Pascal FAURE (83)

Colloque de l’AX 2016 Table ronde : Numérique, du rêve à la réalité

Dossier : Publications des lecteursMagazine N°Colloque de l'AX 2016 Table ronde : Numérique, du rêve à la réalité

Les articles de la brochure concernant le numérique

Le plan français Industrie du Futur

Pascal FAURE (83)
Directeur général de la Direction générale pour les entreprises (DGE)

La France fait face à un double défi d’enrayer le déclin indus­triel et de répondre aux enjeux, désor­mais cru­ciaux, de la trans­for­ma­tion numé­rique. Une inflexion a été don­née dès 2013 vers une poli­tique d’offre avec le pacte de res­pon­sa­bi­li­té qui allège les charges pour les entre­prises et redonne des marges pour inves­tir. Ain­si cer­tains indi­ca­teurs de com­pé­ti­ti­vi­té se redressent : coût du tra­vail sta­bi­li­sé par rap­port à l’Allemagne, taux de marge de l’industrie à 36,5 % début 2016 contre 32 % en 2013, effort de recherche com­pa­rable en inten­si­té à celui des entre­prises alle­mandes, etc.

Les tech­no­lo­gies numé­riques quant à elles modi­fient pro­fon­dé­ment les sources de com­pé­ti­ti­vi­té, et, lorsqu’elles sont bien uti­li­sées, peuvent induire des gains de pro­duc­ti­vi­té. La fabri­ca­tion addi­tive libère la créa­ti­vi­té de concep­teurs de pièces, l’internet des objets per­met aux machines de dia­lo­guer entre elles, la robo­tique dimi­nue la péni­bi­li­té des tâches, la réa­li­té vir­tuelle forme les opé­ra­teurs à des situa­tions nou­velles, etc.

Ces tech­no­lo­gies changent l’économie indus­trielle et des ser­vices : concur­rence inten­si­fiée, inno­va­tion et adap­ta­bi­li­té des fac­teurs tou­jours plus clés de per­for­mance, pla­te­formes qui induisent des éco­no­mies d’échelle et des effets réseau à un niveau jusqu’ici incon­nu, évo­lu­tions des métiers et com­pé­tences, ces trans­for­ma­tions exigent des réponses col­lec­tives qui ne se situent pas sim­ple­ment dans l’ajustement du para­mé­trage macroéconomique.

La France s’est lan­cée dès 2013. Plus ou moins au même moment, l’Allemagne (avec le pro­gramme Indus­trie 4.0), l’Italie, le Royaume-Uni, le Japon, la Chine ou le États-Unis se sont tous empa­rés de la ques­tion. Le der­nier G20 en sep­tembre à Hangh­zou s’en est saisi.

Pour tous ces pays, il est deve­nu évident que des indus­tries fortes, moder­ni­sées et expor­ta­trices pou­vaient faire béné­fi­cier à leurs éco­no­mies d’un effet d’entraînement appré­ciable. Ain­si, pesant à peine 12 % de l’emploi fran­çais, l’industrie fran­çaise assure 50 % de la pro­duc­ti­vi­té natio­nale et repré­sente 74 % de l’export (avec un conte­nu de ser­vices crois­sant qui tra­duit l’interdépendance accrue indus­trie et services).

En outre ses inno­va­tions, notam­ment numé­riques, per­colent elles-mêmes sur les ser­vices et l’amélioration néces­saire de leur pro­duc­ti­vi­té. Ces effets de levier montrent com­bien il était deve­nu essen­tiel de se remo­bi­li­ser autour des grands défis d’avenir.

Un plan Industrie du Futur qui s’est structuré progressivement : numériser, former, normer, internationaliser

Le plan fran­çais Usine du Futur est né au mois de sep­tembre 2013 avec l’ambition d’unir les forces pro­duc­tives autour d’une poli­tique indus­trielle cen­trée sur le poten­tiel per­mis par les nou­velles tech­no­lo­gies. Il avait voca­tion à être extrê­me­ment trans­ver­sal et à irri­guer l’ensemble des sec­teurs industriels.

Si ce pro­gramme Usine du Futur était prin­ci­pa­le­ment cen­tré sur la moder­ni­sa­tion des sites de pro­duc­tion, il est appa­ru qu’il était indis­pen­sable d’intégrer une forte dimen­sion numé­rique dans les tra­vaux et de mieux s’adresser aux PME.

Une phase 2 a ain­si été lan­cée en avril 2015 qui capi­ta­lise sur les acquis du plan Usine du Futur. Son objec­tif « d’amener chaque entre­prise à moder­ni­ser son outil indus­triel et à trans­for­mer son modèle d’affaires par le numé­rique » a per­mis de trai­ter davan­tage trois sujets : for­ma­tion, nor­ma­li­sa­tion, inter­na­tio­nal. L’Alliance Indus­trie du Futur, fon­dée par les acteurs indus­triels eux-mêmes, porte ce pro­gramme ouvert.

Une politique industrielle centrée sur le potentiel permis par les nouvelles technologies

Elle réunit indus­triels, syn­di­cats, fédé­ra­tions, orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, centres de recherche tech­no­lo­gique (CEA, CETIM) et aca­dé­miques (Arts et Métiers Paris­tech et Ins­ti­tut Mines-Télé­com) et s’élargit d’ailleurs chaque jour à de nou­veaux acteurs. Elle asso­cie le Conseil natio­nal de l’industrie, les régions, les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té à ses tra­vaux. Le ministre pré­side un comi­té de pilo­tage plu­sieurs fois par an pour éva­luer l’avancement du pro­jet et en fixer les prin­ci­pales orientations.

La coopé­ra­tion pri­vée publique est néces­saire pour la nor­ma­li­sa­tion, les for­ma­tions, les par­te­na­riats inter­na­tio­naux, la R & D, et per­met ain­si à l’État, à ses opé­ra­teurs et aux col­lec­ti­vi­tés d’apporter les meilleures réponses aux besoins des entreprises.

Un projet à cinq dimensions

Le pro­jet Indus­trie du Futur repose sur cinq piliers, qui se déclinent en chan­tiers opé­ra­tion­nels concrets et en tra­vaux col­lec­tifs sur les prio­ri­tés identifiées.

Les deux pre­miers piliers du pro­jet sont ceux du pro­jet Usine du Futur : la R & D, et le déve­lop­pe­ment régio­nal, en lien avec les pro­grammes déployés par les Conseils régio­naux. Trois autres piliers ont pris de l’importance depuis la seconde phase : les res­sources humaines, la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale et de la communication.

1- Améliorer l’offre technologique

La créa­tion d’une offre fran­çaise de l’Industrie du Futur pour sa dif­fu­sion dans l’ensemble du tis­su éco­no­mique est le pre­mier pilier du pro­gramme. Il s’agit de res­ter à la fron­tière tech­no­lo­gique des indus­tries du futur et de valo­ri­ser les tech­no­lo­gies appro­priées dans l’ensemble du tis­su éco­no­mique. Les poly­tech­ni­ciens ont bien sûr un rôle à jouer dans cette offre, conjoin­te­ment avec d’autres ingé­nieurs et scientifiques.

Sept champs tech­no­lo­giques ont été pri­vi­lé­giés en cohé­rence avec leur impact sur le monde éco­no­mique. Il s’agit de la fabri­ca­tion addi­tive, de la robo­tique, de la numé­ri­sa­tion des chaînes de pro­duc­tion, des tech­no­lo­gies de moni­to­ring, des nou­veaux maté­riaux, des co-tech­no­lo­gies (cobo­tique, réa­li­té aug­men­tée, etc.) et de l’efficacité éner­gé­tique, qui béné­fi­cient de sou­tiens publics à la R & D. 240 pro­jets de R & D ont été lan­cés depuis 2013. La pla­te­forme Fac­to­ry Lab por­tée à Saclay par le CEA avec des indus­triels comme DCNS, Safran ou Peu­geot est un exemple de pro­jet sou­te­nu dans ce cadre : basée autour de démons­tra­teurs, elle per­met­tra l’expérimentation de tech­no­lo­gies de pro­cé­dés indus­triels par des grands groupes, des PME ou des laboratoires.

Cela s’accompagne de feuilles de route qui incluent R & D, nor­ma­li­sa­tion, réfé­ren­tiels de com­pé­tences et de for­ma­tions, car­to­gra­phie de l’offre française.

2- Diffuser les technologies aux PME et ETI dans les régions

Des pro­grammes ont été mis en place depuis mai 2015 dans la tota­li­té des régions avec pour objec­tif d’accompagner 2 000 PMI et ETI d’ici fin 2016, sur la base d’un bud­get glo­bal de 200 M€. Cet objec­tif, atteint dès l’été 2016, a été ampli­fié en octobre à 3 400 entre­prises béné­fi­ciaires fin 2016 puis à 4 300 fin 2017. Les entre­prises concer­nées béné­fi­cient de diag­nos­tics per­son­na­li­sés réa­li­sés par des experts de l’Industrie du Futur, et finan­cés prin­ci­pa­le­ment par les Conseils régio­naux. Cet accom­pa­gne­ment, enri­chi par les apports tech­niques et métho­do­lo­giques de l’Alliance et des ser­vices de l’État (DIRECCTE), per­met aux chefs d’entreprises de mieux connaître les tech­no­lo­gies dis­po­nibles, d’identifier les ver­rous (humain, orga­ni­sa­tion, com­pé­tences, finan­ce­ment) limi­tant l’accès à ces inno­va­tions et de repen­ser leur modèle économique.

719 M€ de prêts Indus­trie du Futur ont déjà accom­pa­gné les inves­tis­se­ments en sep­tembre 2016 sur une enve­loppe dis­po­nible de 2,5 Md€, et le sur­amor­tis­se­ment fis­cal des inves­tis­se­ments pro­duc­tifs réa­li­sés depuis avril 2015 contri­bue à les renforcer.

3- Faire évoluer les situations de travail et former les salariés

Il s’agit d’assurer la mon­tée en com­pé­tence des sala­riés de l’industrie vers les nou­veaux métiers. Cela repose sur une vision pros­pec­tive par­ta­gée avec les par­te­naires sociaux, les orga­nismes de for­ma­tion et les acteurs de terrain.

La for­ma­tion aux nou­veaux métiers consti­tue en effet la pre­mière condi­tion du suc­cès de l’Industrie du Futur. Elle accom­pagne la pré­sence accrue du numé­rique et de la robo­ti­sa­tion dans l’entreprise et concerne autant la for­ma­tion ini­tiale que continue.

La formation aux nouveaux métiers constitue la première condition du succès

Le pro­jet « Osons l’Industrie » issu du CNI et de l’Alliance doit ain­si ana­ly­ser dif­fé­rents types de trans­for­ma­tions, en déduire les consé­quences sur l’organisation et les com­pé­tences requises, et éla­bo­rer des recom­man­da­tions pour faire évo­luer les réfé­ren­tiels de for­ma­tion. Un por­tail inter­net infor­me­ra mieux les élèves et leurs familles sur les métiers, les for­ma­tions et les besoins de recru­te­ment de l’Industrie du Futur.

4- Renforcer la coopération européenne et internationale

Il s’agit de nouer chaque fois qu’opportun des par­te­na­riats stra­té­giques aux niveaux euro­péen et inter­na­tio­nal, tenant compte des pro­grammes simi­laires lan­cés par d’autres pays et l’UE. Cela porte aus­si sur la nor­ma­li­sa­tion, clé pour l’interopérabilité des machines, qui requiert une trans­ver­sa­li­té accrue des approches. Sont déjà concer­nés États-Unis, Chine, Royaume-Uni et Allemagne.

Par exemple avec l’Allemagne un plan d’actions a été pré­pa­ré, por­tant notam­ment sur une stra­té­gie com­mune en matière de nor­ma­li­sa­tion et sur un rap­pro­che­ment entre l’Institut Mines Télé­com et la Tech­nische Uni­ver­sität Mün­chen sur la base d’une aca­dé­mie fran­co-alle­mande pour l’Industrie du Futur.

5- Promouvoir une Industrie du Futur à la française

L’objectif est de valo­ri­ser les tra­vaux menés dans les quatre pre­miers piliers et de faire connaître l’excellence de l’Industrie du Futur à la fran­çaise. L’intérêt de l’Alliance est ain­si évident : il s’agit de s’unir pour ampli­fier la noto­rié­té de la marque France à l’international et de por­ter une com­mu­ni­ca­tion cohérente.

En résultent par exemple la marque Crea­tive France Indus­try lan­cée à la foire de Hanovre ou le pre­mier salon de l’Industrie du Futur à Vil­le­pinte du 6 au 9 décembre 2016 sur près de 80 000 m².

Ne pas en rester là

Si l’Alliance repré­sen­tait à sa créa­tion envi­ron un mil­lion de sala­riés en comp­tant les res­sor­tis­sants de ses adhé­rents, il reste du che­min à par­cou­rir pour tou­cher les trois mil­lions de sala­riés de l’industrie et au-delà de nom­breux ser­vices qui concourent à la com­pé­ti­ti­vi­té, logis­tique, ingé­nie­rie, conseil, juri­dique etc., mais aus­si des ser­vices à la per­sonne qui faci­litent la vie des sala­riés et des entrepreneurs.

Dix-huit mois de recul sug­gèrent d’accélérer les trans­ferts d’expérience entre entre­prises, d’encourager des réflexions par filières, de répondre aux enjeux cru­ciaux de la cyber­sé­cu­ri­té, alors que le nombre d’objets connec­tés explose, d’améliorer les outils de mesure et d’évaluation des poli­tiques conduites, de pour­suivre l’adaptation du droit (notam­ment du tra­vail) à ces nou­veaux enjeux.

Plus géné­ra­le­ment, les débats pré­cé­dant l’élection pré­si­den­tielle sont l’occasion de faire valoir les enjeux essen­tiels que la numé­ri­sa­tion de l’économie et la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises pré­sentent pour notre pays, et les coopé­ra­tions euro­péennes qui sont requises si nous vou­lons que l’Union ne soit pas dans une situa­tion de sujé­tion à terme d’autres grandes puis­sances. On en voit appa­raître des élé­ments dans divers pro­grammes, qu’il faut encourager.

Éric CAREELQuand la poutre parle à propos de l’objet connecté

Éric CAREEL
Ingénieur et entrepreneur, président fondateur de Withings, Sculteo et Innoxia

« Mon ordi­na­teur peut-il se connec­ter à Inter­net ? » Nous nous sommes posé cette ques­tion il y a quinze ans et elle fait sou­rire aujourd’hui. Alors par­ler d’objet connec­té sera-t-il aus­si peu signi­fiant que de par­ler d’ordinateur wifi ?

L’inter­rup­teur du salon ne se rac­corde plus à un fil. Il se repo­si­tionne comme un post-it, se recon­fi­gure avec un smart­phone et fonc­tionne sans bat­te­rie. Joie pour qui a essayé une rai­nu­reuse et son nuage de pous­sière pour ins­tal­ler un interrupteur.

Demain, une légère modu­la­tion de nos chauf­fages et la mise en réseau des bat­te­ries de nos auto­mo­biles per­met­tront de mini­mi­ser dras­ti­que­ment le recours aux éner­gies fos­siles. Béné­fice pour le réchauf­fe­ment climatique.

L’objet accède à une puissance de calcul instantanée quasi infinie pendant un temps court

Le pèse-per­sonne se trans­forme et mesure la rigi­di­té de nos artères, pre­mier cri­tère de pré­ven­tion des risques car­dio­vas­cu­laires à un stade où nos com­por­te­ments ali­men­taires et spor­tifs sont effi­caces. Mieux que d’entendre de notre méde­cin « vous auriez dû venir me voir plut tôt ».

En une frac­tion de vie de l’univers, nous avons inven­té la poste aux che­vaux, le morse, Inter­net, les réseaux sociaux et Wiki­pé­dia. Petit à petit, nous construi­sons un monde extra­or­di­nai­re­ment com­plexe qui devient « UN ». Les objets font de même ou plus exac­te­ment nous fai­sons pour eux. L’Internet of Things est le nou­vel outil pour que les objets coopèrent, soient plus per­for­mants et nous rendent mieux ser­vice. Après la noo­sphère ou plu­tôt à côté, la « thingsphère ».

Alors révo­lu­tion par la connexion wifi, Blue­tooth, GSM, 4G, LoRa ou Sig­fox ? Plu­tôt simple évo­lu­tion natu­relle. La révo­lu­tion est ailleurs, dans l’objet et au coeur de l’entreprise qui conçoit, fabrique et opère ces objets. Oublions donc cet adjec­tif de « connec­té » à l’objet. Ils le seront presque tous jusqu’au… pot de fleurs.

Révolution de l’objet

Par une trans­for­ma­tion lente, l’objet a d’abord été simple tra­vail sur un maté­riau tels le silex ou la pote­rie. La capa­ci­té de fondre et de for­ger a conduit au cou­teau. L’arc et sa flèche ont embar­qué la notion de mou­ve­ment et de forces. L’énergie ani­male, le vent ou l’eau sont venus à la res­cousse de l’énergie humaine avec le mou­lin ou la char­rue. Le moteur à vapeur ou à explo­sion a per­mis la loco­mo­tive ou l’automobile. L’électricité et son moteur don­nèrent l’accès à une puis­sance motrice à tous les objets. La micro­mé­ca­nique, l’électronique et le logi­ciel les trans­forment aujourd’hui de plus en plus rapidement.

Et depuis une décen­nie de nom­breux objets se connectent entre eux et à Inter­net. Longue his­toire de trans­for­ma­tion qui semble s’accélérer aujourd’hui parce que l’objet n’est plus seul.

L’objet uti­lise en temps réel la connais­sance uni­ver­selle. Toute poutre en béton pour­ra com­pa­rer l’évolution de ses para­mètres de ten­sion, de flexion, d’humidité à d’autres poutres fabri­quées dans le même maté­riau, tenir compte des vibra­tions sis­miques mesu­rées en tout lieu pour déci­der d’une éven­tuelle alerte.

L’objet accède à une puis­sance de cal­cul ins­tan­ta­née qua­si infi­nie pen­dant un temps court. Ain­si le cap­teur car­diaque fera demain du deep lear­ning sur les signaux bruts mesu­rés pour s’améliorer au cours du temps dans la détec­tion d’arythmies. Fini les chantres de l’obsolescence pro­gram­mée et bien­ve­nue à l’amélioration silencieuse.

L’objet coopère. Adieu aux anti­vols. Les vélos seront loca­li­sés via les satel­lites et ce pour moins d’un euro.

L’objet révo­lu­tionne son inter­face. Aidé du smart­phone, l’objet devient plus simple et donc rend ses fonc­tions plus accessibles.

Ces quatre sources de trans­for­ma­tion conduisent à une cin­quième, essen­tielle : l’objet, débar­ras­sé du besoin d’embarquer des capa­ci­tés qu’il peut mieux trou­ver ailleurs telles l’interface, la capa­ci­té de cal­cul, la mémoire se concentre. Le coût matière peut être uti­li­sé majo­ri­tai­re­ment pour la fonc­tion propre de l’objet. Ain­si les chaînes audio hifi offrent un ren­du musi­cal de plus en plus exquis en même temps qu’elles élaguent lec­teurs, affi­cheurs et bou­tons. L’objet mute donc. Mais il n’est pas le seul.

Révolution de l’entreprise qui crée l’objet

En 2007 en intro­dui­sant l’iPhone, Steve Jobs, sans le dire, casse une règle. De nom­breux fabri­cants et opé­ra­teurs n’ont pas vu le coup venir. Désor­mais, il n’y a plus d’un côté les fabri­cants qui font le télé­phone et « au-des­sus » les opé­ra­teurs qui opèrent cet objet : il y a des fabri­cants-opé­ra­teurs. Ce n’est pas la simple volon­té d’un homme. C’est plus pro­fon­dé­ment le ren­ver­se­ment de l’échelle de valeurs : l’important n’est plus le client mais l’utilisateur.

Adieu les ronds de jambe des mar­chés B2B. Bien­ve­nue à une entre­prise orien­tée « uti­li­sa­teurs » et basée sur le ser­vice ren­du. C’est aus­si le ren­ver­se­ment du fonc­tion­ne­ment des entre­prises entre elles. Hier, orga­ni­sa­tion hié­rar­chique client-four­nis­seurs par super­po­si­tion des couches client / opé­ra­teur / fabri­cant / sous-trai­tants. Aujourd’hui, coopé­ra­tion entre entreprises.

Depuis que l’homme crée, chaque évolution engendre opportunités et risques

Détaillons. Chaque construc­teur d’objet peut et doit accé­der aux don­nées géné­rées. Ain­si il crée un ser­vice après-vente plus effi­cace. En sui­vant en temps réel la qua­li­té per­çue par les uti­li­sa­teurs, il agit plus rapi­de­ment sur ses pro­cé­dés de fabri­ca­tion. Il dimi­nue le nombre de réfé­rences en para­mé­trant ses appa­reils auto­ma­ti­que­ment chez l’utilisateur. Il consti­tue rapi­de­ment une base de connais­sance pour connaître les fonc­tion­na­li­tés les plus uti­li­sées et com­prendre com­ment faire mieux demain. Grâce à l’agilité nou­velle du hard­ware et à ces don­nées récol­tées en temps réel il amé­liore en conti­nu l’objet et son service.

Il noue des par­te­na­riats en quelques heures via des API (Appli­ca­tion Pro­gram­ming Inter­face) pour délé­guer ce qui est mieux fait ailleurs et se concen­trer sur son exper­tise. Ain­si de IFTTT, de Home­kit, ou encore de la recon­nais­sance du lan­gage natu­rel qui sera acces­sible à de nom­breux objets.

Donc l’enjeu du concep­teur d’objets n’est plus de le connec­ter, mais d’opérer une trans­for­ma­tion digi­tale et d’organisation pour un meilleur ser­vice via son objet. De construc­teur, il devient concep­teur-opé­ra­teur et concentre son éner­gie sur « aller pro­fond » plu­tôt que « faire large ».

Message à ceux qui auraient peur

Il est qua­si sys­té­ma­tique en France que l’une des pre­mières ques­tions posées après une pré­sen­ta­tion des objets connec­tés soit liée aux peurs qui nous habitent face à ses chan­ge­ments et notam­ment celle liée au res­pect de la vie pri­vée. Lar­ry Page, cofon­da­teur de Google et pré­sident d’Alphabet, au cours d’un évé­ne­ment TED, a répon­du assez direc­te­ment à cette ques­tion : « Si les dos­siers médi­caux de tout le monde étaient dis­po­nibles de façon ano­nyme aux cher­cheurs en san­té, […] je pense […] que nous sau­ve­rions 100 000 vies cette année. »

Depuis que l’homme crée, chaque évo­lu­tion engendre oppor­tu­ni­tés et risques. Côté risques, l’automobile a pro­ba­ble­ment été la pire inven­tion humaine. Dirions-nous qu’il ne fal­lait pas l’inventer ? Les risques sont à gérer certes, mais ne serions­nous pas plus heu­reux à tra­vailler d’abord les opportunités ?

Vingt à quatre-vingts mil­liards d’objets reliés à Inter­net en 2020 selon les sources. Cela peut enchan­ter ou faire peur. L’important n’est peut-être pas là. L’important est que cha­cun de nous pour­ra par­ti­ci­per tou­jours plus pro­fon­dé­ment à notre monde en culti­vant son exper­tise et en la par­ta­geant sim­ple­ment. Belle pers­pec­tive pour un « davan­tage » ensemble.

Sébastien PIALLOUX (00)L’humain, au cœur de la transformation numérique des entreprises “ traditionnelles ”

Sébastien PIALLOUX (00)
Big Data Fab director at SNCF

Les entre­prises nées avant l’émergence du numé­rique entament actuel­le­ment une muta­tion à marche for­cée. Par­fois domi­nantes sur leur sec­teur depuis des décen­nies, elles voient leurs modèles éco­no­miques bous­cu­lés par des entre­prises jeunes qui rentrent dans leur domaine d’activité de manière non conven­tion­nelle. En moins de dix ans, les grandes chaînes hôte­lières ont ain­si vu leur dis­tri­bu­tion mono­po­li­sée par un inter­mé­diaire (le site inter­net booking.com) puis leur pro­duit mis en concur­rence avec les appar­te­ments de par­ti­cu­liers via une pla­te­forme (Air B & B). Les dif­fé­rents sec­teurs de l’industrie sont tou­chés ou « dis­rup­tés » pro­gres­si­ve­ment, dans le domaine imma­té­riel (le sec­teur ban­caire par exemple, avec l’arrivée de l’Apple pay d’Apple) comme dans le domaine manu­fac­tu­rier (l’automobile avec la mon­tée en puis­sance de Google sur la voi­ture autonome).

Dans leur der­nier livre, deux experts du numé­rique, Nico­las Colin et Lae­ti­tia Vitaud, annoncent ain­si que « le numé­rique pro­voque […] une évo­lu­tion radi­cale et glo­bale […]. Il affecte toute l’économie tant il change la façon de pro­duire et de consom­mer dans tous les sec­teurs. Il nous impose une tran­si­tion numé­rique, pro­ces­sus long et ité­ra­tif […] au terme duquel notre éco­no­mie et notre socié­té seront radi­ca­le­ment dif­fé­rentes de celles que nous avons connues au siècle dernier ».

Dès lors, ces entre­prises « his­to­riques » ou « tra­di­tion­nelles » doivent bas­cu­ler vers l’économie numé­rique pour espé­rer conser­ver leur marge. Cette muta­tion dépasse l’interface-client sym­bo­li­sée par la mise en ligne d’un site inter­net. Elle ne se contente pas non plus d’aligner des galops d’essai, des Proof of concept (POC), sou­vent uti­li­sés pour se ras­su­rer sur sa capa­ci­té à appré­hen­der le phé­no­mène et com­mu­ni­quer sur une tran­si­tion numé­rique pré­su­mée. Toute entre­prise dis­po­sant d’un mini­mum de moyens finan­ciers y arrive facilement.

Mais, les gains de com­pé­ti­ti­vi­té ne seront engran­gés qu’avec l’industrialisation de ces POC. Cette étape, dif­fi­cile, mar­que­ra l’entrée réelle dans l’ère numé­rique. Cette trans­for­ma­tion, com­plexe et spé­ci­fique à chaque entre­prise, s’adresse donc à l’ensemble de ses acti­vi­tés et va bien au-delà de l’intégration des tech­no­lo­gies les plus récentes. Elle engendre notam­ment une évo­lu­tion pro­fonde de la culture et les pro­cess des entre­prises concer­nées qui devront inté­grer les codes du digital.

Cinq fon­da­men­taux sont com­mu­né­ment admis :

  • l’utilisateur final, interne comme externe, est le centre d’attention des dif­fé­rents acteurs (métier, scien­ti­fique ou IT) inter­ve­nant sur un pro­jet don­né. Les pro­duits sont d’abord conçus pour répondre aux besoins de cet uti­li­sa­teur avant d’être l’idée d’un concepteur ;
  • la don­née devient un asset clef de l’entreprise. Elle est col­lec­tée, ana­ly­sée, par­ta­gée pour mesu­rer l’existant et faire appa­raître de nou­veaux usages. Elle per­met d’objectiver sys­té­ma­ti­que­ment les pro­jets, sous l’angle de la satis­fac­tion client comme de la performance.
  • l’agilité devient une valeur car­di­nale de l’entreprise : les équipes pro­jets sont colo­ca­li­sées pour per­mettre de fré­quents allers-retours entre l’utilisateur final et l’équipe de déve­lop­pe­ment, et le droit à l’erreur est mis en avant (try fast, fail fast). Les pro­jets courts deviennent la norme pour per­mettre de tes­ter et d’ajuster au plus vite les nou­veaux pro­cess de tra­vail. Les plans à cinq ans laissent ain­si la place à des pro­grammes de six à dix-huit mois maxi­mum, tem­po­ra­li­té qui cor­res­pond en géné­ral à l’arrivée d’une nou­velle tech­no­lo­gie qui obli­ge­ra l’entreprise à ajus­ter sa stratégie ;
  • la sca­la­bi­li­té des pro­jets est pen­sée dès le début des pro­jets. Les déve­lop­pe­ments et solu­tions rete­nues lors du pro­to­ty­page doivent pou­voir être indus­tria­li­sées rapi­de­ment lors du pas­sage à l’échelle pour évi­ter de tout redé­ve­lop­per au moment du pas­sage à la pro­duc­tion industrielle ;
  • l’ouverture de l’entreprise au monde exté­rieur lui per­met de se nour­rir du foi­son­ne­ment d’idées drai­nées par l’économie numé­rique. Elle intègre les dif­fé­rents réseaux du numé­rique pour échan­ger sur ses pro­blé­ma­tiques. Elle défi­nit une stra­té­gie lisible vis-à-vis d’une liste ciblée de start-up pour les faire gran­dir autour de ses pro­blé­ma­tiques indus­trielles et tirer par­ti de par­te­naires agiles, moti­vés et inno­vants. Elle construit une démarche réflé­chie sur l’open-data quand cela est per­ti­nent pour s’appuyer sur d’autres entre­prises à même de déve­lop­per son champ d’action.

L’appropriation de ces fon­da­men­taux doit per­mettre de géné­rer de rapides et réels gains de pro­duc­ti­vi­té. Pour autant, ils bou­le­versent par­fois l’organisation et les pro­cess en place. La valo­ri­sa­tion de la place de l’humain dans la trans­for­ma­tion numé­rique d’une entre­prise « tra­di­tion­nelle » per­met alors de contour­ner cette dif­fi­cul­té. La par­ti­ci­pa­tion de tous les col­la­bo­ra­teurs comme acteurs voire ambas­sa­deurs de cette trans­for­ma­tion devient ain­si un fac­teur déter­mi­nant de sa réussite.

Valoriser la place de l’humain dans la transformation numérique

Quatre actions faci­litent cette adhésion :

  • consti­tuer un éco­sys­tème interne com­po­sé d’un centre d’expertise du digi­tal entou­ré de relais qui maillent les prin­ci­paux dépar­te­ments de l’entreprise. Celui-ci per­met­tra de faire remon­ter les prin­ci­paux besoins, de dif­fu­ser les fon­da­men­taux du numé­rique aux équipes ter­rains et de s’assurer de la tenue des objec­tifs de trans­for­ma­tion de l’entreprise ;
  • acter que la trans­for­ma­tion numé­rique béné­fi­cie à tout le monde, y com­pris aux col­la­bo­ra­teurs. Elle ne doit pas concer­ner uni­que­ment le client externe. Il est en effet com­pli­qué de mobi­li­ser ses col­la­bo­ra­teurs autour des ver­tus du numé­rique pour trans­for­mer l’expérience client s’ils ne voient pas de trans­for­ma­tion dans leur vie quo­ti­dienne. Cela com­mence par des mesures de bon sens comme une adresse e‑mail pour tous ou un réseau inter­net interne per­for­mant en mobi­li­té, ain­si que des mar­queurs comme un intra­net clair, une ges­tion des notes de frais digi­ta­li­sée et ergo­no­mique, d’une docu­men­ta­tion d’entreprise numé­ri­sée, etc. ;
  • assu­rer la for­ma­tion et la mon­tée en com­pé­tence des équipes la plus large pos­sible pour faci­li­ter l’appropriation et l’industrialisation. Le numé­rique dépasse doré­na­vant lar­ge­ment le cercle d’une direc­tion digi­tale. Par exemple, pre­nons la main­te­nance pré­dic­tive d’un site indus­triel. Quand un méca­ni­cien inter­vient suite à la pré­dic­tion d’un algo­rithme, il doit s’attendre à ce que cet algo­rithme fasse des erreurs comme pour toute pré­dic­tion puis com­prendre que cet alea anti­ci­pé ne remet pas en cause le béné­fice du dis­po­si­tif. Ceci pour l’inciter à res­ter acteur de cette trans­for­ma­tion, en ren­sei­gnant notam­ment toute inter­ven­tion inutile pour per­mettre une amé­lio­ra­tion ulté­rieure du modèle ;
  • déployer une stra­té­gie claire de com­mu­ni­ca­tion externe et interne pour sen­si­bi­li­ser toutes les couches de l’entreprise à cette trans­for­ma­tion digitale.

Cet éco­sys­tème per­for­mant et com­mu­ni­quant, qui oeuvre en faveur de l’ensemble des col­la­bo­ra­teurs tout en orga­ni­sant leur mon­tée en com­pé­tence faci­li­te­ra ain­si l’adhésion de cha­cun dans cette tran­si­tion numé­rique. Il per­met­tra de pas­ser sur bien des résis­tances inhé­rentes à tout chan­ge­ment. Une trans­for­ma­tion digi­tale plei­ne­ment embras­sée par les équipes fédé­re­ra les col­la­bo­ra­teurs autour d’une dyna­mique inno­vante co-construite qui les rend acteurs du mou­ve­ment, les aide à dépas­ser leurs appré­hen­sions et per­met in fine l’industrialisation de leur projet.

Laurent DANIEL (96)Uber ubérisé par l’État ?

Laurent DANIEL (96)
Président de X‑Sursaut

L’ubérisation semble être une nouvelle tendance irrémédiable

L’entreprise amé­ri­caine Uber a bou­le­ver­sé le sec­teur des taxis et ceci au niveau mon­dial. Le verbe ubé­ri­ser est venu géné­ra­li­ser ce mou­ve­ment de dis­rup­tion de sec­teurs tra­di­tion­nels par de nou­veaux acteurs digi­taux, par exemple l’hôtellerie avec AirBNB, Boo­king, Tri­pad­vi­sor, etc.

…dont les effets concurrentiels sont ambivalents…

L’utilisation des nou­velles tech­no­lo­gies abat ain­si les bar­rières à l’entrée dans de nom­breux sec­teurs. Dans le même temps, de nou­veaux mono­poles émergent, créant ain­si de fait de nou­velles bar­rières mais celles-ci d’un autre type, non plus cor­po­ra­tistes ou régle­men­taires, mais désor­mais tech­no­lo­giques avec une très forte prime au pre­mier entrant et à la taille.

…et dont doivent tenir compte les pouvoirs publics

Au prin­temps 2015, des mani­fes­ta­tions et des blo­cages en France, mais aus­si dans beau­coup d’autres pays, ont mon­tré la grogne des taxis face à cette nou­velle concur­rence qu’ils jugent déloyale. Les pou­voirs publics doivent repen­ser, à l’aune de ces nou­veaux entrants d’un nou­veau genre, la notion de concur­rence ain­si que la liber­té de commerce.

Des activités très semblables entre taxis et VTC

Les taxis et les véhi­cules de tou­risme avec chauf­feur (VTC) peuvent se défi­nir de la manière suivante :

  • Selon la loi du 20 jan­vier 1995, un taxi est un véhi­cule auto­mo­bile « de neuf places assises au plus, y com­pris celle du chauf­feur, muni d’équipements spé­ciaux, dont le pro­prié­taire ou l’exploitant est titu­laire d’une auto­ri­sa­tion de sta­tion­ne­ment sur la voie publique en attente de la clien­tèle afin d’effectuer à la demande de celle-ci et à titre oné­reux le trans­port par­ti­cu­lier des per­sonnes et de leurs bagages ».
  • Selon la loi du 1er octobre 2014, les entre­prises de VTC sont des véhi­cules qui « mettent à la dis­po­si­tion de leur clien­tèle une ou plu­sieurs voi­tures de trans­port avec chauf­feur, dans des condi­tions fixées à l’avance entre les par­ties. Ces entre­prises sont soit des exploi­tants de voi­tures de trans­port avec chauf­feur, soit des inter­mé­diaires qui mettent en rela­tion des exploi­tants et des clients ».

La dif­fé­rence clé réside ain­si dans le fait que les taxis ont la pos­si­bi­li­té de prendre des voya­geurs qui les hèlent lorsqu’ils cir­culent et sta­tionnent sur la voie publique, ce qui n’est pas auto­ri­sé en règle géné­rale pour les VTC.

L’arrivée des sociétés de VTC a entraîné des gains pour les consommateurs et les nouveaux chauffeurs de VTC…

Ces nou­veaux entrants ont pro­cu­ré des gains aux consom­ma­teurs : une nou­velle offre avec par­fois des prix plus avan­ta­geux, des nou­veaux ser­vices à bord (bou­teille d’eau, recharge de por­table, etc.), des inno­va­tions tech­no­lo­giques (paie­ment par inter­net ou mobile, géo­lo­ca­li­sa­tion), ce qui a pro­vo­qué des inno­va­tions simi­laires des socié­tés de taxis.

De plus, beau­coup de per­sonnes, notam­ment jeunes et par­fois issues de zones où le taux de chô­mage est très éle­vé sont deve­nues chauf­feurs VTC ce qui les a sor­tis du chô­mage ou leur a appor­té un reve­nu complémentaire.

…mais aussi des aspects négatifs pour les chauffeurs de taxis et de VTC

Tou­te­fois, les taxis payent le prix fort de cette nou­velle concur­rence avec une réduc­tion de la valeur de leur licence que beau­coup d’entre eux ont acquise au prix fort et par­fois après l’avoir louée pen­dant de nom­breuses années. Cer­tains chauf­feurs de taxis sup­portent en outre une impo­si­tion fis­cale et sociale plus éle­vée que les chauf­feurs de VTC qui sont consi­dé­rés comme des indépendants.

Les chauf­feurs de socié­tés de VTC sont sou­mis aux condi­tions fixées par la pla­te­forme dont ils dépendent sans en contre­par­tie béné­fi­cier de la pro­tec­tion de l’emploi ou d’une garan­tie de chiffre d’affaires, ce qui les met dans une situa­tion de pré­ca­ri­té éle­vée. De plus, sou­vent, les chauf­feurs de VTC ne sont pas au fait des règles comp­tables et risquent ain­si de tra­vailler à perte.

Mettre en place des mesures favorables aux chauffeurs de taxis et de VTC ainsi que leurs clients et ubériser les entreprises de taxis et les grandes plateformes de VTC

Il y a envi­ron 50 000 taxis en France dont approxi­ma­ti­ve­ment 18 000 en région pari­sienne, avec la socié­té de taxis de G7 en posi­tion très forte.

Le dépu­té Laurent Grand­guillaume, char­gé de la média­tion dans le conflit des taxis, indi­quait que « Les VTC, comme les taxis, sont frap­pés par la pau­pé­ri­sa­tion ». Il faut donc recher­cher des solu­tions au béné­fice des chauf­feurs de taxis et de VTC mais pas de ceux qui captent actuel­le­ment l’essentiel de la valeur, c’est-à-dire les grandes socié­tés de taxis et les pla­te­formes de VTC. Pour cela, il faut que les chauf­feurs de VTC et de taxis puissent s’affranchir pro­gres­si­ve­ment de la dépen­dance aux entre­prises qui captent une part impor­tante de la valeur de leur tra­vail. L’alignement des condi­tions fis­cales et sociales des chauf­feurs de taxis et VTC serait bien sûr aus­si souhaitable.

L’alignement des conditions fiscales et sociales des chauffeurs de taxis et VTC serait souhaitable

Les pou­voirs publics mettent en place pro­gres­si­ve­ment depuis 2015 dans plu­sieurs grandes villes de France la nou­velle pla­te­forme Inter­net Le.taxi. Celle-ci est par exemple déjà dis­po­nible à Paris, Mar­seille, Rennes et bien­tôt à Lyon. Cette pla­te­forme pré­vue par la loi Thé­ve­noud donne la pos­si­bi­li­té aux clients de com­man­der un des taxis ins­crits sans frais d’approche.

Plu­sieurs applis par­te­naires (Tedy­Cab, Zaléou, Tri­perz) per­mettent d’accéder au ser­vice sur son smart­phone comme c’est le cas pour les appli­ca­tions VTC, par exemple celle déve­lop­pée par Uber. Les chauf­feurs de taxi doivent payer un abon­ne­ment men­suel ou payer à la jour­née ou à la course l’accès au ser­vice. Les chauf­feurs de taxi indé­pen­dants semblent appré­cier cette nou­velle pla­te­forme y com­pris la pos­si­bi­li­té offerte aux clients de noter la qua­li­té du service.

Les pou­voirs publics ont ain­si déve­lop­pé un sys­tème de géo­lo­ca­li­sa­tion et de pro­po­si­tions de courses. L’État devient ges­tion­naire de pla­te­forme et se sub­sti­tue aux socié­tés pri­vées qui béné­fi­cient mani­fes­te­ment aujourd’hui d’une situa­tion de posi­tion forte et/ ou de cap­ta­tion très éle­vée de la valeur.

C’est donc un nou­veau cap qui est désor­mais fran­chi dans la régu­la­tion des pla­te­formes. Cette sub­sti­tu­tion de l’État aux pla­te­formes pri­vées pour­rait être aujourd’hui ima­gi­née pour d’autres sec­teurs éco­no­miques comme l’hôtellerie.

À condi­tion de ne pas frei­ner l’innovation, ce type d’implication de l’État per­met ain­si de res­ti­tuer la valeur aux acteurs situés et opé­rant en France : pour les taxis dès aujourd’hui, les hôtels bien­tôt peut-être ; et pro­ba­ble­ment pour beau­coup d’autres sec­teurs éco­no­miques à moyen terme. Apprendre et pra­ti­quer les règles de base de la rhétorique.

Jean-Michel HUBERT(59)Le plan français Industrie du Futur

Jean-Michel HUBERT(59)
Ancien président de l’autorité de régulation des télécommunications (ART)

En juin 2011 se tenait à Deau­ville la réunion annuelle du G8, avec à son ordre du jour et sur une ini­tia­tive fran­çaise, un échange sur le dos­sier Inter­net. Dans leur décla­ra­tion finale, les chefs d’État et de gou­ver­ne­ment ont, dans une pers­pec­tive mon­diale, trai­té des grands enjeux du moment : la crois­sance et l’emploi, l’accès à la connais­sance et à la culture, la liber­té d’expression et la pro­tec­tion des don­nées indi­vi­duelles, la sécu­ri­té des ins­ti­tu­tions et des réseaux, etc. Ce texte reste lar­ge­ment d’actualité. Et pour­tant, au-delà de son approche à juste titre poli­tique et stra­té­gique, n’y avait-il pas là déjà une place pour cette inter­ro­ga­tion de plus en plus pré­sente dans les réflexions actuelles : « Et dans tout ça, où va l’Homme, où vont nos Sociétés ? »

Alors que le déve­lop­pe­ment de l’humanité se tourne vers une forme de noma­disme et que le numé­rique fait de nous des citoyens du monde pro­gres­si­ve­ment libé­rés dans le choix de notre lieu de tra­vail ou l’accès à la connais­sance, aucune dimen­sion de notre vie, publique ou pri­vée, indi­vi­duelle ou col­lec­tive, ins­ti­tu­tion­nelle ou intime, ne semble devoir échap­per à ce mou­ve­ment. Quel mode de rela­tion va désor­mais s’établir entre les hommes alors que le pou­voir se concentre tou­jours plus entre leurs mains, pou­voir sur la matière, mais aus­si sur la vie ou la mort, sur l’intelligence ?

Il devient essen­tiel de s’interroger sur les valeurs qui ont pro­gres­si­ve­ment fon­dé ce que nous sommes, sur nos per­sonnes dans notre envi­ron­ne­ment. Com­ment vivre le para­digme du numé­rique pour qu’il demeure ce véri­table por­teur de pro­grès pour tous, dans la diver­si­té de nos aspi­ra­tions ? Der­rière cet objec­tif lar­ge­ment par­ta­gé, s’expriment des pré­oc­cu­pa­tions, sou­vent bien dif­fé­rentes, dont sont à l’évidence désor­mais conscients les pro­duc­teurs et les consom­ma­teurs de biens et ser­vices numé­riques, les res­pon­sables ins­ti­tu­tion­nels ou asso­cia­tifs, tous ceux qui façonnent ce nou­veau monde, sur tous les conti­nents, à un rythme dif­fi­cile à appréhender.

Tech­no­lo­giques ou phi­lo­so­phiques, les réflexions sur le sujet nous appellent à appro­fon­dir notre com­pré­hen­sion sur plu­sieurs points, notamment :

  • la por­tée réelle de cette trans­for­ma­tion éco­no­mique et socié­tale qui, en 40 ans, nous a fait pas­ser des réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions et sys­tèmes infor­ma­tiques hau­te­ment hié­rar­chi­sés, à la puis­sance des réseaux sociaux et bien­tôt à l’effacement des struc­tures d’intermédiation dans la rela­tion interpersonnelle.
  • l’ampleur de cette tran­si­tion ente la socié­té de l’écrit et celle du numé­rique, et son impact quant aux moteurs et aux sup­ports de la trans­mis­sion comme de l’enseignement.
  • le sens de ce regret cri­tique des pion­niers de l’Internet : la Toile espace de liber­té, de force créa­tive et de capa­ci­té à s’émanciper, devient-elle un espace de domes­ti­ca­tion et d’économisation ?

Si le numé­rique offre un for­mi­dable dis­po­si­tif qui ren­force les pos­si­bi­li­tés d’action de l’Homme, on ne peut désor­mais dis­so­cier celui-ci du couple qu’il forme avec son envi­ron­ne­ment, donc de plus en plus, avec les tech­no­lo­gies numé­riques qui l’enserrent dans une com­plexi­fi­ca­tion trans­for­mant les rela­tions sociales et le monde économique.

D’où la néces­saire cohé­rence entre ces deux valeurs cen­trales : l’utilité, lorsque nous nous en remet­tons à l’environnement numé­rique pour la conduite de cer­taines actions, et la liber­té, lorsque nous contes­tons à ce même envi­ron­ne­ment le sui­vi de nos traces et l’aliénation de nos choix.

Sou­ci indi­vi­dua­liste et objec­tif col­lec­tif, deux approches qui ne sau­raient s’exclure alors que le numé­rique contri­bue uti­le­ment à la prise en compte des ques­tions d’équité et de redis­tri­bu­tion par la dif­fu­sion sociale et cultu­relle des biens com­muns, outils et pro­duc­tions, don­nées et usages, qui condi­tionnent l’évolution de la capa­ci­té rela­tion­nelle entre tous.

Un par­tage qui ne sau­rait deve­nir pour autant un affai­blis­se­ment de nos outils de pen­sée et d’échange : la fina­li­té de la muta­tion numé­rique n’est pas de déci­der de ce que doit être l’Homme, mais de créer l’environnement qui l’aide à construire son ave­nir indi­vi­duel et col­lec­tif. Alors que le numé­rique déve­loppe les pos­si­bi­li­tés de réflexion et d’action de mil­liards d’êtres humains, c’est un enjeu majeur que de veiller à ce que l’imagination, voire l’utopie de cer­tains, apporte le meilleur sans géné­rer par ailleurs une dis­rup­tion destructrice.

Quelques aspects tra­duisent bien cette confron­ta­tion de l’espérance et de l’inquiétude.

  • La trans­for­ma­tion en marche de l’économie, qui bou­le­verse la rela­tion tant humaine que com­mer­ciale. L’ubérisation, aujourd’hui sus­cep­tible d’atteindre la plu­part des métiers, per­met l’accès à de nou­veaux ser­vices fac­teurs d’un pro­grès d’autant plus sédui­sant qu’ils offrent le moindre prix dans une approche soli­daire, mais elle peut aus­si entraî­ner la désor­ga­ni­sa­tion com­plète et même la des­truc­tion d’un sec­teur d’activité et de ses emplois.
    De même le blo­ck­chain va inten­si­fier la capa­ci­té de tran­sac­tion finan­cière directe entre entre­prises et par­ti­cu­liers, mais il remet en ques­tion la posi­tion pre­mière des banques comme tiers de confiance et il ouvre la voie à une nou­velle approche pour la gou­ver­nance mon­diale de l’Internet.
  • Les pers­pec­tives de l’intelligence arti­fi­cielle, qui nous fait vivre cette trans­for­ma­tion dans la rela­tion entre intel­li­gences indi­vi­duelle et col­lec­tive, entre intel­li­gences de l’homme et de la machine. La voca­tion de l’homme est de réa­li­ser ce que la machine ne sait pas faire. Or si la machine pro­gresse en deve­nant com­plexe, il en va éga­le­ment de même pour l’intelligence arti­fi­cielle qui nous emmène vers un ave­nir com­po­sé d’intelligences multiples.
    Une socié­té humaine fonc­tionne comme un agen­ce­ment d’automatismes que le numé­rique per­met d’intégrer à grande échelle ; grâce à une puis­sance de cal­cul qui double tous les dix-huit mois, la machine devient elle-même plus puis­sante que l’homme. Des ensembles consi­dé­rables émergent en s’appuyant sur l’efficacité de leurs algo­rithmes dont le déve­lop­pe­ment nous oblige à une vision sur ce que l’on veut rendre auto­ma­ti­sable ou cal­cu­lable et à une réelle com­pré­hen­sion des règles mises en oeuvre.
    Il est donc cru­cial d’aider la pro­chaine géné­ra­tion à s’intégrer dans un monde dif­fé­rent, à dis­po­ser d’une for­ma­tion cri­tique et équi­li­brée sur les sys­tèmes, leurs pla­te­formes et la masse de don­nées col­lec­tées. D’où cette dif­fi­cile ques­tion pour les pro­grammes d’enseignement : com­ment pré­pa­rer les enfants à des métiers qui n’existeront peut-être plus demain et à ceux qui n’existent pas encore.
  • La vision trans­hu­ma­niste, voire post­hu­ma­niste, avec cet imper­cep­tible glis­se­ment de l’homme répa­ré à l’homme aug­men­té. Dans ce domaine mar­qué par la conver­gence des tech­no­lo­gies NBIC, donc du numé­rique, quelle est la limite entre les indis­cu­tables pro­grès de la méde­cine et le bou­le­ver­se­ment socié­tal et humain d’un illu­soire recul de la mort ?

Toutes ces inter­ro­ga­tions inter­pellent la confiance que cha­cun d’entre nous place dans l’interférence tou­jours plus pré­gnante de cet uni­vers numé­rique avec nos faits et gestes intimes et quo­ti­diens. La trans­mis­sion des infor­ma­tions per­son­nelles ou des don­nées ren­voyées par les objets connec­tés crée un nou­vel envi­ron­ne­ment per­met­tant notam­ment de réa­li­ser des pro­fi­lages pré­dic­tifs, dans cette rela­tion ambi­va­lente que l’individu accepte sou­vent dans la confiance ou l’indifférence, et où des acteurs publics ou pri­vés ont la capa­ci­té de le connaître avec une pré­ci­sion sans précédent.

C’est là pour les entre­prises un actif finan­cier majeur, mais dont la contri­bu­tion à l’image de confiance et à la valo­ri­sa­tion pour la com­pé­ti­ti­vi­té sont liées à l’exigence de pro­tec­tion des don­nées per­son­nelles. Plu­sieurs approches régle­men­taires, légis­la­tives et même éthiques visent à ren­for­cer la garan­tie pour tout citoyen de béné­fi­cier de ce droit fon­da­men­tal, dans un contexte cepen­dant dif­fi­cile lorsqu’intervient le trans­fert inter­na­tio­nal des don­nées, avec notam­ment des ques­tions de sou­ve­rai­ne­té et de ter­ri­to­ria­li­té entre l’Europe et le reste du monde.

La dua­li­té des atti­tudes du citoyen, inter­naute et consom­ma­teur, qui peut se sen­tir libé­ré ou pri­son­nier des contraintes sur le Web, sou­ligne com­bien l’attractivité des usages inter­pelle la confiance selon que, dans sa vie numé­rique, il estime déte­nir une maî­trise et un contrôle suf­fi­sants ou se sent au contraire domi­né par la machine et même assu­jet­ti à des choix prescrits.

Tel est bien le reflet de cet enjeu du numé­rique pour l’Homme et pour la Socié­té : main­te­nir et enri­chir cette dua­li­té, immuable et néces­saire, de la per­sonne humaine libre et auto­nome, et de la dimen­sion enri­chis­sante et col­lec­tive des liens tis­sés dans son environnement.

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