Vers une rénovation des politiques d’intégration

Dossier : La démographie déséquilibréeMagazine N°639 Novembre 2008Par Eugène-Henri MORÉ

L’in­té­gra­tion sociale et économique est aujour­d’hui dif­fi­cile du fait du chô­mage et de l’ex­clu­sion, de plus l’in­té­gra­tion cul­turelle est non sys­té­ma­tique : seuls les volon­taires vont aux cours d’al­phabéti­sa­tion, l’in­té­gra­tion citoyenne est ren­due inef­fi­cace par la mon­tée des loge­ments ghet­tos et du communautarisme.

Les désil­lu­sions les plus impor­tantes se suc­cè­dent à par­tir de 2001. En octo­bre, à l’oc­ca­sion du match de foot­ball France-Algérie, devant le Pre­mier min­istre, La Mar­seil­laise est sif­flée par les jeunes spec­ta­teurs venus des ban­lieues pau­vres voisines. En avril 2002 Jean-Marie Le Pen devance Lionel Jospin au pre­mier tour de l’élec­tion prési­den­tielle. En novem­bre 2005 le malaise des ban­lieues entraîne des ” révoltes ” ou ” émeutes ” que la presse qual­i­fie un peu rapi­de­ment d’émeutes eth­niques tan­dis qu’il s’ag­it de mon point de vue de ” révoltes ” sociales.

REPÈRES
Les idées des Français sur l’intégration vien­nent de loin, elles se sont longtemps artic­ulées sur la notion d’assimilation. Dès le XVI­I­Ie siè­cle les Juifs, qui n’ont reçu l’égalité citoyenne qu’au temps de Louis XVI, avaient remar­qué dans la Tho­ra l’importance des idées de Lib­erté, Égal­ité, Fra­ter­nité, et pour dépass­er les dis­crim­i­na­tions dont ils étaient vic­times, l’assimilation était conçue comme la marche vers la plus grande iden­tité cul­turelle pos­si­ble. Les années de développe­ment de l’immigration accom­pa­g­nent la révo­lu­tion indus­trielle et les besoins de maind’oeuvre. Au XIXe siè­cle et au début du XXe siè­cle les immi­grés sont belges, alle­mands, ital­iens, polon­ais, espag­nols, por­tu­gais… l’intégration économique (emploi) favorisant l’intégration sociale, les immi­grés d’alors n’ont pas eu peine à accepter la poli­tique d’intégration basée sur l’assimilation. Ce n’est qu’après la Sec­onde Guerre mon­di­ale que se développe l’immigration venue du Maghreb puis d’Afrique sub­sa­hari­enne. Au début il s’agit de venir tra­vailler et gag­n­er sa vie, puis repar­tir, mais avec les années soix­ante-dix et l’instauration du regroupe­ment famil­ial un change­ment fon­da­men­tal se pro­duit : on émi­gre et on va rester, même si de très nom­breux immi­grés con­tin­u­ent longtemps à rêver d’un retour au pays natal, rêve que leurs enfants ne font pra­tique­ment jamais.

Un fossé culturel

Il faut mesur­er la dif­fi­culté de la sit­u­a­tion et la largeur du fos­sé cul­turel. Le drame de la France est de par­ler de poli­tique d’in­té­gra­tion de ces enfants comme si elle par­lait d’immigrés.

Il faut ren­forcer le socle du pacte républicain

Depuis 1905 il y a en France sépa­ra­tion de l’Église et de l’É­tat, mais cet idéal laïc n’ex­iste pas dans bien des pays, dont les pays musul­mans, ce qui a motivé bien des incom­préhen­sions dont l’his­toire du foulard ” islamique ” n’est qu’un exem­ple. Beau­coup de Français ” blancs ” se refusent de voir les enfants ou petits-enfants d’im­mi­grés nord-africains ou d’Afrique noire comme des Français à part entière tan­dis qu’ils le sont bel et bien. On les qual­i­fie sou­vent d’im­mi­grés, les ren­voy­ant ain­si dans des con­struc­tions d’i­den­tité ne prenant pas en compte la sin­gu­lar­ité laïque de la France. Nous arrivons au moment décisif où les idées se remet­tent en ques­tion et où les choix nou­veaux doivent être faits. Per­son­nelle­ment je suis pour ren­forcer le socle du pacte répub­li­cain et je n’ap­prou­ve pas la notion de ” dis­crim­i­na­tion pos­i­tive ” portée par quelques hommes poli­tiques. La polémique lancée par Nico­las Sarkozy sur la ” dis­crim­i­na­tion pos­i­tive ” a toute­fois le mérite d’une cer­taine façon de répon­dre à plus de vingt ans de pos­ture ” des Français d’abord ” (la fameuse le peni­sa­tion des esprits) par une pos­ture les ” immi­grés d’abord “. 

L’exemple de La Courneuve

Il y a en principe 37 000 habi­tants à La Courneuve dont 30 % d’immigrés.

Les marchands de sommeil
Mal­gré la forte poli­tique de loge­ment social à La Courneuve, devant la pénurie de loge­ments soci­aux en Île-de-France, des marchands de som­meil sévis­sent sur le ter­ri­toire pro­posant des apparte­ments dans des immeubles délabrés offrant des con­di­tions d’hy­giène et d’habi­tat calamiteuses.

En croisant les listes sco­laires il faut sans doute compter 8 à 10 % d’habi­tants sup­plé­men­taires, les hébergés. À La Courneuve mal­gré nos 50 % de loge­ments soci­aux, nous avons 1 800 deman­deurs et l’of­fre annuelle est de 250… ce qui fait que nous avons de très nom­breux hébergés dans des con­di­tions sou­vent insatisfaisantes.

On y trou­ve égale­ment une con­cen­tra­tion de dif­fi­cultés sociales (mono­parental­ité, polyg­a­mie, chô­mage, délin­quance, etc.). On arrive à une assez bonne esti­ma­tion de ce sup­plé­ment par l’in­ter­mé­di­aire de l’É­cole, de l’aide sociale, de l’ac­cueil sportif et de divers autres moyens. 

Accueil et rencontres-débats

Que faisons-nous pour amélior­er l’in­té­gra­tion des immi­grés ? Il existe d’abord un accueil avec une présen­ta­tion des divers­es insti­tu­tions et asso­ci­a­tions. Nous avons aus­si bâti depuis 2003 un ” pro­jet de ville ” avec descrip­tion du passé, du présent et des pro­jets futurs que nous nous efforçons de con­stru­ire en com­mun avec les idées de tous.

Réus­site sociale et cerveaux utiles
Les pays voisins, Pays-Bas, Grande-Bre­tagne, Alle­magne, suiv­ent une évo­lu­tion opposée. Le com­mu­nau­tarisme était sinon l’idéal, du moins le but pra­tique des Pays-Bas et de la Grande-Bre­tagne, mais depuis l’as­sas­si­nat de Pim For­tuyn puis celui de Théo Van Gogh par des per­son­nes perçues comme immi­grés maro­cains, l’idéal­isme recule et les con­trôles progressent.
Les Anglais priv­ilégient la réus­site sociale et une marche générale vers une voie médiane.
Les Améri­cains ont une poli­tique d’im­mi­gra­tion des ” cerveaux ” utiles à l’Amérique, com­binée avec une large entrée des seuls ” Chi­canos “, et avec des moments forts comme l’élec­tion de l’im­mi­gré autrichien Schwarzeneg­ger au poste de gou­verneur de Californie.

Un élé­ment très impor­tant : les ren­con­tres-débats sur l’im­mi­gra­tion, la coloni­sa­tion, les Antilles, etc. Il faut qu’on se con­naisse et que les idées fauss­es et les idéolo­gies recu­lent. Ces ren­con­tres-débats sont un grand suc­cès, il n’y a eu ni inci­dent ni polémique.

Je don­nerai l’ex­em­ple de l’his­toire réu­nion­naise présen­té par un his­to­rien spé­cial­iste. Cer­tains Réu­nion­nais présents dans la salle ont posé la ques­tion du séparatisme local, mais l’his­to­rien n’a eu aucun mal à prou­ver qu’il n’ex­iste pas : les Réu­nion­nais savent ce qui s’est passé dans les îles Comores et n’ont aucune envie de se retrou­ver dans la même situation.

Les jume­lages sont très utiles, ils per­me­t­tent eux aus­si d’amélior­er la con­nais­sance de la réal­ité his­torique. Il nous faut par­ler des dis­crim­i­na­tions mais sachez que la pire est celle à l’en­con­tre des obès­es. J’ai per­son­nelle­ment subi une dis­crim­i­na­tion en voulant louer un loge­ment : tout allait bien jusqu’à ce que l’on me voit, à ce moment tout change : le loge­ment était ” déjà pris “, mais il ne l’é­tait pas pour la jeune femme (blanche) qui s’est présen­tée juste après. 

Commencer par l’Histoire de France

Nous avons beau­coup réfléchi aux ques­tions de citoyen­neté : celle-ci com­mence à la mater­nelle et s’ac­quiert en par­ti­c­uli­er par la con­nais­sance de l’His­toire de France.

Dix kilo­mètres à pied
Un voy­age organ­isé a réu­ni une équipe de jeunes de toutes orig­ines au Burk­i­na Faso : là-bas ils étaient tous français !
Ils ont été très impres­sion­nés par les écol­iers burk­in­abés dont cer­tains fai­saient dix kilo­mètres à pied chaque jour pour aller à l’école.

Il y a à ce sujet un prob­lème avec les per­son­nes âgées, elles ne veu­lent pas se sen­tir con­cernées et n’en voient pas l’in­térêt. C’est ain­si que lors du ” Noël des anciens ” un seul Africain est venu alors qu’ils étaient tous invités. Bien enten­du l’é­d­u­ca­tion à la citoyen­neté doit être stricte, com­bat­tre les ten­dances au bakchich et définir les droits et oblig­a­tions de chacun.

L’éducation à la citoyen­neté doit être stricte et définir les droits et oblig­a­tions de chacun

Elle doit faire bar­rage aux idées fauss­es que cha­cun se fait sur les autres com­mu­nautés et aider à la vraie con­nais­sance mutuelle ; elle doit soulign­er l’im­por­tance de l’e­space pub­lic et de son appro­pri­a­tion par l’ensem­ble des citoyens : à La Courneuve où les journées de novem­bre 2005 ont dans l’ensem­ble été calmes, car les adultes étaient dans les rues, nous avons eu une attaque à la voiture béli­er juste après les émeutes : cha­cun était ren­tré chez soi ! 

Une référence perpétuelle au pays d’origine

Ter­mi­nons ce panora­ma par un point essen­tiel : beau­coup d’im­mi­grés vivent dans une com­para­i­son per­pétuelle avec leur pays d’o­rig­ine et se soucient peu de con­naître les autres com­mu­nautés sur lesquelles ils ont des idées bien arrêtées (générale­ment fauss­es et péjoratives).

D’homme à homme
On ne saurait trop soulign­er l’im­por­tance des con­tacts d’homme à homme : en sit­u­a­tion de pré­car­ité, ce qui compte, beau­coup plus que les grands principes et les beaux dis­cours, c’est l’homme que l’on a en face de soi.
C’est ain­si que ce sont les anciens deal­ers sor­tis de prison qui sont les meilleurs pour con­va­in­cre les jeunes de ne pas se livr­er au traf­ic de drogue

On entend couram­ment des réflex­ions du genre : ” Ma fille a été chez le kiné “, ce qui sig­ni­fie aux oreilles des cousins restés au pays ” C’est fan­tas­tique, il a les moyens d’en­voy­er sa fille chez le kiné ” et c’est bien pour cette rai­son qu’on leur donne cette infor­ma­tion, ain­si que le tarif cor­re­spon­dant… sans leur dire qui paye réellement !

Voilà ma con­cep­tion de l’in­té­gra­tion. Je résume : accueil per­son­nal­isé, infor­ma­tion, inter­ac­tiv­ité indi­vidu-col­lec­tiv­ité, efforts de part et d’autre, égal­ité des droits, lutte pour la vraie con­nais­sance mutuelle et con­tre les dis­crim­i­na­tions, rap­pelons que la majorité des élèves des grandes écoles vien­nent de seule­ment deux cents mater­nelles et cinquante lycées. Il y a heureuse­ment des exceptions.

Faute de tout cela on laisse le champ libre à des hommes comme l’ac­teur Dieudon­né qui proclame ” Tu n’as pas échoué, on t’a exclu ! ” et qui divisent la société française ” Eux con­tre nous ! ”

Cet arti­cle est extrait d’un exposé présen­té le 1er mars 2006 au Groupe X‑Dé­mo­gra­phie-économie-pop­u­la­tion.

Quelques ques­tions
Est-on dému­ni vis-à-vis des marchands de som­meil ?
Les actions juridiques ou poli­cières con­tre les marchands de som­meil sont tou­jours très déli­cates, il faut un dossier très solide. Les marchands de som­meil spécu­lent sur la mis­ère et l’ex­clu­sion. Tant qu’il y aura déficit ou pénurie de loge­ments soci­aux il y aura des marchands de som­meil. Le prob­lème ce sont les moyens de pou­voir racheter l’im­meu­ble et de le réhabiliter.
Les anciens con­tribuent-ils à la vic­tim­i­sa­tion des jeunes ?
Oui, beau­coup trop sou­vent. Une con­nais­sance par­tielle, une mémoire sélec­tive des­tinée, en toute bonne foi, à se réha­biliter à ses pro­pres yeux : les jeunes ne deman­dent qu’à vous croire, ils choi­sis­sent tou­jours la ver­sion qui les val­orise le plus. Il est plus con­fort­able de croire que la médi­ocrité des con­di­tions de vie vient du racisme de la société, plutôt que des insuff­i­sances du tra­vail à l’é­cole. D’où l’im­por­tance de la con­nais­sance réelle. Cela dit il y a aus­si des cas ubuesques, des jeunes qui ont beau­coup tra­vail­lé pour faire des études, des familles qui se sont saignées aux qua­tre veines pour les aider, et les emplois qu’ils obti­en­nent sont sou­vent lam­en­ta­bles et sans lien avec leurs diplômes… Que peu­vent penser des études leurs petits frères et soeurs qui voient le deal­er local parad­er dans sa grosse voiture ?
Y a‑t-il une impor­tante dif­férence de men­tal­ité entre les garçons et les filles ?
Cer­taine­ment, comme partout il y a des dif­férences entre les filles et les garçons. Pour beau­coup de garçons les filles ser­vent de repous­soir : ” Nous sommes supérieurs aux filles ! “, en con­séquence on se per­met du lax­isme et de la paresse. Les filles savent tout cela, elles n’ont pas d’échap­pa­toire, sont beau­coup plus motivées que les garçons, et sou­vent bien meilleures à l’é­cole… Il est prob­a­ble que beau­coup d’amélio­ra­tions vien­dront de leurs actes et de leurs déci­sions. Pour­tant, à La Courneuve l’e­space pub­lic est très masculin.

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