La complémentarité assurance-réassurance face aux nouveaux risques

La complémentarité assurance-réassurance face aux nouveaux risques

Dossier : AssuranceMagazine N°793 Mars 2024
Par Arthur DÉNOUVEAUX (X05)

Les risques assu­ran­tiels aug­mentent dans le monde contem­po­rain. Cet état de fait amène les réas­su­reurs à assu­mer eux-mêmes des risques crois­sants dans leur cou­ver­ture des assu­reurs, qui sont en pre­mière ligne. Pour faire face, ils recherchent une coopé­ra­tion tou­jours plus étroite, notam­ment avec les assu­reurs mutua­listes qui sont très solides finan­ciè­re­ment. Cette ten­dance a voca­tion à per­du­rer et les Fran­çais doivent y trou­ver toute leur place.

« Le bon­heur est par­fois caché dans l’inconnu », disait Vic­tor Hugo. Sans aller jusqu’à nous four­nir en bon­heur, l’inconnue qu’est la réas­su­rance nous pro­tège à tout le moins de bien des mal­heurs. Mais qu’est-ce donc que la réas­su­rance ? La défi­ni­tion qu’on en donne clas­si­que­ment est lim­pide : « Le réas­su­reur est l’assureur de l’assureur ». Ce qui n’éclaire pas tout à fait sur le com­plé­ment his­to­rique indis­pen­sable à l’assurance qu’est la réas­su­rance. Et sur le début de rap­pro­che­ment indus­triel en cours entre ces deux métiers.

Naissance de la réassurance

Un retour en arrière his­to­rique s’impose donc. Le plus ancien contrat de « réas­su­rance » a été pro­duit par des assu­reurs véni­tiens en 1370 et por­tait sur la car­gai­son d’un navire qui devait voya­ger de Gênes à Sluis, en Flandres. En rai­son du carac­tère dan­ge­reux de la tra­ver­sée, l’assureur avait trans­fé­ré une par­tie du risque chez un second assu­reur, pour la par­tie la plus périlleuse qui reliait Cadix à Sluis. La réas­su­rance s’est par la suite déve­lop­pée autour du com­merce mari­time médi­ter­ra­néen et atlan­tique. Quant à la réas­su­rance moderne, elle est appa­rue en Alle­magne vers la fin du XIXe siècle, pour cou­vrir les villes, essen­tiel­le­ment face à l’incendie. Cologne Re est fon­dée en 1846. S’ensuit la créa­tion de nom­breuses socié­tés et, pro­gres­si­ve­ment, la réas­su­rance étend son champ d’intervention à tous les mar­chés d’assurance mondiaux.

Ever Given qui bloque le canal de Suez
De l’Ever Given qui bloque le canal de Suez à la pan­dé­mie de Covid, l’actualité récente n’a eu de cesse de nous rap­pe­ler que nos éco­no­mies mon­dia­li­sées inter­dé­pen­dantes se révèlent vul­né­rables à des risques majeurs nais­sant d’un évé­ne­ment isolé.

Des risques croissants

Parce que les réas­su­reurs couvrent en géné­ral des risques avec des garan­ties très impor­tantes, ils ont un grand besoin de diver­si­fi­ca­tion de leurs expo­si­tions et pos­sèdent sou­vent un por­te­feuille inter­na­tio­nal répar­ti sur de nom­breux pays et dans de nom­breuses branches. Ces der­nières années, tout comme les assu­reurs, ils doivent faire face à la mon­tée en puis­sance des risques d’intensité, dont la gra­vi­té et l’étendue ne cessent d’augmenter. De l’Ever Given qui bloque le canal de Suez à la pan­dé­mie de Covid, l’actualité récente n’a eu de cesse de nous rap­pe­ler que nos éco­no­mies mon­dia­li­sées inter­dé­pen­dantes se révèlent vul­né­rables à des risques majeurs nais­sant d’un évé­ne­ment isolé. 

Ajou­tons à cela que les risques poli­tiques se ren­forcent, que les évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes se mul­ti­plient, que la cyber­cri­mi­na­li­té explose et que l’inflation aug­mente, et cha­cun com­prend que les coûts d’indemnisation s’alourdissent. L’échouage tem­po­raire de l’Ever Given par exemple aura géné­ré en quelques jours une fac­ture de réas­su­rance de l’ordre de deux mil­liards de dol­lars et il fau­dra plu­sieurs années pour déter­mi­ner les mon­tants à payer par cha­cune des com­pa­gnies concer­nées. Illus­tra­tion symp­to­ma­tique d’un évé­ne­ment qui res­semble à une « tem­pête par­faite » et qui fait revoir aux réas­su­reurs toute la struc­ture de leurs contrats mari­times avec des hausses de coti­sa­tion, de réten­tions, etc.

Renforcer la réassurance ?

In fine l’idée selon laquelle l’assurance pri­maire porte le risque de fré­quence et la réas­su­rance le risque d’intensité ne reflète plus tota­le­ment la réa­li­té. Avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, notam­ment, une varié­té de périls comme les inon­da­tions, la grêle et la séche­resse deviennent plus fré­quents et beau­coup plus dévastateurs.

Assu­reurs et réas­su­reurs sont donc confron­tés à des risques répé­tés plus lourds, par­fois aux consé­quences que les modèles les plus sophis­ti­qués n’avaient pu pré­voir. Des risques avec un poids finan­cier tel, qu’à terme, pour­rait se poser la ques­tion de leur assu­ra­bi­li­té (voir à ce sujet l’article de Pierre-Ignace Ber­nard, X90 : « Com­ment le sec­teur de l’assurance peut-il ren­for­cer sa per­ti­nence en com­blant les lacunes en matière de cou­ver­ture ? »).

“Les réassureurs ont aujourd’hui un impératif de renforcement.”

Face à cette évo­lu­tion, l’importance de la réas­su­rance s’accroît et la demande n’a jamais été aus­si éle­vée. Or, s’ils ont la capa­ci­té d’absorber des sinistres très impor­tants, les réas­su­reurs ren­contrent des dif­fi­cul­tés pour digé­rer les cumuls d’événements. Afin de pou­voir répondre aux exi­gences de l’économie mon­diale et tenir plei­ne­ment leur rôle de sou­tien, les réas­su­reurs ont aujourd’hui un impé­ra­tif de renforcement.

La complémentarité entre assureurs et réassureurs

On assiste donc depuis quelques années à des rapproche­ments entre assu­reurs et réas­su­reurs. En 2016, l’assureur japo­nais Som­po rache­tait Endu­rance ; en 2018, l’assureur amé­ri­cain AIG acqué­rait Vali­dus ; et Axa, XL. En Europe, les deux réas­su­reurs les plus per­for­mants sont ados­sés à des assu­reurs : l’assureur Talanx détient 50 % de Han­no­ver Re. Réci­pro­que­ment, Swiss Re a déve­lop­pé sa filiale d’assurance directe Swiss Re Cor­po­rate Solu­tions et Munich Re pos­sède Ergo.

Cette conver­gence prend tout son sens : assu­reurs et réas­su­reurs parlent le même lan­gage, celui des risques, de la pro­tec­tion et de la dura­bi­li­té, et ils sont tenus de garan­tir leur péren­ni­té et de res­ter dura­ble­ment solides. Pour absor­ber les pics d’intensité, ils doivent réci­pro­que­ment diver­si­fier leurs acti­vi­tés et dis­po­ser d’un impor­tant poten­tiel de déve­lop­pe­ment pour aug­men­ter leurs résul­tats et donc ali­men­ter la sol­va­bi­li­té. Créer des col­la­bo­ra­tions entre les deux métiers est for­cé­ment gagnant-gagnant.

Le réas­su­reur, par les nom­breux mar­chés mon­diaux qu’il vise, a davan­tage de recul pour appré­hen­der les nou­veaux risques dans toute leur com­plexi­té et exploite une masse de don­nées consi­dé­rable. Il apporte sa tem­po­ra­li­té cyclique et une ren­ta­bi­li­té accrue. L’assureur offre sa sta­bi­li­té, ses réseaux de dis­tri­bu­tion et, par la proxi­mi­té qu’il entre­tient avec ses assu­rés, une connais­sance poin­tue de leurs attentes et de leurs besoins.

Le rôle des assureurs mutualistes

Pour se ren­for­cer, les réas­su­reurs doivent aug­men­ter leur per­for­mance capi­ta­lis­tique. Il leur faut du temps, afin de dis­po­ser d’un hori­zon suf­fi­sant pour accu­mu­ler du capi­tal et absor­ber la cycli­ci­té et la vola­ti­li­té de leurs acti­vi­tés. Ce en quoi les assu­reurs leur pro­curent une com­plé­men­ta­ri­té par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace. Notam­ment les assu­reurs mutua­listes, dont les alliances avec des réas­su­reurs ont le vent en poupe : en France Covéa a acquis Part­ner Re en juillet 2022 ; et, en juillet 2023, c’était au tour du consor­tium SMABTP et MACSF, res­pec­ti­ve­ment spé­cia­listes de la construc­tion et des pro­fes­sion­nels de san­té, de fina­li­ser l’acquisition de la majo­ri­té du capi­tal de CCR Re, le second réas­su­reur français.

Rien de plus logique car, au sein des assu­reurs, les mutua­listes ont le double avan­tage d’un hori­zon tem­po­rel de long terme et d’une capa­ci­té d’accumulation de capi­tal inéga­lée du fait de leur absence d’actionnaire. C’est ins­crit dans leur ADN : les socié­tés d’assurance mutuelles sont tenues de réin­ves­tir leurs excé­dents et consti­tuent ain­si des fonds propres parti­culièrement impor­tants. Ces carac­té­ris­tiques per­mettent de conce­voir des rap­pro­che­ments oppor­tuns entre l’industrie de la réas­su­rance et les grandes mutuelles d’assurance.

Une tendance durable

Et demain alors ? Certes, assu­rance et réas­su­rance inter­viennent sur des péri­mètres bien déli­mi­tés, qui pour des rai­sons finan­cières et comp­tables, notam­ment, doivent conser­ver leur étan­chéi­té. Mais la poro­si­té indus­trielle est de plus en plus évi­dente : sur le risque d’entreprises, les grands groupes cherchent une réponse glo­bale pour leur pays d’origine et, à l’international, dans le sec­teur auto­mo­bile, les construc­teurs cherchent des par­te­naires pou­vant por­ter des grands pro­grammes d’assurance inter­na­tio­naux. Assu­reurs et réas­su­reurs doivent donc apprendre à hybri­der leurs exper­tises et appor­ter des capa­ci­tés nou­velles telles que l’accompagnement dans la construc­tion de cap­tives ou la construc­tion de pro­grammes spé­ci­fiques. Ces nou­veaux modes de col­la­bo­ra­tion sont encore à inven­ter et il faut espé­rer que les acteurs fran­çais, com­pa­gnies comme régu­la­teurs, arrivent à être au ren­dez-vous de ce nou­vel éco­sys­tème de risques. 

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