Activité, emploi et recherche d’emploi : changer de paradigme pour supprimer le chômage

Dossier : ExpressionsMagazine N°611 Janvier 2006
Par Jacques ATTALI (63)
Par Vincent CHAMPAIN (X91)

La spirale dépressive du chômage

La spirale dépressive du chômage

En trente ans, le chô­mage est pas­sé en France de 2 % à 10 %. Cette évo­lu­tion a gra­ve­ment fra­gi­li­sé la confiance que cha­cun pou­vait avoir dans le fait que cette socié­té ne l’a­ban­donne pas. Car le chô­mage d’il y a trente ans était, pour l’es­sen­tiel, le chô­mage » actif « , de ceux qui passent d’un emploi à un autre. Aujourd’­hui, le chô­mage est subi par des per­sonnes enga­gées dans une spi­rale dépres­sive du doute de soi et du découragement.

C’est ce que montre l’en­quête » emploi du temps » de l’IN­SEE : en 1999, les deman­deurs d’emploi consa­craient moins de temps à la socia­bi­li­té que la moyenne, et moins d’une demi-heure par jour à la recherche d’emploi. Pas parce qu’ils ne vou­laient pas cher­cher. Mais faute d’être accom­pa­gnés dans leur recherche : qui­conque s’est déjà livré à une recherche d’emploi ou a mon­té un pro­jet de créa­tion sait qu’il s’a­git d’une véri­table acti­vi­té. Elle demande des connais­sances, et des ini­tia­tives qui dépassent le conte­nu de bien des emplois. C’est une acti­vi­té à part entière, à laquelle peu d’entre nous sont préparés.

Notre problème : vouloir beaucoup et donner peu.
Deux solutions : vouloir et donner peu, ou vouloir et donner beaucoup

Le pro­blème fran­çais est double. D’a­bord, les chô­meurs sont essen­tiel­le­ment lais­sés face à eux-mêmes. Ensuite, notre socié­té a su trans­for­mer son indus­trie, ouvrir son com­merce au monde, mettre en place des régle­men­ta­tions pro­té­geant les condi­tions de tra­vail, mais elle ne sait pas géné­rer des emplois pour ceux qui ont payé ces choix par la sup­pres­sion de leur poste.

Nous vou­lons à la fois affi­cher une forte soli­da­ri­té, mais ne dai­gnons pas aider ceux qui en payent le coût. Notre contra­dic­tion admet deux solu­tions évi­dentes. La pre­mière est celle de la rup­ture : aller plus loin dans l’in­dif­fé­rence en renon­çant à la soli­da­ri­té. Mais il y a une autre voie, consis­tant à aller jus­qu’au bout de notre volon­té de soli­da­ri­té, en accom­pa­gnant davan­tage les deman­deurs, tout en créant les condi­tions du déve­lop­pe­ment des emplois adap­tés à leurs com­pé­tences – et, bien évi­dem­ment, au besoin de ceux qui devront ache­ter les pro­duits ou ser­vices qu’ils réaliseront.

Assumer le chômage et accompagner totalement

Nous pro­po­sons de doter tous les deman­deurs d’emploi d’un accès à une for­ma­tion et d’un véri­table sta­tut de cher­cheur d’emploi avec un » contrat d’é­vo­lu­tion » (signé avec un « employeur de der­nier res­sort »), d’un enca­dre­ment par un coach (qui aurait les moyens d’ai­der le cher­cheur dans sa démarche), et d’un reve­nu (supé­rieur au mon­tant actuel des allo­ca­tions chômage).

La recherche active d’emploi serait ain­si recon­nue, non pour » pro­fes­sion­na­li­ser le chô­mage « , mais, au contraire, pour per­mettre à cha­cun d’en sor­tir vite, et dans les meilleures condi­tions pos­sibles. Pense-t-on sérieu­se­ment que l’ou­vrier tex­tile licen­cié dans le Nord peut évo­luer seul vers un emploi de ser­vice, dans son dépar­te­ment ou ailleurs ?

Créer des emplois dans le secteur privé via l’employeur en dernier ressort

Dans la socié­té de mar­ché, la res­pon­sa­bi­li­té ultime de l’ab­sence de tra­vail revient à l’in­di­vi­du. Au Japon des sous-trai­tants de grands groupes accueillent ceux qui ne trouvent pas d’emploi. Dans le modèle danois, le sys­tème social fait en sorte de ne lais­ser per­sonne au bord du che­min. Tout sys­tème social com­prend un » employeur de der­nier res­sort « , qui reçoit ceux qui n’ont pas trou­vé d’emploi ailleurs.

Nous pro­po­sons de don­ner corps à cet employeur de der­nier res­sort qui, en France, n’est pas défi­ni. Tout au plus défi­nis­sons-nous un patch­work de reve­nus de der­nier res­sort – rien pour les jeunes, l’ASS pour les uns, le RMI pour les autres, des pré­re­traites pour d’autres encore, un « pla­card » pour d’autres encore. Au contraire, vou­loir la soli­da­ri­té en matière de chô­mage impose d’as­su­mer col­lec­ti­ve­ment le rôle d’employeur en der­nier ressort.

Nous pro­po­sons que cette res­pon­sa­bi­li­té incombe à une agence de bas­sin d’emplois, qui pour­rait délé­guer cette com­pé­tence aux struc­tures les plus adap­tées pour gérer ces risques : grou­pe­ments d’employeurs, entre­prises d’in­ser­tion par l’é­co­no­mique, créa­tions d’ac­ti­vi­té. Peu importe l’ou­til, pour­vu que le résul­tat soit là : la socié­té doit ces­ser de dire à 3 mil­lions de Fran­çais – et plu­tôt 5 mil­lions si l’on y regarde de près – qu’elle n’a pas de place pour eux, et qu’elle ne se sou­cie pas énor­mé­ment de leur en trou­ver une.

Il ne s’a­git pas de récréer des » ate­liers natio­naux » ou de » fonc­tion­na­ri­ser les deman­deurs « , mais, au contraire, de déve­lop­per un sys­tème de » droits à reclas­se­ment » qui soit une pas­se­relle vers l’emploi pri­vé. Béné­fi­cie­raient de ces droits ceux qui peuvent appor­ter leur contri­bu­tion au pro­blème fran­çais : créer les emplois dont nous avons besoin. Pour­raient ain­si se déve­lop­per des « fonds sociaux » qui seraient rému­né­rés pour le déve­lop­pe­ment d’ac­ti­vi­tés pour cher­cheurs d’emplois, à l’i­mage des expé­riences comme celle réa­li­sée par le groupe Arce­lor1, et à l’in­verse de ce que font les » fonds finan­ciers « , qui réa­lisent leurs béné­fices en recen­trant l’ac­ti­vi­té et en rédui­sant la masse salariale.

Cette réforme cla­ri­fie­rait la res­pon­sa­bi­li­té de la col­lec­ti­vi­té vis-à-vis du chô­mage : assu­rer que per­sonne ne reste en situa­tion de » chô­mage pas­sif « , et don­ner à cha­cun les moyens de réa­li­ser son évo­lu­tion pro­fes­sion­nelle, via la recherche active. Autre­ment dit, notre réforme conduit à sup­pri­mer le chômage.

Une réforme possible et nécessaire

Actuel­le­ment, le coût des poli­tiques de l’emploi est de 4,2% du PIB envi­ron. Le coût de la réforme que nous pro­po­sons serait au maxi­mum de 4 % du PIB, et net­te­ment moins en cas de mise en place progressive.

À peu près la moi­tié du pro­gramme que nous pro­po­sons pour­rait être finan­cée par redé­ploie­ment d’une par­tie de ces dépenses. Le solde repré­sente le mon­tant dont dis­pose toute majo­ri­té sur une légis­la­ture : il équi­vaut à peu près au coût des baisses d’im­pôt pro­mises dans le pro­gramme pré­si­den­tiel de l’ac­tuelle majo­ri­té. Notre pro­po­si­tion pose la ques­tion sui­vante : sommes-nous plus pres­sés de réduire notre taux de chô­mage, ou notre taux d’im­po­si­tion, sachant que la réduc­tion du pre­mier n’empêcherait pas de réduire ulté­rieu­re­ment le second ?

1. » Arce­lor pré­sente une expé­rience ori­gi­nale de recon­ver­sion « , Le Monde, 29 sep­tembre 2005.

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