Ressources géologiques, recyclage et économie circulaire

Économie circulaire : le recyclage ne fera pas tout !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Christophe POINSSOT

Chris­tophe Poins­sot, direc­teur géné­ral délé­gué et direc­teur scien­ti­fique du BRGM, revient pour nous sur les enjeux du recy­clage, de l’économie cir­cu­laire et plus lar­ge­ment de l’empreinte car­bone. Dans cette inter­view, il dresse pour nous un état des lieux et par­tage ses prin­ci­pales pistes de réflexion. Entretien.

Aujourd’hui, l’économie circulaire représente un enjeu stratégique dans un contexte marqué par l’accélération des transitions. Comment définissez-vous ce concept ?

L’économie cir­cu­laire est à la fois un vec­teur de pro­grès et de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et la perte de bio­di­ver­si­té. En paral­lèle, elle per­met aus­si de prendre en compte la fini­tude du monde dans lequel nous vivons et de pré­ser­ver le mieux pos­sible les res­sources exis­tantes et notre envi­ron­ne­ment au sens large. Au-delà dans notre accès aux res­sources, nous devons éga­le­ment essayer de limi­ter au maxi­mum notre empreinte envi­ron­ne­men­tale. Il devient ain­si de plus en plus évident que les objets en fin de vie et les rebus indus­triels doivent doré­na­vant être consi­dé­rés comme des sources de matière à reva­lo­ri­ser. Ce sont des sujets dont le BRGM s’est empa­ré il y a déjà plus de trois décen­nies avec de nom­breuses études sur le recy­clage et l’économie cir­cu­laire, et notam­ment leur impact d’un point de vue envi­ron­ne­men­tal et éco­no­mique. Dans cette démarche, nous avons déve­lop­pé une impor­tante exper­tise et tes­té de nom­breux pro­cé­dés inno­vants et une méthode d’évaluation environnementale.

Nous avons éga­le­ment tiré de nom­breux constats. Tout d’abord, il me semble impor­tant de rap­pe­ler que le recy­clage n’est pas ver­tueux par essence. Selon le pro­cé­dé de recy­clage et la typo­lo­gie du pro­duit que l’on cherche à recy­cler, on peut en effet se retrou­ver avec un pro­ces­sus de recy­clage ou une boucle d’économie cir­cu­laire dont l’impact envi­ron­ne­men­tal dépasse lar­ge­ment celui d’un pro­duit fabri­qué à par­tir de nou­velles res­sources extraites du sous-sol. Aller récu­pé­rer une res­source miné­rale ou un métal qui est dilué en très petite quan­ti­té dans un objet peut coû­ter très cher et néces­si­ter plus d’énergie et d’intrants chi­miques que de pro­duire du neuf ! Il y a donc des limites au recy­clage et à l’économie cir­cu­laire, ce qui devra sûre­ment nous faire réflé­chir à une orga­ni­sa­tion ration­nelle des usages suc­ces­sifs et à la néces­saire éco­con­cep­tion des objets.

Dans un monde en forte crois­sance éco­no­mique et démo­gra­phique, le recy­clage ne pour­ra pas répondre à une demande qui a voca­tion à conti­nuer d’augmenter sous l’effet notam­ment des tran­si­tions éner­gé­tiques, numé­riques et du rat­tra­page éco­no­mique des pays en déve­lop­pe­ment. Par ailleurs, nous recy­clons aujourd’hui des objets qui ont été pro­duits il y a 10, 20 ou 30 ans et qui ont été fabri­qués avec des res­sources miné­rales dif­fé­rentes et moins nom­breuses. Il y a donc un réel déca­lage entre ce que nous valo­ri­sons via ce recy­clage et nos besoins actuels.

L’économie cir­cu­laire et le recy­clage jouent un rôle certes fon­da­men­tal et leur déploie­ment doit être accé­lé­ré et faci­li­té, mais l’accès à de nou­velles res­sources reste éga­le­ment indis­pen­sable, ce qui ne pour­ra se faire que par l’ouverture de nou­velles mines, y com­pris en France et en Europe. Et ce déploie­ment n’aura de sens qu’en déve­lop­pant des pro­cé­dés de recy­clage ayant une empreinte envi­ron­ne­men­tale réduite tout en res­tant rentables.

Dans ce cadre, quelles sont les pistes que vous explorez et les thématiques sur lesquelles vous travaillez pour contribuer à lever ces freins ?

Nous tra­vaillons sur le déve­lop­pe­ment de pro­cé­dés de recy­clage per­for­mants et à faible empreinte envi­ron­ne­men­tale. Concrè­te­ment, le recy­clage est un pro­ces­sus qui s’articule autour de diverses étapes. Il faut d’abord accé­der à la matière qui est dans les objets ce qui implique tout un tra­vail de pré­pa­ra­tion de la matière, de broyage, de concas­sage, de déchi­que­tage…, des opé­ra­tions méca­niques qui repré­sentent une part impor­tante de l’énergie consom­mée. Nous essayons donc de rendre ces étapes « plus intel­li­gentes » et effi­caces pour réduire cette consommation.

Ces pre­mières étapes sont sui­vies par la phase de tri et de sépa­ra­tion des matières, puis d’une phase de métal­lur­gie extrac­tive. Pour ce faire, une diver­si­té de tech­no­lo­gies peut être mise en œuvre. Au sein du BRGM, nous nous inté­res­sons notam­ment à la bio­lixi­via­tion qui per­met de valo­ri­ser les déchets miniers et élec­tro­niques par l’action de bac­té­ries pour extraire du cuivre, de l’or, du cobalt, du zinc ou encore du nickel. Nous sommes ain­si capables de tes­ter ces pro­cé­dés de recy­clage jusqu’à l’échelle de quelques tonnes. Ces tra­vaux sont menés prin­ci­pa­le­ment dans le cadre de pro­jets finan­cés par l’État ou l’Europe, mais aus­si par des indus­triels, afin de tes­ter, vali­der, qua­li­fier des pro­cé­dés qui ont voca­tion à être déployés à l’échelle indus­trielle. Si le BRGM est avant tout un éta­blis­se­ment de recherche et de déve­lop­pe­ment, les résul­tats des tra­vaux menés par ses ingé­nieurs-cher­cheurs ont voca­tion à être trans­fé­rés vers le monde industriel.

Nous tra­vaillons aus­si le déve­lop­pe­ment de métho­do­lo­gies pour l’analyse glo­bale de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale d’un sys­tème. Dans ce cadre, on parle d’analyse de cycle de vie. Dans cette démarche, nous cher­chons à éva­luer les émis­sions de GES mais aus­si à éva­luer l’impact sur la bio­di­ver­si­té ou encore la res­source en eau.

Le BRGM déve­loppe ain­si des outils numé­riques et des bases de don­nées pour réa­li­ser ces éva­lua­tions. Nous met­tons l’ensemble de ces déve­lop­pe­ments au ser­vice de nos par­te­naires publics et pri­vés, notam­ment les industriels.

Enfin, parce que le recy­clage ne per­met­tra pas de cou­vrir l’intégralité des besoins, nous tra­vaillons aus­si sur une vision glo­bale, voire sys­té­mique des chaînes de valeur et d’approvisionnement pour avoir une meilleure visi­bi­li­té sur les besoins, sur les volumes qui pour­ront être récu­pé­rés via le recy­clage, ceux qu’il fau­dra aller extraire des mines, en France ou ailleurs afin d’éclairer et d’objectiver les choix que les inves­tis­seurs, les pou­voirs publics et les indus­triels vont être ame­nés à faire. C’est dans cette pers­pec­tive que nous avons créé fin 2022 avec 5 autres éta­blis­se­ments publics l’observatoire OFREMI sur les métaux stra­té­giques, et que nous tra­vaillons à un nou­vel inven­taire des res­sources miné­rales pré­sentes dans le sous-sol français.

Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nous sur ces enjeux et ces sujets ?

Sur le court et le moyen terme, nous devons apprendre à mieux recy­cler. Nous devons adap­ter nos stra­té­gies de recy­clage de manière à opti­mi­ser le coût éner­gé­tique, envi­ron­ne­men­tal et éco­no­mique et ne pas for­cé­ment cher­cher à récu­pé­rer des métaux purs si des usages peuvent se satis­faire de la pré­sence d’autres éléments.

Cette opti­mi­sa­tion pour­ra aus­si conduire à réflé­chir à une nou­velle orga­ni­sa­tion des chaînes d’utilisation entre les dif­fé­rentes filières indus­trielles afin d’identifier les appli­ca­tions ou les usages qui requièrent des niveaux de pure­té et de spé­ci­fi­ca­tions les plus exi­geants. L’idée serait ain­si d’utiliser la matière pure extraite du sol sur des usages où elle est néces­saire et ne peut être substituée.

“Dans un monde de pénuries et face à la finitude des ressources, préserver les ressources disponibles à des usages indispensables doit être un critère décisif dans les prises de décisions.”

En paral­lèle, nous devons aus­si apprendre à mieux conce­voir nos pro­duits. C’est ce qu’on appelle l’éco-conception. Lors de la concep­tion d’un pro­duit, comme un smart­phone, par exemple, il n’est aujourd’hui pas rai­son­nable et durable de ne prendre en compte que sa per­for­mance tech­nique sans inté­grer sa recy­cla­bi­li­té. Pour déve­lop­per l’économie cir­cu­laire et le recy­clage, il nous faut aus­si déve­lop­per une indus­trie de puri­fi­ca­tion et de trans­for­ma­tion pour récu­pé­rer les matières, les réuti­li­ser… C’est un enjeu qui entre fina­le­ment en réson­nance forte avec le besoin de réin­dus­tria­li­sa­tion et de sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique de notre pays.

Enfin, se pose aus­si la ques­tion de la sobrié­té : même si nous cher­chons à déve­lop­per de nou­velles tech­no­lo­gies et filières, il nous faut sys­té­ma­ti­que­ment réflé­chir à la per­ti­nence et à la réelle néces­si­té des usages (néces­saire ou super­flu…), ce qui revient à s’interroger sur le meilleur usage pos­sible des res­sources extraites du sous-sol. Dans un monde de pénu­ries et face à la fini­tude des res­sources, pré­ser­ver les res­sources dis­po­nibles à des usages indis­pen­sables doit être un cri­tère déci­sif dans les prises de décisions. 

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