’électricité du pays, et nous y étu­dions d’ores et déjà un autre grand pro­jet. En France nous dis­posons d’un pat­ri­moine déjà excep­tion­nel mais son poten­tiel de développe­ment est réel, par la réno­va­tion et l’augmentation de puis­sance de cer­tains ouvrages, ou la petite hydraulique pour laque­lle on assiste à un véri­ta­ble engoue­ment de mul­ti­ples acteurs. Nous avons aus­si de nou­veaux grands pro­jets de stock­age d’électricité (des « STEP » sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page, qui con­stituent l’équivalent de gigan­tesques bat­ter­ies). Le récent arrêté PPE (pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie) fixe comme objec­tif 1,5 GW de puis­sance sup­plé­men­taire sur cette tech­nolo­gie hydraulique, à hori­zon de dix ans, c’est dès main­tenant qu’il faut lancer ces pro­jets. Espérons que le Plan de Relance français les accélér­era. Tech­nique­ment, le poten­tiel français de stock­age hydraulique est estimé à une cen­taine de GW, soit autant que la capac­ité disponible à la pointe en France toutes fil­ières con­fon­dues (en péri­ode hiver­nale) ! Le prob­lème est celui du mar­ket design du sys­tème élec­trique, qui ne con­naît aujourd’hui que des pro­duc­teurs et con­som­ma­teurs, et ignore le ser­vice de stock­age, qu’il s’agisse de bat­ter­ies ou de sta­tions de pom­page hydrauliques.

Quels sont les challenges et les défis qui persistent ?

Vous l’avez com­pris, les réser­voirs hydroélec­triques ne sont pas seule­ment des ouvrages énergé­tiques, mais égale­ment des out­ils de ges­tion de la ressource en eau. C’est ce qui en fait des act­ifs stratégiques. Notre défi col­lec­tif est bien de réus­sir de front la tran­si­tion énergé­tique et la ges­tion durable de la ressource en eau. L’hydraulique a un dou­ble rôle par rap­port au change­ment cli­ma­tique, elle en est à la fois un puis­sant remède : pre­mière énergie renou­ve­lable, elle est de sur­croît flex­i­ble et stock­able. Mais elle est aus­si un out­il d’atténuation des con­séquences du réchauf­fe­ment, via sa place dans la ges­tion du grand cycle de l’eau.


En bref

  • En France, l’électricité est décar­bon­née à 97 % grâce aux éner­gies renou­ve­lables et au nucléaire, et EDF y joue bien sûr un rôle majeur. 
  • L’hydraulique est en France la 2e source de pro­duc­tion d’électricité (13 %).
  • Avec une puis­sance instal­lée de 25,5 GW, elle four­nit près de 60 % de la pro­duc­tion d’électricité renou­ve­lable. Elle est égale­ment flex­i­ble et stock­able, et per­met ain­si l’intégration des autres éner­gies renou­ve­lables dites « vari­ables » comme l’éolien ou le solaire. 
  • L’hydraulique est la troisième source d’énergie dans le monde (17 %) devant le char­bon et le gaz.
  • EDF a pour ambi­tion d’atteindre la neu­tral­ité car­bone d’ici 2050 grâce à des émis­sions directes qua­si nulles, une réduc­tion des émis­sions indi­rectes aus­si impor­tante que pos­si­ble dans le cadre des poli­tiques nationales, et une com­pen­sa­tion des émis­sions résidu­elles par des pro­jets à émis­sions néga­tives. La stratégie cli­mat du groupe EDF s’appuie donc sur 3 leviers : atténu­a­tion, adap­ta­tion et transformation.

Pour en savoir plus sur EDF Hydro : https://www.edf.fr/

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