Assurance : Combler les lacunes de couverture

Combler les lacunes de couverture : un enjeu sociétal autant qu’une opportunité de croissance

Dossier : AssuranceMagazine N°793 Mars 2024
Par Pierre-Ignace BERNARD (X90)

Les risques du monde moderne créent des besoins crois­sants de cou­ver­ture assu­ran­tielle qui ne sont pas satis­faits par l’offre. Et c’est même le contraire ; les besoins aug­mentent, mais la crois­sance des primes col­lec­tées est infé­rieure à la pro­gres­sion du PIB. Il est néces­saire d’innover dans les pro­duits offerts sur le mar­ché et paral­lè­le­ment de faire un effort de dis­tri­bu­tion pour com­bler le défi­cit de couverture.

Le monde d’aujourd’hui se carac­té­rise par un niveau éle­vé d’incertitude, illus­tré par l’indice mon­dial World Uncer­tain­ty Index (cal­cu­lé par les ana­lystes du FMI et l’université Stan­ford, il syn­thé­tise des don­nées de sources diverses en un indice qui reflète le niveau d’incertitude). Celui-ci se situait en moyenne à 13 points entre 1990 et 2007, il a atteint 23 points entre 2008 et le troi­sième tri­mestre 2022. Les évé­ne­ments récents, tels que la guerre en Ukraine ou la reprise dra­ma­tique des affron­te­ments au Moyen-Orient, sont symp­to­ma­tiques de cette évo­lu­tion. Plus fonda­mentalement, et moins liées à des évé­ne­ments sin­gu­liers, trois ten­dances de fond accroissent l’incertitude et la vola­ti­li­té : le chan­ge­ment cli­ma­tique, les nou­velles tech­no­lo­gies et l’évolution démographique.

Trois facteurs de risques

Pre­miè­re­ment, le chan­ge­ment cli­ma­tique a un impact consi­dé­rable sur notre envi­ron­ne­ment. Ses consé­quences actuelles et futures res­tent une source d’incertitude majeure. Le nombre d’événements qua­li­fiés de catas­trophe natu­relle a été mul­ti­plié par trois à tra­vers le monde entre la décen­nie 2010–2020 et la décen­nie 1970–1980 (source Swiss Re). Le déve­lop­pe­ment des nou­velles tech­no­lo­gies engendre éga­le­ment de nou­veaux risques. Par exemple, les sys­tèmes infor­ma­tiques du monde entier sont de plus en plus expo­sés aux cybe­rat­taques : on estime le nombre de cybe­rat­taques six fois plus éle­vé en 2022 qu’en 2011.


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Dans le même temps, les tech­no­lo­gies numé­riques sont la colonne ver­té­brale d’une part crois­sante de la géné­ra­tion de richesse. Enfin, l’évolution démo­gra­phique réor­ga­nise les struc­tures socié­tales et déplace les enjeux éco­no­miques au niveau mon­dial. Par exemple, en 2020 la Chine, l’Inde et d’autres pays émer­gents d’Asie repré­sen­taient 25 % du PIB mon­dial ; or cette part devrait atteindre 35 % en 2040. Dans un grand nombre de pays et plu­sieurs conti­nents, le vieillis­se­ment de la popu­la­tion remet en ques­tion les sys­tèmes de retraite éta­blis. En 2050, il y aura au niveau mon­dial 33 per­sonnes âgées de plus de 65 ans pour 100 adultes en âge de tra­vailler, contre 20 aujourd’hui.

L’augmentation des déficits de couverture

Dans ce contexte, les par­ti­cu­liers et les orga­ni­sa­tions ont besoin de se pro­té­ger contre les risques nou­veaux autant que contre les menaces exis­tantes. Aujourd’hui, les assu­reurs jouent déjà un rôle essen­tiel dans la réponse à ces besoins de pro­tec­tion. Pour­tant, il existe des lacunes en matière de cou­ver­ture pour dif­fé­rents domaines de risques, qui pour­raient être com­blées par les assu­reurs. Quatre d’entre elles semblent par­ti­cu­liè­re­ment impor­tantes en rai­son de leur per­ti­nence éco­no­mique et de leur impact sur la vie humaine : les retraites, la cyber­sé­cu­ri­té, les catas­trophes natu­relles et la san­té. Dans tous ces domaines de risques, les assu­reurs pour­raient jouer un rôle encore plus impor­tant à l’avenir.

La retraite

La Gene­va Asso­cia­tion défi­nit le défi­cit des retraites comme la dif­fé­rence entre les coûts qui doivent être cou­verts pour main­te­nir un niveau de vie rai­son­nable et les entrées pré­vues dans le sys­tème (y com­pris les coti­sa­tions par répar­ti­tion). Pour com­bler le défi­cit esti­mé, il fau­drait ver­ser sur un sys­tème de capi­ta­li­sa­tion envi­ron 1 000 mil­liards de dol­lars de primes par an dans les 40 ans à venir (source Gene­va Asso­cia­tion).


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La cybersécurité

Le défi­cit de cou­ver­ture cyber­sé­cu­ri­té est défi­ni comme la dif­fé­rence entre les pertes de pre­mier ordre dues aux cybe­rat­taques (par exemple les ins­tal­la­tions endom­ma­gées, les paie­ments de ran­çon) et les pertes assu­rées. Les pertes annuelles dues aux cybe­rin­ci­dents étaient esti­mées entre 2017 et 2020 à 900 mil­liards de dol­lars (source McA­fee), alors que les assu­reurs ne cou­vraient que 6 mil­liards de dol­lars de sinistres en 2020 (source S&P Capi­tal IQ Pro et MSA Research). Plus de 99 % des pertes n’étaient donc pas couvertes.

La santé

Le défi­cit de cou­ver­ture médi­cale com­prend deux com­po­santes : les dépenses de san­té réelles non cou­vertes signi­fi­ca­tives pour le bud­get des ménages et les dépenses de san­té non enga­gées du fait de l’absence de cou­ver­ture. Au niveau mon­dial, les pre­mières sont esti­mées à 800 mil­liards de dol­lars, les secondes à 3 400 mil­liards de dol­lars (source OMS Glo­bal Health Expen­di­ture Data­base).

Les catastrophes naturelles

Le défi­cit de cou­ver­ture des catas­trophes natu­relles est cal­cu­lé comme la dif­fé­rence entre les pertes totales liées aux catas­trophes natu­relles et la part qui est cou­verte par les assu­reurs, réas­su­reurs et dis­po­si­tifs éta­tiques de cou­ver­ture. Celle-ci était d’environ 33 % en moyenne dans la der­nière décen­nie – ce qui se tra­duit par un défi­cit de cou­ver­ture Cat Nat d’environ 135 mil­liards de dol­lars par an.


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Répondre à la demande latente

Les assu­reurs couvrent déjà un large éven­tail de risques. Ils contri­buent de façon essen­tielle à la rési­lience et au bien-être de nos socié­tés. En jouant un rôle de pre­mier plan dans la réduc­tion des écarts de cou­ver­ture, les assu­reurs peuvent ren­for­cer leur rôle pour les socié­tés, accé­lé­rer leur crois­sance et ren­for­cer leur per­ti­nence dans l’économie réelle. Néan­moins ces der­nières années la crois­sance des primes est glo­ba­le­ment infé­rieure à la crois­sance du PIB en euros cou­rants : pré­ci­sé­ment 2 % de crois­sance des primes entre 2017 et 2021 en assu­rances de per­sonnes et 5,5 % en assu­rance de dom­mages – pour 4,7 % de crois­sance nomi­nale du PIB. 

“Le déficit de protection n’est pas en train d’être comblé.”

En réa­li­té, le défi­cit de pro­tec­tion décrit plus haut n’est pas en train d’être com­blé ; au contraire. Le défi est énorme pour déve­lop­per cette contri­bu­tion utile dans le fonc­tion­ne­ment éco­no­mique. Les axes de tra­vail sont mul­tiples et devront impli­quer dif­fé­rents acteurs. En par­ti­cu­lier, une part impor­tante des solu­tions est à cher­cher dans la sol­va­bi­li­sa­tion de la demande et dans le cadre régle­men­taire, fis­cal et juridique.

Deux pistes à suivre

Néan­moins, les deux leviers sui­vants, plus pro­saïques mais essen­tiels, sont d’ores et déjà à la main des assu­reurs. L’innovation pro­duits peut défi­nir des offres qui répondent de plus près aux attentes et aux besoins des clients : par exemple com­ment défi­nir le bon assem­blage de diag­nos­tic, de pré­ven­tion et d’assurance pour une cou­ver­ture de cyber­sé­cu­ri­té à l’adresse des PME ? Le tra­vail sur la dis­tri­bu­tion peut tou­cher de façon effi­cace et appro­priée les clients qui n’ont pas une expres­sion spon­ta­née de leurs attentes et ont besoin d’un conseil – l’assurance est le plus sou­vent un pro­duit qui se vend plus qu’il ne s’achète.

Enfin, les assu­reurs devront convaincre leurs action­naires que, pour pas­ser du sta­tut de valeur de ren­de­ment à celui de valeur de crois­sance, il fau­dra accep­ter un peu d’expérimentation et donc de vola­ti­li­té sur les résul­tats. Après tout, c’est le métier des assu­reurs que de prendre des risques. 

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