« 3 ans pour agir » pour le climat, que peut faire la France ?

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Jean-François NOGRETTE

Nous avons 3 ans pour agir. Pour com­mencer à faire baiss­er les émis­sions mon­di­ales de car­bone, pour lim­iter à 1,5 °C l’augmentation des tem­péra­tures sur Terre, et pour assur­er un avenir viv­able à l’humanité. Telle est l’alerte don­née il y a plusieurs semaines par le GIEC. Une alerte qui s’accompagne de recom­man­da­tions quant aux solu­tions à met­tre en œuvre. Alors, face à ce défi, quelle peut être la place de la France au cours des 3 prochaines années ? 

La France est la 7e puis­sance mon­di­ale. Elle doit exercer sa capac­ité d’innovation et de lead­er­ship. Pour cela, elle dis­pose d’expertises par­mi les meilleures mon­di­ales dans les métiers de l’eau, du recy­clage et de l’énergie, qu’elle a con­tribué à inven­ter dès les débuts de la révo­lu­tion industrielle.

Elle dis­pose aus­si de ressources de prox­im­ité insoupçon­nées. C’est au sein de nos ter­ri­toires que se niche une part de la solu­tion, avec des pro­fes­sion­nels aux com­pé­tences var­iées. Les ressources ne sont plus con­cen­trées en quelques lieux stratégiques, comme au temps des mines : elles sont désor­mais dis­séminées un peu partout. 

Eaux usées, déchets ou chaleur fatale : ces ressources locales, à portée de main, représen­tent un grand poten­tiel pour réduire nos prélève­ments sur le milieu naturel, décar­bon­er notre mix énergé­tique et, en com­plé­ment de nos efforts de sobriété, con­tribuer à abaiss­er sig­ni­fica­tive­ment nos émis­sions de gaz à effet de serre. Nous pou­vons agir dans le champ indus­triel. De l’automobile à la chimie, en pas­sant par le luxe et l’agroalimentaire, la France compte une indus­trie d’une grande diver­sité. 

Elle peut accélér­er la réin­cor­po­ra­tion de matières pre­mières recy­clées, y com­pris de ses pro­pres déchets de pro­duc­tion. Par exem­ple, retraiter ses eaux usées pour les réu­tilis­er comme eaux de process est une façon pérenne de faire face à la ten­sion sur la ressource en eau. 

Au regard des prix actuels de l’énergie, il est plus que jamais per­ti­nent de jeter un œil neuf sur la val­ori­sa­tion de la chaleur fatale émise par les procédés de pro­duc­tion. D’après l’Ademe, ce gise­ment équiv­aut à 36 % des com­bustibles aujourd’hui con­som­més par l’industrie. 

La France, qui est la première puissance agricole de l’Union européenne, peut montrer comment il est possible de réduire de 20 % la consommation d’engrais minéraux sans réduire d’autant la production.”

Nous pou­vons aus­si faire beau­coup en matière agri­cole. Chaque année, 10 mil­lions de tonnes ali­men­taires sont per­dues partout sur le ter­ri­toire. Au-delà de la lutte con­tre le gaspillage, le recy­clage « de la nour­ri­t­ure à l’agriculture » est un levi­er puis­sant de décar­bon­a­tion, notam­ment pour pro­duire des engrais organiques peu con­som­ma­teurs d’énergie. La France, qui est la pre­mière puis­sance agri­cole de l’Union européenne, peut mon­tr­er com­ment il est pos­si­ble de réduire de 20 % la con­som­ma­tion d’engrais minéraux sans réduire d’autant la pro­duc­tion, pour ren­dre con­crète la direc­tive “De la ferme à la fourchette”.

Partout où des habi­tants se sépar­ent de leurs meubles abîmés, on trou­ve des matéri­aux réu­til­is­ables et de la bio­masse. Partout où l’on traite l’eau et les biodéchets, on trou­ve un gise­ment poten­tiel de bio­méthane. Libéré, c’est un puis­sant gaz à effet de serre. Cap­té, trans­for­mé, il peut servir d’alternative au gaz fos­sile importé. Nos ter­ri­toires peu­vent pro­duire en masse du gaz vert, jusqu’à ambi­tion­ner, comme la Seine-et-Marne, de pro­duire 75 % de sa con­som­ma­tion d’ici à 2030.

Au-delà de l’impact envi­ron­nemen­tal, l’exploitation des ressources locales relève d’un enjeu de sou­veraineté nationale. C’est vrai pour l’énergie, mais aus­si pour les métaux. À l’heure du développe­ment des véhicules élec­triques, c’est la rai­son pour laque­lle nous devons met­tre sur pied une véri­ta­ble métal­lurgie du déchet. Si la France n’a pas de mine de nick­el ou de cobalt, elle peut dis­pos­er au fil des ans de quan­tités con­sid­érables de bat­ter­ies usagées, dont elle pour­ra extraire ces pré­cieux métaux.

En mobil­isant l’excellence de ses ingénieurs et de ses chercheurs, elle peut même aller plus loin et devenir, rapi­de­ment, la nation qui met­tra au point une pétrochimie du CO2. Le GIEC nous le dit : c’est en asso­ciant sobriété, effi­cac­ité, nou­veau mix énergé­tique et cap­ture du CO2 que nous avons une chance de relever le défi cli­ma­tique. Pour accélér­er la cap­ture, nous pou­vons chercher à recy­cler locale­ment le car­bone. Sur les sta­tions d’épuration du SIAAP en Île de France, le Col­lège de France et le CEA expéri­mentent ain­si la trans­for­ma­tion du CO2 en méthanol et en acide formique, deux pro­duits aux larges usages. La recherche française en envi­ron­nement, est par­mi les meilleures au monde, elle mérite d’être forte­ment soutenue. 

Le défi lancé par le GIEC est ver­tig­ineux. Mais nous avons déjà com­mencé. Des investisse­ments mas­sifs ont été réal­isés depuis des décen­nies dans les ter­ri­toires pour éviter les pol­lu­tions, il est aujourd’hui pos­si­ble de cap­i­talis­er dessus pour en faire des solu­tions. La France, en se fix­ant des oblig­a­tions tou­jours plus fortes et en mobil­isant ses éner­gies dans le cadre d’une plan­i­fi­ca­tion écologique vigoureuse, peut pren­dre l’initiative et chang­er la donne. 

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