Waga Energy

La start-up militante du biométhane

Dossier : Supplément InnovationMagazine N°746 Juin 2019
Par Mathieu LEFEBVRE

Waga Ener­gy défend la place du gaz renou­ve­lable dans le mix énergé­tique en val­orisant le biogaz des sites d’enfouissement. Les expli­ca­tions de Math­ieu Lefeb­vre, PDG et co-fon­da­teur de cette start-up engagée dans la tran­si­tion énergétique.

Dites-nous-en plus sur votre engagement en faveur de la préservation de l’environnement et de la transition énergétique.

L’Humanité con­naît depuis le XIXe siè­cle un développe­ment extra­or­di­naire grâce aux éner­gies fos­siles : char­bon, pét­role et gaz naturel. Ce mod­èle n’est plus sup­port­able, du fait de la raré­fac­tion des ressources et des dom­mages qu’il cause à l’environnement. Dans un con­texte d’urgence cli­ma­tique et de ten­sions géopoli­tiques, nous devons agir et trou­ver des solu­tions pour l’avenir de nos enfants.

Waga Ener­gy est née de ce con­stat. Mes asso­ciés Nico­las Paget, Gué­naël Prince et moi-même avons créé l’entreprise en 2015 pour con­tribuer au développe­ment d’une nou­velle source d’énergie indis­pens­able à la tran­si­tion énergé­tique : le bio­méthane, sub­sti­tut renou­ve­lable du gaz naturel. Sur le plan des usages, l’enjeu prin­ci­pal, c’est le trans­port et le chauffage, qui représen­tent plus de 80 % de notre con­som­ma­tion, et pour lesquels nous dépen­dons prin­ci­pale­ment des éner­gies fos­siles. L’électricité spé­ci­fique (éclairage, appareils ménagers, etc.) ne représen­tant que 15 % de notre consommation.

Dans ce cadre, vous avez la conviction que le gaz renouvelable est la clé de cette problématique…

Le bio­méthane est appelé à jouer un rôle essen­tiel dans le mix énergé­tique. Il se sub­stitue directe­ment aux éner­gies fos­siles sur les appli­ca­tions de trans­port et de chauffage, respon­s­ables de l’essentiel des émis­sions de gaz à effet de serre (GES).

Le bio­méthane est extrait de la bio­masse par la méthani­sa­tion des déchets agri­coles, agroal­i­men­taires ou ménagers. Il est facile­ment stocké et trans­porté grâce aux infra­struc­tures gaz­ières exis­tantes. La fil­ière con­naît un fort développe­ment en Europe. Mais le coût de pro­duc­tion demeure un frein : bien qu’il soit pro­duit locale­ment, le bio­méthane demeure plus cher que du gaz naturel importé de Norvège, des Pays­Bas, d’Algérie ou de Russie, car le coût des exter­nal­ités pos­i­tives n’est pas pris en compte aujourd’hui.

Comment contribuez-vous à promouvoir la place du gaz renouvelable dans la transition énergétique ?

Waga Ener­gy mise sur l’innovation pour pro­duire du bio­méthane à prix com­péti­tif, et même com­pa­ra­ble à celui du gaz naturel à moyen terme. Notre solu­tion, bap­tisée WAGABOX®, récupère le méthane pro­duit spon­tané­ment par la dégra­da­tion des matières organiques dans les sites d’enfouissement – autrement dit les “décharges“ – et l’injecte dans le réseau de gaz naturel.

C’est une idée de bon sens, mais aus­si un défi tech­nologique car le gaz des sites d’enfouissement est très dif­fi­cile à épur­er. Il con­tient du méthane, mais aus­si du dioxyde de car­bone, de l’air (azote et oxygène) et des impuretés. Sa com­po­si­tion et son débit vari­ent con­stam­ment, au gré des con­di­tions cli­ma­tiques. La sépa­ra­tion du méthane, de l’azote et de l’oxygène est par­ti­c­ulière­ment com­plexe car les molécules sont de taille sim­i­laire. Les tech­nolo­gies util­isées pour traiter le biogaz de méthani­sa­tion sont inopérantes.

Il n’existait jusqu’à présent aucune solu­tion sim­ple, effi­cace et économique pour val­oris­er ce gaz. Au niveau mon­di­al, la plu­part des sites d’enfouissement le lais­sent s’échapper dans l’atmosphère, ce qui con­tribue au réchauf­fe­ment cli­ma­tique : le méthane est un puis­sant gaz à effet de serre dont la con­cen­tra­tion dans l’atmosphère est en forte aug­men­ta­tion. Le stock­age des déchets est respon­s­able d’environ 5 % des émis­sions de GES à l’échelle de la planète, selon la Banque mondiale.

En France, les opéra­teurs sont tenus de capter le gaz pour éviter les émis­sions de méthane. Il est détru­it en torchère, ou val­orisé par com­bus­tion dans des moteurs de cogénéra­tion, avec des ren­de­ments énergé­tiques faibles : seul un tiers de l’énergie est con­ver­tie en élec­tric­ité, et la chaleur est rarement exploitable du fait de l’éloignement des zones urbaines. La WAGABOX® trans­forme cette pol­lu­tion atmo­sphérique en énergie renouvelable.

En val­orisant un sous-pro­duit du traite­ment des déchets, nous pro­duisons le bio­méthane le moins cher du marché. Sur un site de grande capac­ité, nous pou­vons nous approcher du prix du gaz naturel livré localement.

Sur le plan technique et technologique, comment avez-vous pu relever ce défi ?

La WAGABOX® est le fruit de dix années de développe­ment au sein du groupe Air Liq­uide, et de Waga Ener­gy. Elle a été mise au point dans le bassin indus­triel grenoblois, qui con­cen­tre une exper­tise unique au monde dans l’ingénierie des gaz et la cryo­génie. Notre tech­nolo­gie com­bine deux étapes d’épuration : la fil­tra­tion par mem­branes et la dis­til­la­tion cryo­génique. La pre­mière per­met d’extraire le dioxyde de car­bone, et la sec­onde de liqué­fi­er tem­po­raire­ment le méthane pour le sépar­er de l’azote et de l’oxygène. Nous obtenons ain­si un méthane pur à 98 %, com­pat­i­ble avec les critères d’injection des opéra­teurs de réseau.

Les WAGABOX® sont de petites usines entière­ment automa­tisées, pilotées à dis­tance depuis notre siège, près de Greno­ble. Elles se branchent directe­ment sur le réseau de col­lecte du gaz du site d’enfouissement, à la place de la torchère ou du moteur de cogénération.

Les WAGABOX® val­orisent 90 % du méthane con­tenu dans le biogaz (le reste est brûlé pour éviter son émis­sion à l’atmosphère) et garan­tis­sent un ren­de­ment énergé­tique trois fois supérieur aux solu­tions basées sur la pro­duc­tion d’électricité. Il s’agit claire­ment d’une tech­nolo­gie de rup­ture pour la val­ori­sa­tion du biogaz des sites d’enfouissement.

La WAGABOX® s’inscrit donc dans une démarche d’économie circulaire. Comment cela se traduit-il concrètement ?

La WAGABOX® trans­forme l’énergie con­tenue dans la par­tie fer­mentesci­ble des déchets en énergie renou­ve­lable, pour la restituer à ceux qui ont pro­duit ces déchets par l’intermédiaire du réseau de gaz : c’est effec­tive­ment un exem­ple d’économie circulaire.

Face à l’urgence cli­ma­tique, nous avons adop­té un mod­èle économique favorisant un déploiement rapi­de et maîtrisé de cette solu­tion. Waga Ener­gy finance la con­struc­tion des WAGABOX® dans le cadre de con­trats avec les exploitants des sites d’enfouissement pour la four­ni­ture du gaz brut. Nos revenus provi­en­nent de la vente du bio­méthane aux énergéti­ciens. Une par­tie du chiffre d’affaires est partagée avec l’exploitant. En maîtrisant tous les paramètres du pro­jet (autori­sa­tions, finance­ment, con­struc­tion, rac­corde­ment, etc.), nous sommes en mesure de met­tre une unité en ser­vice moins de 12 mois après la sig­na­ture du contrat.

Quels sont les avantages de votre solution ?

Notre solu­tion présente un dou­ble intérêt pour la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique : d’abord, elle donne une valeur économique au gaz des sites d’enfouissement, ce qui incite les opéra­teurs à le capter au mieux et con­tribue à réduire les émis­sions fugi­tives de méthane ; ensuite, nous pro­duisons une énergie pro­pre, locale et renou­ve­lable, qui se sub­stitue au gaz naturel pour ali­menter les par­ti­c­uliers et les entreprises.

La pre­mière WAGABOX® a été mise en ser­vice en févri­er 2017 avec le sou­tien de l’Ademe. Nous avons aujourd’hui six unités en exploita­tion en France, sur des sites opérés par des acteurs indus­triels (Cov­ed, Suez et Veo­lia) ou des col­lec­tiv­ités. Avec une capac­ité instal­lée supérieure à 100 GWh, nous ali­men­tons 16 000 foy­ers, tout en évi­tant l’émission de 20 000 tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère. Qua­tre nou­velles unités sont en con­struc­tion. Notre tech­nolo­gie con­tribue égale­ment à amélior­er la per­for­mance envi­ron­nemen­tale des sites d’enfouissement. Ceux-ci devi­en­nent des sites dédiés à la pro­duc­tion d’énergie 100 % renou­ve­lable et au stock­age du car­bone – notam­ment du car­bone fos­sile util­isé pour la fab­ri­ca­tion des matières plas­tiques, en grande pro­por­tion dans nos déchets. La seule alter­na­tive pour traiter ces déchets ultimes con­siste à les inc­inér­er, ce qui revient à trans­fér­er ce car­bone dans l’atmosphère.

Vos enjeux et perspectives ?

Notre marché est avant tout inter­na­tion­al : il existe 230 sites d’enfouissement en France et plus de 20 000 dans le monde. Nous tra­vail­lons au déploiement de notre solu­tion en Europe et en Amérique du Nord, où nous venons d’ouvrir une fil­iale. Notre ambi­tion est de met­tre une cen­taine d’unités en exploita­tion d’ici 2025 pour avoir un impact sig­ni­fi­catif sur la lutte con­tre le réchauf­fe­ment climatique.

La tâche est immense : l’humanité pro­duit plus de 2 mil­liards de tonnes de déchets par an, et ce chiffre pour­rait aug­menter de 70 % d’ici 2050 sous l’effet de la crois­sance démo­graphique et de l’urbanisation. La majeure par­tie de ces déchets aboutis­sent dans des sites d’enfouissement. Une fois stock­és, ils vont pro­duire du gaz pen­dant des dizaines d’années. Cela représente des mil­lions de mètres cubes de méthane à récupér­er chaque heure !

Poster un commentaire