décarbonation de l'industrie de la chimie

Décarbonation de l’industrie de la chimie : des opportunités et des enjeux

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°775 Mai 2022Par Charlotte WIATROWSKI (2016)

Char­lotte Wia­trows­ki (16), Sales Repre­sen­ta­tive au sein du groupe Lyon­dell­Ba­sell, répond à nos ques­tions sur la décar­bo­na­tion de l’industrie de la chi­mie. Elle revient sur les pistes et les enjeux qui mobi­lisent cet acteur incon­tour­nable du monde de la chi­mie. Entretien.

Comment l’industrie de la chimie appréhende-t-elle la question de la décarbonation et de la neutralité carbone ? 

Le sec­teur de la chi­mie est un vaste domaine. Dans l’industrie phar­ma­ceu­tique, les émis­sions au kilo­gramme peuvent être impor­tantes, mais elles sont en quelque sorte contre­ba­lan­cées par la forte valeur ajou­tée des pro­duits finaux. Sa décar­bo­na­tion néces­site la mise en place de stan­dards dédiés. Pour les raf­fi­ne­ries, la prin­ci­pale source d’émissions n’est géné­ra­le­ment pas la pro­duc­tion de car­bu­rant mais l’utilisation de celui-ci, l’enjeu essen­tiel étant la com­po­si­tion des matières pre­mières. Dans l’industrie plas­tique, la décar­bo­na­tion porte sur deux dimensions :

  • Les pro­ces­sus de pro­duc­tion : il s’agit de pro­mou­voir et de déve­lop­per des pro­cé­dés plus éco­nomes en éner­gie dans l’absolu, et qui favo­risent le recours à des éner­gies moins car­bo­nées. Il peut typi­que­ment s’agir de pro­jets d’électrification, comme dans nombre d’industries tra­vaillant sur la question ;
  • La com­po­si­tion des pro­duits : l’idée est d’utiliser des maté­riaux qui ont un impact envi­ron­ne­men­tal plus faible, notam­ment des maté­riaux recy­clés, recy­clables et bio­sour­cés. Une par­tie seule­ment de ces alter­na­tives impacte direc­te­ment le bilan car­bone lié à la pro­duc­tion, mais tous per­mettent une dimi­nu­tion de l’énergie grise en jeu et d’améliorer de ges­tion des res­sources et des déchets.

Votre objectif est d’atteindre zéro émission nette d’ici à 2050. Qu’en est-il ? Quelles actions déployez-vous en ce sens ? 

Pour reprendre l’approche pro­duit évo­quée ci-des­sus, une part de la réduc­tion des émis­sions passe par le déve­lop­pe­ment de la gamme Cir­cu­len com­po­sée de pro­duits ayant tous une éner­gie grise net­te­ment plus faible que les plas­tiques clas­siques (et donc un meilleur bilan car­bone en termes d’analyse du cycle de vie). La dimen­sion la plus déve­lop­pée actuel­le­ment est celle du recy­clage méca­nique, qui pré­sente l’avantage sup­plé­men­taire d’être bien plus éco­nome en éner­gie que la créa­tion de nou­veaux matériaux. 

Le recy­clage chi­mique et la pro­duc­tion de plas­tiques bio­sour­cés sont éga­le­ment en plein essor, notam­ment dans le sec­teur médi­cal où les pro­prié­tés du plas­tique issu de recy­clage méca­nique ne sont pas tou­jours satis­fai­santes. Au-delà de l’aspect décar­bo­na­tion, ces approches dimi­nuent les besoins en res­sources non renou­ve­lables tout en encou­ra­geant une meilleure col­lecte des déchets. Si cela va contri­buer à réduire notre empreinte car­bone, nous ne pour­rons tou­te­fois réduire notre bilan car­bone glo­bal que si nous opti­mi­sons l’ensemble de nos pro­duits et gammes. 

Ain­si, il est pri­mor­dial de s’intéresser au pro­ces­sus de cra­quage du naph­ta, seul pro­ces­sus per­met­tant d’obtenir des mono­mères – et donc du plas­tique – mais très éner­gi­vore. Non seule­ment ce pro­ces­sus est en amé­lio­ra­tion constante en terme d’efficacité éner­gé­tique, mais Lyon­dell­Ba­sell sou­tient éga­le­ment le déve­lop­pe­ment futur du cra­quage élec­trique. Plu­sieurs pro­cé­dés de chauf­fage peuvent éga­le­ment être élec­tri­fiés, mais cela n’est pas tou­jours l’alternative la plus per­ti­nente en car­bone, notam­ment dans des régions où l’électricité bas car­bone est dif­fi­cile d’accès.

« Les crédits carbone représentent un outil indispensable pour atteindre une neutralité carbone. »

C’est pour­quoi nous met­tons éga­le­ment en place d’autres solu­tions telles que la réuti­li­sa­tion d’hydrocarbures rési­duels. Sur le site néer­lan­dais de Maasv­lakte qui, dans son pro­ces­sus de pro­duc­tion, pro­duit des eaux usées char­gées en sels et hydro­car­bures, nous avons notam­ment mis en place le Cir­cu­lar Steam Pro­ject. L’incinérateur pro­duit de la cha­leur en brû­lant ces eaux usées et ali­mente ain­si en vapeur l’usine de poly­mères avec une éco­no­mie de 140 000 tonnes de CO2 par an à la clé. Le pro­ces­sus pré­sente éga­le­ment l’avantage signi­fi­ca­tif de puri­fier l’eau des hydro­car­bures mais aus­si d’en sépa­rer le sel, si bien que l’eau rési­duelle peut direc­te­ment être réutilisée.

En paral­lèle, les cré­dits car­bone repré­sentent un outil indis­pen­sable pour atteindre une neu­tra­li­té car­bone. Sur ce sujet, Lyon­dell­Ba­sell donne la prio­ri­té à la limi­ta­tion des émis­sions de pro­duc­tion et uti­lise les cré­dits car­bone en der­nier recours. Dans cette démarche, le prix n’est pas le fac­teur déter­mi­nant dans la sélec­tion des cré­dits car­bone. Lyon­dell­Ba­sell fina­lise d’ailleurs actuel­le­ment une charte quant à l’utilisation de ces cré­dits. La prio­ri­té est donc don­née aux inves­tis­se­ments dans les éner­gies décar­bo­nées, qui sont ceux qui offrent le plus de garan­ties tout en assu­rant une meilleure dis­po­ni­bi­li­té de ces éner­gies pour l’industrie à l’avenir.

Dans cette optique, Lyon­dell­Ba­sell étu­die des pro­ces­sus de cap­ture-sto­ckage de car­bone sur ses sites.

Dans cette démarche, quels sont vos principaux enjeux ? 

Paral­lè­le­ment aux efforts déployés pour atteindre les objec­tifs de neu­tra­li­té car­bone, nous sommes mobi­li­sés sur une triple tran­si­tion : l’économie de res­sources natu­relles, la réduc­tion des émis­sions des pro­ces­sus de pro­duc­tion et la meilleure ges­tion des pro­duits par les clients, en par­ti­cu­lier sur leur fin de vie. Si nous nous concen­trons sur la réduc­tion des émis­sions directes, les autres aspects ne doivent pas être négli­gés. Un tra­vail de prio­ri­sa­tion et d’allocation des res­sources est néces­saire pour réus­sir l’ensemble de ces tran­si­tions, avec l’accompagnement du législateur.

Nous sommes éga­le­ment confron­tés à un défi de taille quant à l’accès à l’énergie décar­bo­née, notam­ment en termes de coût. 

Il faut enfin tenir compte des enjeux d’ordre règle­men­taire et législatif. 

Sur la taxa­tion des pro­duits plas­tiques, les règle­men­ta­tions doivent évo­luer de manière syn­chro­ni­sée avec l’industrie pour s’assurer que les dis­po­si­tifs éta­tiques encou­ragent bien le déve­lop­pe­ment de pro­duits à moindre impact envi­ron­ne­men­tal. Un autre enjeu majeur est l’exposition des pro­duits en pro­ve­nance d’autres pays ou conti­nents qui pro­duisent avec une plus forte empreinte car­bone et à un coût plus attrac­tif. Il est néces­saire d’imposer à ces concur­rents les mêmes contraintes et taxes pour éta­blir un cer­tain équilibre. 

Il pour­rait éga­le­ment être inté­res­sant de prendre en compte le bilan car­bone des usages du plas­tique en com­pa­rai­son avec des alter­na­tives existantes. 

Pour illus­trer cet impact car­bone en aval, voi­ci un exemple concret : une voi­ture est d’autant plus légère qu’elle contient une forte pro­por­tion de plas­tique en rem­pla­ce­ment d’autres maté­riaux, ce qui limite ses émissions.

Au-delà de ce sujet de la décarbonation de l’industrie de la chimie, il est aussi nécessaire d’initier une réflexion sur la fin de vie des produits, notamment en plastique
Le recy­clage chi­mique et la pro­duc­tion de plas­tiques bio­sour­cés sont en plein essor.

Et pour conclure ?

Au-delà de ce sujet de la décar­bo­na­tion de l’industrie de la chi­mie, il est aus­si néces­saire d’initier une réflexion sur la fin de vie des pro­duits, notam­ment en plas­tique (À lire : Lyon­dell­ba­sell fait pro­gres­ser l’économie cir­cu­laire). C’est une démarche qui a certes un coût finan­cier consi­dé­rable, mais qui est indis­pen­sable même si elle ne pose pas de pro­blème en termes d’émissions directes. 

Pour encou­ra­ger les ini­tia­tives en ce sens, le pre­mier pas est de créer des pro­duits qui auront été pen­sés et conçus pour être col­lec­tés, retrai­tés et recyclés. 

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