Afriques …

Dossier : L'Afrique centraleMagazine N°565 Mai 2001Par : Philippe SABLON DU CORAIL (55)

A lire ou écouter les médias français, on ne con­naît de l’Afrique que le bruit et la fureur. Un désor­dre con­stant d’au­tant plus incom­préhen­si­ble que la con­nais­sance qu’on a de ces pays est sou­vent frag­men­taire, tant géo­graphique­ment que du point de vue his­torique. De plus, l’Afrique est mul­ti­ple et diverse.

Il y a l’Afrique du nord du Sahara, puis la four­naise du Sahel, et à l’autre extrémité, il y a l’Afrique du Sud, bien par­ti­c­ulière par son cli­mat et sa pop­u­la­tion mixte.

Au cen­tre, le Rift partage le con­ti­nent en deux comme une poire, coupure le long de laque­lle s’éch­e­lon­nent les grands lacs que bor­dent de mer­veilleux pays, sièges récents d’hor­ri­bles mas­sacres, et qui se pro­longe vers le nord par le Nil.

À l’ouest du Rift, il y a, ou du moins il y avait, la sauvagerie au plus beau sens du terme que l’on pou­vait encore con­naître, même après la coloni­sa­tion, dans son état presque orig­inel en vivant dans des vil­lages reculés au tour­nant des années soixante-soixante-dix.

Entre les deux très grands pays que sont le Nige­ria anglo­phone au nord-ouest et l’An­go­la luso­phone au sud, il y a l’an­cien Zaïre (la RDC, République démoc­ra­tique du Con­go) et un ensem­ble de pays (Con­go-Braz­zav­ille, Gabon, Camer­oun, Cen­trafrique) représen­tant un bloc aus­si impor­tant géo­graphique­ment — quoique moins peu­plé — cen­tré sur la plus grande réserve forestière trop­i­cale du monde après l’Amazonie.

Dans cet ensem­ble, le Con­go-Braz­zav­ille, tra­ver­sé par l’équa­teur, occupe une posi­tion cen­trale. Son évo­lu­tion his­torique depuis son indépendance1 est un exem­ple intéres­sant de l’évo­lu­tion poli­tique de l’Afrique noire cen­trale. Mais sa dimen­sion est apparue insuff­isante, et ses ressources minières — hors pét­role — trop incom­plètes pour en faire un échan­til­lon vrai­ment représen­tatif de l’Afrique cen­trale. Le sujet a donc été éten­du hors de ce pays à l’im­mense Zaïre et, par­tielle­ment, à l’An­go­la, tout en lançant quelques rapi­des incur­sions à l’ex­térieur de ces lim­ites dans l’ar­ti­cle de Jean-François Lab­bé sur l’ex­ploita­tion guer­rière des ressources minières africaines.

Comme le reste de l’Afrique noire, cette par­tie cen­trale est sin­gulière­ment ignorée en France.

On pou­vait lire récem­ment par exem­ple : ” L’Afrique n’a pas de rôle actuel dans le mou­ve­ment uni­versel. Ce n’est pas de là que jail­li­ra la lumière d’une nou­velle civilisation. ”

Ceci mon­tre à quel point ce con­ti­nent est mécon­nu, sinon méprisé par nos intel­lectuels. Ils s’y ren­dent rarement, ne lisent pas les écrits qui en provi­en­nent, et n’en con­nais­sent que l’im­age évo­quée en tête de cet éditorial.

Les hommes poli­tiques africains sont mal con­nus, et sou­vent sous un angle car­i­cat­ur­al qui ne cor­re­spond en rien aux généra­tions main­tenant au pou­voir. De plus, ces hommes, dont on ignore en France les actes les plus impor­tants, sont sou­vent jugés selon des critères européens inadap­tés. Sait-on par exem­ple que la pre­mière entre­vue De Klerk-Man­dela, orig­ine de l’abo­li­tion de l’a­partheid, a été organ­isée au cours des années qua­tre-vingt par l’actuel prési­dent du Con­go-Braz­zav­ille, Denis Sas­sou N’Guesso ?

Sait-on égale­ment que ce dernier, voué aux gémonies par nos médias pour avoir pris le pou­voir en 1997 à la suite d’une guerre civile déclenchée par son prédécesseur élu, a rétabli depuis la paix et la sécu­rité dans son pays, et a reçu à ce titre le 6 juin 2000 la médaille du courage poli­tique des mains de M. Charles Zor­bibe qui représen­tait la Sor­bonne à cette cérémonie ?

Enfin, on ne veut pas voir que, depuis la fin du XXe siè­cle, cette par­tie du con­ti­nent africain s’est dégagée de la présence encom­brante des grandes puis­sances et de leur emprise et, ayant déjà réus­si seule à redress­er cer­taines sit­u­a­tions dra­ma­tiques, reprend pro­gres­sive­ment en main son avenir poli­tique en amélio­rant sa ges­tion, même si, pour aller dans la voie du développe­ment économique, les investisse­ments extérieurs restent encore essentiels.

Il est vrai que l’ex­em­ple de l’an­cien Zaïre vient à pre­mière vue à l’en­con­tre de ce pre­mier con­stat qui sera imman­quable­ment jugé opti­miste. Le texte présen­té par M. Bruneau, après avoir claire­ment expliqué les caus­es de cette sit­u­a­tion, mon­tre les solu­tions et laisse une note d’e­spoir qui peut être ren­for­cée par les efforts nou­veaux et man­i­festes de l’ensem­ble des gou­ver­nants des pays voisins pour aboutir au rétab­lisse­ment de la paix dans ce pays.

Même note d’e­spoir mesuré du Père Léon de Saint Moulin S. J. sur Kinshasa.

Pour quit­ter la poli­tique, un exem­ple intéres­sant, qui vient exacte­ment en con­tra­dic­tion avec l’opin­ion com­mune, est présen­té par la musique en Afrique cen­trale. La société africaine noire et sa dias­po­ra occu­pent une posi­tion forte, et même dom­i­nante, sur le plan musi­cal inter­na­tion­al — il suf­fit de regarder le vol­ume des dis­ques inspirés par la musique d’o­rig­ine africaine ven­du dans le monde. Cette influ­ence est fondée sur la musique tra­di­tion­nelle, main­tenue par­ti­c­ulière­ment vivante dans cette Afrique cen­trale à côté des ten­dances mod­ernes qui con­tin­u­ent à s’en inspir­er, comme le démon­tre ici l’ar­ti­cle sur la musique de Jean Oba-Bouya, pro­fesseur de physique au Congo.

Dans le domaine sci­en­tifique, l’Afrique noire est un réser­voir intel­lectuel peu con­nu et mal exploité comme l’ex­pliquent dans ce numéro les arti­cles de Jean Dutertre et David Békol­lé ” Math­é­ma­tiques et développe­ment en Afrique “.

Si main­tenant on s’in­téresse à l’é­conomie, out­re les ressources minières évo­quées plus haut, on con­naî­tra ici la place mon­di­ale que tient dans la pro­duc­tion de pét­role cette par­tie de l’Afrique qui entoure le golfe de Guinée (arti­cle de Michel Bénéz­it), ain­si que l’or­gan­i­sa­tion de l’ex­ploita­tion des bois trop­i­caux (arti­cle de S. E. Hen­ri Djom­bo, min­istre au Congo-Brazzaville).

Enfin, un exem­ple intéres­sant de développe­ment maraîch­er sous forme de micro-entre­pris­es est présen­té par M. Jacques Barati­er, fon­da­teur d’A­grisud, insti­tu­tion résul­tant du développe­ment de la pre­mière société Agri­Con­go, égale­ment créée par lui.

Si ce numéro a pu don­ner de l’Afrique cen­trale une vision nou­velle, plus pré­cise, par­fois inat­ten­due, et plus opti­miste que celle répan­due générale­ment, il aura atteint son but.

Ceux qui con­nais­sent bien l’Afrique cen­trale d’au­jour­d’hui savent, eux, qu’un intense mou­ve­ment de redresse­ment s’y des­sine et que, mal­gré cer­taines idées reçues, cette par­tie du grand con­ti­nent est en train de s’éveiller pour par­ticiper au ” mou­ve­ment uni­versel “, mais à sa façon, qui n’en­tr­era prob­a­ble­ment pas dans le moule du mou­ve­ment mon­di­al actuel, ce qui est peut-être souhaitable. 

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1. Voir à ce sujet dans le site Inter­net www.brazzaville-adiac.com le texte de l’au­teur de cet édi­to­r­i­al, sur l’his­toire du Con­go-Braz­zav­ille depuis la décoloni­sa­tion : ” Con­go-Braz­zav­ille, un long chemin vers la démocratie “.

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