À propos de l’article “Pour qui roulent les polytechniciens” de Marc Flender

Dossier : ExpressionsMagazine N°590 Décembre 2003
Par Max STELLMACHER (92)
Par Alain MATHIEU (57)

Sous le titre “Pour qui roulent les poly­tech­ni­ciens ?”, notre cama­rade Marc Flen­der, “homme tout ce qu’il y a de plus nor­mal”, a pub­lié dans le numéro de mai 2003 de La Jaune et la Rouge un arti­cle que l’on peut ain­si résumer : 

  • l’idée que “la libéral­i­sa­tion des échanges est néces­saire pour l’é­conomie et le développe­ment” est “choquante”, et non prouvée, 
  • dévelop­per l’e­sprit d’en­tre­prise des élèves de l’É­cole est de même “choquant”,
  • les maux de notre société (chô­mage, “flex­i­bil­ité du tra­vail”, iné­gal­ités, absence de “bon­heur” dans les entre­pris­es, etc.) prou­vent l’échec du “libéral­isme et de l’entreprise”, 
  • les poly­tech­ni­ciens doivent “par­ticiper à l’amélio­ra­tion du monde” en “s’en­gageant poli­tique­ment” dans les “mou­ve­ments qui défi­lent à Por­to Alegre”. 


Notre cama­rade fait appel à notre “ques­tion­nement sci­en­tifique” pour venir au sec­ours de ses idées. 

Sci­en­tifiques ou pas, les ques­tions suiv­antes méri­tent de lui être posées. 

1) La libéral­i­sa­tion des échanges est un fait incon­testable depuis cinquante ans : les con­tain­ers, mul­ti­pli­ant par 30 la pro­duc­tiv­ité du trans­port mar­itime, ren­dent les coûts de trans­port nég­lige­ables (de 2 à 5 % de la valeur des marchan­dis­es entre l’Eu­rope et l’Asie) ; les droits de douane sont passés en moyenne de 40 à 4 % du prix des pro­duits ; l’in­for­ma­tion et les paiements se trans­met­tent instan­ta­né­ment d’un bout du globe à l’autre. Le com­merce inter­na­tion­al s’est dévelop­pé deux fois plus vite que l’é­conomie mon­di­ale. Doit-on s’en plain­dre ? Les prix de nom­breux pro­duits et ser­vices, des voy­ages aux téléviseurs, n’ont-ils pas forte­ment bais­sé ? Com­ment expli­quer autrement que le pou­voir d’achat du SMIC horaire français ait été mul­ti­plié par trois depuis 1968, alors que le coût de nom­breux ser­vices a aug­men­té ? Presque toute l’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire la moitié des six mil­liards d’hommes, par­ticipe à cet accroisse­ment des échanges, et se développe rapi­de­ment : la con­som­ma­tion de 400 mil­lions de Chi­nois a crû de 16 % en 2002. Seuls sont en stag­na­tion, et res­teront dans la mis­ère, les 2 mil­liards d’hommes, dont 60 % de musul­mans, qui vivent dans des pays refu­sant cette libéral­i­sa­tion. Qui envie le sort des habi­tants du Myan­mar (Bir­manie), de la Corée du Nord, du Yémen, du Pak­istan, du Nige­ria ou du Zimbabwe ? 

2) Il est vrai que la spé­cial­i­sa­tion inter­na­tionale des pro­duc­tions, qu’ap­prou­ve notre cama­rade, crée des change­ments : les Français fab­riquent moins de tex­tile, et plus d’Air­bus ou de cos­mé­tiques ; ils vendent dans le monde entier des ser­vices d’as­sur­ances, d’eau, d’hô­tels et restau­rants, de clubs de vacances, d’in­térim, de com­merces ali­men­taires, etc., mais moins d’aci­er ou de bateaux. Si le chô­mage s’est accru en France, alors qu’il a dimin­ué aux États-Unis et dans la plu­part des autres pays européens, n’est-ce pas dû au fait que notre pays s’est adap­té à ces change­ments avec plus de dif­fi­culté que d’autres ? 

3) Cette dif­fi­culté d’adap­ta­tion n’est-elle pas causée par une excep­tion française : un quart des Français act­ifs, une pro­por­tion unique dans les pays non com­mu­nistes, sont fonc­tion­naires, employés à vie, et ne com­pren­nent donc pas qu’un change­ment d’emploi, ou un emploi tem­po­raire, n’est pas for­cé­ment syn­onyme de cat­a­stro­phe, mais au con­traire d’une expéri­ence sup­plé­men­taire, d’une chance nou­velle, d’une meilleure qual­i­fi­ca­tion ? Ces Français du secteur pub­lic, dont le puis­sant lob­by béné­fi­cie du sou­tien de médias sub­ven­tion­nés, sont accrochés à divers priv­ilèges, si bien qu’à l’in­verse des autres pays européens notre État pléthorique est inca­pable de se réformer. L’at­trac­tion du secteur pub­lic, et le poids de l’É­tat, expliquent que la France soit l’un des derniers pays pour la créa­tion d’en­tre­pris­es, en par­ti­c­uli­er par des diplômés de l’en­seigne­ment supérieur comme les poly­tech­ni­ciens. N’est-il donc pas par­ti­c­ulière­ment souhaitable de dévelop­per l’e­sprit d’en­tre­prise de ces derniers ? La créa­tion d’en­tre­pris­es à fort poten­tiel n’est-elle pas la meilleure solu­tion au chômage ? 

4) La France est le seul pays dont un dirigeant poli­tique majeur a, longtemps après le rap­port Khrouchtchev, jugé ” glob­ale­ment pos­i­tive ” l’ex­péri­ence com­mu­niste, le seul pays où les idées marx­istes sont restées dom­i­nantes dans les médias, et où les orphe­lins du ” par­adis sovié­tique ” se sont recon­ver­tis avec autant de con­vic­tion, faute de meilleure cause, dans l’an­ti­mon­di­al­i­sa­tion. Quand il n’est pas en prison pour ” démon­tage ” d’un Mac Don­ald’s ou saccage d’ex­péri­men­ta­tions agri­coles, José Bové est un de nos pro­duits d’ex­por­ta­tion les plus con­nus. Nos dif­fi­cultés d’adap­ta­tion à la mon­di­al­i­sa­tion ne sont-elles pas dues large­ment à la pro­pa­gande anti­mon­di­al­iste, qui s’op­pose aux change­ments et réformes néces­saires pour prospér­er dans une com­péti­tion dev­enue mon­di­ale ? Faut-il vrai­ment aider José Bové ? 

En con­clu­sion, notre cama­rade n’est-il pas vic­time de la pen­sée dom­i­nante française, véhiculée tant par les médias que par la plus grande par­tie de la classe poli­tique, qui refuse l’adap­ta­tion de notre pays à une mon­di­al­i­sa­tion inéluctable, et qui est ain­si le prin­ci­pal respon­s­able du déclin lent, mais pas fatal, de notre pays ? 

Un poly­tech­ni­cien tout à fait nor­mal, et favor­able au progrès. 

Alain MATHIEU (57)


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En réponse à l’ar­ti­cle ” Pour qui roulent les poly­tech­ni­ciens ” je voudrais juste dire ceci : il est facile et de bon ton de cri­ti­quer la pen­sée unique des poly­tech­ni­ciens. La méth­ode est sim­ple : l’a­mal­game et l’anecdote. 

Le libéral­isme est le pire des sys­tèmes à l’ex­cep­tion de tous les autres. Donc quand je dis le pire c’est bien qu’il n’est pas par­fait. Mais les ten­ants de la ” pen­sée unique ” sont juste ceux qui pensent que jusqu’à présent aucun sys­tème n’est meilleur. 

D’où vient cette cer­ti­tude ? Eh bien, con­traire­ment à ce que dit Marc Flen­der, il y a eu des expéri­ences. Et même deux par­ti­c­ulière­ment intéres­santes : l’Alle­magne et la Corée. 

On part de deux pays avec la même cul­ture le même point de départ, puis on com­pare cinquante ans après. Sans commentaire ! 

Deux­ième source de cer­ti­tude : les pays qui con­nais­sent le libéral­isme ont résolu le prob­lème n° 1 de l’hu­man­ité depuis son orig­ine : manger. Le libéral­isme crée telle­ment de richesse que main­tenant le prob­lème des class­es moyennes et pop­u­laires des États-Unis c’est l’obésité. Quelqu’un aurait fait cette pré­dic­tion il y a cent ans on l’au­rait pris pour un fou ! Ceci n’ex­is­tait que dans les rêves des social­istes utopistes de la fin du xixe siè­cle. Bien sûr le sys­tème est iné­gal­i­taire, mais pas dans le sens vais-je manger ou pas mais vais-je avoir une ou deux voitures… Ici je voudrais juste ajouter que nous faire croire que notre richesse viendrait d’un trans­fert des autres pays (exploita­tion) serait une stu­pid­ité facile à nier. 

Voilà ce qui nous ren­force dans l’idée que c’est le meilleur sys­tème. Mais le meilleur ne veut pas dire par­fait, et c’est sur cette nuance que les alter­mon­di­al­istes attaque­nt ce sys­tème. Ici on retrou­ve l’a­mal­game (si le chô­mage n’a pas bais­sé en France et en Alle­magne, au con­traire de ce que dit Marc Flen­der, il a dis­paru en Hol­lande, Irlande, Suède… pas que des pays au libéral­isme sauvage), l’anec­dote : la crise de l’Ar­gen­tine est-elle la crise du libéral­isme ou juste d’un sys­tème cor­rompu par le péro­nisme, la crise asi­a­tique doit-elle mas­quer le bond en avant des nou­veaux drag­ons, l’échec de la pri­vati­sa­tion du chemin de fer au Roy­aume-Uni doit-elle faire oubli­er que les com­pag­nies aéri­ennes, l’œil vis­sé sur les prof­its, arrivent néan­moins à garan­tir un sys­tème fiable ou enfin pourquoi crain­dre que la livrai­son de l’élec­tric­ité soit privée alors que per­son­ne ne s’in­ter­roge pourquoi celle de l’eau l’est depuis plus de cent ans ? 

Les alter­mon­di­al­istes ne nous livrent pas d’é­tude com­par­a­tive mais juste un cat­a­logue de ce qui ne va pas. Comme je l’ai déjà dit, meilleur ne veut pas dire par­fait et il est nor­mal que l’on réfléchisse à com­ment l’amélior­er. Les alter­mon­di­al­istes purs (ceux qui ne veu­lent pas de réformes mais un réel change­ment, une rup­ture) n’ont par con­tre tou­jours pas pro­posé un sys­tème meilleur que l’on com­par­erait de façon glob­ale et non pas par la lorgnette de deux ou trois anec­dotes. De plus “les activistes d’un autre mes­sage” ne nous ont tou­jours pas expliqué pourquoi ils ne se tromperaient plus comme ils se sont trompés il y vingt-trente ans du temps où ils étaient maoïstes, cas­tristes, etc. 

Enfin on peut se pos­er la ques­tion du décalage entre la per­cep­tion des élites et des représen­tants de la “France d’en bas”. 

Pour mieux com­pren­dre ce décalage je pro­poserai une expéri­ence : pos­er autour de soi la ques­tion suiv­ante : “La vie était-elle plus saine autrefois ?” 

“La France d’en bas” risque de te répon­dre oui : c’é­tait mieux avant… Pas de vache folle, pas de pol­lu­tion, d’al­lergie, pas de mal bouffe, ni d’OGM, sans compter le risque de can­cer dû aux antennes des porta­bles, au nucléaire, etc., tous ces prob­lèmes graves qu’­analy­sent de façon non sat­is­faisante les experts écrivant dans La Jaune et La Rouge (Fais donc l’ex­péri­ence autour de toi cher Marc). 

Le poly­tech­ni­cien stu­pide risque lui de pren­dre les chiffres de l’e­spérance de vie, de voir que nous vivons trois mois de plus par an et donc de con­clure NON la vie est plus saine aujourd’hui. 

Qui a rai­son ? Doit-on mourir à 60 ans en pleine san­té ou à 80 ans malade ? N’est-ce pas là l’il­lus­tra­tion du mode opéra­toire de cette magie ? 

Max STELLMACHER (92)

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