Courrier des lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°591 Janvier 2004Par : Denis OULÈS (64) et François GIBERT (70)

À propos de l’article de Marc Flender intitulé ” Pour qui roulent les polytechniciens ? ” !

À propos de l’article de Marc Flender intitulé ” Pour qui roulent les polytechniciens ? ” !

Sen­si­ble aux ” libres pro­pos ” exprimés par notre jeune cama­rade Marc Flen­der dans le numéro de mai 2003, j’avais l’in­ten­tion de lui répon­dre : non pas parce que mon engage­ment pour la créa­tion d’en­tre­pris­es avec XMP-Entre­pre­neur était implicite­ment mis en cause dans son arti­cle (cf. mon arti­cle ” Osons l’es­saim­age ! ” pages 36 et 37 du numéro d’avril sur le thème ” Créer des entre­pris­es ”), mais parce qu’il pose de bonnes ques­tions, et que les com­men­taires dont il les accom­pa­gne sont par­fois mal­adroits, masquant mal quelques préjugés, mais illus­trent sou­vent fort à pro­pos des inter­ro­ga­tions hygiénistes.

J’avais caressé l’in­ten­tion de vous écrire pour l’en­cour­ager dans l’ou­ver­ture d’un tel débat, en lui don­nant quelques con­seils de tolérance et de crédit d’intention…

Quelle n’a pas été ma sur­prise en lisant la réponse de Lionel Stoléru dans le numéro d’août/septembre, puis de Gérard Dréan dans le numéro d’octobre !

Lionel, dois-je me présen­ter comme tu le fais (je suis fils de paysans très pau­vres des monts de Lacaune entre Maza­met et Lodève, ori­en­té par un pro­fesseur com­mu­niste et fils de mineurs de Car­maux, vers la pré­pa­ra­tion du con­cours d’en­trée à Poly­tech­nique dont mes par­ents igno­raient l’ex­is­tence…) pour te dire com­bi­en je suis éton­né par le ton de ta réponse à Marc ?

Je ne partage pas tes cer­ti­tudes parce que, à l’échelle des mil­lé­naires (la vision philosophique de l’hu­man­ité il y a deux mille cinq cents ans était déjà très com­plète, avec les Égyp­tiens Imhotep et Ptah­hotep, Socrate et ses dis­ci­ples grecs, Con­fu­cius et ses élèves asi­a­tiques…), rien ne per­met d’af­firmer que le sys­tème économique libéral con­tem­po­rain, lui-même enrichi par le droit con­cur­ren­tiel européen en con­struc­tion (que je défends) sera dans quelques siè­cles le sys­tème qui béné­ficiera de la recon­nais­sance de nos descen­dants. Je ne partage pas, Lionel, ton refus de l’in­vi­ta­tion au débat de Marc en lim­i­tant au com­mu­nisme l’al­ter­na­tive au libéral­isme : tu as bien invité Jacques Nikonoff, prési­dent du mou­ve­ment Attac dans un de tes récents petits-déjeuners !

Gérard, j’ai appré­cié ta volon­té péd­a­gogique exprimée dans un texte très long : mais com­ment peux-tu espér­er con­va­in­cre en agres­sant ton inter­locu­teur dès le pre­mier para­graphe ? Un pro­fesseur ne doit- il pas aimer les qual­ités de son élève pour lui com­mu­ni­quer son ent­hou­si­asme ? Franche­ment : Marc n’est pas inculte en économie ! Et je me demande si mes trois aînés de mes six enfants (dont l’un est cama­rade de pro­mo à l’X de Marc) m’au­raient écouté si je leur avais tenu ton dis­cours ! Recon­nais Gérard que (Dieu mer­ci !) la richesse des rela­tions entre les humains et tout ce qui fait notre attache­ment à notre vie d’hommes et de femmes ne reposent pas que sur l’é­conomie ; et tout ce qui a fait pro­gress­er l’hu­man­ité dans les mil­lé­naires préc­ités n’est pas redev­able à l’entreprise !

Sachons, Lionel, Gérard, Mon­sieur le rédac­teur en chef, faire preuve de tolérance, ouver­ture d’e­sprit et sens du dia­logue en accueil­lant dans notre revue (qui est celle de tous les anciens élèves de l’É­cole poly­tech­nique) les pro­pos de Marc et de ceux qui comme lui, comme moi par­fois, se posent des ques­tions de bon sens et cherchent des répons­es qui ne sont pas celles d’une idéolo­gie, sans pour autant renier leurs orig­ines et la recon­nais­sance au sys­tème édu­catif ou socié­tal qui leur a per­mis d’ac­quérir une con­science nou­velle et une cer­taine matu­rité. Pra­tiquons le doute con­struc­tif si cher à Spin­oza, et dialoguons…

Denis OULÈS (64)

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Libéralisme

Recon­nais­sons à notre jeune cama­rade le mérite d’avoir courageuse­ment ouvert ou réou­vert un débat. Les pre­mières réac­tions de nos cama­rades Lionel Stoléru et Gérard Dréan mon­trent à l’év­i­dence que les ques­tions posées touchent le cœur du sys­tème de pen­sée de cha­cun. Dans la mesure où leurs répons­es, tein­tées de répro­ba­tion, ne me parais­sent pas répon­dre suff­isam­ment à son inter­ro­ga­tion sur ” le libéral­isme économique “, je pro­pose cette réflexion.

D’abord, afin d’é­clair­er le lecteur sur mes pré­sup­posés (cha­cun est forte­ment influ­encé par sa pro­pre his­toire), je vous pro­pose de me présen­ter (X pro­mo 70), avant de ren­tr­er dans le vif du sujet.

A) Chercheur et entrepreneur

Mon père était auto­di­dacte . Il a démar­ré une imprimerie après la guerre, avec sa mère, pour la porter trente ans plus tard à 400 per­son­nes ; man­quant de fonds pro­pres, cette PME n’a pas survécu à la crise de 1973 et a été rachetée par un groupe qui la fait tou­jours fonc­tion­ner pour le bien de ses clients, salariés et action­naires. Après l’X, je n’ai eu de cesse de vouloir com­pren­dre l’é­conomie, ses règles, sa jus­tice ; ce désir était à la fois motivé par une inter­ro­ga­tion sur le sys­tème (j’ai par­ticipé à la con­tes­ta­tion soix­ante-huitarde) et un pro­fond besoin de com­pren­dre ce pour quoi mon père s’é­tait bat­tu toute sa vie.

Un doc­tor­at d’é­conomie à Paris Dauphine, une thèse sur ” les com­porte­ments d’en­tre­prise et l’in­fla­tion ” (c’é­tait le sujet de l’époque !) et un tra­vail dans un cen­tre de recherche socioé­conomique m’ont ain­si per­mis de beau­coup débat­tre tant avec les libéraux, très minori­taires à l’époque, qu’avec les écon­o­mistes keynésiens ou marx­istes qui étaient intel­lectuelle­ment dom­i­nants . J’ai aus­si enseigné l’é­conomie moné­taire inter­na­tionale à Paris Dauphine.

Ensuite l’atavisme famil­ial et le besoin d’ac­tion con­crète ont repris le dessus, et j’ai mené une car­rière dans l’in­dus­trie et le privé : DAF dans une entre­prise tex­tile de 200 per­son­nes ; con­sul­tant dans une société de développe­ment région­al, directeur d’une PME de la métal­lurgie (250 per­son­nes) forte­ment expor­ta­trice, puis directeur et action­naire dans un groupe de PME d’équipements agroal­i­men­taires. En résumé : 6 ans dans l’en­seigne­ment et la recherche, 23 ans dans l’in­dus­trie, (dont 18 comme DG ou PDG).

J’ai vécu con­crète­ment à un niveau microé­conomique un bon nom­bre de prob­lèmes de développe­ment et de pou­voir : crises con­jonc­turelles, délo­cal­i­sa­tion d’emplois tex­tiles, licen­ciements et sauve­g­arde d’outils de tra­vail, choix entre pol­lu­tion ou délo­cal­i­sa­tion (déjà !), pris­es de pou­voir par de nou­veaux action­naires ayant des objec­tifs rad­i­cale­ment dif­férents des précé­dents, influ­ence gran­dis­sante du pou­voir financier à la fin des années qua­tre-vingt (qui pou­vait se traduire par des appétits de ren­de­ment de 25 %). Qu’ai-je vu ou fait ?

  • J’ai con­staté con­crète­ment les effets posi­tifs des ori­en­ta­tions européennes qui ont per­mis à des pays de la périphérie, Por­tu­gal, Irlande et dans une moin­dre mesure Grèce, de rat­trap­er rapi­de­ment nos niveaux de développe­ment ; j’ai été tout aus­si exas­péré par les excès de bureau­cratie de Brux­elles : règle­ments et con­traintes tatil­lons ou inutiles, inter­prétés avec un zèle bureau­cra­tique en France alors que l’Es­pagne, l’I­tal­ie ou les Pays-Bas pra­ti­quaient un lax­isme fort opportun.
  • J’ai vécu comme une anom­alie (une aber­ra­tion ?) les péri­odes pas si loin­taines où l’on gag­nait plus en plaçant sans risque sa tré­sorerie à 12 % qu’en investis­sant pour pré­par­er l’avenir.
  • J’ai été ulcéré par le cor­po­ratisme de cer­taines pro­fes­sions, le plus sou­vent les plus pro­tégées par un statut monop­o­lis­tique, ou par un État fort peu économe des prélève­ments qu’il fait sup­port­er aux autres et notam­ment aux plus laborieux. Le plus choquant dans le débat sur les retraites des qua­tre dernières années, c’est la décon­cer­tante facil­ité avec laque­lle on a évac­ué le sujet de ” qui va pay­er ? “, préférant laiss­er aux autres ou à la généra­tion suiv­ante le soin de régler la note.
  • Plus récem­ment, (et ce n’est déjà plus à la mode !), j’ai été sérieuse­ment mobil­isé par les 35 heures dans la mesure où il y avait, du moins à l’o­rig­ine, un vrai débat sur des choix entre du revenu (pour les salariés) et la pos­si­bil­ité de créer col­lec­tive­ment de l’emploi, tout en don­nant plus de disponi­bil­ités et de sou­p­lesse à notre ser­vice clients. Nous l’avons d’ailleurs mis en œuvre à l’is­su de débats très con­struc­tifs dans des entre­pris­es que je dirige avec un résul­tat jugé glob­ale­ment posi­tif par les clients, les salariés et les actionnaires !
  • Durant ces années, j’ai entre­pris, réal­isé, ai essuyé des échecs, ai réus­si ; j’ai beau­coup recruté et fait aus­si des plans de licen­ciement, comme un entre­pre­neur, un patron dont je revendique le rôle !
     

Mais curieuse­ment, ma cul­ture macroé­conomique m’a beau­coup aidé et éclairé dans ce méti­er de petit patron, ” les pieds dans la glaise “.

B) En quoi ceci est-il susceptible de poursuivre le débat lancé par notre jeune camarade ?

Je retiens quelques idées-forces que je vous livre :

1. Nos choix économiques ne sont ni déter­minés ni neu­tres : nous sommes des acteurs économiques pos­sé­dant plus ou moins de pou­voir ; devant des choix, des con­traintes, nous faisons des arbi­trages, des com­pro­mis, et j’a­jouterais que notre per­cep­tion du temps est déter­mi­nante dans ces choix ; il n’ex­iste pas une seule voie déter­minée par des lois économiques, mais de mul­ti­ples chemins de développe­ment et de créa­tion ; ils dif­fèrent selon les options (et con­traintes) de cha­cun : ils priv­ilégient le court terme ou le long terme, ils respectent plus ou moins les hommes, l’en­vi­ron­nement ou le sim­ple droit.

2. Les théories économiques sont faibles pour anticiper la réal­ité : elles ont sou­vent recours à une mod­éli­sa­tion très pri­maire des com­porte­ments des acteurs soci­aux ; elles ont donc beau­coup de mal à prévoir les crises. Il n’empêche que leurs éclairages sont utiles et intéres­sants dans un monde de plus en plus inter­dépen­dant. Ain­si lorsque Schum­peter, un grand défenseur de l’é­conomie libérale, décrit le cap­i­tal­isme comme une ” destruc­tion créa­trice “, et se révèle proche de cer­taines analy­ses de Marx sur l’o­rig­ine des crises du cap­i­tal­isme, il y a matière à réflex­ion ; lire en par­ti­c­uli­er les pas­sages sur les péri­odes de surac­cu­mu­la­tion moné­taire qui néces­si­tent des déval­ori­sa­tions pour que le sys­tème vive (baisse bour­sière, fail­lite, etc.). Même si c’est sou­vent a pos­te­ri­ori, ces théories per­me­t­tent d’analyser les enchaîne­ments de crise et nous oblig­ent à s’in­ter­roger sur les fonde­ments d’une société : son rythme d’ac­cu­mu­la­tion glob­al, indi­vidu­el, sur la rente qui demeure ou pas der­rière cette accumulation.

3. Il est abusif de présen­ter l’é­conomie libérale comme ” un pack­age “, où tout doit être pris et accep­té en bloc sans exa­m­en : le marché des biens ou ser­vices, la libre cir­cu­la­tion de tous les cap­i­taux, la créa­tion moné­taire et sa régu­la­tion par une autorité dite non poli­tique (qui ne se préoc­cu­perait que des taux d’in­térêts et de l’in­fla­tion), les règles d’échange (en Bourse ou pas) de biens éminem­ment com­plex­es et par nature peu liq­uides que sont les entre­pris­es et les hommes qui les font vivre.

4. Et pour­tant, l’é­conomie de marché pos­sède une grande qual­ité, qui l’a ren­due supérieure aux autres : ” elle inscrit dans ses principes des notions de lib­erté économique “.

Toute­fois ses pro­pres défenseurs soulig­nent que cette organ­i­sa­tion n’a de fonde­ment et de jus­ti­fi­ca­tion que si l’on exclut les sit­u­a­tions de mono­pole ou de posi­tion dom­i­nante ; ces mêmes principes sont d’ailleurs con­tenus dans les textes des lois améri­caines ou européennes, et sont applic­a­bles à tous, aux petits (PME, petits pays), comme aux grands… ! en théorie du moins, car les dom­i­nants ont sou­vent de bonnes raisons pour ne pas se les appli­quer à eux. La réal­ité est donc très loin du principe de ce marché libre et l’on observe des rela­tions de dépen­dance durable entretenue : le con­trôle des richess­es minières ou pétrolières d’un pays, par exem­ple. Aus­si, dans un dis­cours libéral, me paraît-il très impor­tant de déploy­er la même énergie à défendre la lib­erté économique qu’à dénon­cer les abus de posi­tions dominantes.

5. L’é­conomie libérale de marché a absol­u­ment besoin d’un État…

Si le mod­èle libéral a des ver­tus autorégu­la­tri­ces poten­tielles pro­pres, son appli­ca­tion ne peut se résumer à la lib­erté ” du loup dans la berg­erie “, il faut des con­tre-pou­voirs indépen­dants et forts qui garan­tis­sent l’au­tonomie des indi­vidus et des groupes soci­aux. Comme ces con­tre-pou­voirs ont besoin de moyens pour exis­ter, on arrive à la néces­sité d’un État de droit qui garan­tisse leur exis­tence ; or, l’É­tat est en crise, en France en par­ti­c­uli­er : il est perçu par la grande majorité de nos conci­toyens comme ayant été détourné au prof­it immé­di­at de cer­tains : soit par nos dirigeants actuels ou passés qui ont con­fon­du la caisse de l’É­tat avec leur poche, soit aus­si par ses pro­pres salariés, dont les com­porte­ments par­fois unique­ment cen­trés sur la préser­va­tion de leurs acquis leur font oubli­er leur mission.

Comme il n’ex­iste pas de marché autorégu­la­teur pour l’É­tat, ses ressor­tis­sants peu­vent pra­ti­quer durant de longues années l’abus de posi­tion dom­i­nante et devenir un boulet à la charge des autres.

L’é­tat doit donc redéfinir ses mis­sions pre­mières… et aban­don­ner les autres.

En économie libérale, à hori­zon nation­al, l’his­toire et l’ex­péri­ence lui en ont assigné au moins trois :

  • faire respecter les règles du jeu économique de marché (con­cur­rence, abus de posi­tion), garan­tir l’ex­is­tence de con­tre-pou­voirs, en étant au-dessus des intérêts particuliers,
  • s’oc­cu­per du long terme qui n’est jamais bien pris en charge par l’ho­mo eco­nom­i­cus isolé : recherche fon­da­men­tale, infra­struc­tures, moyens de com­mu­ni­ca­tion, édu­ca­tion, défense…
  • enfin, et ce n’est pas la moin­dre mis­sion, réguler à l’aide des instru­ments macroé­conomiques adéquats les crises de demande, mais aus­si de surac­cu­mu­la­tion, qui peu­vent blo­quer une économie. (Je pense d’ailleurs que la réflex­ion économique a tou­jours été faible sur ces thèmes ; en par­ti­c­uli­er si le développe­ment économique a besoin d’ac­cu­mu­la­tion, la con­cen­tra­tion des pou­voirs économiques qui en résulte néces­site sans cesse de ren­forcer les règles du jeu pour éviter les abus de posi­tion dom­i­nante et faire fonc­tion­ner l’é­conomie de marché.)
     

6. Une économie mondiale

Toute­fois, cette vision sur la néces­sité d’un État nation­al, qui inspire encore nos cadres de pen­sée, devient dépassée : la glob­al­i­sa­tion, la mon­di­al­i­sa­tion de l’é­conomie avance à marche for­cée, et nous ne savons pas la traiter. Ce n’est pas que le phénomène soit neuf, mais cela touche beau­coup plus de monde qui en vit les con­séquences tous les jours : nous avons les moyens d’of­frir à des coûts imbat­ta­bles des mon­tagnes de cadeaux à nos enfants, petits-enfants, parce qu’ils sont fab­riqués en Chine ! La moin­dre PME se doit d’ex­am­in­er ses appro­vi­sion­nements au niveau européen ou mon­di­al, et son marché est sou­vent occupé par des entre­pris­es qui vien­nent de plus en plus loin et raison­nent en con­sid­érant la planète comme leur ter­rain de jeu !

Qui va faire respecter les règles du jeu ? Qui va assur­er les con­tre-pou­voirs aux posi­tions dom­i­nantes au niveau mon­di­al ? Qui va réguler la macroé­conomie mon­di­ale ? Ces ques­tions sont impor­tantes, con­crètes, essen­tielles à l’avenir de notre com­mu­nauté plané­taire et partagées par beau­coup, comme en témoigne d’ailleurs l’é­cho sus­cité par les ren­con­tres altermondialistes.

Les mêmes ques­tions que nous nous posions sur la mis­sion de l’É­tat se posent donc au niveau mondial.

  • Les règles du marché : les ques­tions débattues à l’OMC sont cru­ciales, pro­tec­tion ou pas d’une agri­cul­ture locale, sub­ven­tion aux agricul­teurs et dans quelle lim­ite ? Qui édicte le droit et fait respecter les règles ? Suf­fit-il de déclar­er que l’échange doit être ouvert et libre de tax­es ? Non, pas plus ici qu’au niveau d’un État, et sans doute encore moins au niveau mon­di­al, du fait des dif­férences de développe­ment et de cul­ture. Il est donc tout à fait com­préhen­si­ble qu’un groupe social ou un pays cherchent à se pro­téger si les règles du jeu économiques lui sont défa­vor­ables, en par­ti­c­uli­er si les con­tre-pou­voirs de cette économie libre n’ex­is­tent pas, ou qu’il n’y a pas accès !
  • Le développe­ment à long terme, appelé aus­si développe­ment durable : il sup­pose des plans ” Mar­shall “, des redis­tri­b­u­tions, des prélève­ments de richesse sur les plus rich­es au prof­it d’in­vestisse­ment d’in­fra­struc­tures pour ceux qui ont moins. Qui ? Et comment ?
  • La régu­la­tion mon­di­ale : pou­voir d’émis­sion de la mon­naie, d’ac­cu­mu­la­tion, de trans­mis­sion de pat­ri­moine, etc. Le prob­lème ne se lim­ite pas à la préémi­nence d’un dol­lar sur l’eu­ro ou le yen, mais à la ges­tion des crises mon­di­ales. Qui ? Com­ment ? Cha­cun sent bien con­fusé­ment que ceci ne peut être lais­sé au libre arbi­tre de l’é­conomie dom­i­nante, (cette per­cep­tion vient du fait que nous sommes cette fois en sit­u­a­tion de dom­inés, dépen­dants de cette économie dom­i­nante) ; cette per­cep­tion d’in­jus­tice est de même nature que celle ressen­tie par les plus faibles de notre société française qui paient le prix fort des restruc­tura­tions économiques.
     

La ten­ta­tion existe de rejeter l’é­conomique (l’hor­reur économique ?) et de dénon­cer la mon­di­al­i­sa­tion. Mais, si nous en restons au niveau de l’in­can­ta­tion, cela ne sert stricte­ment à rien, parce que notre vie de tous les jours est le pro­duit de ces échanges économiques, de l’ac­cu­mu­la­tion passée et des gains de pro­duc­tiv­ité, fruit de cette divi­sion du tra­vail au niveau mon­di­al ; il n’est pas ques­tion de dén­i­gr­er tout ce que beau­coup d’en­tre nous ont déjà gag­né à ce jeu mon­di­al. Nous ne pou­vons pas oubli­er les siè­cles d’ef­fort pour attein­dre ce niveau de développe­ment et nous le devons aux généra­tions précé­dentes (et pas seule­ment ceux qui nous lèguent un pat­ri­moine de biens).

Sans rejeter le pro­grès des forces pro­duc­tives, nous ressen­tons le besoin de cadres, de règles…

C) L’économie, c’est du politique !

Con­stru­ire des cadres et des règles du jeu, au niveau mon­di­al, est une tâche gigan­tesque et dif­fi­cile ; il y fau­dra encore des généra­tions, et l’his­toire nous réserve sans doute bien des sur­pris­es ; il n’est pas ques­tion d’être naïf, en faisant abstrac­tion des rap­ports de force actuels ; mais c’est bien le cœur du prob­lème posé : l’é­conomie est faite de rap­ports de force, de pou­voirs, de dom­i­na­tions.

Le mod­èle libéral ne sera donc jamais une réponse apoli­tique à ces ques­tions. L’é­conomie libérale est au mieux un mode d’échanges, effi­cace, décen­tral­isé, par­fois équitable et même pacifi­ca­teur (mais pas néces­saire­ment) et c’est déjà pas mal ! Ne lui en deman­dons pas plus !

L’idéolo­gie libérale, quant à elle, ne se jus­ti­fie que s’il existe des con­tre-pou­voirs, des autorités régu­la­tri­ces, des choix de pri­or­ités, (et j’a­joute, car c’est ma con­vic­tion, des règles du jeu sur l’ac­cu­mu­la­tion et la rente). Ces règles du jeu sont en per­ma­nence à con­stru­ire, au niveau local, nation­al ou mon­di­al. C’est tout l’in­térêt…, et la dif­fi­culté du débat politique !

Je crois donc qu’il est tou­jours sain de s’in­ter­roger régulière­ment pour qui ou pour quoi nous roulons ! 

François GIBERT (70)

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