Valéry Giscard d’Estaing (44), président de la République

Valéry Giscard d’Estaing (44), président de la République

Dossier : Valéry Giscard d'EstaingMagazine N°761 Janvier 2021
Par Robert RANQUET (72)

Valé­ry Gis­card d’Estaing naît le 2 février 1926 à Coblence (Alle­magne), comme si déjà sa vie devait être mar­quée par une dimen­sion euro­péenne. Son père Edmond Gis­card d’Estaing, major de l’Inspection des finances, y est direc­teur de la Haute com­mis­sion inter­al­liée des ter­ri­toires rhé­nans. Grand bour­geois de sen­si­bi­li­té monar­chiste, il avait rele­vé le nom de « d’Estaing » en 1922. La poli­tique est déjà bien pré­sente dans cette famille, qui a comp­té plu­sieurs ministres. Le grand-père de Valé­ry, Jacques Bar­doux, fut séna­teur puis dépu­té de la 3e cir­cons­crip­tion du Puy-de-Dôme jusqu’en 1956, date à laquelle Valé­ry lui suc­cè­de­ra. La famille rentre en France lorsqu’il a 6 mois, et loge près de l’Élysée… encore un signe !

Une jeunesse heureuse qui sera marquée par la guerre

VGE béné­fi­cie d’une enfance heu­reuse dans ce milieu pri­vi­lé­gié, qu’il qua­li­fie­ra lui-même de « à mi-che­min entre la grande bour­geoi­sie et l’aristocratie. » Il ne fré­quente pas l’école et sa mère assure elle-même son édu­ca­tion. Est-ce à cette enfance pro­té­gée et confi­née à un milieu fami­lial pri­vi­lé­gié qu’il doit son carac­tère que l’on décri­ra par­fois comme éli­tiste, altier voire hautain ? 

La guerre le sur­prend avec sa famille repliée en Auvergne, où il assiste à l’entrée des troupes alle­mandes dans Cler­mont-Fer­rand. De retour à Paris après l’armistice, il est atti­ré par la résis­tance avec des cama­rades du lycée Jan­son de Sailly, puis Louis-le-Grand. À la Libé­ra­tion, quoique encore mineur, il quitte le lycée et renonce à pré­pa­rer Poly­tech­nique pour rejoindre l’armée de De Lattre. Au sein du 2e régi­ment de Dra­gons, il par­ti­cipe à l’offensive sur l’Allemagne, où son char entre le pre­mier dans Constance. Il sera récom­pen­sé par une croix de guerre, avec cita­tion à l’ordre de l’armée.

Le premier X‑ENA

Démo­bi­li­sé, il rentre à Paris et se pré­sente en 1946 au concours spé­cial de l’X, où il est reçu 6e, et inté­gré admi­nis­tra­ti­ve­ment à la pro­mo­tion 44. Il est porte-dra­peau lors du défi­lé du 14 juillet 47. L’École lui lais­se­ra un sou­ve­nir très posi­tif : « Le pas­sage à l’X a été pour moi une étape très heu­reuse et impor­tante. C’était un savoir qui nous met­tait vrai­ment en rela­tion avec contact direct avec les grands pro­blèmes. Pour autant, je ne pré­ten­drai pas avoir été un génie des mathé­ma­tiques, comme cer­tains de mes camarades… »

“C’était un savoir qui nous mettait vraiment en relation avec contact direct avec les grands problèmes.

Ten­té un moment par les Ponts, il choi­sit fina­le­ment d’entrer à la toute nou­vel­le­ment créée ENA : il est le pre­mier poly­tech­ni­cien à emprun­ter la pas­se­relle X‑ENA. Il ne semble pas avoir outre mesure appré­cié l’enseignement de cette école : « Les confé­rences y étaient empreintes de l’air du temps, c’est-à-dire une idéo­lo­gie socio-com­mu­niste. La pla­ni­fi­ca­tion, alors à la mode, n’était vue qu’à la manière sovié­tique. L’étroitesse de vue quant aux choix de la France était flagrante. » 

Entrée en politique

Sor­ti dans l’inspection des finances, car c’était – dit-il, le corps le plus proche de l’économie, qui le pas­sion­nait, il fait ses pre­mières armes dans l’administration, puis entre en poli­tique quelques années après en s’attachant à Edgar Faure, dont la per­son­na­li­té l’impressionne, lorsque celui-ci tient le por­te­feuille des finances en 1953. Il suit ensuite son men­tor briè­ve­ment au Quai d’Orsay, puis à la Pré­si­dence du Conseil, où il devient son direc­teur adjoint de cabi­net. Sa véri­table entrée en poli­tique se fait à l’occasion des légis­la­tives de 1956 avec son élec­tion, sous l’étiquette des « Indé­pen­dants », comme dépu­té du Puy-de-Dôme, dans la cir­cons­crip­tion que vient de lais­ser son grand-père.

On connaît dès lors son par­cours brillant, avec une car­rière poli­tique remar­quable sur trois dimen­sions : sur le plan natio­nal, mais avec un fort ancrage local et avec une ouver­ture euro­péenne. Secré­taire d’État, puis ministre des Finances sous le Géné­ral de Gaulle de 1959 à 1966, puis de 1969 à 1974 sous Georges Pom­pi­dou, il sera aus­si dépu­té du Puy-de-Dôme de 1956 à 2002, avec quelques inter­rup­tions, maire de Cha­ma­lières de 1967 à 1974, et sera aus­si dépu­té euro­péen de 1989 à 1993.

Le Président

Bien enten­du, on retien­dra sur­tout son acces­sion à la pré­si­dence la Répu­blique en mai 1974, suc­cé­dant au pré­sident Pom­pi­dou décé­dé, à l’issue d’une cam­pagne qui l’oppose à Fran­çois Mit­ter­rand. On se sou­vien­dra du fameux « Vous n’avez pas le mono­pole du cœur ! » lan­cé à son adver­saire, moment sans doute déci­sif pour son élection. 

Son œuvre poli­tique comme pré­sident de la Répu­blique est trop connue pour être rap­pe­lée ici autre­ment qu’à grands traits : en France, par la mise en œuvre de réformes de socié­té pro­fondes, en par­ti­cu­lier l’abaissement de l’âge de la majo­ri­té ou la loi Weil sur l’interruption volon­taire de gros­sesse ; au plan inter­na­tio­nal, par la mise en œuvre du fameux « nou­vel ordre éco­no­mique mon­dial », et la créa­tion à son ini­tia­tive du G6 qui se réunit pour la pre­mière fois à Paris en 1975, mais aus­si le res­ser­re­ment des liens avec l’Allemagne et les États-Unis ; l’impulsion poli­tique don­née à la construc­tion euro­péenne avec l’institution offi­cielle du Conseil euro­péen en 1974…

“Nous sommes là pour changer les choses !

Un sep­ten­nat d’abord très actif, démar­ré « en flèche » sous le mot d’ordre : « Nous sommes là pour chan­ger les choses ! », mais qui se heur­te­ra vite aux consé­quences du pre­mier choc pétro­lier, qui viennent obé­rer les capa­ci­tés de manœuvre du pays et obligent à une poli­tique d’austérité, conduite par le Pre­mier ministre Ray­mond Barre.

Sa fin de man­dat sera quelque peu obs­cur­cie par dif­fé­rentes affaires, et sur­tout par les ten­dances cen­tri­pètes qui déchirent sa majo­ri­té : lui qui avait réus­si un « débor­de­ment par le centre » est à son tour débor­dé sur ses ailes, la séces­sion de Jacques Chi­rac ouvrant de fait la voie au par­ti socia­liste et à Fran­çois Mit­te­rand. Sa défaite à l’élection pré­si­den­tielle de 1981 lui lais­se­ra un goût amer.


Le président Valéry Giscard d'Estaing lors d'une conférence à l'École polytechnique en 1975
Confé­rence de Valé­ry Gis­card d’Es­taing à l’É­cole poly­tech­nique le 28 octobre 1975.

VGE à l’X : Le nouvel ordre économique mondial

Valé­ry Gis­card d’Estaing sera fidèle à l’École : « simple » ministre des Finances, il don­ne­ra ain­si, dans les années 70, une série de confé­rences aux pro­mo­tions suc­ces­sives, d’emblée char­mées par l’honneur que leur fai­sait ce jeune ancien déjà illustre, sur son sujet alors de pré­di­lec­tion : le nou­vel ordre éco­no­mique mon­dial. Il don­ne­ra encore une fois cette confé­rence, por­té à la Pré­si­dence de la Répu­blique, le 28 octobre 1975.

Dans son pro­pos, VGE s’attachait à décryp­ter pour ses jeunes cama­rades les res­sorts de ce que l’on appe­lait alors le choc pétro­lier, mais dans lequel lui-même voyait plu­tôt la consé­quence d’un dérè­gle­ment sys­té­mique de l’ordre moné­taire mon­dial, ampli­fié jusqu’à la crise par le creu­se­ment du défi­cit amé­ri­cain dû
à la guerre au Viet­nam. Tirant les consé­quences de l’affaiblissement de l’ordre ancien issu des accords de Bret­ton Woods, il appe­lait de ses vœux la créa­tion d’un nou­vel ordre, qui ne pou­vait venir que d’une meilleure coor­di­na­tion des poli­tiques moné­taires et éco­no­miques. C’est ce à quoi il s’attachera en pro­mou­vant la créa­tion du G6, qu’il réuni­ra pour la pre­mière fois à Paris dès le mois sui­vant, le 15 novembre 1975.


VGE l’Européen

VGE entre­prend alors de recons­truire une nou­velle car­rière poli­tique, en repar­tant de la base : d’abord élu aux can­to­nales en Auvergne en 1982, puis à nou­veau dépu­té de sa cir­cons­crip­tion du Puy-de-Dôme en 1984 et pré­sident de région en 1986, retrou­vant son ancrage auver­gnat avec une dimen­sion nouvelle.

Mais c’est l’Europe qui donne la der­nière grande impul­sion à sa car­rière, lorsqu’il est choi­si en 2001 pour pré­si­der la Conven­tion sur l’avenir de l’Europe, qui abou­ti­ra au pro­jet de trai­té consti­tu­tion­nel pour lequel il fera per­son­nel­le­ment cam­pagne. Ce sera aus­si son der­nier échec puisque les Fran­çais rejet­te­ront le trai­té par réfé­ren­dum le 29 mai 2005 ; demi-échec seule­ment, pour­ra-t-on dire, puisque l’essentiel de la sub­stance du trai­té consti­tu­tion­nel reje­té sera reprise dans le trai­té de Lis­bonne qui sera, lui, rati­fié et entre­ra en vigueur en 2009.

En tant qu’ancien pré­sident de la Répu­blique, Valé­ry Gis­card d’Estaing sié­geait effec­ti­ve­ment au Conseil consti­tu­tion­nel depuis 1981. Il avait été élu en 2004 à l’Académie fran­çaise, au fau­teuil de Léo­pold Ségar Senghor.

Valé­ry Gis­card d’Estaing a publié des mémoires, des essais et plu­sieurs romans. Il était marié à Anne-Aymone Sau­vage de Brantes, et le couple a eu quatre enfants.


Valéry Giscard d'Estaing en 2014 avec des élèves de l'École polytechnique
Confé­rence de M. Valé­ry Gis­card d’Estaing à l’É­cole poly­tech­nique, le 2 décembre 2014 « Euro­pa, la der­nière chance de l’Europe »

VGE à l’X : L’Europe

Valé­ry Gis­card d’Estaing revien­dra devant les élèves de l’X en 2014, recru d’années et d’honneurs, mais tou­jours ardent apôtre de la construc­tion euro­péenne. Aux élèves qui l’accueillent pour une confé­rence-débat, il rap­pelle son atta­che­ment à l’École : « Ce sont les meilleurs sou­ve­nirs de ma for­ma­tion. C’est à cette École que je suis le plus rede­vable. » Il va même leur livrer en confi­dence que « les poly­tech­ni­ciens sont le seul groupe d’hommes que j’aie jamais tutoyé, ce que je n’ai jamais fait avec les politiques. » 

Pour lui, le pro­ces­sus d’intégration euro­péenne, qui s’était dérou­lé de manière assez rec­ti­ligne jusque dans les années 90, a ensuite écla­té et s’est per­du dans une tra­jec­toire désor­don­née, ce qui a entraî­né un désa­mour com­pré­hen­sible de la part des peuples. Il exhorte à reprendre la tra­jec­toire inter­rom­pue en 90–92 pour retrou­ver la ligne droite du pro­jet ini­tial d’intégration éco­no­mique, à la limite sociale, mais pas cultu­relle ni civi­li­sa­tion­nelle. C’est un pro­jet de fédé­ra­tion d’États-nations qu’il appelle à construire, selon un modèle nou­veau, dont il n’existe aucun exemple. 

À un audi­toire qu’il sait épris de savoir scien­ti­fique, il adresse cette mise en garde : « Il ne s’agit pas tant de savoir, ni de com­prendre, il est bien
plus impor­tant d’arriver à faire ! » Notant que des géné­ra­tions récentes de poly­tech­ni­ciens avaient quelque peu délais­sé les domaines scientifiques
et indus­triels pour la finance, ten­dance à laquelle l’École elle-même s’était prê­tée, il don­nait aux élèves le conseil – quelque peu para­doxal de sa part,
à consi­dé­rer son propre par­cours – de réin­ves­tir le champ de l’innovation scien­ti­fique et tech­nique, qui est celui qui fait avan­cer les nations.

Son mes­sage aux poly­tech­ni­ciens de 2014 est clair : « L’Europe est l’essentiel de votre avenir ! »

3 Commentaires

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robert.ranquet.1972répondre
10 décembre 2020 à 10 h 47 min

Com­men­taire de Luc Morin (67) :
Il semble essen­tiel de rap­pe­ler la mise en place de la TVA pen­dant que Gis­card d’Es­taing était ministre des Finances,
l’im­pôt qui a fait le tour du monde.

Bru­no Karcherrépondre
10 décembre 2020 à 15 h 42 min

Ce serait inté­res­sant d’a­voir aus­si un petit résu­mé de l’his­toire du nucléaire civil par ceux qui l’ont vécue, sur le modèle de celle du télé­phone. Bien que décriée aujourd’­hui, cette tech­no­lo­gie a chan­gé nos vies et fait de la France un cham­pion des basses émis­sions de CO2.

David Cor­tésrépondre
15 juin 2023 à 14 h 57 min

on pour­ra confé­rer aus­si l’ar­ticle : https://www.lajauneetlarouge.com/il-faut-creer-une-puissance-economique-homogene/

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