Affirmer la présence française dans l’Union européenne

Dossier : L’administrationMagazine N°682 Février 2013
Par Pervenche BERÈS

L’administration française a trop longtemps paru étrangère à la cul­ture de la con­sul­ta­tion. Elle peina à inté­gr­er la dimen­sion européenne de manière hor­i­zon­tale. Un bref his­torique, en guise de rap­pel : à l’origine, l’administration en charge de l’agriculture parais­sait, à côté du min­istère des Affaires étrangères, à l’avant-garde de la négo­ci­a­tion européenne.

Par la suite, le Quai d’Orsay fut pro­gres­sive­ment rat­trapé par le min­istère de l’Économie et des Finances, du fait de la mon­tée en puis­sance de l’Union économique et moné­taire, avant que la crise de l’euro ne place les chefs d’État et de gou­verne­ment en pre­mière ligne.

REPÈRES
L’initiative lég­isla­tive de la Com­mis­sion européenne s’exerce avec peu de précé­dents, sans sci­ence infuse. Elle procède davan­tage, sur la base des com­pé­tences de l’Union définie par les traités, d’une remon­tée des deman­des des acteurs. Les proces­sus de con­sul­ta­tion et d’agglomérations suc­ces­sives y tien­nent une place majeure, d’où l’importance des pou­voirs d’influence, de représen­ta­tion et de par­tic­i­pa­tion. C’est l’explication du poids des lob­bys à Bruxelles.

Un bon fonctionnement du marché

À côté des struc­tures admin­is­tra­tives clas­siques pro­pres à chaque min­istère, l’administration française a dû s’organiser pour traiter les ques­tions européennes. Depuis le milieu des années 1980, la qua­si-total­ité des poli­tiques publiques français­es intè­grent une dimen­sion européenne.

Les poli­tiques publiques français­es intè­grent désor­mais une dimen­sion européenne

Cette « européani­sa­tion » des prob­lé­ma­tiques nationales s’illustre tant au niveau du proces­sus déci­sion­nel qu’à celui de l’application et du con­tenu des dis­po­si­tions lég­isla­tives et régle­men­taires : ques­tions rel­a­tives au bon fonc­tion­nement du marché intérieur des biens et des ser­vices financiers, sys­tème européen d’évaluation et d’autorisation de sub­stances chim­iques (direc­tive Reach), accords com­mer­ci­aux, etc.

Élaborer et diffuser les positions de la France

Con­stance et compromis
L’Association « Finance WatchÈ, créée par l’auteur et quelques autres au début de l’actuelle man­da­ture, face au poids des acteurs du marché, veille à ren­forcer, dans la réforme des ser­vices financiers, une voie con­forme à l’intérêt général de la société. Pour le faire-val­oir, pour le faire pré­val­oir dans le cours des négo­ci­a­tions, l’argument d’autorité pèse moins que la présence, la con­stance et le compromis.

Deux struc­tures spé­ci­fique­ment dédiées à l’Union se sont ain­si édi­fiées. Ce fut, en pre­mier lieu, le Secré­tari­at général des affaires européennes (SGAE) créé seule­ment en 2005 et placé sous l’autorité du Pre­mier min­istre. Il rem­plit dif­férentes fonc­tions essen­tielles pour éla­bor­er et dif­fuser les posi­tions de la France. Ce récent ser­vice suc­cé­da au Secré­tari­at général du comité inter­min­istériel pour les ques­tions de coopéra­tion économique européenne (SGCI). Cette évo­lu­tion don­na une vis­i­bil­ité accrue à la négo­ci­a­tion et à l’arbitrage européen.

Intégrer la dimension européenne

L’importance prise par les poli­tiques européennes et la lég­is­la­tion européenne dans l’ensemble des champs de l’action publique con­duisent à s’interroger sur une future étape qui abouti­rait à un SGAE moins con­forme à la struc­ture pyra­mi­dale de l’administration française et qui l’irriguerait davan­tage, per­me­t­tant une gou­ver­nance à plusieurs niveaux des ques­tions traitées. L’enjeu serait de mieux inté­gr­er la dimen­sion européenne dans l’élaboration de la lég­is­la­tion nationale, à la fois pour moins subir « Brux­elles » et pour y être plus influent.

Une mutation radicale

Par­ler d’une seule voix
La prin­ci­pale tâche du Secré­tari­at général des affaires européennes (SGAE) con­siste à pré­par­er en amont les ori­en­ta­tions que la France exprimera au sein du Con­seil de l’Union européenne. Pour qu’elle par­le d’une seule voix, il coor­donne la posi­tion des dif­férents min­istères. Le SGAE assure égale­ment, en lien avec le min­istère des Affaires européennes, la com­mu­ni­ca­tion aux députés européens français des posi­tions défendues par le gou­verne­ment dans le cadre du tra­vail lég­is­latif européen. Enfin, il veille au suivi inter­min­istériel de la trans­po­si­tion des direc­tives et des décisions-cadres.

Cette ques­tion d’influence est aus­si liée à la struc­ture cen­tral­isée de l’État français. A con­trario, dans les États fédéraux, les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales peu­vent être directe­ment con­sultées et donc con­tribuent dans leur domaine de com­pé­tence à influer d’emblée le proces­sus législatif.

Sur ce point et à ce stade, il est peu prob­a­ble que l’acte III de la décen­tral­i­sa­tion change la donne, même si les régions français­es sont de plus en plus présentes à Brux­elles, notam­ment autour des enjeux de la poli­tique de cohé­sion. Cette décen­tral­i­sa­tion devrait opér­er néan­moins une muta­tion rad­i­cale, leur attribuant la com­pé­tence pre­mière pour gér­er les fonds liés à cette politique.

Une représentativité permanente

Comme chaque État mem­bre de l’Union européenne, la France dis­pose égale­ment à Brux­elles d’une Représen­ta­tion per­ma­nente (RP) chargée de défendre le point de vue du gou­verne­ment français au sein des insti­tu­tions européennes, et d’abord au Con­seil. Véri­ta­ble relais des posi­tions nationales, la représen­ta­tion per­ma­nente, dirigée par un diplo­mate, sert d’interface entre les ori­en­ta­tions poli­tiques du gou­verne­ment et l’environnement insti­tu­tion­nel européen.

La Représen­ta­tion per­ma­nente est le véri­ta­ble relais des posi­tions nationales

Son domaine d’intervention cou­vre l’ensemble des poli­tiques con­duites par l’Union. Par-delà sa mis­sion d’information des ser­vices min­istériels, au sujet du posi­tion­nement des dif­férents acteurs insti­tu­tion­nels européens et des autres États mem­bres au sein du Con­seil, la RP défend la posi­tion de la France.

Elle con­duit donc la négo­ci­a­tion au sein des comités de représen­tants per­ma­nents (COREPER), instances regroupant les représen­tants per­ma­nents de l’ensemble des États mem­bres de l’Union européenne. Ces comités, répar­tis en fonc­tion des thèmes abor­dés, tra­vail­lent à la pré­pa­ra­tion des réu­nions du Con­seil, en trai­tant notam­ment des aspects tech­niques des sujets inscrits à l’ordre du jour.

Être plus influent

Savoir négoci­er
Paris a longtemps priv­ilégié la négo­ci­a­tion au Con­seil, où l’accord pénible­ment obtenu ne devait pas être remis en ques­tion. D’autres, les Bri­tan­niques en par­ti­c­uli­er, rou­vraient la négo­ci­a­tion sur les points pour lesquels ils n’avaient pas été suff­isam­ment enten­dus au Con­seil via leurs élus au Par­lement européen, colégislateurs.

Ain­si, la bonne artic­u­la­tion des mis­sions dévolues au SGAE et à la RP se révèle déci­sive dans la capac­ité de la France à influ­encer effec­tive­ment les arbi­trages poli­tiques ren­dus par les colég­is­la­teurs européens que sont le Con­seil et le Par­lement européen. Dans la dynamique des négo­ci­a­tions, au-delà des alter­nances poli­tiques, les posi­tions des dif­férents États mem­bres man­i­fes­tent des dom­i­nantes, reflets des tra­di­tions et des intérêts nationaux.

La France a pour voca­tion, au sein de l’Europe, de défendre le rôle proac­t­if de la puis­sance publique, dans la ligne de la philoso­phie des Lumières. Elle est sou­vent en pointe lorsqu’il s’agit de défendre notre con­cep­tion de la laïc­ité, de l’investissement pub­lic, du ser­vice pub­lic, mais aus­si de la poli­tique agri­cole commune.

« Je suis dev­enue européenne depuis longtemps, depuis qu’en 1975 j’ai com­pris ce qui se jouait autour de la Con­férence sur la sécu­rité et la coopéra­tion en Europe et des accords d’Helsinki, avec les « mesures de con­fi­ance » de la fameuse troisième cor­beille. Dans ce pro­longe­ment, la méth­ode « com­mu­nau­taire » faite d’élaboration itéra­tive et inclu­sive m’est apparue comme la bonne. Je mesure aujourd’hui toutes ses lim­ites, elle mar­que pour­tant mon regard sur l’administration française. Depuis, je vis dans une mul­ti­ap­par­te­nance social­iste, européenne et française. Elle con­duit mes conci­toyens à me percevoir comme une Européenne, mes col­lègues européens comme une Française. »
Per­venche Berès

Dans la crise que tra­verse l’Europe, l’audience de ce mes­sage dépend de notre sit­u­a­tion économique, d’où l’importance de la rétablir, en assainis­sant les finances publiques de la France. Cela reste vrai nonob­stant les straté­gies d’influence des divers acteurs et des dif­férents relais.

Mobiliser en amont

L’évolution de l’Union européenne elle-même a aus­si un impact majeur sur les con­di­tions de mobil­i­sa­tion de l’administration française. On ne négo­cie pas à vingt-sept comme à six ou douze. Si la ques­tion fran­co-alle­mande reste impor­tante, elle s’intègre désor­mais dans une dynamique bien plus com­pliquée, avec des acteurs à jeu multiple.

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