X‑Santé : servir la condition humaine

Dossier : La santé en questionsMagazine N°599 Novembre 2004
Par Pascal JACQUETIN (80)

Être une force de propositions

Être une force de propositions

La société française est désen­chan­tée, à la recherche de repères et de valeurs. Sa rela­tion au monde poli­tique est plus que dif­fi­cile : elle oscille entre l’hos­til­ité active, l’in­dif­férence pas­sive et la méfi­ance face à toute per­spec­tive de change­ment. Inutile de s’é­ten­dre ici sur les raisons de la sit­u­a­tion. Ce serait trop long, voire con­traire au principe de neu­tral­ité poli­tique qui est dans la charte de l’AX. Pour autant, la société civile a besoin de forces de propo­si­tions, libres de toute approche politi­ci­enne, idéolo­gie et dogmatisme.

Depuis vingt-cinq ans, la san­té fait l’ob­jet de réformes et de dépens­es dont les résul­tats ne sont pas à la hau­teur des inten­tions. L’in­cré­dulité des citoyens est donc pro­fonde. Cela ne pour­ra chang­er tant que le dis­cours et le mode de pen­sée con­forteront l’ou­bli de la réal­ité humaine et de la diver­sité des attentes. De plus, nul ne croit aux bonnes inten­tions quand l’ef­fort de tous ne béné­fi­cie qu’à un très petit nombre.

Il faut des gens de bonne volon­té, aux capac­ités de tra­vail et d’analyse éprou­vées, pour imag­in­er et con­stru­ire à long terme, alors que le poli­tique a du mal à regarder au-delà des échéances immédiates.

La société améri­caine, prob­a­ble­ment plus ouverte au dia­logue et plus indépen­dante de la vie poli­tique, peut se pré­val­oir de groupes de réflex­ion et de propo­si­tions dans dif­férents domaines : le terme ” think tank ” y est devenu un con­cept. X‑Santé veut être un ” think tank “, mais il faut rassem­bler pour tra­vailler ensem­ble et partager des idées, donc aller de la stratégie à l’action.

Se rassembler

La sec­onde erreur, plus mesurée, fut d’e­spér­er rassem­bler sur la seule dynamique de la for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne : pluridis­ci­plinaire, fondée sur l’hon­nêteté intel­lectuelle, appelant à la con­fronta­tion entre l’ab­strac­tion pour définir les élé­ments et les rela­tions d’un sys­tème, et la réal­ité à analyser et for­malis­er. Cette dynamique est incon­testable­ment néces­saire, mais dans le cas présent, elle ne peut être pleine­ment util­isée que par ceux qui ont un vécu et une sen­si­bil­ité dans le con­texte de la san­té : par leur curiosité, par leur envi­ron­nement famil­ial, les événe­ments de la vie, l’en­gage­ment social, la vie pro­fes­sion­nelle et le choix d’un métier…

En effet, la san­té est faite d’une infinité d’événe­ments quo­ti­di­ens, par­ti­c­uliers sur le plan médi­cal, spé­ci­fiques à chaque per­son­ne con­cernée, et dont les acteurs prin­ci­paux sont avant tout les patients. Ou sup­posés tels, tant que la lim­ite entre l’é­tat de bien por­tant et de malade n’est pas fixée. En fait, on ne peut pré­ten­dre con­naître vrai­ment le monde de la san­té tant que l’on ne com­prend pas la con­di­tion du patient.

C’est cette infinité d’événe­ments qui con­duit à con­stru­ire en per­ma­nence une poli­tique de soins, un sys­tème de san­té avec des moyens et des struc­tures, autour d’un principe de sol­i­dar­ité entre généra­tions et entre caté­gories sociales.

Au fil des années, le pro­grès sci­en­tifique et indus­triel, les enjeux éthiques, le droit et les lois, l’équili­bre macro-économique et les comptes soci­aux, les com­porte­ments des citoyens… s’im­posent dans le con­texte de la san­té comme des fac­teurs de pro­grès, de risques, de con­flits, de sat­is­fac­tions et d’insatisfactions.

Même avec une grande intel­li­gence et une haute con­science pro­fes­sion­nelle, beau­coup inter­vi­en­nent sans bien con­naître la réal­ité humaine, ni mesur­er la portée de leur tra­vail. Ils en oublient les patients, leurs familles et les soignants ” de ter­rain “. Alors, la con­di­tion humaine est per­due de vue. Le respect de la spé­ci­ficité unique de l’e­sprit et du corps dis­paraît machi­nale­ment. À l’échelle de la société, on ignore que, quo­ti­di­en­nement, la mal­adie, la souf­france et la mort sont près de nous. Pra­ti­quer l’autisme et l’é­goïsme devant cette réal­ité, c’est pass­er à côté de la con­nais­sance de la con­di­tion humaine, de l’ad­mi­ra­tion et du ser­vice que nous pou­vons lui porter. À l’échelle supérieure, c’est déshu­man­is­er le sys­tème de san­té et notre société.

X‑Santé agit par son think tank, mais recen­tre toute réflex­ion et propo­si­tion sur la réal­ité des faits, et sur la dimen­sion humaine.

Dessine-moi un marsupilami !

Le lance­ment a pris défini­tive­ment tour­nure peu après des cir­con­stances vécues comme un enrichisse­ment per­son­nel, comme un ” cadeau ” me dis­ait une psy­cho­logue du milieu hos­pi­tal­ier. La pre­mière fut de vivre près d’un lit d’hôpi­tal les dernières heures d’une par­ente, femme excep­tion­nelle, atteinte d’un can­cer du poumon alors qu’elle était très active. Ce que l’on ressent est un mys­tère qui ne se réfère à aucune autre expéri­ence. On ne saurait le relater, sauf dans un roman, car il s’ag­it d’un secret qui ne se partage pas. Secret boulever­sant, certes, éblouis­sant, ô combien !

La sec­onde fut aus­si souri­ante que triste, aus­si anec­do­tique que révéla­trice. Durant plusieurs jours, des échanges informels et dif­fi­ciles, dans la belle cour fleurie d’un hôpi­tal, m’a­menèrent à con­naître une jeune femme grave­ment malade. Elle était souri­ante, mais par­lait d’un ton dés­abusé de ses épreuves. Aucun encour­age­ment ne sem­blait l’aider. Elle était enfer­mée dans la soli­tude, mal­gré l’en­tourage de tout le per­son­nel soignant. Je lui mon­trai le mar­supil­a­mi en peluche qui était accroché à sa ” perf ” (comme on dit à l’hôpi­tal) : ” Pourquoi ? ” Les yeux pleins de larmes, elle répon­dit : ” C’est ma seule com­pag­nie, il ne me quitte jamais. ”

Alors j’ai pen­sé à Antoine de Saint-Exupéry. Il voulait le rap­proche­ment entre les hommes ; il cher­chait à retrou­ver l’être humain der­rière la société et le pro­grès tech­nique. ” Des­sine-moi un mar­supil­a­mi. ” C’est ce que j’ai ten­té en lançant X‑Santé. Longue vie à cet ani­mal de ban­des dess­inées lues par tous les jeunes de 7 à 177 ans : il est l’an­ti­dote de la morosité et de l’in­dif­férence. Il est un signe de partage dans X‑Santé.

Une naissance sur fond de canicule

C’est à ce tour­nant du texte que la plume passe de la main du Prési­dent à celle du Secré­taire général choisi lors de la réu­nion fon­da­trice de juin 2003.

Des cama­rades avaient été con­tac­tés pour par­rain­er la créa­tion et en devenir mem­bres, en com­plé­tant la liste des cama­rades con­nus du fon­da­teur par un audit minu­tieux de la ” bible ” pour y repér­er ceux qui étaient proches du monde de la san­té. Pari réus­si : non seule­ment il y eut rapi­de­ment soix­ante par­rainages, mais autour de la table de la pre­mière réu­nion, une trentaine de cama­rades s’é­taient déplacés et attes­taient de la diver­sité poly­tech­ni­ci­enne. Pour moi, cela soulig­nait au pas­sage — mais là n’est pas mon pro­pos — que l’in­vestisse­ment con­sen­ti par la Nation dans ces études coû­teuses porte aus­si ses fruits dans l’en­gage­ment associatif.

Il se trou­vait là quelques X, pro­fes­sion­nels de san­té eux-mêmes. Votre servi­teur, qui avait vécu ses études à l’X comme une activ­ité à temps com­plet, éprou­vait de l’ad­mi­ra­tion pour ceux qui les avaient menées pour mieux pré­par­er des études de médecine. Après les présen­ta­tions d’usage, les échanges portèrent sur un grand nom­bre de sujets de fonds, par­mi lesquels la for­ma­tion, la recherche, l’éthique, le médica­ment, le sys­tème de san­té, la médecine, les hôpi­taux…, thèmes tous por­teurs d’in­quié­tudes majeures aux­quelles l’été 2003 a ren­voyé peu après un écho cru­el, mais pas vrai­ment sur­prenant. Dans les semaines suiv­antes, de nou­veaux mem­bres, X ou non, nous rejoignaient, heureuse­ment sur­pris de se retrou­ver alors que rien ne les dis­po­sait à crois­er leurs chemins.

Fin octo­bre 2003, X‑Santé présen­tait à l’AX les statuts pré­parés par Maître Michèle Sail­ly, pre­mier avo­cat à nous rejoin­dre, ain­si que les par­rainages. Le Con­seil de l’AX don­nait son agré­ment à la con­sti­tu­tion du groupe — qui est aus­si asso­ci­a­tion loi de 1901 — sous réserve de rat­i­fi­ca­tion par l’Assem­blée générale de 2004. L’avis de créa­tion parais­sait dans La Jaune et la Rouge de novem­bre 2003. L’Assem­blée générale con­sti­tu­tive du groupe X‑Santé s’est tenue dans une salle de l’En­gref mise à notre dis­po­si­tion par nos cama­rades Cyrille Van Effen­terre (74) et Gérard Degoutte (67) : appro­ba­tion des statuts, fix­a­tion d’une coti­sa­tion mod­ique de 20 e et nom­i­na­tion d’un Bureau, à l’im­age de l’As­so­ci­a­tion, c’est-à-dire pas seule­ment poly­tech­ni­cien. Out­re le prési­dent et le secré­taire général il com­prend deux vice-prési­dents, Maître Lau­rence Azoux-Bacrie et Philippe Brunswick (74), con­sul­tant, qua­tre sci­en­tifiques de la biolo­gie et de la phar­ma­cie, Isabelle Giri, Car­ole Neves (92), secré­taire générale adjointe, Aude Sir­ven (92), David Sour­dive (86), tré­sori­er, et le Dr Chris­t­ian Colas, médecin généraliste.

L’e­sprit adop­té est de rassem­bler des per­son­nes d’hori­zons divers, de priv­ilégi­er un lien ami­cal entre gens de bonne volon­té, experts pour cer­tains, novices pas­sion­nés pour d’autres, ani­més en com­mun par le désir de pro­duire quelque chose de posi­tif. L’o­rig­i­nal­ité sera le fruit de la ren­con­tre des exper­tis­es, bien­v­enues mais non exclu­sives, et des idées et des savoirs venant d’autres hori­zons. Il y a déjà beau­coup d’in­stances pro­fes­sion­nelles, économiques et poli­tiques sur la san­té aux­quelles X‑Santé n’a pas voca­tion à se sub­stituer. En for­mu­lant ” ten­dance “, nous diri­ons que X‑Santé est ” ailleurs “.

La première année de réunions

La créa­tion a été pub­liée au Jour­nal offi­ciel des Asso­ci­a­tions le 21 févri­er 2004. Depuis novem­bre 2003, plusieurs con­férences d’ac­tu­al­ité ont déjà été organ­isées, notam­ment grâce à Philippe Brunswick :

  • le 5 novem­bre, ” analyse de la crise san­i­taire ” avec Alain-Jacques Valleron (63), directeur de l’U­nité d’épidémi­olo­gie et des sci­ences de l’in­for­ma­tion de l’In­serm, Yves Bar­rault, directeur général de l’hôpi­tal Saint-Joseph, et Jean Car­let, coor­don­na­teur du pôle urgences-anesthésie-réan­i­ma­tion-réveils de cet étab­lisse­ment et prési­dent du Con­seil nation­al de lutte con­tre les infec­tions nosocomiales ;
  • le 13 jan­vi­er 2004, ” l’hôpi­tal ingou­vern­able ? Les ambi­tions du plan de mod­erni­sa­tion Hôpi­tal 2007 ” avec Jean Debeaupuis (76, inspecteur général de l’I­GAS), Élis­a­beth Beau (direc­trice de la Mis­sion d’ex­per­tise et d’au­dit du min­istère de la San­té), et Dominique Vadrot, pro­fesseur des Uni­ver­sités et prati­cien hos­pi­tal­ier, chef du ser­vice de radi­olo­gie à l’Hô­tel-Dieu, prési­dent de la Com­mis­sion des réseaux à l’AP-HP ;
  • le 8 mars 2004 ” accès aux médica­ments pour les pays en développe­ment ” avec Philippe Baetz, vice-prési­dent de Sanofi-Syn­thélabo, et Stéphane Man­tion, secré­taire général de l’Or­gan­i­sa­tion panafricaine de lutte con­tre le sida et directeur du parte­nar­i­at à la Croix-Rouge ;
  • le 11 mai 2004, rassem­blant quelque 200 per­son­nes pour cette cir­con­stance excep­tion­nelle, ” la réforme du sys­tème de san­té : dan­gers, oppor­tu­nités ” avec Jean-Marie Spaeth, prési­dent de la CNAMTS, mem­bre du Haut Con­seil pour l’avenir de l’As­sur­ance Mal­adie, André Renaudin (76), délégué général de la Fédéra­tion française des sociétés d’as­sur­ance et mem­bre du Haut Con­seil, le Dr Jean-Pierre Bad­er, PU-PH émérite, con­seiller des Édi­tions Vidal, Patrick Dje­lalian, prési­dent d’une mutuelle nationale, et Daniel Lau­rent, pro­fesseur des Uni­ver­sités, ani­ma­teur de l’In­sti­tut Mon­taigne qui nous fai­sait l’ami­tié de nous accueil­lir dans ses locaux.


Le pro­gramme d’ac­tiv­ités 2003–2004 s’est achevé bril­lam­ment le 2 juin par un dîn­er débat dans le cadre majestueux du Sénat, sur le thème ” Éthique et san­té, l’in­for­ma­tion et le con­sen­te­ment du patient ” avec le Dr Jean Pouil­lard, vice-prési­dent du Con­seil nation­al de l’Or­dre des médecins, et le père Olivi­er Dupont de Dinechin (56), jésuite, mem­bre du Comité con­sul­tatif nation­al d’éthique. Par­tic­i­paient à ce dîn­er des mem­bres de l’as­so­ci­a­tion, des cama­rades du GPX et de nou­veaux adhérents. La réflex­ion avait été pré­parée par Lau­rence Azoux-Bacrie, l’or­gan­i­sa­tion logis­tique menée avec brio par un de nos mem­bres les plus impliqués, Madame Claude Bouchardy.

Les premiers gènes du think tank

Pour engager l’ap­pli­ca­tion de la stratégie, plusieurs groupes de réflex­ion se sont mis en place autour d’un animateur :

  • la bioéthique et le droit de la san­té, (ani­ma­trice Lau­rence Azoux-Bacrie) ;
  • le can­cer (Gor­don Tuck­er, 79) ;
  • la réforme du sys­tème d’as­sur­ance mal­adie (Patrick Djelalian) ;
  • l’ingénierie de l’in­for­ma­tion médi­cale (Georges Richerme, 60) ;
  • la crise et l’évo­lu­tion de l’hôpi­tal (pro­vi­soire­ment : Pierre Zervudacki) ;
  • la san­té publique (Philippe Brunswick) ;
  • la veille sur l’in­for­ma­tion stratégique (Pas­cal Jacquetin).


Cer­tains de ces groupes se sont réu­nis de nom­breuses fois. Par­mi ceux-ci, le groupe ” bioéthique et droit de la san­té ” présente l’o­rig­i­nal­ité de tenir des réu­nions com­munes avec la Com­mis­sion cor­re­spon­dante de l’Or­dre des avo­cats. Par­mi les thèmes déjà évo­qués : fonc­tion­nement et respon­s­abil­ités d’un Comité con­sul­tatif de pro­tec­tion des per­son­nes qui se prê­tent à la recherche bio­médi­cale ; la bioéthique aux USA et les étapes de la vie ; risques émer­gents de la san­té au tra­vail, le poids des nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion ; bioter­ror­isme et médecine de cat­a­stro­phe ; avec des inter­venants pres­tigieux qui nous par­don­neront de ne pou­voir les citer tous ici.

Les événe­ments de la ren­trée sont ” la loi du 4 mars 2002 rel­a­tive aux droits des malades et à la qual­ité du sys­tème de san­té “, ” l’ac­crédi­ta­tion des étab­lisse­ments de san­té français : où en sommes-nous ? “, ” la mal­trai­tance des enfants dans le sport “.

Entre les sci­ences dures dont Hen­ri Poin­caré dit qu’elles ” por­tent sur la quan­tité et s’ex­er­cent par la mesure ” (je cite de mémoire), et la médecine, dont Balzac note dans Ursule Mirouët (Scènes de la vie de province) qu’elle est ” une des pro­fes­sions qui deman­dent du tal­ent et du bon­heur, mais encore plus de bon­heur que de tal­ent “, il y a la pos­si­bil­ité et néces­sité de tra­vailler et de s’ex­primer pour servir la con­di­tion humaine. X‑Santé s’y emploie — son pro­gramme de tra­vail de la pre­mière année en atteste — et con­tin­uera de le faire, espérons-le, avec bon­heur et talent. 

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