Perspectives d'investissement durable

L’investissement durable : des enjeux et des perspectives

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Laurent CLAVEL (X01)

L’investissement durable aus­si appe­lé ISR a connu de pro­fondes muta­tions qui redes­sinent les contours du monde de l’investissement et de ses métiers. Laurent Cla­vel (X01), Direc­teur de la ges­tion Mul­ti-Actifs au sein d’AXA IM, dresse pour nous un état des lieux et revient sur les prin­ci­pales évo­lu­tions qui vont mar­quer le sec­teur sur le court terme dans un contexte où le chan­ge­ment cli­ma­tique reste un enjeu stra­té­gique pour la finance de manière générale.

Aujourd’hui, l’investissement durable et la transition climatique sont au cœur de toutes les préoccupations. Qu’avez-vous pu observer à votre niveau ?

Nous avons de plus en plus de clients qui s’intéressent à ce sujet et qui ques­tionnent la dura­bi­li­té de leurs inves­tis­se­ments. Ce phé­no­mène est le fruit d’une sophis­ti­ca­tion crois­sante du débat mais aus­si du ren­for­ce­ment du volet régle­men­taire, tant au niveau natio­nal, euro­péen qu’international. Au cours des der­nières années, de nom­breux labels ont été créés.

L’Europe s’est dotée de la régle­men­ta­tion SFDR (Sus­tai­nable Finance Dis­clo­sure Regu­la­tion) qui demande aux inves­tis­seurs de docu­men­ter leur défi­ni­tion de l’investissement res­pon­sable, de démon­trer qu’ils s’y tiennent et de se plier aux dif­fé­rentes véri­fi­ca­tions et audits en la matière. Ces évo­lu­tions impactent bien évi­dem­ment le métier de l’investissement. Dans ce nou­veau contexte, les ingé­nieurs, par ailleurs, ont toute leur place et peuvent contri­buer, grâce à leurs com­pé­tences en mathé­ma­tiques ou en sta­tis­tiques notam­ment, à mieux com­prendre com­ment les attentes en termes de dura­bi­li­té impacte le monde de l’investissement, les chan­ge­ments en matière de diver­si­fi­ca­tion du risque et les coûts induits, mais aus­si à déter­mi­ner si une approche durable des inves­tis­se­ments peut impli­quer des biais sec­to­riels, géo­gra­phiques ou de style d’investissement…

« L’Europe s’est dotée de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui demande aux investisseurs de documenter leur définition de l’investissement responsable, de démontrer qu’ils s’y tiennent et de se plier aux différentes vérifications et audits en la matière. »

Fon­da­men­ta­le­ment, l’ISR tend à réduire l’univers d’investissement. Les objec­tifs et indi­ca­teurs extra-finan­ciers et l’accélération des tran­si­tions (éner­gé­tique, envi­ron­ne­men­tale, cli­ma­tique…) vont pous­ser les inves­tis­seurs à mettre en place des filtres qui vont in fine entraî­ner l’exclusion d’entreprises ou de sec­teurs d’activité. Ces res­tric­tions vont a prio­ri entraî­ner une réduc­tion des pos­si­bi­li­tés de diver­si­fi­ca­tion des risques et, in fine, peuvent donc dégra­der le couple rendement/risque. Or la maxi­mi­sa­tion du ren­de­ment ajus­té du risque, quelle qu’en soit l’expression mathé­ma­tique exacte (ratio de Sharpe, ren­de­ment sous contrainte de VaR…), reste la prio­ri­té : c’est le devoir fiduciaire.

Il faut donc s’assurer que la réduc­tion de diver­si­fi­ca­tion cor­res­pond bien à une réduc­tion du risque ; ou que l’investisseur est conscient et accepte une poten­tielle dégra­da­tion du couple ren­de­ment-risque au pro­fit d’un objec­tif extra-finan­cer. En plus de ces inter­ro­ga­tions sur l’impact du monde sur le por­te­feuille (puis-je construire un por­te­feuille aus­si ambi­tieux si le monde ne res­pecte pas ces ambi­tions ?), s’ajoute le débat sur l’impact du por­te­feuille sur le monde : com­ment démon­trer (donc mesu­rer) l’atteinte d’objectifs extra-finan­ciers ? Ce sont autant de sujets pas­sion­nants pour des ingé­nieurs qui doivent quan­ti­fier l’incertitude qui entoure l’ISR et son évo­lu­tion dans un monde qui connaît de pro­fondes mutations.

Dans cette continuité, quels sont les principaux sujets qui vous mobilisent et quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route ?

On retrouve tout d’abord le sujet régle­men­taire : mise en œuvre du niveau 2 de la direc­tive euro­péenne SFDR depuis le 1er jan­vier 2022, dis­cus­sions autour de la réno­va­tion du label fran­çais ISR… Chez AXA IM, nous n’avons pas atten­du l’évolution de la régle­men­ta­tion pour se poser la ques­tion de la dura­bi­li­té et inté­grer les cri­tères de finance durable dans les por­te­feuilles. En effet, le pre­mier man­dat d’investissement res­pon­sable géré par AXA IM remonte à 1998. Cela fait donc 25 ans que nous nous sommes empa­rés de ces sujets. Et aujourd’hui, notre enjeu est de docu­men­ter l’alignement de nos méthodes et outils avec ce cadre régle­men­taire nou­veau et évolutif.

« Chez AXA IM, nous n’avons pas attendu l’évolution de la réglementation pour se poser la question de la durabilité et intégrer les critères de finance durable dans les portefeuilles. »

En paral­lèle, les métriques se diver­si­fient : d’abord essen­tiel­le­ment cen­trées sur les scores ESG, la tran­si­tion cli­ma­tique et l’investissement net zéro ont pris le devant de la scène ISR. Il s’agit de s’assurer que nous finan­çons la tran­si­tion éner­gé­tique, c’est-à-dire les entre­prises qui font des efforts dans ce sens et celles qui apportent des solu­tions pour rendre cette tran­si­tion pos­sible, là où l’investissement « bas car­bone » consiste plu­tôt à réduire l’exposition d’un por­te­feuille au risque que repré­sente l’augmentation poten­tielle du prix du car­bone. Cer­tains clients sou­haitent aller encore plus loin dans leur démarche et cherche un impact socié­tal et envi­ron­ne­men­tal posi­tif pour leur inves­tis­se­ment : c’est l’investissement d’impact qui cor­res­pond en gros aux fonds clas­si­fiés Article 9 dans la direc­tive SFDR.

Au cours des der­nières années, nous sommes ain­si pas­sés d’une approche clas­sique de l’ESG, dont l’objet est d’éviter des risques impor­tants (envi­ron­ne­men­taux, socié­taux, sociaux et de gou­ver­nance), à une approche d’impact qui va cher­cher un objec­tif posi­tif via une contri­bu­tion extra-finan­cière. Cela implique d’être en mesure de docu­men­ter cette contri­bu­tion en s’appuyant sur un pro­ces­sus rigou­reux et sérieux. D’ailleurs, depuis envi­ron deux ans, cer­tains inves­tis­seurs, for­tunes pri­vées ou inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels, sou­haitent inté­grer l’atteinte de cer­tains objec­tifs extra-finan­ciers à la rému­né­ra­tion du portefeuille.

Dans cette démarche, quels sont les efforts qui restent à fournir ?

La dis­po­ni­bi­li­té et la qua­li­té des don­nées ! Il y a un impor­tant tra­vail à mener pour défi­nir les bonnes métriques et, sur­tout, s’assurer de la com­pa­ra­bi­li­té dans le temps et la géo­gra­phie. Aujourd’hui, par exemple, on s’intéresse beau­coup aux émis­sions de gaz à effet de serre qui sont res­pon­sables du réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’origine humaine.

Les scopes 1 (géné­ré par les équi­pe­ments et les véhi­cules de l’entreprise) et 2 (géné­ré indi­rec­te­ment par la consom­ma­tion d’énergie de l’entreprise consi­dé­rée) sont mesu­rés de manière rela­ti­ve­ment pré­cise et har­mo­ni­sée. À l’inverse, le scope 3 qui ren­voie aux émis­sions indi­rectes, en amont et en aval de leurs chaînes de pro­duc­tion, est encore incer­tain et métho­do­lo­gi­que­ment hétérogène.

Selon vous, quel est le niveau de maturité de l’ensemble de l’écosystème ?

Je dirais que sur ces enjeux, notre sec­teur a acquis la matu­ri­té d’un jeune adulte. Nous avons donc encore beau­coup de choses à apprendre pour amé­lio­rer notre pro­duc­ti­vi­té, notre impact et notre efficacité !

Chez AXA IM, qui tra­vaille sur ce sujet depuis déjà 25 ans, nous avons fait le choix fort d’intégrer cette dimen­sion à tous les niveaux. Il y a trois ans encore, nous avions une équipe spé­cia­li­sée en inves­tis­se­ment res­pon­sable. Depuis, nous avons décen­tra­li­sé le sujet afin qu’il soit pris en compte par toutes les exper­tises et fonc­tions, avec des per­sonnes qui sont, bien évi­dem­ment, plus expertes sur l’ensemble de ces dimen­sions. L’idée est ain­si d’allier l’expertise clas­sique de nos métiers (construc­tion de por­te­feuilles, risque de cré­dits, sélec­tion de titres…) avec cette exper­tise nou­velle qui découle du déve­lop­pe­ment de l’investissement durable.

Ce posi­tion­ne­ment nous per­met, d’ailleurs, de faire par­tie des lea­ders de l’investissement res­pon­sable selon dif­fé­rents clas­se­ments, dont celui du PRI des Nations-Unies.

Et pour relever l’ensemble de ces défis, quels sont les profils et les compétences que vous recherchez ?

Nous recher­chons des per­sonnes qui sont à la croi­sée de ces enjeux, sujets et com­pé­tences. Aujourd’hui, dans le monde de l’ISR, le « I » de l’investissement a gagné en impor­tance. L’enjeu n’est donc pas seule­ment de connaître la régle­men­ta­tion, les enjeux socié­taux, envi­ron­ne­men­taux ou cli­ma­tiques, mais d’être un expert de l’investissement cli­ma­tique ou responsable.

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