À propos de l’article de Marc Flender (92) “Pour qui roulent les polytechniciens”, paru dans le numéro de mai 2003

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003Par : Lionel STOLERU (56) et Pierre SEGOND (51)

Réponses à un « polytechnicien par hasard » par Lionel Stoléru (56)

L’ar­ticle de Marc Flen­der (92) dans notre revue de mai m’a pro­fon­dé­ment choqué.

Tout d’a­bord, bien sûr, par ses attaques contre les « Petits-déjeu­ners poly­tech­ni­ciens » que j’a­nime depuis quinze ans, où il n’est jamais venu mal­gré les places gra­tuites offertes aux élèves, et qu’il cri­tique comme siège de la pen­sée unique. Nous y avons reçu autant de res­pon­sables poli­tiques de droite que de gauche, ain­si que des acteurs aus­si divers que Ber­nard Thi­bault (CGT), Fran­çois Ché­rèque (CFDT), Dalil Bou­ba­keur, Noël Mamère, Patrick Poivre d’Ar­vor, l’am­bas­sa­deur des États-Unis, l’am­bas­sa­deur d’Is­raël, etc., le tout en libre débat avec nos camarades.

Mais ce qui me déses­père le plus dans son pro­pos, c’est son scep­ti­cisme géné­ra­li­sé : avoir fait « Poly­tech­nique par hasard », comme il le dit, ne croire en rien à 30 ans, mépri­ser la « caste diri­geante » comme si l’on n’é­tait pas en démo­cra­tie, quelle tris­tesse ! Moi, fils d’im­mi­gré, je n’ai pas fait Poly­tech­nique par hasard, j’ai vou­lu y entrer, j’ai bos­sé pour, j’ai appré­cié la qua­li­té de son ensei­gne­ment, la gra­tui­té parce que je n’a­vais pas un sou et j’en suis sor­ti avec la volon­té d’ap­por­ter ma contri­bu­tion à la patrie et aux sciences, sinon à la gloire*.

J’ai ren­con­tré dans ma car­rière plein de bons esprits scep­tiques, bla­sés de tout, inca­pables de rien faire par eux-mêmes : ils venaient sou­vent de Sciences Po, presque jamais de l’X. Ce qu’on apprend à l’X, c’est le doute construc­tif, pas le doute intel­lec­tuel pari­sien, ce doute construc­tif décrit par Des­cartes, ce doute construc­tif qui amène New­ton à décou­vrir la gra­vi­ta­tion uni­ver­selle en regar­dant tom­ber une pomme.

Le doute de Marc Flen­der, il est néga­tif, il est des­truc­teur. Tout le monde a rai­son, tout le monde a tort. Il n’y a pas de véri­té, et toutes les opi­nions se valent. Pas pour moi : je n’in­vi­te­rai jamais aux petits-déjeu­ners poly­tech­ni­ciens Jean-Marie Le Pen et je n’in­vi­te­rai jamais non plus José Bové dont la déma­go­gie pri­maire fait beau­coup de mal à notre pays.

Plus de démo­cra­tie à Pôr­to Alegre qu’à Davos ? Vous plai­san­tez, M. Flen­der. Les diri­geants poli­tiques qui vont à Davos ont été élus, ceux de Pôr­to Alegre ne peuvent en dire autant.

Je ne suis pour­tant pas un apôtre du libé­ra­lisme, mais je constate que son alter­na­tive, le com­mu­nisme, était bien pire. Je ne suis pas non plus un chantre d’une démo­cra­tie dévoyée où la majo­ri­té écra­se­rait les mino­ri­tés, mais je constate, comme Chur­chill, que les autres sys­tèmes sont bien pires. Je sup­porte mal les inéga­li­tés entre pays pauvres et pays riches mais je constate que, lors­qu’on aide l’A­sie, elle se déve­loppe et lors­qu’on aide l’A­frique, elle ne se déve­loppe pas et que notre modèle de déve­lop­pe­ment n’est sans doute pas celui qui lui convient.

Il me sem­blait qu’à l’É­cole poly­tech­nique on nous ensei­gnait l’en­thou­siasme. Après avoir lu l’ar­ticle de M. Flen­der, je com­mence à en douter.

* Cf. mon livre La vie, c’est quoi, mon­sieur le ministre ? – Plon – 2003.

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Pierre Segond (51)

J’ai lu avec beau­coup d’in­té­rêt, dans le numé­ro de mai de La Jaune et la Rouge, l’ar­ticle de Marc Flen­der. Je pense comme lui que l’é­co­no­mie est loin d’être une science dure, et je sous­cris volon­tiers à cer­taines de ses prises de posi­tion, quoique je croie que nom­breux sont nos cama­rades qui œuvrent pour autre chose que « l’En­tre­prise, le Libé­ra­lisme et l’Argent ».

Il y a tou­te­fois un point sur lequel je suis en com­plet désac­cord avec Marc Flen­der : il s’a­git de la TVA, qu’il qua­li­fie d’im­pôt « inéga­li­taire par excel­lence ». Or la TVA contri­bue à la jus­tice fis­cale car elle s’ap­plique à toute dépense quelle que soit l’o­ri­gine du reve­nu (reve­nus du patri­moine, moins taxés que les reve­nus du tra­vail, tra­vail au noir, tra­fics en tous genres). Elle a l’a­van­tage de s’ap­pli­quer aux dépenses faites par les non-rési­dents et aux pro­duits impor­tés, contrai­re­ment aux impôts directs qui péna­lisent la pro­duc­tion natio­nale. Mais sur­tout elle per­met de réduire for­te­ment les inéga­li­tés, comme le montre l’exemple du Dane­mark, qui est à la fois le pays le moins inéga­li­taire du monde et celui où le taux de TVA est le plus éle­vé. (Il est de 25 %, même sur les pro­duits de pre­mière nécessité.)

La rai­son en est simple : c’est grâce aux res­sources de la TVA que peuvent être finan­cées les énormes dépenses de l’É­tat-pro­vi­dence (les crèches, le sys­tème de san­té, etc.), et ceci sans nuire à la com­pé­ti­ti­vi­té du pays. Mal­gré un taux record de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires, l’é­co­no­mie danoise est dyna­mique, le PIB par habi­tant dépasse lar­ge­ment le nôtre, le taux de chô­mage est de l’ordre de 5 %, et le cli­mat social bien meilleur que chez nous. Grâce en soit ren­due à Mau­rice Lauré !

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