À propos des Libres propos du numéro 596 de juin-juillet 2004

Dossier : ExpressionsMagazine N°598 Octobre 2004Par : André BÉNARD (42) et Maurice BERNARD (48)

Par André BÉNARD (42)

J’ai lu avec intérêt le témoignage du cama­rade Tal­lot, con­cer­nant les pro­mo­tions 1942–1943.

Ce témoignage com­prend une omis­sion regret­table, au sujet de laque­lle j’avais d’ailleurs écrit à La Jaune et la Rouge le 30 sep­tem­bre 2001. Il n’est pas exact de dire que tous les élèves de la pro­mo­tion 42 soient par­tis pour le STO en Alle­magne. Cer­tains d’entre eux, dont moi-même, ont pen­sé qu’il était intolérable d’aller tra­vailler pour l’Allemagne nazie, notre enne­mie à au moins deux titres, et sont par­tis rejoin­dre l’armée française en Afrique du Nord.

Le pré­texte de la relève, par des jeunes de la classe 42, de pris­on­niers de guerre plus âgés, n’était bien sûr qu’un pré­texte. Je pour­rais citer quelques noms de cama­rades qui, à l’époque, pen­saient comme moi. Mais je pense qu’il est bon que la postérité se sou­vi­enne qu’il y avait à l’École quelques esprits dis­si­dents, qui n’acceptaient pas la ligne offi­cielle et qui ont pris le risque de s’en démar­quer. Je trou­ve regret­table pour le pres­tige de l’École de l’ignorer et je souhaite que ces faits soient rap­pelés publiquement.

Je ne suis ani­mé par aucun désir de revanche, mais je pense qu’il est néces­saire d’établir l’histoire d’une manière com­plète, sans pass­er sous silence les incer­ti­tudes et les prob­lèmes de con­science qui se posaient à l’époque. _________________________________________

Je me souviens… par Maurice BERNARD (48)

Prési­dent du groupe X‑Histoire et Archéologie

Georges Perec, dans la pièce de théâtre tirée de son texte Je me sou­viens, mon­tre com­bi­en les sou­venirs gag­nent à être partagés, com­ment l’évocation d’un passé com­mun peut cap­tiv­er une salle tout entière. Dans une inter­pré­ta­tion récente de cette pièce, Samy Frey, juché sur un vélo, pédale à per­dre haleine en égrenant une inter­minable série de “ Je me sou­viens de… ”, qui sont autant de sou­venirs per­son­nels qui se veu­lent partagés.

C’est que le sou­venir, cette trace neu­ronale que cha­cun d’entre nous garde de son passé, a quelque chose d’irréductiblement per­son­nel. Je l’ai véri­fié en lisant récem­ment, dans le numéro de juin-juil­let de La Jaune et la Rouge, le Libre pro­pos de Bernard Ésam­bert “ Lau­rent Schwartz, un nor­malien amoureux de l’École polytechnique ”.

J’ai assez fréquen­té Lau­rent Schwartz pour souscrire au qual­i­fi­catif qui lui est attribué. J’ai surtout partagé d’assez près la vie de l’École poly­tech­nique durant toute ma car­rière, pour savoir ce qu’elle lui doit.

Le Libre pro­pos de Bernard Ésam­bert évoque bien d’autres sou­venirs que ceux relat­ifs à Lau­rent Schwartz et, curieuse­ment, beau­coup d’entre eux dif­fèrent pro­fondé­ment des miens. Ayant été, de 1983 à 1990, Directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École poly­tech­nique, rien de ce qui touchait à l’enseignement ne m’était étranger, pro­grammes, péd­a­gogie, répar­ti­tion des dis­ci­plines, recrute­ment des enseignants, etc. J’ai, durant sept ans, présidé ès fonc­tions le Con­seil d’enseignement qui était, à l’époque, l’organe prin­ci­pal où étaient étudiées les ori­en­ta­tions de l’enseignement de l’École et instru­ites les nom­i­na­tions d’enseignants. On y pré­parait les déci­sions du Con­seil d’administration rel­a­tives à ce domaine.

Mon pro­pos, si libre soit-il, n’est pas de polémi­quer avec l’ancien Prési­dent du Con­seil d’administration. Je me bornerai à com­pléter un seul de ses sou­venirs, celui qui touche à la démis­sion de Lau­rent Schwartz et de Philippe Kouril­sky, affaire qui fit à l’époque quelque bruit dans la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne et défraya la chronique grand public.

Au début de 1985, Lau­rent Schwartz et Philippe Kouril­sky avaient démis­sion­né bruyam­ment du Con­seil d’administration de l’École poly­tech­nique, en rai­son de la nom­i­na­tion, par un vote dudit Con­seil, d’un ancien maître de con­férences, vote obtenu grâce à des inter­ven­tions du pou­voir poli­tique, en con­tra­dic­tion com­plète avec les règles de nom­i­na­tion et de renou­velle­ment des enseignants de l’École.

Écrire, comme le fait Bernard Ésam­bert, que ces démis­sions… (étaient) liées au renou­velle­ment d’un maître de con­férences qui avait aux yeux des démis­sion­naires épuisé son temps de séjour à l’École est un sou­venir personnel.

Au cours du XIXe siè­cle et jusqu’au milieu du XXe siè­cle, la qual­ité du Corps enseignant avait beau­coup souf­fert, d’une part d’un niveau d’enseignants qui n’était pas tou­jours celui atten­du pour une insti­tu­tion qui con­tin­u­ait à se réclamer de l’excellence sci­en­tifique, d’autre part du fait que nom­bre d’enseignants, même de niveau accept­able, exerçant à temps par­tiel, per­daient leur ent­hou­si­asme au fil du temps.

Au cours des années soix­ante-dix l’École se forgea une doc­trine rigoureuse, visant à con­forter l’excellence, selon laque­lle aucun maître de con­férences d’exercice par­tiel, c’est-à-dire ayant son activ­ité prin­ci­pale en dehors de l’École, ne pour­rait exercer ses fonc­tions au-delà de douze ans (un pre­mier con­trat pro­ba­toire de deux ans, suivi d’un con­trat de cinq ans, renou­ve­lable une fois).

Mon prédécesseur, Emmanuel Gri­son, eut le grand mérite de faire adopter par le Con­seil d’administration de l’École cette règle courageuse et salu­taire et d’en faire une pra­tique accep­tée par tous… ou presque. Lorsque début 1985, un maître de con­férences d’exercice par­tiel, qui déjà avait réus­si à se main­tenir dix-sept ans au lieu de douze, exigea de béné­fici­er d’un nou­veau con­trat, le Con­seil d’enseignement refusa.

Le Con­seil d’administration, mal­gré les protes­ta­tions de plusieurs de ses mem­bres, notam­ment de Lau­rent Schwartz et de Philippe Kouril­sky, ne sut pas résis­ter aux pres­sions exer­cées et vota la nom­i­na­tion con­testée. Les deux protes­tataires démis­sion­nèrent aus­sitôt. Quelques semaines plus tard, Bernard Ésam­bert qui avait suc­cédé, comme prési­dent du Con­seil d’administration, à Alex­is Dejou qui venait d’avoir 65 ans, sut les con­va­in­cre de siéger à nou­veau jusqu’à la fin de leurs mandats.

Sou­venirs, sou­venirs… Que le méti­er de l’Historien est dif­fi­cile, sans même par­ler de celui de l’Archéologue !

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