Portrait de Fleur Thesmar par Laurent Simon

Fleur Thesmar (X92), une vocation ravivée

Dossier : TrajectoiresMagazine N°785 Mai 2023
Par Pierre LASZLO

Fleur Thes­mar vient d’une famille d’universitaires. Elle a com­mencé sa car­rière dans les télé­com­mu­ni­ca­tions, mais a bifurqué (une fois instal­lée en famille aux États-Unis) vers la pein­ture – ce qui est une illus­tra­tion sup­plé­men­taire de la var­iété des tal­ents au sein de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne. Son activ­ité artis­tique s’articule avec un fort engage­ment pour la défense de la Nature. Haro sur « le Léviathan de la cor­rup­tion bétonifère » !

Elle vit à Bel­mont, ban­lieue de Boston, qu’affectionnent des pro­fesseurs de Har­vard et du MIT. Son mari, David, enseigne l’économie au MIT. Ils ont deux fils et deux filles, à divers stades d’études uni­ver­si­taires aux USA. Ain­si, Raphaël est sopho­more (en sec­onde année) à Cor­nell, dans le nord de l’État de New York.

Une artiste peintre

Fleur Thes­mar est une artiste pein­tre recon­nue, aux œuvres exposées dans divers­es galeries d’art, aux États-Unis surtout. Les médias dont elle use vont de l’aquarelle au tis­sage et à la broderie. Son activ­ité d’artiste date de l’implantation des Thes­mar aux États-Unis, en 2015. Le moment cru­cial, l’illumination inter­vint pour elle plus tard, durant la récente pandémie de la Covid, alors qu’elle subis­sait une crise d’asthme : « Je décou­vris une struc­ture math­é­ma­tique (Fibonac­ci) dans les arbres, que j’utilise depuis lors dans mes com­po­si­tions. Je m’aperçus aus­si que les tech­nolo­gies de télé­com­mu­ni­ca­tion que j’ai con­tribuées à dévelop­per mas­sive­ment en France, pour inter­net et smart­phones, étaient inca­pables de répon­dre à mon attente, de trans­met­tre une expéri­ence de l’espace. La pein­ture améri­caine avait renou­velé les façons de décrire l’espace, peut-être oubliées en Europe durant la péri­ode clas­sique. » C’est ce qui la déci­da à devenir ou rede­venir peintre.

Une révoltée

Pour revenir sur sa crise d’asthme, Fleur Thes­mar est allergique à bon nom­bre de couleurs et matéri­aux syn­thé­tiques : pro­duits chim­iques de toutes sortes, con­ser­va­teurs, matières plas­tiques… Cela l’incita à recourir pour son tra­vail unique­ment à des pig­ments et des sup­ports d’origine naturelle. Elle est révoltée par la dévas­ta­tion que nous cau­sons, ani­maux dénaturés que nous sommes devenus en cet Anthropocène.

“Nous construisons un désert autour de nous.”

Tout par­ti­c­ulière­ment l’altération des paysages : « L’enjeu de la pein­ture de paysage con­tem­po­raine touche aujourd’hui à la défense de l’environnement, à la ques­tion de l’extinction des espèces sauvages ou de ce qu’est un poi­son. Nous prenons con­science col­lec­tive­ment que nous altérons le paysage en pro­fondeur. Je note la minéral­i­sa­tion des pho­tos et le sort funeste des arbres. Nous avons élim­iné le lieu de vie d’insectes, d’oiseaux, de champignons. Nous con­stru­isons un désert autour de nous. Je suis dans l’effroi quand je pense à l’impossibilité d’agir con­tre cela, le Léviathan de la cor­rup­tion bétonifère. »

De vraies œuvres

La pre­mière par­tie de sa péri­ode pro­fes­sion­nelle fut mar­quée par son activ­ité dans les télé­com­mu­ni­ca­tions ; à sa sor­tie de l’École, elle opta pour Télé­com Paris comme école d’application, puis se don­na un mas­ter en ingénierie élec­trique à l’Imperial Col­lege, à Lon­dres (1996–1997). Ensuite elle lut­ta dure­ment pour qu’en France les con­som­ma­teurs aient le choix du four­nisseur de télé­phonie locale ou à longue dis­tance et d’accès Inter­net haut débit. C’était altru­iste. Y a‑t-il plus altru­iste, cepen­dant, que créer de la beauté ? Ain­si, j’affectionne son œuvre inti­t­ulée Wrin­kled sum­mer paint­ing (« tableau d’été plis­sé ») : dans une dom­i­nante de tons crème et bruns, on y voit comme en une coupe botanique des strates tex­tiles super­posées ; j’aime aus­si beau­coup Thun­der roll (« roule­ment de ton­nerre ») dans un arrange­ment sim­i­laire en couch­es super­posées ; ou cet Apple blos­som and yew (« fleurs de pom­mi­er et d’if »), une com­po­si­tion qua­si pho­tographique quant à la richesse du détail, mais d’une majestueuse sim­plic­ité d’ensemble. Par­fois, Fleur Thes­mar pose devant l’une de ses pein­tures, souri­ante, toute fière. De quoi, plus pré­cisé­ment ? Assuré­ment, de sa con­nivence avec les expres­sions de la nature, dont elle se fait la fidèle inter­prète : « Je me rap­pelle avoir été très heureuse de les peindre ! »

De qui tenir

La sco­lar­ité de Fleur Thes­mar à l’École la vit atten­tive aux cours de ses enseignants, en math­é­ma­tiques surtout, ceux de Jean-Pierre Bour­guignon (X66) et Nicole El Karoui, et de lit­téra­ture, avec Alain Finkielkraut. Pour son ser­vice nation­al, elle fut offici­er de ren­seigne­ments dans un escadron de chas­se à la base aéri­enne de Cam­brai. D’une famille de grands uni­ver­si­taires, fille du nor­malien et math­é­mati­cien Paul Deheuvels, sta­tis­ti­cien émi­nent qui fut à la tête du Lab­o­ra­toire de sta­tis­tique théorique et appliquée (uni­ver­sité Paris-VI), elle fit sa pré­pa à Louis-le-Grand. De son enfance, je retiens surtout son émer­veille­ment devant le monde naturel et la séduc­tion qu’exerça sur elle, dès l’enfance, la peinture.

On le con­state, mon texte prend la chronolo­gie à con­tre-sens – en hom­mage délibéré à la per­spec­tive inverse – point de fuite devant le tableau plutôt que der­rière – qu’affectionne Fleur Thes­mar, cette poly­techni­cienne ravie d’avoir trou­vé sa voie. 

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