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Les espèces et la monnaie : quels enjeux et perspectives pour demain ?

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°792 Février 2024
Par Marc SCHWARTZ

À l’heure de la digi­ta­li­sa­tion et de la déma­té­ria­li­sa­tion, le rap­port aux espèces évo­lue éga­le­ment. Cette évo­lu­tion struc­tu­rante est au cœur des enjeux de la Mon­naie de Paris. Son Pré­sident-Direc­teur géné­ral, Marc Schwartz, nous en dit plus et revient éga­le­ment sur la trans­for­ma­tion de cette ins­ti­tu­tion emblé­ma­tique qui doit repen­ser et faire évo­luer son modèle.

Pouvez-vous nous présenter La Monnaie de Paris et ses principales missions ?

Ins­ti­tu­tion unique située au cœur de Paris, la Mon­naie de Paris pour­suit sa mis­sion ori­gi­nelle, depuis 864 : battre mon­naie pour le compte de l’État. Elle est la plus ancienne des ins­ti­tu­tions fran­çaises et l’une des plus vieilles entre­prises du monde ; elle exerce une triple mis­sion : réga­lienne, com­mer­ciale et culturelle.
La Mon­naie de Paris frappe dans son site indus­triel de Pes­sac les pièces d’euros fran­çaises en cir­cu­la­tion. Elle pro­duit et com­mer­cia­lise aus­si des mon­naies cou­rantes étran­gères, qui ont repré­sen­té 60 % des 1,4 mil­liards de pièces frap­pées en 2023. Nous dif­fu­sons éga­le­ment des mon­naies de col­lec­tions, des objets d’art, des médailles et déco­ra­tions pour la France et l’exportation.
L’établissement entre­tient le patri­moine archi­tec­tu­ral de l’Hôtel de la Mon­naie à Paris et nous gérons un musée qui pro­pose des évé­ne­ments en lien avec la créa­tion et les savoir-faire d’excellence de l’institution : expo­si­tions artis­tiques, arti­sa­nat et métiers d’art, mode, indus­tries cultu­relles et créa­tives, nou­velles tech­no­lo­gies. La Mon­naie est aujourd’hui un lieu de créa­tion et un lieu cultu­rel avec une pro­gram­ma­tion ambi­tieuse des­ti­née à toutes les géné­ra­tions. Notre site pari­sien héberge en outre un res­tau­rant étoi­lé, Guy Savoy, élu meilleur res­tau­rant au monde, un café et une bou­tique. Il se défi­nit comme un véri­table lieu de vie au cœur du Paris historique.

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Marc Schwartz – Mon­naie de Paris

Ces dernières années, nous avons vécu un changement du rapport des Français à la monnaie qui a été accéléré par la pandémie. Peut-on réellement parler de la « fin des espèces » et d’un « désamour » des Français pour les espèces ?

En dépit des appa­rences, ce n’est pas du tout le cas. D’après la der­nière enquête de la BCE, les espèces repré­sentent encore 50% des paie­ments dans les points de vente en France. On est loin de la disparition !
Par ailleurs, la Mon­naie de Paris réa­lise depuis 2021 en par­te­na­riat avec l’IFOP un baro­mètre annuel auprès des Fran­çais, afin de mieux com­prendre leurs habi­tudes de paie­ment, éva­luer leur atta­che­ment aux espèces et iden­ti­fier les ten­dances. D’après notre der­nière enquête (2023), l’attachement des Fran­çais au cash reste fort et aug­mente même. En 2023, 83 % d’entre eux se déclarent atta­chés aux espèces, contre 79 % l’année pré­cé­dente. Toutes les géné­ra­tions sont concer­nées : chez les 18–24 ans, cet atta­che­ment au cash monte même à 86 %. C’est un vrai para­doxe : les Fran­çais l’utilisent moins mais y res­tent très attachés.
Les espèces res­tent d’ailleurs en tête des moyens de paie­ment ins­pi­rant le plus confiance, avec 96 % des Fran­çais les consi­dé­rant fiables. Les avan­tages attri­bués au cash sont nom­breux : c’est un moyen de paie­ment direct, sûr, sans coût sup­plé­men­taire, il garan­tit la confi­den­tia­li­té, per­met d’apprendre la valeur de l’argent aux enfants ou encore aide à mieux gérer son bud­get – ce qui est déter­mi­nant en période d’inflation. Le cash n’exclut per­sonne, il n’a pas voca­tion à pro­duire de don­nées, à suivre des usages et des comportements.

La digitalisation, la dématérialisation de monnaies… sont autant de phénomènes qui impactent votre modèle historique. Qu’en est-il et comment appréhendez-vous ces évolutions ?

La numé­ri­sa­tion est par­tout, les modes de paie­ment se diver­si­fient avec la pro­gres­sion des paie­ments sans contact, par carte ou smart­phone, la mul­ti­pli­ca­tion des appli­ca­tions de trans­fert d’argent ou l’arrivée pos­sible de l’euro numé­rique. Consciente de ces muta­tions, la Mon­naie de Paris s’engage dans l’innovation en pro­po­sant à ses clients de nou­velles offres numé­riques. Nous sommes très fiers d’avoir lan­cé fin 2023, à l’occasion du cen­te­naire de la dis­pa­ri­tion de Gus­tave Eif­fel (un cen­tra­lien, j’espère que vous me par­don­ne­rez de le citer), la pre­mière pièce connec­tée au monde. Elle inclut une puce NFC ser­tie dans la masse qui, scan­née avec un télé­phone por­table, donne accès à un cer­ti­fi­cat numé­rique. Et ceux qui le sou­haitent peuvent s’enregistrer dans la blo­ck­chain pour dis­po­ser d’un numé­ro d’identification unique et invio­lable. Avec cette pre­mière mon­diale, nous mon­trons que la plus ancienne ins­ti­tu­tion fran­çaise est capable d’être à la pointe de l’innovation.

Aujourd’hui, comment s’organise votre activité ? Quelles sont les pistes que vous explorez ?

Fin 2022, la Mon­naie de Paris s’est dotée d’un nou­veau plan stra­té­gique « Ambi­tion 2027 ». Ce plan per­met­tra de pour­suivre la trans­for­ma­tion du modèle éco­no­mique de la Mon­naie de Paris, vers une crois­sance durable et ren­table à tra­vers quatre objec­tifs majeurs : déve­lop­per l’activité, avec l’objectif d’atteindre 200 M€ de chiffre d’affaires en 2027 (contre 150 M€ en 2022) ; appor­ter un meilleur ser­vice à nos clients ; accé­lé­rer notre tran­si­tion éco­lo­gique, avec la volon­té de réduire de 50% nos émis­sions de gaz à effet de serre d’ici 2030, car c’est notre responsabilité ;
être, plus que jamais, une entre­prise où il fait bon tra­vailler, pour atti­rer et rete­nir les talents.
Pour déve­lop­per ain­si l’entreprise, nous comp­tons sur l’exportation (qui bat­tra un record his­to­rique en 2024), sur les mon­naies de col­lec­tion, sur la diver­si­fi­ca­tion de nos réseaux de dis­tri­bu­tion et l’augmentation des ventes en ligne, et sur de nou­veaux seg­ments d’activité comme ce que l’on appelle le « bul­lion », qui est une offre de métal-inves­tis­se­ment. L’or reste la valeur refuge par excel­lence. En 2023, son cours a pro­gres­sé de plus de 13 % (en dol­lars) et il a même briè­ve­ment bat­tu son record his­to­rique en attei­gnant 2135 $/once. En dix ans, le cours de l’or (en dol­lars) a pro­gres­sé de 72 %. Nous sou­hai­tons mettre à la dis­po­si­tion des Fran­çais une offre attrac­tive d’investissement en or.

La Monnaie de Paris est aussi connue pour ses collections. Quelques mots sur celles prévues pour les JOP 2024.

Depuis 2021, la Mon­naie de Paris célèbre les Jeux Olym­piques et Para­lym­piques de Paris 2024 avec le lan­ce­ment de col­lec­tions inédites or et argent met­tant à l’honneur le sport, les spor­tifs et l’esprit de l’Olympisme. Après tout, rece­voir les JO, c’est une fois par siècle seulement !
Les ama­teurs pour­ront ain­si trou­ver cette année une série de pièces hexa­go­nales avec les grandes figures de la numis­ma­tique pra­ti­quant dif­fé­rents sports antiques, une col­lec­tion dédiée aux sports olym­piques et para­lym­piques, une série valo­ri­sant le patri­moine archi­tec­tu­ral pari­sien, une col­lec­tion grand public dédiée aux Mascottes.
Et n’oubliez pas que la Mon­naie de Paris frap­pe­ra dans ses ate­liers les médailles des ath­lètes des Jeux Olym­piques et Para­lym­piques ain­si qu’une pièce de 2€ com­mé­mo­ra­tive qui sera offerte à près de 5 mil­lions d’écoliers avant le début des Jeux.

Et pour conclure, comment vous projetez-vous sur le moyen et long terme ?

Mon sou­hait le plus cher est que, d’ici la fin de mon man­dat en 2027, la Mon­naie de Paris puisse s’appuyer sur un modèle éco­no­mique équi­li­bré, qui lui appor­te­ra suf­fi­sam­ment de force et de rési­lience pour être en mesure de résis­ter à des vents contraires.

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