A la recherche du vaccin universel

À la recherche de vaccins universels

Dossier : ExpressionsMagazine N°764 Avril 2021
Par Alexandre Le VERT (99)
Par Robert RANQUET (72)

Alors que l’apparition de vari­ants mul­ti­ples du Sars-CoV­‑2 remet régulière­ment en ques­tion l’efficacité des pre­miers vac­cins dévelop­pés, Alexan­dre Le Vert et sa société Osi­vax se sont lancés dans la recherche d’un vac­cin uni­versel con­tre tous les vari­ants du virus.

Alexandre, quel a été ton parcours avant d’arriver à cette quête du graal vaccinatoire ?

J’ai tou­jours été pas­sion­né par la biolo­gie. À l’X, il y avait un départe­ment et deux lab­o­ra­toires qui lui étaient dédiés. J’ai donc fait essen­tielle­ment de la biolo­gie à l’École. Puis j’ai débuté une thèse de neu­ro­bi­olo­gie cel­lu­laire à Har­vard. Mais, en fait, j’étais autant attiré par l’entrepreneuriat. Et donc j’ai com­mencé ma car­rière par cinq années dans un big phar­ma, où je me suis occupé de com­mer­cial­i­sa­tion de vac­cins, puis j’ai rejoint le BCG pen­dant deux ans. Il y a dix ans, j’ai eu l’occasion de rejoin­dre un entre­pre­neur dynamique en biotech, qui avait une société plus ou moins en déshérence, et il me l’a con­fiée pour la relancer. Pen­dant six ans, j’ai tra­vail­lé à dévelop­per un vac­cin uni­versel con­tre la grippe et ma start-up actuelle Osi­vax est un spin-off de ces travaux. Nous sommes en plein essor, avec aujourd’hui 25 per­son­nes, con­tre 12 l’an dernier… ce qui n’est pas nég­lige­able pour une biotech.

Quels sont les atouts des vaccins universels développés par Osivax ?

Les vac­cins clas­siques con­tre la grippe ou con­tre la Covid-19 ciblent la périphérie du virus, en l’occurrence la fameuse pro­téine S pour la Covid-19. Du coup, l’efficacité de ces vac­cins est sus­cep­ti­ble de dimin­uer en cas d’apparition de mutants. Cela arrive tous les ans dans la grippe et c’est la rai­son pour laque­lle il faut se refaire vac­cin­er tous les ans (sans par­ler des années où les vac­cins ne sont pas très effi­caces). Les vac­cins que nous dévelop­pons n’utilisent pas comme antigène cette pro­téine de sur­face, très exposée aux muta­tions, comme tous les vac­cins actuels. Dans la grippe comme dans la Covid-19, nos vac­cins ciblent une pro­téine interne au virus, qui est beau­coup plus sta­ble. Le vac­cin est ain­si moins sen­si­ble aux muta­tions du virus.

Grâce à notre mécan­isme d’action, on évite aus­si le risque que le vac­cin con­tribue à « sélec­tion­ner » des vari­ants et à favoris­er l’échappement immu­ni­taire du virus. Mais c’est aus­si plus dif­fi­cile à réalis­er. Il y a de nom­breuses solu­tions dif­férentes. Notre vac­cin cible la réponse immu­ni­taire appelée T, con­traire­ment aux vac­cins actuels qui utilisent la réponse B (anti­corps), ce qui mod­i­fie la pres­sion de sélec­tion. Et nous nous basons sur plus de huit ans de recherche dans le domaine de la grippe, ce qui nous donne un temps d’avance par rap­port à nos concurrents.

Où en êtes-vous concrètement ?

Le vac­cin OVX033 spé­ci­fique con­tre la Covid-19 a été mis au point en util­isant notre tech­nolo­gie oligoDOM®, que nous avions créée notam­ment dans le développe­ment d’un vac­cin uni­versel con­tre la grippe saison­nière ou pandémique. Il fait inter­venir une pro­téine recom­bi­nante, chimérique, avec l’association de cette base oligoDOM et une cible immu­ni­taire pro­pre à la Covid-19. Ce vac­cin béné­fi­cie donc de tout ce qu’on a appris avec les travaux de recherche effec­tués depuis sept ou huit ans, ce qui nous a per­mis de sélec­tion­ner le meilleur can­di­dat-vac­cin. Nous sommes entrés en phase d’essai pré-clin­ique (essais sur l’animal).

En ce qui con­cerne notre vac­cin uni­versel con­tre la grippe, nous sommes en test chez l’homme depuis deux ans et demi. Nous venons de ter­min­er une étude clin­ique de phase 2, avec à peu près 400 patients qui ont été recrutés dans nos essais cliniques.

N’y a‑t-il pas un risque à arriver après la bataille, quand on voit l’afflux actuel de vaccins (Pfizer, AstraZeneca, Spoutnik, etc.) ?

Non, car nous pen­sons que ce virus va devenir un virus saison­nier, comme celui de la grippe, avec des muta­tions régulières. Du coup, nous pen­sons que la bataille va se pour­suiv­re pen­dant de nom­breuses années encore. Il sera alors intéres­sant d’avoir un vac­cin uni­versel, moins sen­si­ble aux vari­ants que le sont les vac­cins actuelle­ment dis­tribués, très ciblés. C’est une solu­tion de long terme.

Les médias se sont émus du fait que la France semblait déclassée dans la course récente aux vaccins. Qu’en penses-tu ?

Il est vrai que con­stater que la France est la seule grande nation (seul mem­bre per­ma­nent du Con­seil de sécu­rité de l’ONU, en y ajoutant l’Allemagne) à ne pas avoir dévelop­pé son pro­pre vac­cin peut inter­peller. Je crois qu’on fait de l’innovation en se fon­dant sur des acquis con­stru­its sur le long terme, en créant et dévelop­pant des écosys­tèmes sur dix ou quinze ans. Par exem­ple, nous dévelop­pons notre vac­cin Covid-19 uni­versel en nous bas­ant sur ce que nous avons appris en tra­vail­lant sur la grippe depuis huit ans, en étu­di­ant les mécan­ismes d’action, etc., tout cela en faisant tra­vailler des réseaux de parte­naires au sein d’un écosys­tème dynamique. C’est là qu’il faut bien recon­naître que les États-Unis ont été excep­tion­nels ! Je con­state d’ailleurs que, plus proches autour de nous, il y a par exem­ple en Bel­gique ou au Roy­aume-Uni de tels écosys­tèmes très per­for­mants. La France n’a vis­i­ble­ment pas été au ren­dez-vous… Pour­tant, c’est bien en nour­ris­sant ces écosys­tèmes qu’on se pré­par­era à la prochaine pandémie. Heureuse­ment je pense qu’il y a une prise de con­science et j’espère que cela va aboutir à des actions con­crètes pour que la France reprenne sa place dans les grandes nations du vaccin.

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