Réussir une transition de carrière

Dossier : ExpressionsMagazine N°654 Avril 2010
Par Michel PRUDHOMME (64)

D’abord, il faut construire un pro­jet pro­fes­sion­nel. Le seul fait d’y tra­vailler aide dans sa pré­pa­ra­tion psy­cho­lo­gique, en obli­geant à tour­ner la page et à se pro­je­ter dans l’avenir. Le pro­jet, c’est le cahier des charges de sa future acti­vi­té, avec des élé­ments qua­li­ta­tifs et quan­ti­ta­tifs : métier, type, taille et culture d’entreprise, sec­teur d’activité, style de mana­ger, équipe, bud­gets, etc.

Trois questions pour un projet

Construire un pro­jet, c’est se poser trois types de ques­tions, et sur­tout y appor­ter des réponses.

Une recherche dure en moyenne cinq à six mois si l’on est bien préparé

Pre­mière ques­tion : « Qu’est-ce que je sais faire ? » C’est le plus facile, la par­tie visible de l’iceberg. Il suf­fit de regar­der dans le pas­sé les métiers, les sec­teurs, les com­pé­tences acquises, les réa­li­sa­tions et de synthétiser.

Deuxième ques­tion : « Qu’est-ce que je suis capable de faire ? » C’est déjà plus dif­fi­cile. Cha­cun sait ce qu’il a été capable de faire dans tel ou tel envi­ron­ne­ment, mais ignore ce qu’il serait capable de faire dans un nou­vel envi­ron­ne­ment incon­nu. Cela dépend de sa nature propre : valeurs, rela­tion au pou­voir, sens poli­tique, carac­té­ris­tiques psy­cho­lo­giques, capa­ci­tés de com­mu­ni­ca­tion, freins et moteurs, etc.

Troi­sième ques­tion, enfin : « Qu’est ce que j’ai envie de faire ? » C’est le plus dif­fi­cile, et il faut être très hon­nête avec soi-même pour pou­voir répondre à cette ques­tion, qui est pour­tant la plus impor­tante. En effet, il y a une énorme dif­fé­rence entre un métier que l’on a envie de faire et un métier que l’on n’a pas, ou plus envie de faire. Cela dépend aus­si de l’âge : nous pou­vons nous for­cer à faire quelque chose qui ne nous plaît plus à qua­rante ans, mais pas au-delà de cin­quante ans.

Le cœur et la raison

En fonc­tion des réponses aux ques­tions ci-des­sus et plus spé­ci­fi­que­ment de la troi­sième, on peut abou­tir à deux types de pro­jets : le pro­jet de la rai­son et le pro­jet du cœur.

Le Pro­jet de la rai­son s’inscrit dans la conti­nui­té, le bateau conti­nue­ra sur son cap, en chan­geant un réglage de voile, mais rien de fon­da­men­tal : même métier, même sec­teur, même type d’entreprise.

Le Pro­jet du cœur consiste à envi­sa­ger un chan­ge­ment signi­fi­ca­tif, un vire­ment de bord vers un autre port : chan­ger de métier, de sec­teur, créer ou reprendre une entre­prise, une start-up, deve­nir indé­pen­dant, faire des mis­sions, du conseil.

Le changement voulu 

Choi­sir le pro­jet du cœur, c’est envi­sa­ger un chan­ge­ment majeur de métier, de sec­teur ou de type d’entreprise, de pas­ser du public au pri­vé, d’une start-up à une grande entre­prise, d’un groupe mul­ti­na­tio­nal à une PME fami­liale, de quit­ter la recherche pour rejoindre une start-up, de faire du conseil, etc. Cela peut arri­ver avant trente ans. Dans ce cas, le chan­ge­ment peut être assez facile si la moti­va­tion est là, car les habi­tudes ne sont pas encore ancrées. Cela arrive plus sou­vent autour de qua­rante ans, lors de cette crise per­son­nelle et pro­fes­sion­nelle, appe­lée mid­life cri­sis par les Anglo- Saxons.

Une chance sur six
La plu­part des per­sonnes, sauf les plus âgées, ont un pro­jet de la rai­son, de conti­nui­té. Mais, la moi­tié ont aus­si un pro­jet du cœur. Par­mi ces pro­jets du cœur, deux tiers sont uto­piques ou pré­ma­tu­rés, et conduisent à se rabattre sur le pro­jet de la rai­son. Mais un tiers de ces pro­jets du cœur sont réa­listes, et ce sont des réus­sites. Cela donne sta­tis­ti­que­ment une chance sur six de por­ter en soi un excellent pro­jet du cœur qui don­ne­rait un nou­veau départ à une vie professionnelle.

À ce moment-clé, on se rend compte en géné­ral de ses limites de temps ou d’énergie, ain­si que des contraintes. Tout peut bas­cu­ler si ce chan­ge­ment échoue.

Après cin­quante ans, beau­coup res­sentent la néces­si­té de faire quelque chose de dif­fé­rent : quit­ter le sala­riat, se mettre à son compte, faire du béné­vo­lat, dimi­nuer son rythme de tra­vail. La plu­part sous-estiment les dif­fi­cul­tés et se lancent à fond sans pré­pa­ra­tion préa­lable. En cas d’échec, l’on retrouve quelques années plus tard ces per­sonnes dans des situa­tions com­pli­quées, avec des expli­ca­tions peu convain­cantes sur leur chan­ge­ment et cer­tains han­di­caps pour retrou­ver un emploi qui leur convienne.

Le changement subi

Dans ce cas et quel que soit son âge, il est for­te­ment recom­man­dé de négo­cier avec son employeur la prise en charge d’un accom­pa­gne­ment adap­té (out­pla­ce­ment) dans le cadre d’une éven­tuelle tran­sac­tion : construire ou affi­ner son pro­jet pro­fes­sion­nel, se pré­pa­rer à com­mu­ni­quer autour de son pro­jet avant d’entamer sa recherche, aug­men­tant ain­si les chances de réussite.

Le changement souhaité

La plu­part sous-estiment les dif­fi­cul­tés et se lancent à fond sans pré­pa­ra­tion préalable

Le dilemme est le sui­vant. Ou bien l’on a trou­vé un nou­vel emploi. Mais alors est-on sûr que ce chan­ge­ment sera béné­fique à long terme ? N’est ce pas lâcher la proie pour l’ombre ? Ou alors l’on n’a pas encore trou­vé, mais alors com­ment le recher­cher tout en étant en poste ? Ne risque-t-on pas de prendre le pre­mier poste qui se présentera ?

Un mini­mum de réflexion et de pré­pa­ra­tion s’impose donc. 

Constituer un réseau 

La pré­pa­ra­tion
Connaître ses forces et fai­blesses, être clair avec soi-même, éva­luer ses freins et moteurs, ses moti­va­tions pro­fondes. Se fixer des objec­tifs à cinq ans et à dix ans. Avoir en outre, de manière innée ou acquise, la capa­ci­té de com­mu­ni­quer sur son nou­veau pro­jet, par écrit (CV) et ora­le­ment (entre­tiens), avec les réponses aux objec­tions, les expli­ca­tions et l’en­thou­siasme indis­pen­sables pour don­ner envie à un employeur poten­tiel d’al­ler plus loin.

Pos­sé­der déjà un réseau opé­ra­tion­nel de contacts dans son milieu ne peut que faci­li­ter la tâche. Sinon, il est indis­pen­sable de le créer à l’occasion de ce chan­ge­ment et ce sera long et dif­fi­cile. En effet, les petites annonces, les cabi­nets de recru­te­ment et les chas­seurs de têtes ne sont pas, sauf excep­tion, les voies les plus favo­rables pour réus­sir un chan­ge­ment signi­fi­ca­tif : une démarche de réseau bien menée a beau­coup plus de chances de réus­sir. Le pro­blème est que cette démarche est dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec la tenue effec­tive d’un poste.

Conclure et tourner la page

Il faut d’abord conclure la recherche.

Tour­ner la page, c’est désap­prendre son pas­sé et com­men­cer à inven­ter son futur

Beau­coup de per­sonnes ont été ren­con­trées, il faut les infor­mer. Envoyer sa nou­velle carte de visite pro­fes­sion­nelle est un bon moyen de res­ter en contact. La période des vœux de fin d’année est aus­si très utile. Un réseau s’entretient, et doit mar­cher dans les deux sens.

Savoir ensuite tour­ner la page. Une rup­ture d’une semaine est un mini­mum, un mois est idéal. Il faut désap­prendre son pas­sé et com­men­cer à inven­ter son futur. On entre dans une autre tri­bu, où les rites tri­baux sont dif­fé­rents, sur­tout si la dis­tance cultu­relle à fran­chir est impor­tante comme, par exemple, du public au pri­vé, ou d’un grand groupe à une PME ou une start-up.

Persévérer pour réussir

On dis­pose en géné­ral d’une période de grâce, de trois mois peut-être, avec des droits et des devoirs par­ti­cu­liers. L’état de grâce ter­mi­né, on attend des résul­tats. Par où com­men­cer ? La plu­part des per­sonnes remer­ciées en fin de période d’essai ne s’y attendent pas du tout. Elles avaient pour­tant l’impression d’avoir bien fait, mais selon leurs priorités.

L’état de grâce
Pen­dant les cent pre­miers jours, on peut poser des ques­tions, s’étonner, deman­der de l’aide pour com­prendre com­ment fonc­tionne l’organisation. Évi­tez de trop par­ler de son pas­sé et de ses réus­sites. Avant tout, iden­ti­fier les dix à quinze per­sonnes-clés qui auront leur mot à dire en fin de période d’essai. Ce sont des per­sonnes du niveau au-des­sus (patron, grand patron), de son niveau (membres du même Comi­té de direc­tion) et du niveau en des­sous (cer­tains col­la­bo­ra­teurs). Les ren­con­trer cha­cune indi­vi­duel­le­ment, suf­fi­sam­ment pour avoir une idée pré­cise des attentes et des craintes de cha­cune. Faire une liste de ces attentes et craintes.

Se don­ner comme objec­tif d’apporter des résul­tats qui comblent les attentes de chaque per­sonne-clé, en fonc­tion de ses prio­ri­tés. Appor­ter beau­coup de soins à effa­cer les craintes que cer­tains pou­vaient avoir. Mon­trer que sa réus­site ne se fera pas au détri­ment de leur succès.

En géné­ral, le DRH va poser la ques­tion de confiance « Allons-nous gar­der M. X ? » au bout de quelques mois de pré­sence. Si le patron est content, mais que le DRH a enten­du d’autres avis néga­tifs, ils vont creu­ser : il suf­fit de deux ou trois avis néga­tifs pour une élimination.

S’il n’est pas pré­vu de période d’essai dans le contrat, la ques­tion sera tout de même posée, et si la réponse est néga­tive, la seule dif­fé­rence est que l’élimination coû­te­ra un peu plus cher à l’entreprise.

Après la période d’intégration, on attend du nou­vel arri­vant qu’il soit tota­le­ment opé­ra­tion­nel. Il faut appor­ter la valeur ajou­tée pour laquelle l’on a été embau­ché dans la durée. L’horizon doit se limi­ter à cela pen­dant deux ans au moins, avant que l’on puisse légi­ti­me­ment com­men­cer à deman­der What’s next ? en fonc­tion de sa réussite.

Créé il y a plus de qua­rante ans, le Bureau des Car­rières de l’AX pro­pose des entre­tiens per­son­na­li­sés, des sémi­naires et ate­liers, l’ac­cès à dif­fé­rents réseaux ain­si que des moyens logis­tiques. La plu­part sous-estiment les dif­fi­cul­tés et se lancent à fond sans pré­pa­ra­tion préalable

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