En 2016 Timothée Mével (M2016) a fondé Zack avec Pierre-Emmanuel Saint-Esprit

Zack donne une seconde vie à tous les produits électroniques usagés

Dossier : TrajectoiresMagazine N°766 Juin 2021
Par Hervé KABLA (84)

En 2016 Timo­thée Mével (M2016) a fon­dé Zack avec Pierre-Emma­nuel Saint-Esprit, une entre­prise qui est désor­mais le lea­der fran­çais de la ges­tion des pro­duits élec­tro­niques de seconde main. Zack, c’est 300 tonnes de pro­duits élec­tro­niques sau­vés de la décharge depuis sa créa­tion et 30 emplois directs et indi­rects créés sur notre territoire.

Quelle est l’activité de Zack ? 

Zack garan­tit une seconde vie à tous les pro­duits élec­tro­niques usa­gés des par­ti­cu­liers et des entre­prises. Nous orga­ni­sons leur col­lecte, puis nous fai­sons le tri : les pro­duits de valeur sont reven­dus ; les autres sont don­nés à des asso­cia­tions, répa­rés ou recy­clés dans le res­pect de l’environnement.

Comment t’est venue l’idée ?

Depuis tou­jours, je suis sen­sible à la défense de la pla­nète et à la lutte contre le gas­pillage de ses res­sources. Petit, j’avais comme res­pon­sa­bi­li­té de tenir la bou­tique eBay de la famille, de revendre les pro­duits qui ne nous ser­vaient plus et de per­mettre ain­si leur réem­ploi. D’ailleurs, la toute pre­mière ver­sion de Zack consis­tait à toquer à la porte des habi­tants des envi­rons de Ber­ke­ley où je finis­sais mes études, pour leur deman­der ce qu’ils avaient comme pro­duits usa­gés qu’ils n’utilisaient plus, et à m’occuper ensuite de leur revente !

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Mon asso­cié Pierre-Emma­nuel est diplô­mé de l’Essec et je suis moi-même diplô­mé de Supaé­ro et de Poly­tech­nique. Nous nous sommes ren­con­trés à l’université de Ber­ke­ley aux États-Unis, où nous avons éla­bo­ré les débuts de notre aven­ture entre­pre­neu­riale dans l’économie circulaire.

Qui sont les concurrents ? 

Le mar­ché du recon­di­tion­né est en plein essor depuis une dizaine d’années, en Europe, aux États-Unis et en Asie. Il existe de nom­breuses entre­prises qui se concentrent sur le rachat aux entre­prises et aux par­ti­cu­liers de télé­phones, d’ordinateurs et de tablettes usa­gés, pour les recon­di­tion­ner et les revendre par la suite (reBuy, Brights­tar, Sofi Groupe, Itan­cia, pour n’en citer que quelques-uns).

Les mar­ket­places qui per­mettent aux par­ti­cu­liers et aux entre­prises d’acheter du recon­di­tion­né deviennent aus­si de plus en plus puis­santes et connues par le grand public (Back­Mar­ket ou Ago­ra Place en B2B). Mais aucune de ces struc­tures ne per­met de garan­tir une seconde vie à tous les pro­duits élec­tro­niques usa­gés, quelle que soit leur valeur. C’est, à nos yeux, un frein pour que les par­ti­cu­liers fran­chissent le pas de se sépa­rer des pro­duits qu’ils n’utilisent plus. Et c’est la mis­sion de Zack !

“Il faut repenser intelligemment notre manière de consommer.”

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Après Ber­ke­ley, nous avons été accé­lé­rés à l’incubateur NUMA dans le Sen­tier, ce qui nous a per­mis d’aller très vite sur la créa­tion de l’entreprise et le lan­ce­ment de son pre­mier ser­vice. Notre pré-seed et notre seed ont aus­si été des étapes essen­tielles pour construire l’aventure en ren­con­trant des inves­tis­seurs qui nous ont fait confiance. Enfin, l’année 2020 a été mar­quante avec la crise et ses consé­quences. Elle nous a conduits à repen­ser notre ser­vice de fond en comble pour lan­cer sa der­nière ver­sion : zack.eco.

Il aura fallu à peu près 20 ans, depuis la sortie de Craddle to Craddle en 2002, pour que l’économie circulaire décolle vraiment en France. Pourquoi un tel retard ? 

Tu es même plu­tôt posi­tif en affir­mant que l’économie cir­cu­laire a décol­lé en France ! Elle a eu un sur­saut récent avec la loi anti-gas­pillage (dite « loi AGEC ») et de belles avan­cées : l’indice de répa­ra­bi­li­té, l’interdiction de la des­truc­tion des inven­dus non ali­men­taires ou encore l’interdiction de plu­sieurs pro­duits en plas­tique à usage unique. Mais il n’existe tou­jours pas de secré­ta­riat d’État à l’économie cir­cu­laire, qui de plus est rat­ta­chée à Ber­cy, pour trans­for­mer dura­ble­ment notre éco­no­mie ; cela reste un à‑côté. Ce phé­no­mène de trans­for­ma­tion vers plus de cir­cu­la­ri­té prend du temps pour deux rai­sons principales.

D’une part, tout démarre de la concep­tion du pro­duit par les construc­teurs : le pro­duit doit être conçu pour durer et connaître plu­sieurs secondes vies. D’autre part, trop peu d’industriels ont com­men­cé à rai­son­ner ain­si, en pri­vi­lé­giant l’économie linéaire et ses gros volumes. Mais les consom­ma­teurs réclament plus de marques res­pon­sables, qui pré­servent les res­sources et cherchent à dimi­nuer leur impact environnemental.

Cepen­dant, le prin­ci­pal para­mètre d’un achat reste le prix. Et de nom­breux pro­duits de l’économie cir­cu­laire (par exemple le tex­tile recy­clé) res­tent chers, car la tech­no­lo­gie et l’industrialisation n’en sont qu’à leurs débuts, et les éco­no­mies d’échelle ne sont pas encore là.

Zack garantit une seconde vie à tous les produits électroniques usagés des particuliers et des entreprises.
Zack garan­tit une seconde vie à tous les pro­duits élec­tro­niques usa­gés des par­ti­cu­liers et des entreprises.

Les écoles d’ingénieur forment à l’innovation, devraient-elles plutôt former au recyclage ? 

Le recy­clage est la der­nière des solu­tions à pri­vi­lé­gier en termes d’économie cir­cu­laire. On recycle lorsqu’on ne peut plus réem­ployer le pro­duit en l’état (via un don, un par­tage ou une revente) ou le répa­rer. Lorsque l’on recycle un pro­duit élec­tro­nique, on ne peut mal­heu­reu­se­ment pas recy­cler 100 % de la matière et il y a donc un gâchis envi­ron­ne­men­tal inhé­rent. L’économie cir­cu­laire est sou­vent confon­due avec le recy­clage, ce qui est une grave erreur. Les écoles d’ingénieur devraient plu­tôt for­mer au cir­cu­lar desi­gn, c’est-à-dire com­ment conce­voir des biens pro­duits pour durer dans le temps et comp­ter plu­sieurs vies. C’est le seul moyen de per­mettre à la pla­nète de régé­né­rer annuel­le­ment les res­sources que nous exploitons.

L’essor du soft par rapport au hard ne risque-t-il pas d’anéantir les efforts du recyclage ?

Au contraire, si l’on rai­sonne pure­ment ration­nel­le­ment, le soft, ou le ser­vice en géné­ral, est la clé pour faire vivre de nom­breuses vies au hard. Un logi­ciel consomme de l’énergie, certes, mais peut per­mettre au hard d’être amor­ti en termes de bilan car­bone. L’économie cir­cu­laire est avant tout une éco­no­mie de ser­vice qui cherche à se déta­cher de la mul­ti­pli­ca­tion de la matière néces­saire pour faire tour­ner l’économie, et donc de la pro­duc­tion à outrance de hard.

Y a‑t-il selon toi matière à légiférer sur le recyclage, pour instaurer des bonnes pratiques réglementées ? 

Tout à fait, la légis­la­tion peut et doit jouer un rôle majeur dans l’avènement de l’économie cir­cu­laire, à un niveau fran­çais mais aus­si au niveau euro­péen. L’économie cir­cu­laire est d’ailleurs une prio­ri­té actuelle du green deal. Il s’agit de pro­po­ser de nou­velles lois pour inci­ter à une pro­duc­tion et à une consom­ma­tion res­pon­sable (comme le per­met la loi AGEC évo­quée plus haut), mais il s’agit avant tout de faire res­pec­ter la légis­la­tion exis­tante. Par exemple, toute pla­te­forme e‑commerce dans un cer­tain nombre de sec­teurs (tel celui des pro­duits élec­tro­niques) doit per­mettre la col­lecte de pro­duits usa­gés sur son site, pen­dant le par­cours d’achat du consom­ma­teur. Cette règle n’est majo­ri­tai­re­ment pas res­pec­tée aujourd’hui par les acteurs, mais Ber­cy n’agit pas pour que cela devienne le cas.

Quel regard portes-tu sur cette mode consistant à réduire ses déchets à l’extrême, en termes d’alimentation ou de logement ? 

C’est cou­ra­geux et sus­cite l’admiration, mais il est illu­soire d’espérer que cela devienne majo­ri­taire. Pour que notre pla­nète soit res­pec­tée et nos com­por­te­ments durables, il ne faut pas arrê­ter de consom­mer, ce qui détrui­rait notre modèle social, mais repen­ser intel­li­gem­ment notre manière de consom­mer. C’est tout le com­bat de l’économie cir­cu­laire, qui n’est pas l’économie de la décrois­sance totale.


Références :

https://www.c2ccertified.org/

https://www.ecologie.gouv.fr/loi-anti-gaspillage-economie-circulaire‑1

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