La santé publique ou comment gérer notre santé collective !

Dossier : La santé en questionsMagazine N°599 Novembre 2004Par Louis LEBRUN
Par Philippe BRUNSWICK (74)

Encore un » french para­dox » ? Si le sys­tème de san­té fran­çais a été clas­sé en 2000 par l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale de la san­té comme le meilleur par­mi 191, c’est plus un effet de la construc­tion d’un indi­ca­teur com­po­site qu’en rai­son de son excel­lence dans cha­cun des domaines examinés.

En fait, bien que la san­té publique soit un thème mis sous les feux de la rampe, la poli­tique en ce domaine est le parent pauvre de l’or­ga­ni­sa­tion de l’en­semble de notre sys­tème sani­taire et social. Les rai­sons en sont mul­tiples : courte vue, mau­vaise gou­ver­nance du sys­tème de san­té, lobbying for­ce­né des acteurs prin­ci­paux (syn­di­cats de méde­cins et leurs repré­sen­tants au niveau poli­tique, indus­trie phar­ma­ceu­tique, syn­di­cats…), déca­lage entre les attentes, les mis­sions et les moyens.

Les faits sont cepen­dant graves, nous dépen­sons plus de 10 % de notre PIB dans notre sys­tème de san­té là où le Japon en dépense 7,8 % avec des résul­tats glo­baux bien meilleurs, les pays scan­di­naves font à peu près aus­si bien et la Grande-Bre­tagne avec 7 % éga­le­ment n’offre certes pas le » confort » de la liber­té totale fran­çaise mais obtient des résul­tats glo­baux assez com­pa­rables aux nôtres.

La diversité des définitions

Il est inté­res­sant de poser le pro­blème de la san­té à tra­vers ses défi­ni­tions. Au fait, qu’est-ce que la san­té ? et la san­té d’une nation ? Peut-on prendre en compte la défi­ni­tion tra­di­tion­nelle ou his­to­rique des méde­cins (« absence de mala­dies diag­nos­ti­quées ») qui a l’in­con­vé­nient majeur d’i­gno­rer les états latents et donc d’ex­clure les démarches de prévention ?

Les défi­ni­tions de l’OMS 1946 (« un état de com­plet bien-être phy­sique, men­tal et social ») puis celle de 1986 (« res­source de la vie quo­ti­dienne qui donne à la per­sonne le pou­voir d’i­den­ti­fier et de réa­li­ser ses ambi­tions, satis­faire ses besoins et évo­luer avec son milieu ou s’y adap­ter ») sont tel­le­ment extrêmes notam­ment par leur carac­tère éten­du et uto­piste que seul un sys­tème du type fran­çais peut effec­ti­ve­ment per­mettre de s’en appro­cher. Mais la demande indi­vi­duelle paraît infi­nie et le pro­blème éthique de la limite des soins (dont l’a­char­ne­ment thé­ra­peu­tique) mérite une réflexion amont fon­da­men­tale (voir celle sur les soins pal­lia­tifs par exemple).

On ne peut à la fois affir­mer, à juste titre, que la san­té d’une popu­la­tion est une richesse et en don­ner une défi­ni­tion très indi­vi­dua­liste et sans aucune contrainte éco­no­mique. Par exemple, si les moda­li­tés de défi­ni­tion des prises en charge ou des rem­bour­se­ments des soins attirent toutes les acti­vi­tés humaines pos­sibles, sans effort de défi­ni­tion et de fixa­tion d’un cadre clair nous ne pour­rons rapi­de­ment plus finan­cer les solu­tions aux vrais pro­blèmes de san­té publique, faute de moyens.

Il semble donc impé­ra­tif de fixer les cadres de la san­té publique et du social en s’ap­puyant sur l’u­ti­li­té sociale des moyens enga­gés. Il faut veiller d’une part à ce qu’un sujet qua­li­fié de » ques­tion de san­té publique » ne reflète pas uni­que­ment l’in­té­rêt (notam­ment éco­no­mique) de cer­tains acteurs seule­ment, et d’autre part à ce que l’ap­proche du pro­blème sou­le­vé ne se limite à une ana­lyse super­fi­cielle et à un trai­te­ment cos­mé­tique des consé­quences, au détri­ment d’une réflexion sys­té­mique tenant compte des fac­teurs sani­taires, sociaux et environnementaux.

Les problèmes majeurs de santé publique

Les véri­tables ques­tions de san­té publique sont bien connues : la mor­ta­li­té avant 65 ans, en France, est la plus mau­vaise d’Eu­rope, or sur un plan pure­ment moral et éco­no­mique c’est la plus coû­teuse pour notre société.

Les inéga­li­tés sociales et régio­nales sont très impor­tantes en termes de résul­tats glo­baux de san­té publique.

Le can­cer, les acci­dents de la route et le sui­cide devraient être des causes natio­nales depuis des décen­nies et autre­ment mieux finan­cées par notre sys­tème de pro­tec­tion sociale car d’un ren­de­ment évident !

La lutte contre l’al­coo­lisme devrait mobi­li­ser l’en­semble de la nation.

Et qui pla­ni­fie les solu­tions aux pro­blèmes du futur ?

Le dia­bète, l’o­bé­si­té, l’in­suf­fi­sance car­diaque, l’asthme et sur­tout le vieillis­se­ment de la popu­la­tion sont des pro­blèmes iden­ti­fiés. Mais où sont les plans d’ac­tion de pré­ven­tion, de recherche, de for­ma­tion et d’a­dap­ta­tion des sys­tèmes de prise en charge qui en découlent ?

La loi du 9 août 2004 » rela­tive à la poli­tique de san­té publique » (dite » Mat­tei ») qui vient d’être votée com­prend 100 objec­tifs hété­ro­clites et d’im­por­tance variable (dont les deux tiers ne sont pas quan­ti­fiés), ce qui montre l’in­ca­pa­ci­té de nos déci­deurs poli­tiques à hié­rar­chi­ser et choi­sir les prio­ri­tés et à bâtir des plans d’ac­tion géné­raux cré­dibles qui seraient pour­tant fon­da­men­taux pour gui­der les déci­deurs décen­tra­li­sés dans des domaines comme ceux de l’é­du­ca­tion de nos enfants, de l’in­for­ma­tion de nos conci­toyens, du finan­ce­ment de la recherche fon­da­men­tale et appli­quée, de l’or­ga­ni­sa­tion de notre sys­tème de soins, des grands choix en termes d’en­vi­ron­ne­ment et de transport…

Nous sommes face à un vrai pro­blème poli­tique que la nation refuse d’a­bor­der de front. Pour quelles raisons ?

Cer­tains pré­tendent que les méde­cins repré­sentent une force redou­table d’in­fluence poli­tique de la popu­la­tion et ne doivent donc pas être pris de front, d’autres que la puis­sance d’in­fluence de l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique est consi­dé­rable, d’autres que notre sys­tème pari­taire laisse aux par­te­naires sociaux le soin de poser ce genre de problèmes.

Ce qui est sûr c’est que l’ab­sence de débats, en dehors de quelques cercles trop res­treints, est fla­grante, et que ceux qui ont eu lieu n’ont pas eu la tra­duc­tion en actes que mérite la situa­tion, alors que seuls les élus de la nation et les usa­gers du sys­tème pour­raient se réap­pro­prier ce débat fondamental.

Le dilemme tient, peut-être, en la for­ma­tion clas­sique des méde­cins qui rai­sonnent uni­que­ment en termes de rela­tion indi­vi­duelle thé­ra­peute patient. Or cette rela­tion essen­tielle per­met rare­ment d’ap­pré­hen­der les pro­blé­ma­tiques géné­rales à l’é­chelle d’une popu­la­tion et sur­tout d’an­ti­ci­per les ten­dances de fond de nos socié­tés en termes de démo­gra­phie et de mode de vie.

Il est donc impor­tant, en para­phra­sant Cle­men­ceau, de ne pas lais­ser la poli­tique de san­té publique seule­ment aux mains des méde­cins mais bien à l’en­semble de la nation et en par­ti­cu­lier à ses repré­sen­tants poli­tiques et asso­cia­tifs, pour autant qu’ils s’af­fran­chissent des fri­lo­si­tés des inté­rêts caté­go­riels immé­diats pour se pro­je­ter dans l’a­ve­nir, et s’ap­puient sur des faits scien­ti­fi­que­ment éta­blis et non sur des ressentis.

Comment agir ?

Il faut d’a­bord mieux uti­li­ser les res­sources exis­tantes, notam­ment humaines et en par­ti­cu­lier celles des véri­tables spé­cia­listes en san­té publique, méde­cins et non-méde­cins, dont l’exis­tence et les com­pé­tences sont trop sou­vent mécon­nues et sous-uti­li­sées. Cela passe sans doute aus­si par une cer­taine réor­ga­ni­sa­tion, pour une effi­cience et une réac­ti­vi­té meilleures, des struc­tures natio­nales en charge des ques­tions de san­té publique. L’exemple de la cani­cule de l’é­té 2003 est à cet égard révé­la­teur : le pro­blème n’a­vait pas été ima­gi­né, les indi­ca­teurs d’a­lerte man­quaient, ceux qui s’é­taient expri­més tôt n’ont été ni enten­dus ni com­pris, la prise en compte d’un phé­no­mène mal décrit à l’o­ri­gine et la réponse immé­diate de l’É­tat se sont faites à un rythme et selon des pro­cé­dures inadap­tés au pro­blème. Mais pour autant, le dis­po­si­tif mis en œuvre en 2004 à grand ren­fort média­tique est peut-être sur­di­men­sion­né et mal adapté.

Avant d’a­gir, il faut déci­der. Pour cela, il faut savoir ; mais il convient aus­si d’é­va­luer pour évo­luer. Il est donc néces­saire de déve­lop­per les sys­tèmes et les com­pé­tences en matière de veille et d’in­ter­ven­tion en san­té publique. Et, en par­ti­cu­lier, de bâtir et finan­cer un pro­gramme de recherche en san­té publique vigou­reux, cen­tré sur quelques objec­tifs, adap­té à la France et lar­ge­ment média­ti­sé. Ces objec­tifs doivent être clairs et par­ta­gés par la Nation, et non défi­nis ni par quelques spé­cia­listes iso­lés, ni par quelques poli­tiques sous influence.

En la matière, les exemples récents de la réduc­tion des acci­dents de la route et de la lutte contre le taba­gisme montrent que des résul­tats rapides sont pos­sibles et fina­le­ment appré­ciés de nos conci­toyens. Mais il ne faut pas craindre d’être pas­sa­gè­re­ment impo­pu­laire… ou se limi­ter au domaine sani­taire, a for­tio­ri cura­tif, pour agir.

La loi de san­té publique pré­sente heu­reu­se­ment de nom­breux aspects inté­res­sants ; en par­ti­cu­lier, la créa­tion d’une École des hautes études en san­té publique est poten­tiel­le­ment un atout, s’il s’a­git véri­ta­ble­ment de fédé­rer et d’a­mé­lio­rer l’exis­tant et non de rajou­ter une couche à un mille-feuilles dont la frag­men­ta­tion actuelle est une des faiblesses.

De façon géné­rale, il faut déve­lop­per l’é­va­lua­tion des poli­tiques publiques, et celle de la poli­tique de san­té publique en par­ti­cu­lier, en trou­vant la balance entre la parole des spé­cia­listes et celle des citoyens.

Pour être prag­ma­tique, il faut agir vis-à-vis tant des pro­fes­sion­nels que des citoyens. Il convient de dif­fu­ser rapi­de­ment les résul­tats des recherches en san­té publique, et de les inté­grer dans la for­ma­tion médi­cale conti­nue des méde­cins, désor­mais obli­ga­toire et contrô­lée. Il faut réha­bi­li­ter et ren­for­cer la méde­cine du tra­vail dont le rôle fut déter­mi­nant pour le monde ouvrier. Elle doit être repen­sée pour notre ère des ser­vices et des nou­velles technologies.

Il faut édu­quer pour pré­ve­nir et rendre res­pon­sables nos enfants et nos conci­toyens : la méde­cine sco­laire devrait être une prio­ri­té de tout gou­ver­ne­ment car à tra­vers les enfants on peut influen­cer les adultes, les spé­cia­listes du mar­ke­ting le savent depuis longtemps.
Il ne faut pas hési­ter à pro­mul­guer des lois strictes pour limi­ter l’in­fluence des médias dans la pro­mo­tion de conduites à risques (type loi Évin).

Il faut par­ler vrai au citoyen sur ses com­por­te­ments et trou­ver des méthodes effi­caces de res­pon­sa­bi­li­sa­tion de ses actes vis-à-vis de la com­mu­nau­té : stages de sen­si­bi­li­sa­tion, cures gra­tuites, péna­li­tés finan­cières, au besoin, sur les rem­bour­se­ments en cas de per­sis­tance grave.

Conclusion

Nous autres citoyens devons nous réap­pro­prier un de nos biens les plus pré­cieux, notre san­té col­lec­tive. Cela néces­site la volon­té de s’y inté­res­ser et de s’y engager.

Nous y consa­crons déjà 10 % de notre richesse com­mune, soit trois fois plus que pour notre défense, deux fois plus que pour l’é­du­ca­tion de nos enfants et cinq fois plus que pour ce qui condi­tionne notre ave­nir, la Recherche ! Nous devons impé­ra­ti­ve­ment don­ner un sens à cet outil fabu­leux qui n’a pas de pilote et nous entraîne dans les fos­sés des défi­cits abys­saux sans se poser la ques­tion de sa finalité.

Pen­ser l’or­ga­ni­sa­tion du sys­tème de san­té, qui est un domaine com­plexe, néces­site une plu­ra­li­té d’ac­teurs mul­ti­dis­ci­pli­naires, dotés d’ou­tils qui sont mal­heu­reu­se­ment encore insuf­fi­sam­ment déve­lop­pés. Il est impé­ra­tif de recon­naître la noblesse poten­tielle de ce sec­teur, mécon­nu et pour­tant tel­le­ment impor­tant, et d’y inves­tir à bon escient. Les poly­tech­ni­ciens devraient s’im­pli­quer davan­tage pour aider à la mise en œuvre d’une nou­velle poli­tique de san­té publique :

  • en créant des pro­grammes de recherche adap­tés à ces pro­blé­ma­tiques en mathé­ma­tique, phy­sique, éco­no­mie, ges­tion, biologie…,
  • mais éga­le­ment en par­ti­ci­pant à la défi­ni­tion et à la mise en œuvre de cette poli­tique qui inté­res­se­ra de plus en plus notre tis­su éco­no­mique, ne serait-ce que par le poids crois­sant de la san­té sur les pré­lè­ve­ments sociaux.

En ce domaine aus­si, la ratio­na­li­té s’im­pose : rejoi­gnez X‑Santé pour vous faire entendre !

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