Avec ces rébétis intelligents il devient indispensable de créer un robot pour s'ennuyer à notre place

Une nouvelle dialectique du maître et de l’esclave

Dossier : EditorialMagazine N°750 Décembre 2019
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)

Le robot, on le sait, est fait pour tra­vailler à la place de l’homme, de son inven­teur et maître. Le terme même vient du slave, pré­cisé­ment en 1920 de l’écrivain tché­coslo­vaque Karel Čapek dans sa pièce de théâtre R. U. R. (Rezon’s Uni­ver­sal Robots dans la tra­duc­tion française de 1924 : si ! si !), ou de son frère qui le lui aurait souf­flé (si ce n’est lui…). Il invente des humanoïdes, que nous nom­me­ri­ons plutôt « clones », qui sont cen­sés tra­vailler à la place des hommes et qui finale­ment pren­nent leur place sur terre. On a donc trou­vé la prob­lé­ma­tique dès cette époque, prob­lé­ma­tique qui a des inspi­ra­tions plus anci­ennes : le fameux Golem dont Paul Wegen­er fera sa spé­cial­ité dans le ciné­ma expres­sion­niste des années 20, la créa­ture de Franken­stein inven­tée par Mary Shel­ley ; mais aus­si des coïn­ci­dences artis­tiques con­tem­po­raines : Nous autres, roman d’Eugène Zami­a­tine (autre Slave) qui a été pub­lié lui aus­si en 1920 et qui a très fort inspiré 1984, le Metrop­o­lis de Fritz Lang certes plus tardif (1927). Dans tous les cas, ça se ter­mine mal ! Il n’empêche que c’est le robot de Karel Čapek qui est resté dans la langue. 

Le robot indique dans son pro­pre nom sa final­ité : tra­vailler, puisque la racine com­mune aux divers­es langues slaves robot- ren­voie à la notion de tra­vail. C’est à pro­pre­ment par­ler un esclave : c’est une chose, pas une per­son­ne, même s’il y ressem­ble par­fois ; il doit une obéis­sance totale à son maître, même s’il sait faire des choses dont le maître n’est pas capa­ble ; il est cen­sé ne rien ressen­tir, même si le maître fait appel chez lui à de plus en plus d’intelligence pour aug­menter le ren­de­ment de son tra­vail. Coïn­ci­dence dans ce con­texte slave : c’est le mot « slave » qui a don­né via le bas latin le mot « esclave », sans doute parce que Byzance s’approvisionnait abon­dam­ment dans les Balka­ns pour ali­menter sa force de travail…

“La créature mécanique
et soumise risque-t-elle de prendre
le pouvoir ?”

Or l’émergence de l’intelligence arti­fi­cielle et les résul­tats impres­sion­nants qu’elle obtient, d’abord hors du champ vrai­ment physique (jouer au jeu de go, recon­naître des faciès…), font dans un sec­ond temps naître la ten­ta­tion de l’utiliser pour aider l’homme à gou­vern­er le très matériel robot, si fort et si déli­cat tout à la fois, mais si bête : ten­ta­tion à laque­lle aucune réflex­ion philosophique ne pour­ra empêch­er l’homme de céder. Avec l’intelligence arti­fi­cielle, on saute un seuil qual­i­tatif et on ne peut que pos­er la ques­tion : la créa­ture mécanique et soumise risque-t-elle, comme dans la pièce de 1920, de pren­dre le pou­voir ? L’homme tir­erait des ser­vices décu­plés de son esclave robo­t­ique, avant de devenir son esclave ? 

La Jaune et la Rouge a traité dans son numéro 733 de mars 2018 de l’intelligence arti­fi­cielle, qui a mon­tré ses pro­grès mais aus­si ses lim­ites. Elle avait dans son numéro 655 de mai 2010 traité de la robo­t­ique. Il était per­ti­nent de faire le point qua­si dix ans plus tard sur l’état de la robo­t­ique, compte tenu de l’émergence de l’intelligence arti­fi­cielle. Cela doit-il néces­saire­ment mal se ter­min­er ? La lec­ture du dossier mon­tre que tout n’est pas per­du et que le Spar­ta­cus de la robo­t­ique n’est pas encore né…

Robot esclave vu par Gabs

Commentaire

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Peter Burépondre
26 décembre 2019 à 17 h 47 min

Pour voir où nous en sommes, vous pou­vez lire Kai-Fu Lee : La plus grande muta­tion de l’his­toire. Ed. Les Arènes 2019, 363 pp., ISBN 978–2‑7112–0152‑5 Il a dirigé une suc­cur­sale de Google aux États-Unis puis en Chine, il est donc bien placé pour savoir…
Vous trou­verez un résumé de ce livre sur https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/120919/les-gafam-attention-danger

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