Musiques françaises

Dossier : Arts, Lettres et sciencesMagazine N°761 Janvier 2021
Par Jean SALMONA (56)

Ce qui n’est pas clair n’est pas français.
Antoine de Riva­rol, De l’universalité de la langue française

On donne plus sou­vent au concert Saint-Saëns, Chaus­son, Paul Dukas à New York qu’à Paris : bizar­re­rie d’une sorte de chau­vi­nisme inver­sé, ou bien goût des étran­gers culti­vés pour ces qua­li­tés uniques de la musique ‑fran­çaise : clar­té, élé­gance, sub­ti­li­té, refus de tous les excès, qua­li­tés que nous avons ‑ten­dance à ne plus voir. On retrouve hélas ce biais chez les pro­duc­teurs de musique ‑enre­gis­trée, si l’on excepte la musique baroque. On se réjouit d’autant plus du choix récent de quatre édi­teurs, choix courageux.


Reynaldo Hahn, enfin ! 

On regret­tait récem­ment dans ces colonnes qu’il n’existe des qua­tuors de Rey­nal­do Hahn que des enre­gis­tre­ments anciens. Le Qua­tuor Tcha­lik met fin à cette lacune en enre­gis­trant les deux qua­tuors et le quin­tette avec pia­no (avec une troi­sième sœur Tcha­lik au pia­no). Le quin­tette, ter­mi­né peu après la Grande Guerre, tour à tour fié­vreux et mélan­co­lique, est consi­dé­ré comme l’œuvre maî­tresse de la musique de chambre de Hahn. Il fut créé le 28 novembre 1922, dix jours après la mort de Mar­cel Proust dont Rey­nal­do Hahn était très proche. Nous avouons lui pré­fé­rer les deux qua­tuors : thèmes lyriques d’un ‑com­po­si­teur qui était avant tout un mélo­diste, har­mo­nies com­plexes et déli­cieuses, et par-des­sus tout la recherche du plai­sir d’écoute, mais un plai­sir raf­fi­né. Musique unique, à décou­vrir toutes affaires ces­santes. Sur le même disque, trois autres pièces dont une exquise Romance en la majeur pour ‑vio­lon et pia­no qui fleure bon les salons des années vingt. 

1 CD ALKONOST


Saint-Saëns

Il n’est aucune forme musi­cale à laquelle ce com­po­si­teur pro­li­fique n’ait tou­ché – opé­ras, sym­pho­nies, concer­tos – mais sa musique de chambre est la moins connue. Renaud Capu­çon, Ber­trand Cha­mayou, Edgar Moreau – équipe de pre­mier plan – viennent d’enregistrer la Sonate n° 1 pour vio­lon et pia­no, la Sonate n° 1 pour vio­lon­celle et pia­no, et le Trio n° 2. Il s’agit de trois pièces lyriques, où la par­tie de pia­no est géné­ra­le­ment vir­tuose, et qui consti­tuent l’apogée de la musique fran­çaise du XIXe siècle, avant Debus­sy, Fau­ré, Ravel (même si Saint-Saëns a sur­vé­cu de trois ans à Debus­sy). Au pas­sage, on note­ra que la Sonate n° 1 pour pia­no et vio­lon aurait ser­vi de modèle à Proust pour la Sonate de Vin­teuil, qui joue un rôle cen­tral dans Du côté de chez Swann.

1 CD ERATO


Bizet

On connaît Bizet comme com­po­si­teur d’opéras (Car­men, Les Pêcheurs de perles, etc.) et de musique sym­pho­nique (Sym­pho­nie en ut, Suite L’Arlésienne, Patrie), éven­tuel­le­ment de mélo­dies. Mais saviez-vous que Bizet avait été un pia­niste vir­tuose, adou­bé par Liszt, et qu’il avait écrit pour le pia­no ? Le jeune et excellent pia­niste Natha­naël Gouin s’est employé à res­sus­ci­ter cette musique oubliée en enre­gis­trant le recueil Chants du Rhin, les Varia­tions chro­ma­tiques, la trans­crip­tion pour pia­no seul du 2e Concer­to de Saint-Saëns. Il y a joint la trans­crip­tion par Rach­ma­ni­nov du Menuet de l’Arlésienne et une para­phrase de son cru sur la Romance de Nadir extraite des Pêcheurs de perles. Les Chants du Rhin, sous-titrés Lie­der sans paroles, sont assez proches des Lie­der ohne Worte de Men­dels­sohn, son aîné, mais avec cette inimi­table touche fran­çaise. Les Varia­tions chro­ma­tiques sont vir­tuoses, bien dans l’air du temps (1868). Au total, une découverte. 

1 CD MIRARE


Bruno Ducol – Adonaïs

Il existe aus­si une musique fran­çaise d’aujourd’hui, libé­rée des canons de la musique tonale et de la musique sérielle. Ado­naïs ou l’air et les songes, de Bru­no Ducol, loin de tour­ner le dos au pas­sé, convoque Apol­lon, Ura­nie, la Nature, Bach, Mon­te­ver­di, pour construire sur une élé­gie de Shel­ley une épi­taphe antique pour un enfant mort jeune, pour voix et qua­tuor à cordes, enre­gis­trés par la sopra­no Lau­ra Holm et le Qua­tuor Béla. Ducol écrit :
« … Des bribes de sou­ve­nirs englou­tis refont sur­face et au gré des sono­ri­tés et rythmes sin­gu­liers peut alors s’esquisser la com­mu­ni­ca­tion des âmes dont parle Mar­cel Proust. » 

On l’aura com­pris : il faut accep­ter de renon­cer aux filtres aux­quels notre oreille est habi­tuée – mais non pas aux acquis de notre culture – et se mettre en situa­tion d’écoute ouverte, comme on le fait lorsqu’on pra­tique la médi­ta­tion. Alors, on pour­ra être tou­ché par cette musique ambi­tieuse et exi­geante, ser­vie par des inter­prètes hors pair. Sur le même disque, trois autres œuvres de Bru­no Ducol, qui aident à péné­trer son uni­vers : Hymne au Soleil, pour flûte et trio à cordes, Tout le jaune se meurt pour voix solo, sur un poème d’Apollinaire, et A Corin­na n° 11 pour qua­tuor à cordes. 

1 CD KLARTHE


Au fond, un mes­sage d’espoir : res­sus­ci­tée après un siècle ou contem­po­raine, la musique fran­çaise est plus vivante que jamais.

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