Vous, les candidats…

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°624 Avril 2007Par : Francis MER (58), ancien ministre de l'Économie et des FinancesRédacteur : Michel GÉRARD (55)Editeur : Albin Michel - 2007- 22, rue Huyghens, 75014 Paris

Voilà un ouvrage poli­tique, au sens noble du mot, sans le moin­dre copeau de langue de bois. Un vent d’air frais qui fait du bien !

Fran­cis Mer est d’abord un péd­a­gogue. Il déteste que l’on se borne aux con­stats, aux objec­tifs tein­tés d’utopie. Il aime les éval­u­a­tions chiffrées, les ordres de grandeur com­parés et les straté­gies. Dans notre univers aux fron­tières évanes­centes, désor­mais forte­ment con­traint par des forces qui dépassent notre pays, face aux ques­tions qui se posent depuis vingt-cinq à trente ans sans que la France ait telle­ment changé ses com­porte­ments, il se demande com­ment le pays pour­ra main­tenir ses per­for­mances et, mieux, car il est ambitieux pour son pays, les amélior­er au prof­it de tous et de chacun.

À la suite de raison­nements tou­jours bien char­p­en­tés, les pri­or­ités à choisir, selon lui, sont l’éducation (l’éducation, l’éducation, l’éducation… ain­si que l’avait dit Tony Blair à ses débuts), l’université, la recherche. Il abor­de sans fard la ques­tion démo­graphique et ses inci­dences inélucta­bles : immi­gra­tion sélec­tive, con­tin­u­a­tion résolue de la réforme des retraites, à peine entamée, réforme de la poli­tique de san­té. Il mon­tre avec une con­ci­sion éblouis­sante que seules les entre­pris­es et des admin­is­tra­tions plus effi­caces (il n’oppose jamais les unes aux autres) peu­vent être à la base du redressement.

L’auteur, de grande cul­ture économique ne se rat­tache pour­tant à aucun choix théorique, encore moins dog­ma­tique. La mon­di­al­i­sa­tion de l’économie et la mobil­ité des élites s’opposent à toute théorisation.
Il est résol­u­ment prag­ma­tique et va aux solu­tions avec un lan­gage clair, com­préhen­si­ble de tous. De ses con­stats il tire des con­clu­sions opti­mistes : les pays qui, dans ce monde, sauront jouer leur par­tie, fondée sur leurs qual­ités, pro­pres ou acquis­es, en tireront avan­tage collectivement.

Pour autant, Fran­cis Mer com­prend avec cœur et intel­li­gence les soucis et les drames des exclus d’un développe­ment col­lec­tif mon­di­al aux fruits de plus en plus iné­gale­ment répar­tis. Il ne se lim­ite pas non plus sur ces sujets à des pro­pos lénifi­ants mais il mon­tre très claire­ment com­ment la défense des postes et non des per­son­nes (les syn­di­cats sont visés sur ce point à plusieurs repris­es), les résis­tances patronales à la for­ma­tion con­tin­ue et à l’apprentissage, la poli­tique sco­laire et uni­ver­si­taire actuelle, mènent plus sûre­ment à l’aggravation de la sit­u­a­tion que les pris­es de risques fondées sur des analy­ses indus­trielles, des prévi­sions raison­nées au niveau mon­di­al et des posi­tions éthiques fer­mes des gou­verne­ments, tant au niveau nation­al qu’aux niveaux européen et mon­di­al. (L’Europe et les pays en développe­ment, notam­ment d’Afrique sub­sa­hari­enne sont très présents dans les raison­nements de l’auteur.)

Il a la langue par­ti­c­ulière­ment dure pour tous ceux, hauts fonc­tion­naires et patrons, qui placés à de hauts postes de respon­s­abil­ité man­quent de courage ou font preuve de cynisme. Ses flèch­es con­tre les stock-options qui jouent con­tre la for­ma­tion con­tin­ue et la recherche privée, con­tre cer­tains de ses anciens col­lègues min­istres, par­fois nom­mé­ment désignés, qui sachant que de mau­vais­es déci­sions se pré­par­ent ici ou là, au lieu de les blo­quer, ne font que les encour­ager (le pro­jet Lyon-Turin par exem­ple), les poli­tiques absur­des que per­son­ne n’ose plus con­tester (on notera sa flèche con­tre la poli­tique du loge­ment social, qui sera, à n’en pas douter, jugée mal­séante à l’époque du « droit au loge­ment oppos­able » et de la mort de l’Abbé Pierre. Pour­tant elle est jus­ti­fiée, pré­cisé­ment en regard de l’équité sociale : car voilà une poli­tique qui coûte 7 mil­liards d’euros aux con­tribuables, qui atteint un ménage sur qua­tre, pro­por­tion exces­sive, et qui pour­tant ne va pas aux plus pauvres !).

Bref Fran­cis Mer n’est pas class­able. Ni à droite, ni à gauche, ni même au cen­tre. Il réflé­chit par lui-même, à la lumière de sa riche expéri­ence et de ses lec­tures, comme doivent le faire, du moins l’espère-t-on, tous ceux qui pré­ten­dent présider aux des­tinées du pays. J’ajoute volon­tiers comme doit le faire toute l’élite française, notam­ment la com­mu­nauté polytechnicienne.

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