Clémence Guillermain

Clémence Guillermain (X13) Histoire et philosophie des sciences

Dossier : TrajectoiresMagazine N°795 Mai 2024
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Ima­gi­nez qu’on ait inven­té un test bio­lo­gique per­met­tant de déter­mi­ner si une per­sonne âgée est entrée dans un pro­ces­sus irré­ver­sible de fin de vie et, consé­quem­ment, si elle mour­ra dans les deux ou trois années à venir. Fau­drait-il le rendre public, l’utiliser sans condi­tion ? Voi­là le genre de ques­tions que se pose Clé­mence Guiller­main, bio­lo­giste et philosophe.

On pour­rait pen­ser qu’il s’agit de science-fic­tion et pour­tant il n’en est rien, puisqu’une telle méthode est déjà appli­cable aux mouches dro­so­philes – on l’appelle même le « test Schtroumpf » (Smurf assay, en anglais) parce qu’on fait ingé­rer aux insectes une sub­stance bleue : si leur corps prend la même cou­leur, c’est signe d’une per­méa­bi­li­té intes­ti­nale accrue, pre­mier indice de l’approche de la mort.

Une littéraire refoulée

L’histoire qui a conduit notre cama­rade à s’intéresser aux ques­tions rela­tives à la fin de vie com­mence à Stras­bourg, dans une famille de méde­cins. Excel­lente élève, Clé­mence Guiller­main est plu­tôt atti­rée par les lettres ; elle rêve d’une classe pré­pa­ra­toire lit­té­raire et du concours de l’École des chartes. Au vu de ses résul­tats, on l’incite à choi­sir une filière scien­ti­fique, mais laquelle choi­sir ? Méde­cine, comme ses parents ? Agro, pour deve­nir vété­ri­naire ? Ce sera fina­le­ment une pré­pa PCSI, à Ginette – une orien­ta­tion qui lui réus­sit puisque, après une 52, Clé­mence est admise à la fois à l’X et à l’École normale.

Plu­tôt que la rue d’Ulm, elle choi­sit Palai­seau, pour le pres­tige de l’uniforme et plus encore pour la qua­li­té de vie que lui semblent pro­mettre le cam­pus et ses ins­tal­la­tions spor­tives. Elle s’y plai­ra beau­coup, en mul­ti­pliant les expé­riences les plus variées. On la retrouve en effet, par goût pour la soli­da­ri­té, à la pré­si­dence de l’action sociale de la Kès, par­tant en maraude avec ses cama­rades. Mais on la voit aus­si, au sein du binet « chat noir », orga­ni­ser de sym­pa­thiques dîners gastronomiques.

Avec les autres filles de sa sec­tion spor­tive (hand­ball, l’une des plus fémi­nines), elle dis­cute à l’envi d’un ave­nir qui per­met­trait de conci­lier vie pro­fes­sion­nelle et vie fami­liale – un équi­libre qu’elle par­vien­dra fina­le­ment à trou­ver. Quant aux cours qui lui sont dis­pen­sés, elle en retient notam­ment, en bonne lit­té­raire refou­lée, celui du phi­lo­sophe Michaël Fœs­sel sur l’histoire de la démo­cra­tie. Mais sur­tout elle se prend de pas­sion pour la bio­lo­gie, grâce aux leçons de Sonia Garel, Arnaud Echard et Alexis Gautreau.

Le choix de la fin de vie

Un pre­mier stage l’emmène alors à Har­vard, où elle étu­die le lien entre régime ali­men­taire et dépres­sion chez la sou­ris (pour­quoi le ron­geur qui mange trop gras est-il plus anxieux que les autres ?). Puis, dans un labo­ra­toire de Gif-sur-Yvette, elle s’intéresse au déve­lop­pe­ment des méla­nomes dans les embryons de pous­sins. Tout cela lui plaît, mais ne la convainc pas entiè­re­ment. Le déclic a lieu lorsqu’un cama­rade qui sui­vait des études de phi­lo­so­phie lui parle du mas­ter Logique, phi­lo­so­phie et his­toire des sciences (LOPHISS), abri­té par l’École nor­male et l’université Paris-Diderot. 

Après l’X, elle l’intègre direc­te­ment en deuxième année ; pour son mémoire, elle a le choix entre s’intéresser au début ou à la fin de la vie – elle choi­sit la fin, et c’est ain­si qu’elle est sai­sie par le virus du vieillis­se­ment, si l’on peut dire. Cet engoue­ment la conduit à pré­pa­rer une thèse, dont le titre inté­gral ne se résume pas (Le vieillis­se­ment humain : pen­ser un phé­no­mène phy­sio­lo­gique à la lumière de la bio­lo­gie contem­po­raine ; enjeux épis­té­mo­lo­giques et concep­tuels d’une approche expé­ri­men­tale).

« Je me suis envieilli, mais assagi je ne le suis certes pas d’un pouce. »
Montaigne

Durant ses tra­vaux, elle lit avi­de­ment toute la lit­té­ra­ture sur la sénes­cence, de Mon­taigne, qui se deman­dait pour­quoi l’on ne devient pas plus sage avec l’âge (« Je me suis envieilli, mais assa­gi je ne le suis certes pas d’un pouce », constate-t-il), à Georges Can­guil­hem, qui écrit notam­ment : « Le vieillard n’est pas inca­pable de se pro­je­ter dans le futur, mais d’une part il le sait limi­té, d’où l’impatience, d’autre part il a acquis, par la fatigue et dans les cica­trices, une expé­rience méfiante du rap­port à l’avenir. » L’expertise que Clé­mence Guiller­main aura rapi­de­ment acquise sur ce sujet lui per­met­tra ensuite de rejoindre le bureau de la Pla­te­forme natio­nale pour la recherche sur la fin de vie.

L’autre âge de la vie

Aujourd’hui, dans le cadre d’un post­doc­to­rat à l’université de Nantes, ses sujets de recherches sont un peu dif­fé­rents, puisqu’elle s’intéresse au recen­se­ment des dysfonction­nements de la mito­chon­drie dans le déve­lop­pe­ment de mala­dies rares. Mais sa pas­sion pour les sujets liés au grand âge reste intacte. Y a‑t-il une limite à l’espérance de vie humaine ? Lut­ter contre le vieillis­se­ment, est-ce lut­ter contre le fonc­tion­ne­ment nor­mal de l’organisme ? Pour­quoi les cel­lules de la lignée soma­tique vieillissent, tan­dis que celles de la lignée ger­mi­nale ne vieillissent pas ? Quand elle ne réflé­chit pas à ces ques­tions ver­ti­gi­neuses, en reli­sant par exemple les épreuves de l’ouvrage qu’elle va pro­chai­ne­ment faire paraître à leur sujet, Clé­mence Guiller­main consacre l’essentiel de son temps libre à un autre âge de la vie : mariée à un cama­rade de pro­mo­tion, elle a trois jeunes enfants. 

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