Après l’échec vient le rebond : continuer à diffuser et promouvoir la culture de la prévention

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°792 Février 2024
Par Benoît DESTERACT

L’ARE, l’Association pour le Retour­ne­ment des Entre­prises, pour­suit ses efforts ini­tiés il y a déjà 22 ans pour accom­pa­gner le tis­su entre­pre­neu­rial et les diri­geants fran­çais qui peuvent faire face à des dif­fi­cul­tés à un moment de la vie de leur entre­prise. En décembre 2023, Benoît Des­te­ract, alors pré­sident de l’Association1, reve­nait pour nous sur les mis­sions de l’association, ses actions ain­si que les sujets qui la mobi­lise au quotidien.

L’ARE a fêté en 2022 son 20e anniversaire. Pouvez-vous nous présenter l’association, ses principales missions et ses membres ?

Aujourd’hui, l’association com­prend 310 membres. Il y a 22 ans, à sa créa­tion, nous n’étions qu’une quin­zaine de membres. L’association regroupe l’essentiel des pro­fes­sions du restruc­tu­ring : avo­cats, conseils finan­ciers et opé­ra­tion­nels, man­da­taires ad hoc/conciliateurs, ban­quiers, fonds d’investissement, mana­gers de crise, com­mu­ni­cants, ban­quiers d’affaires, affaires spé­ciales des banques, banques judi­ciaires, cabi­nets de stra­té­gie… Sa prin­ci­pale mis­sion reste de pro­mou­voir et de dif­fu­ser une culture de la pré­ven­tion des dif­fi­cul­tés et de par­ta­ger les meilleures pra­tiques pour s’en sor­tir. Nous accep­tons par­mi nos membres, toutes les per­sonnes qui tra­vaillent sur cette notion de pré­ven­tion des dif­fi­cul­tés. En paral­lèle, l’association tra­vaille aus­si sur la recon­nais­sance de la restruc­tu­ra­tion de l’entreprise. Si une entre­prise peut au cours de son par­cours « tom­ber », l’essentiel est qu’elle puisse trou­ver les moyens de « rebon­dir ». C’est notam­ment ce mes­sage qui est por­té par le Prix Ulysse qui récom­pense chaque année les meilleurs retournements.
Dans cette démarche, notre action s’articule autour d’axes com­plé­men­taires : for­mer un « noyau dur » de membres fon­da­teurs pour les­quels les plus hauts stan­dards d’expérience sont requis et recru­ter des per­sonnes adhé­rant aux prin­cipes fon­da­teurs d’éthique et de pro­fes­sion­na­lisme ; favo­ri­ser la com­pré­hen­sion et la connais­sance des tech­niques et impé­ra­tifs du retour­ne­ment par la com­mu­nau­té des affaires, les orga­nismes gou­ver­ne­men­taux et légis­la­tifs, les médias ; main­te­nir et amé­lio­rer la per­for­mance des pro­fes­sion­nels du retour­ne­ment et de la restruc­tu­ra­tion en adop­tant les plus hauts stan­dards de recru­te­ment, de ges­tion et d’autocontrôle des membres afin d’établir un label de qua­li­té et une qua­li­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle ; favo­ri­ser la créa­tion d’un réseau euro­péen regrou­pant par le biais d’associations iden­tiques les pro­fes­sion­nels impli­qués dans des opé­ra­tions com­plexes et inter­na­tio­nales pour favo­ri­ser l’émergence d’une « best prac­tice » européenne.

“Sa principale mission reste de promouvoir et de diffuser une culture de la prévention des difficultés et de partager es meilleures pratiques pour s’en sortir.”

Au cours des deux dernières décennies, quelles sont les principales évolutions connues par le monde du redressement et du retournement des entreprises ?

Nous évo­luons dans un monde où la loi, la légis­la­tion et la régle­men­ta­tion évo­luent très régu­liè­re­ment. Ce contexte mou­vant implique un pro­fes­sion­na­lisme accru de la part des acteurs du monde du restruc­tu­ring. Plus par­ti­cu­liè­re­ment, sur les 10 der­nières années, je note deux élé­ments majeurs. Pre­miè­re­ment, la créa­tion de 15 tri­bu­naux de com­merce spé­cia­li­sés vers les­quels sont sys­té­ma­ti­que­ment redi­ri­gées les socié­tés d’une cer­taine taille. Deuxiè­me­ment, la direc­tive Insol­ven­cy ou Insol­va­bi­li­té qui met en place des classes de par­ties affec­tées et qui a, à mon sens, deux consé­quences majeures ; la conver­gence du droit euro­péen et le retour de la valeur de l’entreprise au centre des débats.
En paral­lèle, nous avons aus­si assis­té à une plus grande pro­fes­sion­na­li­sa­tion de notre sec­teur avec l’émergence de nou­veaux métiers, comme les com­mu­ni­cants de crise, les mana­gers de tran­si­tion, mais aus­si le déve­lop­pe­ment d’acteurs plus forts, notam­ment au niveau des cabi­nets du chiffre après la crise de 2008.

Prix Ulysse 2023

Comment évaluez-vous le contexte économique actuel et son impact sur les entreprises ?

En 2023, nous avons enre­gis­tré une très forte pro­gres­sion des défaillances d’entreprises. Tou­te­fois, il n’est pas cer­tain que cette hausse soit un effet de rat­tra­page. On note ain­si 32 % de pro­cé­dures col­lec­tives en plus et 6 % de pro­cé­dures amiables en plus par rap­port à 2022. Nous allons retrou­ver les chiffres de 2018 en matière de pro­cé­dures col­lec­tives. Les chiffres sont très éle­vés, de l’ordre de 54 000 pro­cé­dures col­lec­tives et 7 500 pro­cé­dures amiables. Tou­te­fois, cela signi­fie éga­le­ment que les entre­prises sont de plus en plus nom­breuses à se tour­ner vers le tri­bu­nal du com­merce pour tra­vailler sur leurs dif­fi­cul­tés en amont.
Il est, par ailleurs, évident que la fin des aides accor­dées en pleine pan­dé­mie et crise de la Covid a un impact sur le nombre de défaillances d’entreprises, même si elles ne sont pas toutes concer­nées. On note éga­le­ment que les entre­prises doivent plus que jamais ren­for­cer leurs fonds propres pour pas­ser le cap. Sur un plan sec­to­riel, la pro­mo­tion immo­bi­lière est un sec­teur qui souffre par­ti­cu­liè­re­ment à l’heure actuelle, alors que le retail conti­nue à faire face à de pro­fondes dif­fi­cul­tés qui per­sistent depuis plu­sieurs années.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux et points de vigilance ?

En cette période de forte trans­for­ma­tion, il y a un besoin ren­for­cé d’investissement. Les entre­prises sont dans l’incapacité de s’endetter à cause de la hausse des taux d’intérêts, mais aus­si à cause de l’endettement qui résulte de la période de la crise sani­taire. Comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, la solu­tion pour sor­tir de ce cercle vicieux est indé­nia­ble­ment le ren­for­ce­ment des fonds propres des entreprises.

L’ARE déploie, par ailleurs, de nombreuses actions tout au long de l’année. Quelques mots sur les principales initiatives.

Chaque année, nous orga­ni­sons un col­loque en pro­vince. L’édition 2023 s’est tenue à Nantes et le pro­chain col­loque, pré­vu en 2024, se tien­dra à Bor­deaux. L’idée est de dif­fu­ser en pro­vince l’actualité sur la pré­ven­tion des dif­fi­cul­tés. En 2023, comme en 2022, nous avons orga­ni­sé un col­loque scien­ti­fique à Paris, un regard croi­sé sur les dif­fé­rents régimes du plan de restruc­tu­ra­tion, nou­vel­le­ment intro­duits au sein de l’UE, avec un focus sur l’Allemagne, l’Espagne, la France et les Pays-Bas. Dans ce cadre, nous avons convié des magis­trats néer­lan­dais, espa­gnols et alle­mands. Cela nous a per­mis de voir com­ment les choses évo­luent en Europe, mais aus­si de nous rendre que nous par­lons en quelque sorte le même lan­gage ! C’est un col­loque que nous avons orga­ni­sé avec le CEDAG (Centre de Droit des Affaires et Ges­tion), et INSOL Europe.
Dans le cadre de notre com­mis­sion des lois, nous avons tra­vaillé sur des pro­po­si­tions pour la pré­si­den­tielle 2022. Nous pour­sui­vons actuel­le­ment ce tra­vail autour des sujets et des enjeux qui sont por­tés par la chan­cel­le­rie. En outre, l’ARE a par­ti­ci­pé à plus de 40 comi­tés de crise. Nous avons aus­si été signa­taires de la Charte de sor­tie de crise du gou­ver­ne­ment. L’ARE a tou­jours accor­dé un inté­rêt par­ti­cu­lier pour la for­ma­tion. Ain­si depuis 10 ans, nous avons noué des par­te­na­riats uni­ver­si­taires forts avec sept écoles : Dau­phine, HEC entre­pre­neur, dans lequel il y a des étu­diants de l’École Poly­tech­nique et de HEC ; l’emlyon et la facul­té Lyon III, le Mas­ter Trade de l’Université Paris Pan­théon Assas, l’ESSEC et l’EDHEC. Au tra­vers de ces par­te­na­riats, notre objec­tif est de faire pas­ser un mes­sage fort de sen­si­bi­li­sa­tion auprès des étu­diants : au cours de sa vie pro­fes­sion­nelle, un entre­pre­neur sera confron­té à l’échec, mais cette situa­tion n’est pas irré­mé­diable. Il est donc impor­tant de s’y pré­pa­rer et de déve­lop­per les bons réflexes.
En paral­lèle, nous réa­li­sons aus­si des for­ma­tions auprès de la BPI sur des thé­ma­tiques diverses comme les chiffres et la crise, le droit social… Nous avons pré­vu, début 2024, une for­ma­tion sur les classes de par­ties affec­tées. Nos for­ma­tions sont ouvertes à nos membres, mais éga­le­ment à des pro­fes­sion­nels qui ne font pas par­tie de l’ARE et qui ne sont pas uni­que­ment des pro­fes­sion­nels du restructuring.
Nous avons tra­vaillé sur un livre blanc sur la psy­cho­lo­gie des chefs d’entreprise que nous avons publié début 2023. Cet ouvrage reprend et détaille la thé­ma­tique de l’échec et du rebond qui est incon­tour­nable dans le monde du redres­se­ment et du retour­ne­ment des entreprises.

“En 2023, nous avons organisé la 13e édition de ce prix connu de toute la profession. Cette édition a été organisée sous le patronage de Monsieur Roland Lescure, ministre de l’Industrie. Le Prix Ulysse cherche à récompenser le meilleur retournement d’entreprise. C’est un moment important et très structurant pour l’association, car il nous permet de mettre en valeur des entrepreneurs qui ont retourné l’entreprise et qui ont réussi à rebondir après l’échec. ”

Parmi ces actions, on retrouve le Prix Ulysse. Pouvez-vous nous en dire plus sur la dernière édition ?

En 2023, nous avons orga­ni­sé la 13e édi­tion de ce prix connu de toute la pro­fes­sion. Cette édi­tion a été orga­ni­sée sous le patro­nage de Mon­sieur Roland Les­cure, ministre de l’Industrie. Le Prix Ulysse cherche à récom­pen­ser le meilleur retour­ne­ment d’entreprise. C’est un moment impor­tant et très struc­tu­rant pour l’association, car il nous per­met de mettre en valeur des entre­pre­neurs qui ont retour­né l’entreprise et qui ont réus­si à rebon­dir après l’échec.
Pour l’édition 2023, nous avions trois nomi­nés : La Fer­mière, une entre­prise qui pro­duit des yaourts ; Les Pape­te­ries du Léman et Trans­ports Guya­mier. Le Lau­réat est Trans­ports Guya­mier, une entre­prise de trans­port de la région bor­de­laise qui a réus­si à rem­bour­ser son plan de conti­nua­tion et à renouer avec la crois­sance externe sous la direc­tion d’un chef d’entreprise qui avait moins de 30 ans quand il a suc­cé­dé à sa grand-mère. Ce retour­ne­ment est aus­si une très belle his­toire humaine et saga fami­liale qui avait débu­té en 1948 et qui a vu se suc­cé­der trois générations.
Trans­ports Guya­mier rejoint ain­si les autres lau­réats du prix : Les Zelles (2022), Vert­bau­det (2021), Canal Toys (2020), Car­bone Savoie (2019), P3G (2018), Excel­rise (2017), Jar­di­land (2016), Ano­vo (2015), SPS (2014), Toup­not (2013), Méca­chrome (2012) et CPI (2011).
La pro­chaine édi­tion aura lieu le 18 mars 2024 à l’Automobile Club, sous le haut patro­nage de Bru­no Le Maire, ministre de l’Économie.

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