Feve Accélère la transition agroécologique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°790 Décembre 2023
Par Hervé KABLA (84)

Vincent Kraus (X03)

En 2020, Vincent Kraus (X03) a cofon­dé Feve, entre­prise qui vise à don­ner vie à des fermes agroé­co­lo­giques. Elle contri­bue à la tran­si­tion agroé­co­lo­gique en France, en faci­li­tant l’installation de la nou­velle géné­ra­tion d’agriculteurs et d’agricultrices.

Quelle est l’activité de Feve ?

Feve a pour mis­sion d’accélérer la tran­si­tion agroé­co­lo­gique. Pour cela nous essayons de favo­ri­ser des ins­tal­la­tions viables et plus ver­tueuses pour l’environnement. Cela passe, d’une part, par une fon­cière qui col­lecte de l’argent auprès de par­ti­cu­liers et d’institu­tionnels pour finan­cer l’acquisition de fermes louées (avec option d’achat) à des agri­cul­teurs et agri­cul­trices ayant des pro­jets en agro­écologie. Et, d’autre part, par une pla­te­forme numé­rique, la Grange, cen­trée sur des por­teurs de pro­jet cher­chant à s’implanter avec des conte­nus, des ser­vices et des outils pour faci­li­ter l’installation agricole.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Marc Bat­ty et Simon Bes­tel se sont connus sur les bancs de l’école à l’AgroParistech il y a vingt-cinq ans. Ils se sont éloi­gnés de l’agriculture en tra­vaillant dans l’informatique et l’agroalimentaire et ont cha­cun mon­té une boîte : Datai­ku, très belle réus­site dans la data, pour l’un, et Pro­mus, déjà dans l’agriculture, pour l’autre. De mon côté, après l’X j’ai tra­vaillé quelques années dans la finance, avant de mon­ter ma pre­mière entre­prise dans la téléas­sis­tance pour per­sonnes âgées, socié­té ven­due à une mutuelle (groupe VYV). On s’est alors retrou­vé tous les trois, à la suite d’une forte prise de conscience envi­ron­ne­men­tale, avec l’ambition de faire quelque chose dans l’agriculture, sec­teur clé de la tran­si­tion qui impacte à la fois les émis­sions de gaz à effet de serre, la bio­di­ver­si­té, l’eau… et éga­le­ment notre san­té et la rési­lience du territoire.

Comment vous est venue l’idée ?

En réflé­chis­sant à com­ment accé­lé­rer la tran­si­tion agroé­co­lo­gique et en voyant que la moi­tié des agri­cul­teurs allait par­tir à la retraite d’ici 2030, on s’est dit que, plu­tôt que d’essayer de chan­ger les pra­tiques des agri­cul­teurs en place, on pou­vait s’intéresser aux ins­tal­la­tions et à ceux qui rem­placent les néo­re­trai­tés. Deux tiers des gens qui s’installent n’ont pas des parents agri­cul­teurs et un des prin­ci­paux freins à leur ins­tal­la­tion est l’accès au fon­cier, qui coûte cher. D’où l’idée de leur faci­li­ter cet accès via notre fon­cière. Faire finan­cer cette fon­cière par des par­ti­cu­liers nous est appa­ru comme un bon moyen de pro­po­ser un pro­duit d’investissement impac­tant et rela­ti­ve­ment sûr, ain­si qu’un moyen de rap­pro­cher les citoyens des agriculteurs.

L’idée de la Grange est venue plus tard via l’objectif de com­bler d’autres manques et besoins remar­qués sur le ter­rain, avec des ins­tal­la­tions qui ne se concré­tisent pas. Il n’y a pas assez de por­teurs de pro­jet pour rem­pla­cer les départs à la retraite et on cherche à faire en sorte que celles et ceux qui ont cette voca­tion puissent s’installer.

Qui sont les concurrents ?

Un mou­ve­ment plus ancien, Terre de Liens, qui a des objec­tifs simi­laires, sauf que les agri­cul­teurs n’ont pas la pos­si­bi­li­té de deve­nir pro­prié­taire dans leur modèle, ce qui pose pro­blème à nombre d’entre eux, d’où notre idée de pro­po­ser une pos­si­bi­li­té de rachat aux per­sonnes dont on per­met l’installation. D’autres alter­na­tives rela­ti­ve­ment jeunes se sont créées en même temps que nous, avec des modèles un peu dif­fé­rents (Prin­temps des Terres, Terrafine).

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

L’activité a démar­ré en sep­tembre 2020. Nous créons ensuite la fon­cière et la pre­mière ferme finan­cée est ins­tal­lée en juillet 2021. Nous avons obte­nu le label Finan­sol en mai 2022 et col­lec­té 5 M€ en octobre 2022. En juillet 2023, le cap de la dixième ferme finan­cée est pas­sé. Nou­velle étape, éga­le­ment, avec l’entrée de la Caisse des dépôts et consi­gna­tions et du Cré­dit mutuel au capi­tal de la fon­cière, aux côtés des particuliers.

Entre Fintech et Agritech, où te situes-tu et pourquoi ?

Un peu entre les deux, mais plus proche de l’Agritech, car l’agriculture et les agri­cul­teurs, c’est notre pre­mier mar­ché. La créa­tion d’un pro­duit d’investissement dans la terre agri­cole est un outil au ser­vice de l’agriculture. Par ailleurs, nous déve­lop­pons d’autres ser­vices aux agri­cul­teurs, comme notre pla­te­forme la Grange qui se situe aus­si plu­tôt du côté de l’Agritech. On fait d’ailleurs par­tie de la Ferme digi­tale, qui repré­sente les socié­tés agri-agro au sein de la French Tech.

En vingt ans, la France est passée du 2e rang au 6e rang des pays exportateurs de produits agricoles. Au-delà de la désindustrialisation dont on parle souvent, n’y a‑t-il pas un problème majeur dans ce secteur ?

Cer­tains pays ont aug­men­té for­te­ment leur pro­duc­tion dans les der­nières décen­nies, alors qu’elle était déjà rela­ti­ve­ment bien déve­lop­pée et en avance en France dans le pas­sé. Au-delà de la baisse des expor­ta­tions, un des pro­blèmes majeurs est l’impact de l’agriculture actuelle sur les agri­cul­teurs et les éco­sys­tèmes. Les agri­cul­teurs gagnent moins d’un SMIC. L’agri­culture et l’alimentation repré­sentent un quart des émis­sions de gaz à effet de serre et sont une des prin­ci­pales causes de la perte de biodiversité.

Ferme de Magnantru, Camille et Raphaël.
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Pourtant, c’est aussi un problème de souveraineté et d’indépendance, tout aussi prioritaire que l’industrie pharmaceutique ?

Plus que la dimi­nu­tion des pro­duits expor­tés, le pro­blème de sou­ve­rai­ne­té concerne à mon sens ce qu’on ne pro­duit pas et qu’on importe. Car la France a beau être un pays expor­ta­teur net, les pro­duc­tions sont très spé­cia­li­sées selon les régions ou les pays et nous impor­tons la moi­tié de nos fruits et légumes, ain­si qu’une part impor­tante de l’alimentation des ani­maux d’élevage. Sur les qua­rante der­nières années, les régions se sont ultras­pé­cia­li­sées, ce qui crée des dés­équi­libres et des risques pour notre sou­ve­rai­ne­té, ain­si que des dés­équi­libres agro­no­miques et envi­ron­ne­men­taux (rési­lience réduite aux aléas de mar­ché et aux aléas climatiques).

Il y a donc un besoin de diver­sification locale et de pro­duc­tion à nou­veau de ces ali­ments, voire des ali­ments de plus en plus consom­més mais non pro­duits en quan­ti­té en France. On voit des ini­tia­tives inté­res­santes avec la créa­tion de nou­velles filières (amandes, noi­settes, hou­blon…) ayant l’objectif de dimi­nuer notre dépen­dance. Cette diver­si­fi­ca­tion doit être pen­sée au niveau de chaque ter­ri­toire (voire même au niveau de chaque ferme) dans un sou­ci de rési­lience plus forte. Dans la même veine, l’agriculture est aujourd’hui extrê­me­ment dépen­dante d’intrants (engrais, pes­ti­cides) pro­ve­nant de déri­vés d’hydrocarbure. Une réflexion sys­témique (la base de l’agroécologie) per­met de réduire for­te­ment ces besoins en diver­si­fiant ses pro­duc­tions et en créant des syner­gies entre les dif­fé­rentes pro­duc­tions végé­tales et animales.

Face aux industriels de l’agroalimentaire, y a‑t-il encore de la place pour des passionnés, à part dans quelques secteurs plutôt liés au luxe ?

En France, le sys­tème agri­cole s’appuie sur des agri­cul­teurs indé­pen­dants, par­fois regrou­pés dans le cadre de coopé­ra­tives. Ce qu’on peut obser­ver, c’est que ceux qui s’en sortent le mieux finan­ciè­re­ment sont ceux qui se situent hors du sys­tème habi­tuel. Que font-ils ? Ils essaient de créer plus de valeur sur la ferme en trans­for­mant leur pro­duc­tion (farine, huile…), ils diver­si­fient leurs pro­duc­tions en essayant d’atteindre une plus grande auto­nomie locale (ce qui les rend plus rési­lients), ils rac­cour­cissent leurs cir­cuits de distri­bution, ils créent éga­le­ment des acti­vi­tés ­complé­men­taires (agri­tou­risme, pro­duc­tion d’énergie…). Cette tran­si­tion vers des fermes qui sont plus rési­lientes loca­le­ment mais qui sont aus­si pro­duc­tives demande tou­te­fois plus de main‑d’œuvre. C’est d’ailleurs pour­quoi le Shift Pro­ject annonce qu’il fau­dra aug­men­ter la popu­la­tion agri­cole de 500 000 per­sonnes d’ici vingt ans pour réa­li­ser la tran­si­tion agro­écologique tout en pro­dui­sant les pro­duits que nous impor­tons aujourd’hui.

Et le changement climatique ne vient probablement pas simplifier tout cela ?

Les pro­blèmes étant mul­tiples avec le dérègle­ment cli­ma­tique (inon­da­tions, séche­resse, grêle…), le besoin de rési­lience et de diver­sification s’en trouve aug­men­té. L’eau est aus­si un sujet majeur et des pra­tiques agroéco­logiques per­mettent jus­te­ment de dimi­nuer de beau­coup les besoins en eau, puisque des sols régé­né­rés fonc­tionnent comme des éponges et stockent beau­coup mieux l’eau que des sols sans matière orga­nique et lais­sés à nu une par­tie de l’année. En défi­ni­tive, la géné­ra­li­sa­tion de pra­tiques agroé­co­lo­giques per­met­trait d’améliorer à la fois notre sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire et notre rési­lience vis-à-vis du dérè­gle­ment climatique.

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