Réponses à Maurice Allais : Discussion des expériences de Miller

Dossier : ExpressionsMagazine N°524 Avril 1997Par : Christian Marchal (58) et Nathalie DERUELLE

Discussion des expériences de Miller
N° 517 août-septembre 1996

1 – Le principe de l’expérience de Michelson

Une source lumi­neuse S envoie des rayons sur la lame semi-trans­pa­rente L (figure 1).

Une par­tie de ces rayons conti­nue vers le miroir M1, revient et est réflé­chie vers l’écran E. Une autre par­tie est réflé­chie vers le miroir M2, revient et conti­nue vers E. Ces deux ensembles de rayons inter­fèrent sur l’écran E où l’on constate effec­ti­ve­ment la pré­sence de franges d’interférences EM1 per­pen­di­cu­laires au plan de la figure 1.

Le prin­cipe de l’ex­pé­rience de Michelson

Au XIXe siècle on pense que la lumière se pro­page par les vibra­tions d’un milieu très sub­til et très léger : l’éther qui rem­plit tout l’univers, un peu comme le son se pro­page par les vibra­tions de l’air, du sol ou de l’eau.

Bien enten­du les corps opaques ont la pro­prié­té d’éteindre ces vibra­tions et les corps trans­pa­rents les laissent pas­ser, avec une vitesse moindre tou­te­fois et avec un cer­tain entraî­ne­ment de l’éther mesu­rés par les expé­riences de Fres­nel, Fizeau, Fou­cault, Airy.

Dans ces condi­tions il est natu­rel de se deman­der qu’elle est la vitesse “ abso­lue ” de la Terre, c’est-à-dire sa vitesse par rap­port à l’éther.

L’idée de Max­well et de Michel­son est la suivante :

Si le bras SM1 est orien­té dans le sens du mou­ve­ment de la Terre et le bras EM2 dans le sens per­pen­di­cu­laire ce der­nier est avan­ta­gé exac­te­ment comme un nageur qui fait un aller retour de 20 m per­pen­di­cu­lai­re­ment au cou­rant de la rivière est avan­ta­gé par rap­port au nageur qui par­coure la même dis­tance aller retour dans le lit du courant.

En effec­tuant alors une rota­tion de 90° de l’ensemble de l’interféromètre on trans­fère l’avantage au bras SM1 et l’on doit donc consta­ter un dépla­ce­ment appro­prié des franges d’interférence sur l’écran E. L’ampleur du dépla­ce­ment per­met­tra de connaître la vitesse “ abso­lue ” de la Terre.

2 – Les expériences

La pre­mière expé­rience d’Albert Michel­son en 1881 n’est pas concluante aus­si recom­mence-t- il en 1887 avec l’aide d’Edward Mor­ley mais le dépla­ce­ment des franges obte­nu n’est pas le dixième de celui qui cor­res­pon­drait au 30 km/s de la vitesse orbi­tale de la Terre ; c’est décourageant.

Ce résul­tat néga­tif va inci­ter indé­pen­dam­ment Lorentz et Fitz­ge­rald à pro­po­ser la “ contrac­tion de Lorentz-Fitz­ge­rald ” : le vent d’éther pro­voque une contrac­tion lon­gi­tu­di­nale des objets dans le rap­port qui convient soit :

où V est la vitesse de l’objet étu­dié et c celle de la lumière.

Cette contrac­tion bien sur­pre­nante et faite pour les besoins de la cause a un côté “ coup de pouce ” qui déplaît à Hen­ri Poin­ca­ré. La cor­res­pon­dance qu’il échange avec Lorentz sur ce sujet pen­dant près de dix ans le conduit à :

A) Renon­cer au temps abso­lu, à l’espace abso­lu, à l’éther (La Science et l’Hypothèse, 1902).

B) Énon­cer le “ Prin­cipe de Relativité ”.

Les lois des phé­no­mènes phy­siques doivent être les mêmes pour un obser­va­teur fixe et pour un obser­va­teur entraî­né dans un mou­ve­ment rec­ti­ligne et uni­forme de sorte que nous n’avons et ne pou­vons avoir aucun moyen de dis­cer­ner si nous sommes oui ou non entraî­nés dans un pareil mou­ve­ment.

Au congrès scien­ti­fique mon­dial de Saint-Louis (Mis­sou­ri, sep­tembre 1904) Hen­ri Poin­ca­ré consacre la majeure par­tie de sa confé­rence véri­ta­ble­ment his­to­rique à la pré­sen­ta­tion et à la défense de ce principe.

C) Quelques mois plus tard Poin­ca­ré éta­blit que le Prin­cipe de Rela­ti­vi­té conduit à la trans­for­ma­tion de coor­don­nées qu’il bap­tise “ Trans­for­ma­tion de Lorentz ”, laquelle a la pro­prié­té de conser­ver les équa­tions de Max­well et explique très sim­ple­ment la contrac­tion de Lorentz-Fitz­ge­rald : c’est un effet de pers­pec­tive lié à une “ rota­tion dans l’espace-temps ”, c’est-à-dire à la mise en route d’un objet, et tout à fait ana­logue aux effets de pers­pec­tive que l’on constate pour les rota­tions ordi­naires dans l’espace.

Les fon­de­ments de la Rela­ti­vi­té sont ain­si établis.*

Il convient cepen­dant de véri­fier avec plus de pré­ci­sion les résul­tats de Michel­son et Mor­ley et d’en tirer tout le par­ti pos­sible. Au congrès de phy­sique de Paris (1900) Lord Kel­vin lance un appel pres­sant dans ce sens, appel qu’Edward Mor­ley et son col­la­bo­ra­teur Day­ton Mil­ler décident de relever.

De 1902 à 1906 Mor­ley et Mil­ler, puis de 1921 à 1926 Mil­ler seul, iront de per­fec­tion­ne­ments en per­fec­tion­ne­ments. Ils allon­ge­ront les bras de leur inter­fé­ro­mètre et mul­ti­plie­ront les aller retour pour aug­men­ter la sen­si­bi­li­té. Ils pas­se­ront d’une struc­ture de bois et de grès, à l’acier et au béton, le tout flot­tant sur un bain de mer­cure pour obte­nir une rota­tion impec­cable. Ils sur­veille­ront l’influence de la tem­pé­ra­ture, de la pres­sion, du champ magné­tique ter­restre, du vent. Ils recom­men­ce­ront l’expérience en divers lieux (Cle­ve­land, mont Wil­son), à diverses heures et sai­sons. Ils accu­mu­le­ront plu­sieurs cen­taines de mil­liers de mesures selon un pro­to­cole très strict.

En défi­ni­tive Mil­ler pour­ra pro­cla­mer que, même s’il n’obtient pas le mou­ve­ment abso­lu de la Terre, il obtient tout de même des résul­tats inté­res­sants en désac­cord avec la théo­rie de la Relativité.

Pen­dant ce temps d’autres expé­ri­men­ta­teurs pro­cèdent à la même expé­rience sans tou­te­fois mul­ti­plier autant les mesures : Roy Ken­ne­dy puis Illing­worth à Pasa­de­na ; Auguste Pic­card et E. Sta­hel à Bruxelles puis en Suisse ; Albert Michel­son, F. G. Paese et F. Pear­son au mont Wil­son ; Georg Joos à Iéna.

Tous obtiennent des résul­tats “ néga­tifs ” : pas de dépla­ce­ment des franges à la pré­ci­sion des mesures…

3 – Discussion

Com­ment ces deux séries de résul­tats peuvent-elles être aus­si dif­fé­rentes ? Mil­ler peut mettre en avant le nombre énorme de ses mesures et la varié­té de ses condi­tions expé­ri­men­tales, ses col­lègues ont pour eux leur una­ni­mi­té et l’unicité de leurs résul­tats. Il y a cepen­dant une dif­fé­rence essen­tielle entre ces expé­riences : Mil­ler opère à l’air libre, il pré­co­nise de “ lais­ser cir­cu­ler l’éther autant que faire se peut ” et uti­lise au maxi­mum le verre quand il est for­cé de mettre une paroi. Ses col­lègues au contraire enferment leurs inter­fé­ro­mètres dans des réci­pients solides et bien fer­més, la plu­part du temps ils y font le vide pour dimi­nuer le plus pos­sible les sources exté­rieures de perturbation.

C’est sans doute là l’explication. Il convient de se rap­pe­ler que la “ contrac­tion de Lorentz- Fitz­ge­rald ” est extrê­me­ment faible : avec V/ c = 0,0001 cette contrac­tion n’est que de cinq mil­liar­dièmes et l’effet obte­nu par Mil­ler est sept ou huit fois plus petit…

L’indice optique de l’air est certes voi­sin de 1 mais il n’est pas 1, il vaut 1,000294 à 0° et 1 013 mil­li­bars et sa dif­fé­rence à 1 est à peu près pro­por­tion­nelle à la den­si­té de l’air.

Il suf­fit d’une varia­tion d’un mil­lième de degré pour obte­nir les résul­tats de Mil­ler… Qui sait ? peut-être tout sim­ple­ment ces résul­tats indiquent-ils que les coins Nord et Sud de son labo­ra­toire avaient une tem­pé­ra­ture moyenne un mil­lième de degré plus faible, envi­ron, que les coins Est et Ouest… et il n’y aurait rien de sur­pre­nant à ce que cette dif­fé­rence évo­lue pério­di­que­ment avec les heures et les sai­sons comme l’indiquent les résul­tats. Mais il convient aus­si d’admirer le sérieux et la remar­quable minu­tie de Miller !

De toute façon l’expérience de Michel­son n’est pas le fon­de­ment de la Rela­ti­vi­té, c’est tout au plus “ la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase ”. Ce qui se passe dans un cyclo­tron est bien plus signi­fi­ca­tif : pour faire tour­ner à la vitesse V une par­ti­cule de charge q et de “ masse au repos” m0 sur un cercle de rayon R il faut une induc­tion magné­tique B nor­male au plan du cercle et don­née par une expres­sion typi­que­ment relativiste :

Le rap­port V / c n’est ici pas limi­té à 0,0001, il peut aller aisé­ment à 0,99 et même davantage.

4 – Conclusion

Les expé­riences de Day­ton Mil­ler ne semblent pas aus­si signi­fiantes que l’on aurait pu l’espérer ou le craindre, mais il faut tout de même remer­cier Mon­sieur Mau­rice Allais d’avoir atti­ré notre atten­tion sur ces expé­riences “ hérétiques ”.

Nous n’avons que trop ten­dance à pas­ser sous silence ce qui n’est pas en accord avec nos idées (et per­son­nel­le­ment je n’avais jamais enten­du par­ler de Day­ton Mil­ler). C’est là un réflexe par­fai­te­ment anti-scien­ti­fique et stu­pide car il y a sou­vent beau­coup plus à apprendre d’une expé­rience rigou­reu­se­ment conduite et qui ne marche pas que d’une expé­rience qui marche.

Dans cet ordre d’idées, il faut sou­li­gner que par­mi les trois tests clas­siques de la Rela­ti­vi­té géné­rale (avance du péri­hé­lie de Mer­cure, cour­bure des rayons lumi­neux au voi­si­nage du Soleil et effet Ein­stein de déca­lage vers le rouge des raies spec­trales émises à la sur­face des étoiles) on parle beau­coup des deux pre­miers et assez peu du troi­sième. Cela s’explique : cet effet marche assez mal. Il est bien véri­fié si votre obser­va­tion porte sur les bords du disque solaire mais est deux à trois fois trop petit dans les régions cen­trales (réf. 2).

Peut-être y a‑t-il là matière à réflexion.

* Hen­ri Poin­ca­ré ne sur­vi­vra guère à ce tra­vail de géant ; fort heu­reu­se­ment ses tra­vaux seront repris et popu­la­ri­sés par Her­mann Min­kows­ky et Albert Ein­stein. Ce der­nier pré­sen­te­ra la Rela­ti­vi­té si magis­tra­le­ment que beau­coup s’imaginent qu’il en est l’auteur, alors que ses auteurs véri­tables sont Hen­drik Antoon Lorentz et sur­tout Hen­ri Poincaré.

5 – Références

1) Day­ton C. Mil­ler, The Ether – Drift Expe­riment and the Deter­mi­na­tion of the Abso­lute Motion of Earth, Review of Modern Phy­sics, Vol. 5, p 203–242, July 1933.

2) S. Mavri­dès, L’Univers rela­ti­viste, p. 122–123, Mas­son et Cie édi­teurs, Paris, 1973.

Christian MARCHAL (58)

Expérience de Miller et validité de la relativité restreinte

Résumé

Par une série d’expériences effec­tuée dans les années 20, simi­laires à celle de Michel­son-Mor­ley, Day­ton Mil­ler a affir­mé avoir mis en évi­dence un mou­ve­ment de la Terre par rap­port à l’éther, c’est-àdire l’espace abso­lu de New­ton. Dans le numé­ro de sep­tembre 1996 de La Jaune et la Rouge, Mau­rice Allais ana­lyse à nou­veau les résul­tats de ces expé­riences et conclut qu’ils réfutent la rela­ti­vi­té res­treinte. Nous mon­trons qu’il n’en est rien en fai­sant un bref his­to­rique des expé­riences de ce type, résu­mant ce qu’elles ont effec­ti­ve­ment mesu­ré et pour­raient encore éven­tuel­le­ment montrer.

La cinématique de Newton est caduque

On sait depuis le XIXe siècle que les équa­tions de Max­well de l’électromagnétisme n’ont pas la même forme dans deux repères iner­tiels dif­fé­rents si le pas­sage de l’un à l’autre est régi par la loi de trans­for­ma­tion de Gali­lée. On sait aus­si que les phy­si­ciens de l’époque cher­chèrent à mettre à pro­fit cette pro­prié­té pour mesu­rer la vitesse abso­lue de la Terre, c’est-à-dire sa vitesse de trans­la­tion par rap­port à “ l’éther ”, le milieu abso­lu­ment au repos pos­tu­lé par New­ton dans lequel les objets obéissent à ses lois du mou­ve­ment et par rap­port auquel les repères iner­tiels sont en trans­la­tion uniforme.

Les expé­riences furent menées à l’aide d’interféromètres qui, selon la théo­rie, devaient mesu­rer (vabs/c)2 où vabs est la vitesse abso­lue de la Terre et c celle de la lumière. Cette vitesse abso­lue peut se décom­po­ser (en igno­rant pour sim­pli­fier les effets d’orientation) en vabs = vcos + vorb + vrot où vrot ≈ 0.4 km/s est la vitesse d’un labo­ra­toire à l’équateur due à la rota­tion de la Terre sur elle-même, vorb ≈ 30 km/s la vitesse orbi­tale de la Terre autour du Soleil et vcos une éven­tuelle vitesse “ cos­mique ” du sys­tème solaire par rap­port aux étoiles loin­taines sup­po­sées au repos dans le repère abso­lu. On s’attendait donc à mesu­rer au moins vorb c’est-à-dire un effet de l’ordre de (vorb/c)2 ≈ 10-8. Et si l’on prend pour vcos la vitesse du sys­tème solaire par rap­port au rayon­ne­ment cos­mique de fond à 3 degrés Kel­vin, c’est-à-dire ≈ 300 km/s, l’effet atten­du devient de l’ordre de 10-6.

Les expé­riences furent nom­breuses : Michel­son 1881, Michel­son et Mor­ley 1887, Mor­ley et Mil­ler 1902–1906, Mil­ler 1921, 1924–1926, Ken­ne­dy 1925, Picard et Sta­hel 1926, Michel­son 1929, Joos 1930, Ken­ne­dy et Thorn­dike 1932, Ives et Stil­well 1938 et 1941, Townes et al. 1958 et 1964 et enfin Brillet et Hall 1979 (Phys. Rev. Let­ters 42 (1979) 549).

Aucune de ces expé­riences ne mesu­ra un effet de l’amplitude escomp­tée. Ceci étant, aucune, bien sûr, ne mesu­ra un effet stric­te­ment nul… Le pro­blème, comme tou­jours en phy­sique expé­ri­men­tale, est en d’interpréter les effets rési­duels, de déter­mi­ner s’ils sont signi­fi­ca­tifs ou impu­tables à des erreurs expé­ri­men­tales. Mais tous les expé­ri­men­ta­teurs, à l’exception de Day­ton Mil­ler, esti­mèrent que leurs résul­tats étaient dans les barres d’erreurs de leur expé­rience et donc com­pa­tibles avec zéro. Quant à la pré­ci­sion elle crût avec les déve­lop­pe­ments tech­no­lo­giques du siècle : Michel­son, en 1881, trou­va que l’effet devait être infé­rieur à 10-9, Brillet et Hall, en 1979, trou­vèrent que l’effet, s’il était d’origine locale, devait être infé­rieur à 10-13 et infé­rieur à 10-15 s’il était d’origine cos­mique. Pour inter­pré­ter ces résul­tats bien infé­rieurs à ceux aux­quels on s’attend dans le cadre de la théo­rie clas­sique et tous com­pa­tibles avec zéro, sauf celui de Mil­ler, on peut bien sûr invo­quer, comme le fit Lorentz, des phé­no­mènes de contrac­tion de lon­gueur ou d’entraînement de l’éther. Mais on sait que la solu­tion pro­po­sée par Ein­stein l’emporta et ces expé­riences scel­lèrent le triomphe de sa théo­rie de la rela­ti­vi­té restreinte.

Les conclusions de Miller doivent être rejetées

Day­ton Mil­ler était d’après ses contem­po­rains un expé­ri­men­ta­teur de haut vol qui col­la­bo­ra avec Michel­son avant de lui suc­cé­der à la chaire de phy­sique de l’université de Cle­ve­land. Son article de revue de 1993 (Rev. of Mod. Phys. vol. 5 p. 203) sur lequel Mau­rice Allais base son ana­lyse est un modèle de clar­té et de rigueur. De plus Mil­ler a été le seul à répé­ter ses expé­riences à dif­fé­rents moments de l’année, dans le but d’obtenir non seule­ment l’amplitude mais aus­si la direc­tion de la vitesse abso­lue de la Terre.

Ses résul­tats dif­fèrent de tous les autres : comme Michel­son et Mor­ley il trouve un effet rési­duel de l’ordre de 10-9 cor­res­pon­dant à une vitesse abso­lue vabs ≈ 10 km/s, mais contrai­re­ment à eux, il estime qu’il est signi­fi­ca­tif. En ana­ly­sant ses don­nées il peut même décom­po­ser vabs en vabs = vcos + vorb où vcos pointe dans la direc­tion du pôle sud de l’écliptique et où vorb»1.5 km/s.

Ses résul­tats sont cepen­dant dif­fi­ciles à inter­pré­ter, même dans le cadre de la théo­rie clas­sique, et ce pour deux rai­sons, ain­si qu’il le sou­ligne lui-même. Comme la vitesse orbi­tale de la Terre est connue et vaut 30 km/s et qu’il ne mesure que 1.5 km/s, il est obli­gé d’invoquer un fac­teur d’entraînement de l’éther d’environ de 1.5÷30, à expli­quer. Par ailleurs la direc­tion de vcos devrait tra­ver­ser la ligne Nord-Sud chaque jour à cause de la rota­tion de la Terre sur elle-même. Or, notr Mil­ler, si vcos tra­verse bien un axe deux fois par jour, cet axe est dépla­cé par rap­port au méri­dien, de façon variée sui­vant la période de l’année. C’est en fait cette ano­ma­lie azi­mu­tale, plus que le fac­teur d’entraînement de l’éther, qui semble avoir été la rai­son du doute jeté dès les années 20 sur ses résultats.

En 1995 cepen­dant, des cher­cheurs de Cle­ve­land, Shank­land et al. (Review of Modern Phy­sics, vol. 27, p. 167) ana­ly­sèrent à nou­veau les don­nées de Mil­ler, à par­tir de son article de 1933 mais aus­si de ses cahiers d’expérience. Ils confir­mèrent que l’amplitude de l’effet mesu­ré n’était pas un effet du hasard sta­tis­tique. Mais les ano­ma­lies azi­mu­tales les inci­tèrent à cher­cher une cause locale plu­tôt que cos­mique à l’effet mesu­ré. Ils étu­dièrent donc, plus atten­ti­ve­ment que ne l’avait fait Mil­ler lui-même, les erreurs sys­té­ma­tiques qui auraient pu en être la cause. Ils en trou­vèrent une : un gra­dient de tem­pé­ra­ture de 0,001 degré d’un bout à l’autre du labo­ra­toire suf­fi­sait à pro­duire un effet de 10-9. Or Mil­ler, contrai­re­ment à ses contem­po­rains comme par exemple Joos, pou­vait dif­fi­ci­le­ment régu­ler la tem­pé­ra­ture de son labo­ra­toire : afin en effet de per­mettre à l’éther de cir­cu­ler libre­ment et ne pas être entraî­né avec l’interféromètre, il opé­rait dans une hutte au som­met du mont Wil­son, mal iso­lée ther­mi­que­ment. (Il est inté­res­sant de remar­quer que les tests qu’il effec­tua dans son labo­ra­toire de Cle­ve­land où la tem­pé­ra­ture était remar­qua­ble­ment constante don­naient un effet com­pa­tible avec zéro…).

Il semble donc clair que les résul­tats de Mil­ler concer­nant l’amplitude de l’effet, c’est-à-dire le module de la vitesse abso­lue de la Terre, ne peuvent plus être rete­nus, encore moins ceux concer­nant la direc­tion de cette vitesse.

Que prédit la relativité ?

On pré­sente tou­jours les résul­tats com­pa­tibles avec zéro des expé­riences de type Michel­son- Mor­ley comme une confir­ma­tion écla­tante de la rela­ti­vi­té res­treinte. Je vou­drais conclure en com­men­tant ce point.

On sait qu’Einstein, confron­té à la non-inva­riance des équa­tions de Max­well dans les trans­for­ma­tions de Gali­lée, déci­da, contrai­re­ment aux “ clas­siques ”, de parier pour le prin­cipe de rela­ti­vi­té : toutes les lois de la phy­sique doivent avoir la même forme dans tout repère iner­tiel afin qu’aucun phé­no­mène ne puisse mettre en évi­dence le mou­ve­ment de ce repère par rap­port à un autre repère iner­tiel. Pour que les équa­tions de Max­well gardent la même forme il fal­lait donc chan­ger la loi de trans­for­ma­tion, plus pré­ci­sé­ment rem­pla­cer celle de Gali­lée par celle de Lorentz. Cette théo­rie de la rela­ti­vi­té res­treinte était une vision révo­lu­tion­naire car elle impli­quait une modi­fi­ca­tion pro­fonde des repré­sen­ta­tions de l’espace et du temps ancrées depuis New­ton. On se doute qu’un tel chan­ge­ment ne fut pas accep­té sans de solides débats et de solides confir­ma­tions expérimentales.

Ain­si la loi de trans­for­ma­tion de Lorentz qui régit le pas­sage d’un repère iner­tiel à un autre est main­te­nant véri­fiée à 10-22, de la façon sui­vante : si elle n’était pas valide, les lois de Max­well seraient dif­fé­rentes et la sépa­ra­tion des niveaux du noyau de lithium dans un champ magné­tique (effet Zee­man) serait dif­fé­rente de ce que donne la for­mule “ stan­dard ” et confir­mée par l’expérience (Hughes-Dre­ver, 1961). (Pour une revue détaillée des tests de la rela­ti­vi­té voir Clif­ford M. Will Theo­ry and expe­riment in gra­vi­ta­tio­nal phy­sics, Cam­bridge Uni­ver­si­ty press, 1993.)

Cette extra­or­di­naire concor­dance entre théo­rie et expé­rience signi­fie- t‑elle qu’une expé­rience de type Michel­son-Mor­ley effec­tuée avec une gran­dis­sante pré­ci­sion don­ne­rait tou­jours un résul­tat com­pa­tible avec zéro ?

Ce que dit la rela­ti­vi­té res­treinte est que la vitesse de la lumière doit être la même dans tous les repères iner­tiels. La ques­tion devient donc de savoir si un inter­fé­ro­mètre atta­ché à la Terre est un repère iner­tiel. La réponse, bien sûr, est non : un labo­ra­toire sur Terre n’est pas stric­te­ment en mou­ve­ment libre. Il est d’abord sou­mis au champ de gra­vi­ta­tion de la Terre, qui induit des forces de marées sur l’appareil. On montre cepen­dant que ces forces, pro­por­tion­nelles à la dimen­sion de l’appareil mul­ti­pliée par la racine car­rée de la cour­bure locale de l’espace-temps, sont tout à fait négli­geables. Beau­coup plus impor­tantes en revanche peuvent être a prio­ri les forces d’inertie dues au fait que le labo­ra­toire tourne, entraî­né par le mou­ve­ment diurne de la Terre. Pour cal­cu­ler ces forces, il faut savoir pas­ser d’un repère iner­tiel à un repère tour­nant en rela­ti­vi­té res­treinte, et décrire dans ce repère un appa­reil “rigide”.

Ce sont là choses non tri­viales, encore vive­ment débat­tues. Si l’effet existe il serait en tout cas de l’ordre de (vrot/c)2, soit de » 10-13. Une expé­rience amé­lio­rant d’un ordre de gran­deur ou deux la pré­ci­sion de celle de Brillet et Hall devrait pou­voir infir­mer ou confir­mer cette pré­dic­tion (cf. L. Bel, J. Mar­tin et A. Moli­na, Jour­nal of the Phys. Soc. of Japan, vol. 63 (1994) 4350).

Si l’expérience de Michel­son- Mor­ley doit être à nou­veau dis­cu­tée, c’est donc je pense dans cette ligne là qu’elle doit l’être, et non en termes d’une ciné­ma­tique new­to­nienne main­te­nant dépassée.

Nathalie DERUELLE,
maître de conférences à l’École polytechnique,
Département d’astrophysique relativiste et de cosmologie,
Centre national de la recherche scientifique, Observatoire de Paris

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