Vers un modèle de Private Equity à la française ?

Dossier : Capital InvestissementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Jacques Hubert ROSSIGNOL (X90)
Par Jean-Christophe SAMPSON (97)

S’il est deve­nu un acteur essen­tiel et incon­tes­table du déve­lop­pe­ment et de la trans­mis­sion des PME fran­çaises, le capi­tal inves­tis­se­ment souffre actuel­le­ment d’un défi­cit d’i­mage. Les fonds d’in­ves­tis­se­ments, consé­quence du lob­bying actif du » Col­lec­tif LBO » de la CGT, sont sou­vent pré­sen­tés comme pré­da­teurs d’en­tre­prises fami­liales, des­truc­teurs d’emplois et à l’o­ri­gine de l’en­ri­chis­se­ment rapide et abu­sif de mana­gers aguer­ris aux tech­niques de LBO. 

Plu­tôt que de crier au loup, il fau­drait s’in­ter­ro­ger sur les rai­sons de ce malaise et les façons d’y remé­dier. Ce tra­vail passe par la res­pon­sa­bi­li­té socié­tale de la pro­fes­sion et l’é­thique indis­pen­sable à son exer­cice. Si les pro­fes­sion­nels du Pri­vate Equi­ty connaissent lar­ge­ment le pre­mier point, en insis­tant sur leur rôle de pas­seur de relais, les ques­tions por­tant sur l’é­thique dudit pas­seur et sur le juste par­tage des richesses créées sont trop peu posées. 

La responsabilité des investisseurs professionnels

Si le LBO est avant tout un outil de trans­mis­sion patri­mo­niale, le talent mana­gé­rial se trans­met moins bien que le patri­moine. Il y a une dizaine d’an­nées seule­ment, en l’ab­sence d’ac­qué­reur indus­triel – sou­vent étran­ger d’ailleurs -, la trans­mis­sion fami­liale pou­vait se révé­ler hasar­deuse pour les sala­riés. Aujourd’­hui, les fon­da­teurs sou­hai­tant céder leur entre­prise ont face à eux de véri­tables pas­seurs de relais pro­fes­sion­nels. Loin des grandes opé­ra­tions exces­sives et média­tiques, la plu­part des fonds d’in­ves­tis­se­ment oeuvrent sur le mar­ché de gré à gré de la ces­sion de blocs de contrôle de PME. Loin d’être de simples gros­sistes, ache­tant au mieux et ven­dant au plus offrant, les fonds prennent le contrôle d’une socié­té dans le cadre d’un pro­jet de déve­lop­pe­ment défi­ni de concert avec le diri­geant et dont ils assument le finan­ce­ment. Ce fai­sant, ils par­ti­cipent à la consti­tu­tion de filières pro­fes­sion­nelles solides, en per­met­tant l’é­pa­nouis­se­ment d’en­tre­prises de taille moyenne dans les sec­teurs éco­no­miques por­teurs. Par ailleurs ils contri­buent à résoudre des pro­blé­ma­tiques mana­gé­riales en accom­pa­gnant le nou­veau diri­geant dans la reprise de socié­tés (cas des MBI ou Mana­ge­ment buy-in ).

Mais ache­ter une entre­prise avec un fort effet de levier a peu en com­mun avec l’exer­cice d’un simple man­dat d’ac­tion­naire pas­sif. La ques­tion, légi­time, trop peu posée à ce jour, est de savoir si les fonds d’in­ves­tis­se­ment dis­posent véri­ta­ble­ment des équipes et des méthodes pour exer­cer plei­ne­ment ce métier d’ac­tion­naire pro­fes­sion­nel. La réponse n’est évi­dem­ment pas iden­tique pour tous. 

Si cer­tains fonds se sont spé­cia­li­sés sur des sec­teurs d’ac­ti­vi­té (ain­si Acto Capi­tal pri­vi­lé­giant des inves­tis­se­ments cohé­rents entre eux dans des filières sec­to­rielles pré-iden­ti­fiées comme le tou­risme récep­tif, la res­tau­ra­tion ou les ser­vices de san­té) ou des confi­gu­ra­tions de trans­mis­sion (ain­si Acto Mez­za­nine se foca­li­sant sur les LBO secon­daires » spon­sor­less « , accom­pa­gnant les mana­gers en leur per­met­tant de prendre le contrôle de leur socié­té dès le deuxième LBO), une grande majo­ri­té des fonds d’in­ves­tis­se­ment conserve encore trop – et c’est là une par­ti­cu­la­ri­té hexa­go­nale – une approche géné­ra­liste fon­dée sur une ana­lyse essen­tiel­le­ment finan­cière et une qua­si-totale délé­ga­tion au diri­geant, en se conten­tant d’in­tro­duire des outils de repor­ting pour suivre la pro­gres­sion des résultats. 

Ain­si, peu de fonds d’in­ves­tis­se­ment dis­posent des outils, des méthodes, des par­te­naires et des pres­ta­taires per­met­tant à une socié­té de » battre » son busi­ness plan ini­tial. Peu de por­te­feuilles de par­ti­ci­pa­tions de fonds d’in­ves­tis­se­ment offrent une cohé­rence sec­to­rielle per­met­tant de faire réson­ner les dif­fé­rentes socié­tés entre elles à la manière d’un hol­ding indus­triel, alors que la Bourse est jus­te­ment en train de redé­cou­vrir les charmes des hol­dings diversifiés. 

Le corol­laire de ce manque est l’in­fla­tion des packages mana­ge­ment. De la gou­ver­nance coer­ci­tive, clas­sique depuis l’in­ven­tion de la socié­té com­mer­ciale de droit pri­vé, carac­té­ri­sée par la révo­ca­tion ad nutum du diri­geant, on est pas­sé à une stra­té­gie d’a­li­gne­ment d’in­té­rêts entre l’ac­tion­naire et le management. 

Pour­tant ce modèle semble atteindre aujourd’­hui ses limites. Il n’y a en effet pas néces­sai­re­ment de cor­ré­la­tion entre les qua­li­tés du mana­ge­ment en place et son niveau d’ac­cès à la plus-value. Pis, avec la géné­ra­li­sa­tion des opé­ra­tions de rachat avec effet de levier dans un uni­vers deve­nu très concur­ren­tiel, il existe des effets d’au­baine et de sur­en­chère qui trans­forment les mana­gers en » super­stars » cour­ti­sées par les fonds. Au contraire, une démarche créa­trice de valeur à long terme consiste à mini­mi­ser les risques (notam­ment en main­te­nant un prix d’en­trée accep­table afin que le rem­bour­se­ment de la dette ne pèse pas exces­si­ve­ment dans les cash flows de l’en­tre­prise) et à créer les condi­tions d’un éco­sys­tème viable et pérenne. 

Le nécessaire partage des richesses

La pro­fes­sion n’a pen­dant long­temps pas envi­sa­gé sa res­pon­sa­bi­li­té en matière de par­tage des richesses, ce qui explique que les fonds sont aujourd’­hui mal accep­tés par l’o­pi­nion. Or, cette ques­tion finit tou­jours par se poser. Naguère réser­vé au diri­geant, voire à un ou deux col­la­bo­ra­teurs pri­vi­lé­giés, ce par­tage s’é­tend désor­mais de plus en plus fré­quem­ment aux cercles » n‑2 » ou » n‑3 « . De plus en plus de FCPE sont créés afin que les cadres des entre­prises sous LBO puissent inves­tir direc­te­ment dans l’o­pé­ra­tion en cours. Nul doute que l’in­ves­tis­seur sou­cieux de la pro­gres­sion har­mo­nieuse de l’en­tre­prise et de ses employés aura à coeur d’é­lar­gir plus encore le cercle des béné­fi­ciaires. Un idéal encore peu acces­sible au regard de la légis­la­tion actuelle, qui gagne­rait pour l’in­té­rêt de tous à être assouplie. 

Par ailleurs, au vu de leur poids éco­no­mique – 1 500 entre­prises contrô­lées en France, repré­sen­tant 6 % des sala­riés du sec­teur pri­vé -, les fonds sont res­pon­sables devant les socié­tés et leurs sala­riés de ce qui a été réa­li­sé sous leurs man­dats. Il est légi­time de s’in­ter­ro­ger alors sur le res­pect des enga­ge­ments ini­tiaux, le bilan social, la crois­sance et la tra­jec­toire de l’en­tre­prise sur son mar­ché. Car, une stra­té­gie action­na­riale n’est valable que si elle est sou­te­nable dans le temps et au béné­fice de tous. 

À titre d’exemple dans le cadre de la pri­va­ti­sa­tion récente de VVF Vacances, quatre-vingts cadres sont entrés dans le capi­tal aux côtés des grands action­naires. Paral­lè­le­ment, VVF Vacances a pré­vu d’as­so­cier le plus grand nombre de col­la­bo­ra­teurs au déve­lop­pe­ment de l’en­tre­prise grâce à un sys­tème d’in­té­res­se­ment per­met­tant de redis­tri­buer lar­ge­ment l’ex­cé­dent de résul­tat d’ex­ploi­ta­tion de VVF Vacances par rap­port au bud­get, et ceci dès la fin de l’an­née. D’autres dis­po­si­tifs com­plé­men­taires sont à l’étude. 

Ain­si, face à un modèle anglo-saxon, très géné­reux pour quelques mana­gers » sta­ri­fiés « , il est pos­sible en France de bâtir un modèle plus équi­table fon­dé sur un enri­chis­se­ment mutuel et qui aura à coeur d’é­lar­gir le par­tage de la richesse à l’en­semble de la col­lec­ti­vi­té des sala­riés. Appe­lons de nos voeux la créa­tion d’un modèle de Pri­vate Equi­ty à la fran­çaise dans lequel la par­ti­ci­pa­tion plus large des sala­riés aux plus-values contri­bue­ra à ren­for­cer la créa­tion de valeur et d’emplois. C’est main­te­nant au légis­la­teur de nous y aider.

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