Sarlande, le bourg.

Une famille de paysans limousins (XVIIe–XXe siècle)

Dossier : Libres ProposMagazine N°545 Mai 1999Par : Michel MOLBERT (48)

Le haz­ard a bien sûr la plus grande part dans cette aven­ture. L’oc­ca­sion est venue de l’ex­is­tence d’un fonds d’archives con­servées depuis des généra­tions dans la famille de mon épouse. Il se trou­ve que, aus­si haut qu’on puisse remon­ter dans les textes (le XVIIe siè­cle), la famille Ger­main était implan­tée dans un hameau de quelques maisons (on dis­ait “vil­lage” en ce temps-là), le Puy Bar­ta­lard, dans le nord de la Dor­dogne, et que les chefs de famille suc­ces­sifs ont tous été paysans jusqu’au milieu de notre siècle.

Mais l’élé­ment déclen­chant a été un ter­reau favor­able, disponible lorsque ma curiosité anci­enne pour une dis­ci­pline (l’his­toire), dont les méth­odes et les tech­niques m’é­taient pour­tant absol­u­ment étrangères, a pu se con­juguer avec le temps libre accordé par la retraite.

C’est alors que je me suis vrai­ment plongé dans la lec­ture de ces archives. Très vite, j’ai été pas­sion­né : une pièce isolée, c’est une curiosité ; cent doc­u­ments, c’est un monde qui s’ou­vre ; or j’en avais devant moi près d’un mil­li­er. En face d’un tel vol­ume de textes, il m’est apparu impos­si­ble de ne pas ten­ter d’en tir­er le max­i­mum. Et pour acquérir les con­nais­sances néces­saires, obtenir aides et con­seils puis, en fin de compte, juge­ment sur la valid­ité de ce tra­vail, il fal­lait pass­er par l’Université.

Au-delà de l’im­por­tance du fonds, ce qui m’a frap­pé ce sont les deux car­ac­téris­tiques de cette famille, assez rares sem­ble-t-il, la longue sta­bil­ité de l’habi­tat et la con­ti­nu­ité de l’é­tat de paysan. En effet, si la pro­fondeur de l’évo­lu­tion voulue ou subie, en tout cas vécue, par les habi­tants de notre pays depuis trois siè­cles, est bien con­nue, il est pas­sion­nant de ressen­tir directe­ment, à par­tir de doc­u­ments qui leur ont appartenu, la dis­tance matérielle et cul­turelle qui nous sépare des Français du XVIIe siè­cle ; et il ne l’est pas moins de les voir évoluer de généra­tion en généra­tion, amélio­rant sans cesse leurs tech­niques, leur pat­ri­moine, pour ter­min­er, en une généra­tion, par l’a­ban­don de cette voca­tion dans le con­texte de “la fin des paysans” décrit par Hen­ri Mendras.

Les Ger­main, comme 80 % des Français sous Louis XIV, étaient :

  • ruraux, mais surtout paysans, ils mangeaient ce que leur tra­vail per­me­t­tait de récolter,
  • très imprégnés par la reli­gion chré­ti­enne, au moins dans leurs comportements,
  • enfin ils vivaient dans la pré­car­ité et leur vie matérielle exclu­ait tout super­flu, alors qu’à l’in­verse aujour­d’hui nous sommes 80 % de citadins, vivant dans une société laï­cisée depuis longtemps et baig­nant pour la plu­part dans le con­fort et la sécurité.


Le tra­vail réal­isé tente de répon­dre à la ques­tion suiv­ante : à par­tir du fonds Ger­main, com­ment peut-on décrire la vie de cette famille avant la Révo­lu­tion, et com­ment peut-on com­pren­dre l’évo­lu­tion des généra­tions suc­ces­sives jusqu’à la sit­u­a­tion actuelle ?

Le fonds Germain

Il se com­pose de huit ou neuf cents pièces dont la plus anci­enne date du 27 sep­tem­bre 1643. Ces pièces sont générale­ment en bon état de con­ser­va­tion. Leurs objets sont très var­iés : ventes, baux, quit­tances, con­trats de mariage, tes­ta­ments, inven­taires, pièces de procès, reçus d’im­pôts, arpen­te­ments, …, reg­istres de comptes. Mais aucun “livre de rai­son”. Une pièce peut com­porter un ou plusieurs feuil­lets. C’est ain­si que cer­tains inven­taires peu­vent compter quelques dizaines de pages, et cer­tains reg­istres de comptes deux à trois cents.

En fait, 40 % seule­ment des doc­u­ments du fonds con­cer­nent la famille Ger­main. Le reste con­cerne trois autres familles, les Chas­tenet, les Trarieux et les Cousi­nou, alliées aux Ger­main par mariages au XIXe siècle.

Le pays


Sar­lande, le bourg.

La com­mune de Sar­lande, à laque­lle appar­tient le Puy Bar­ta­lard, se situe dans le can­ton de Lanouaille, à la fron­tière nord-est de la Dor­dogne ; mais c’est la ville de Saint-Yrieix-la-Perche, en Haute-Vienne, qui est le cen­tre d’at­trac­tion local depuis le Moyen Âge. Saint-Éloy-les-Tui­leries, pays d’o­rig­ine des Trarieux, où est né le dernier des Ger­main, Hen­ri, est la pre­mière com­mune de la Cor­rèze voi­sine. La vie de nos paysans s’est déroulée depuis plus de trois siè­cles entre ces trois com­munes, dis­tantes de dix à douze kilo­mètres les unes des autres.

Le can­ton de Lanouaille, s’il ne fait par­tie ni poli­tique­ment ni admin­is­tra­tive­ment du Lim­ou­sin, en fait bel et bien par­tie géo­graphique­ment et économique­ment. Ce sont les mêmes cul­tures, le même paysage de plateau ondulé d’une alti­tude moyenne de trois cent cinquante mètres, alter­nant bois, ter­res et prés bor­dés de haies, coupé de val­lées étroites creusées dans le gneiss par la Loue, l’Au­vézère et leurs afflu­ents, c’est aus­si le même patois. C’est à une dizaine de kilo­mètres plus au sud que dis­parais­sent les châ­taig­niers lim­ou­sins et qu’ap­pa­rais­sent les noy­ers périgourdins.

C’est un pays de bocage à habi­tat dis­per­sé : au bourg (aggloméra­tion prin­ci­pale où est implan­tée l’église parois­siale) de Sar­lande, habitent au XIXe siè­cle à peine 10 % de la pop­u­la­tion, le reste étant répar­ti dans les quelque soix­ante-dix “vil­lages” qui exis­taient alors.

I. L’ANCIEN RÉGIME

Au milieu du XVIIe siè­cle, une famille Ger­main habitait le vil­lage du Puy Bar­ta­lard, paroisse de Sar­lande. Un Pierre Ger­main est attesté en 1639 qual­i­fié de “laboureur” dans un arpen­te­ment, et de forg­eron dans un procès en 1648. Ces ter­mes nous indiquent qu’il pos­sède de la terre, mais qu’il n’est sans doute pas bien riche puisqu’il doit pra­ti­quer un autre métier.

Son fils aîné, nom­mé lui aus­si Pierre, qui meurt à qua­tre-vingt-dix ans en 1732, est déjà plus à l’aise, car il aban­donne le méti­er de forg­eron, et on le voit acheter ou échang­er des ter­res dans le vil­lage. Le suiv­ant, Yrieix (1696–1773), est un petit pro­prié­taire déjà aisé qui pos­sède un domaine de 13,4 hectares, qu’il exploite bien sûr lui-même. Son fils Annet (1732–1787), grâce à la poli­tique intel­li­gente d’achats de ter­res menée par son père, qu’il con­tin­ue, et à un héritage de son épouse, peut en 1778 saisir l’oc­ca­sion d’ac­quérir un autre domaine con­tigu au sien. À sa mort en 1787, il laisse un fils de dix ans à peine mais un bel ensem­ble fonci­er de 25 hectares env­i­ron d’un seul tenant.

Le système de production

Dans ce pays de Sar­lande, comme presque partout en France à cette époque en dehors de quelques régions qui ont déjà pu spé­cialis­er leurs pro­duc­tions (citons les ter­res à blé autour de Paris, ou les régions viti­coles), la pro­duc­tion agri­cole est essen­tielle­ment des­tinée à l’autoconsommation.

Par ailleurs, les céréales for­mant la base de l’al­i­men­ta­tion des paysans, on trou­vera au cen­tre de l’or­gan­i­sa­tion du domaine les ter­res labourables qui leur sont con­sacrées, le train de cul­ture, c’est-à-dire la char­rue et la paire de bœufs de labour, enfin les prés pour nour­rir ceux-ci.

Le domaine doit aus­si fournir les com­plé­ments de nour­ri­t­ure (porcs, volailles, légumes, fruits, châ­taignes…), le vête­ment (laine, chan­vre), le chauffage et l’en­tre­tien des out­ils et de la mai­son (bois). C’est là le sché­ma type du domaine lim­ou­sin, voué à la poly­cul­ture et visant à l’autarcie.

Notons que la terre représente la grande majorité de l’in­vestisse­ment, le train de cul­ture et l’outil­lage valant autour de 5 % des immobilisations.

Cepen­dant, il faut pay­er la rente seigneuri­ale et la dîme (prin­ci­pale­ment en nature), et l’im­pôt roy­al (en mon­naie “son­nante et trébuchante”), ce qui impose de ven­dre un peu de sa pro­duc­tion et donc de pro­duire plus que ce que l’on con­somme : c’est là seule­ment que l’on entre dans le cir­cuit moné­taire et le cir­cuit marc­hand, dont on est donc, dans cette seule mesure, un peu dépendant.

Le pas­sage de cette sit­u­a­tion à l’actuelle, qui lui est totale­ment opposée — inté­gra­tion com­plète dans le marché — résume l’évo­lu­tion de l’a­gri­cul­ture de la Révo­lu­tion à nos jours, et l’on sait bien ce que cette évo­lu­tion a sig­nifié comme boule­verse­ment dans les tech­niques et les pra­tiques agri­coles, le méti­er d’ex­ploitant, et les mentalités.

Du fonds Ger­main, on tire d’abord une vue glob­ale de la sit­u­a­tion de ces familles de petits pro­prié­taires aux XVIIe et XVIIIe siè­cles. On con­state les dettes nom­breuses qui pèsent sur eux dans les années 1680–1720, les retards de paiement qui con­duisent à des procès inter­minables, les inter­ven­tions de la force publique pour la per­cep­tion des impôts, les “émo­tions” qui en résul­tent, enfin les dis­ettes et les épidémies aux­quelles il est fait allu­sion dans les doc­u­ments de ces années-là, par­mi lesquelles “l’hor­ri­ble hiv­er” de 1709 restera longtemps dans les mémoires. On y trou­vera aus­si bien des détails (mais mal­heureuse­ment bien peu de chiffres) sur leurs exploita­tions agri­coles et sur la vie qu’ils y menaient.

Mais si la fin du règne de Louis XIV avait été dif­fi­cile pour les Ger­main, la sec­onde moitié du XVIIIe siè­cle fut la péri­ode clé où ils ont passé le seuil décisif, celui où la pro­duc­tion dégage des sur­plus sig­ni­fi­cat­ifs et où il devient pos­si­ble d’ac­cu­muler du capital.

Le domaine

L’é­tude des doc­u­ments fonciers, des inven­taires, des tes­ta­ments, des con­trats de mariage per­met de se faire une bonne idée de ce qu’é­tait un domaine au XVIIIe siè­cle. Exploité par une famille réu­nis­sant sou­vent trois généra­tions suc­ces­sives, aidée s’il en était besoin par des domes­tiques (ouvri­ers agri­coles engagés à l’an­née), il se com­po­sait d’un ensem­ble de bâti­ments d’ex­ploita­tion, de ter­res — répar­ties à peu près deux tiers un tiers en ter­res labourables et prés — et du chep­tel — chep­tel vif (gros ani­maux) et mort (matériel et outillage).

Étant don­née la qual­ité moyenne des ter­res du pays, les ren­de­ments obtenus avec les tech­niques locales ne dépassent pas 4 à 5 grains pour un en fro­ment ou en sei­gle. La sur­face du “domaine seuil” (juste suff­isant pour nour­rir la famille moyenne) se situe alors aux envi­rons d’une dizaine d’hectares, avec un chep­tel vif réduit à une paire de bœufs, un ou deux porcs, et peut-être une douzaine de mou­tons ; un bâti­ment cou­vert de chaume ser­vant à la fois de grange, d’étable et de berg­erie, un “toit” pour les porcs.

Le matériel est élé­men­taire, un ou deux “gar­ni­ments pro­pres à labour­er, une char­rette, bris et tombereau, un joug gar­ni de ses jouilles”. Par con­tre, le petit out­il­lage est assez diver­si­fié étant don­née la var­iété des travaux à effectuer, il va des out­ils pour la mois­son et la fenai­son à ceux des­tinés au tra­vail du bois, du chan­vre, de la laine, et même de la forge.

Sur un domaine plus impor­tant, à par­tir d’une douzaine d’hectares, avec un peu de bois (châ­taig­niers surtout), peut-être deux paires de bœufs mais en tout cas une ou deux vach­es, une famille de paysans peut espér­er com­mencer à dégager des surplus.

Le patrimoine

Exprimer la valeur d’un bien par son prix est une idée que ces paysans n’avaient pas. Pour eux, le prix n’avait d’in­térêt qu’au moment où on l’achète ou le vend ; le reste du temps, ce qui compte, c’est ce qu’il rap­porte : le champ vaut par la récolte, qui vaut par la nour­ri­t­ure de la famille, et non une somme d’argent.

À l’o­rig­ine, le paysan rece­vait du seigneur la “tenure” d’une terre. Révo­ca­ble, cette tenure devait être renou­velée à chaque généra­tion. Dev­enue hérédi­taire à la longue, elle con­stitue alors la base sur laque­lle est con­stru­ite l’ex­is­tence entière de la famille, économique d’abord, mais aus­si sa posi­tion sociale, sa place dans la société. Cette terre acquiert de ce fait même des car­ac­téris­tiques nouvelles :

— elle n’est pas seule­ment un out­il de tra­vail, elle est lit­térale­ment la vie du groupe famil­ial, car elle est le pre­mier fac­teur d’ai­sance ou de misère,
— elle est inal­ién­able et non morce­lable, à l’o­rig­ine parce que le seigneur l’im­pose, ensuite parce qu’une telle opéra­tion la rendrait inexploitable,
— elle finit par s’i­den­ti­fi­er à la famille, au point que le nom de l’un devient par­fois le nom de l’autre : les Rouchut habitent le vil­lage de Rouchut.

Cette terre devient alors un “pat­ri­moine”, au sens le plus fort de “bien reçu de ses ancêtres”, que l’on doit gér­er “en bon père de famille”, et qu’on trans­met­tra à ses enfants, et ain­si de suite, de généra­tion en génération.

C’est cette con­cep­tion qui impose la sol­i­dar­ité famil­iale, sol­i­dar­ité ver­ti­cale des généra­tions suc­ces­sives, sol­i­dar­ité hor­i­zon­tale à l’in­térieur d’une généra­tion. L’homme seul n’est rien dans un tel ordre social, et “le priv­ilège accordé à l’aîné (est la) sim­ple tra­duc­tion généalogique du pri­mat absolu con­féré au main­tien de l’in­tégrité du pat­ri­moine” (Pierre Bourdieu).

De là découle l’im­por­tance pri­mor­diale des méth­odes de trans­mis­sion de ce pat­ri­moine, le domaine, qui s’ex­pri­ment à tra­vers tes­ta­ments et con­trats de mariage.

Comment vivaient-ils ?

Ils habitent tous sur leur terre, au milieu des bâti­ments d’ex­ploita­tion. Le fonds nous offre plusieurs descrip­tions détail­lées de leurs maisons d’habi­ta­tion, toutes sem­blables pour cette époque. Choi­sis­sons la plus tar­dive, tirée de l’in­ven­taire rédigé par le notaire à la mort d’An­net Ger­main en 1787.

La mai­son, cou­verte en tuiles, est con­stru­ite en pier­res du pays, la porte est dou­ble, avec un encadrement de pier­res de taille. À l’in­térieur, une pièce unique, éclairée par deux “croisées gril­lées en fer sans aucune bois­erie” ; le sol est “à pier­res jetées”, la chem­inée pos­sède une plaque ornée. La pièce est encom­brée de meubles et d’outils : trois lits fer­més de rideaux, une table, deux bancs, qua­tre cof­fres, une maie, des usten­siles de cui­sine déjà diver­si­fiés (36 arti­cles) ; la vais­selle, réduite (pas de fourchette), ne com­porte ni faïence ni porce­laine, mais une petite cafetière de fer blanc ; on y trou­ve aus­si le matériel à fil­er laine et chan­vre, et les out­ils agri­coles les plus précieux.

Sou­vent accolée à l’étable, c’est le seul bâti­ment qui ferme à clé, c’est pourquoi on trou­ve dans le gre­nier les semences et les pro­vi­sions : les grains, sei­gle surtout, puis les pois et les hari­cots, les châ­taignes, le lard, le sel. Pas de pommes de terre ni de tonneau.

Le Puy Bartalard, les deux domaines.
Le Puy Bar­ta­lard, les deux domaines.

Le village, le bourg, la paroisse

Le Puy Bar­ta­lard, où habitent les Ger­main, com­prend trois ou qua­tre maisons au mieux ; Bor­mazet, le vil­lage des Cousi­nou, cinq à sept, et le Boucheron, celui des Chas­tenet, une quin­zaine. Ces trois vil­lages sont cha­cun à deux bons kilo­mètres du bourg, qui lui-même réu­nit moins de trente habi­ta­tions. La vie sociale est naturelle­ment très ser­rée dans le vil­lage, encore assez étroite avec les habi­tants de la paroisse qu’on ren­con­tre au bourg, à la messe, au cabaret, ou chez les artisans.

Au-delà, on va de temps en temps dans les foires, mais assez peu car on n’a pas grand-chose à ven­dre. Cet isole­ment se man­i­feste dans une endogamie général­isée : sur les quinze mariages observés pour cette époque, deux unis­sent des con­joints du même vil­lage, cinq de la même paroisse, huit de paroiss­es con­tiguës, aucun exem­ple de plus grande distance.

Les chefs de famille ont d’autres occa­sions de par­ticiper à la vie sociale. Ils sont par­fois mem­bres de la “fab­rique” qui gère les ques­tions matérielles de la paroisse, “syn­dics de taille” chargés de la répar­ti­tion de la taille dans la paroisse et respon­s­ables de sa col­lecte (ce qui ne va pas sans dif­fi­cultés), ou encore “com­mis­saires au séquestre” ou “aux fruits et revenus” en cas de saisie par les tri­bunaux. À lire les nom­breux doc­u­ments du fonds sur ce sujet, ils sem­blent avoir été assez procé­duri­ers et trou­ver de mul­ti­ples raisons d’aller au tribunal.

La reli­gion était omniprésente, ne serait-ce que par le cal­en­dri­er, et les fêtes religieuses ryth­maient les travaux des champs. Les textes des con­trats de mariage et surtout des tes­ta­ments don­nent une idée, non de leur foi, mais des pra­tiques qu’ils obser­vaient. En rel­e­vant qua­tre de ces man­i­fes­ta­tions (impor­tance des for­mules religieuses, saints per­son­nages invo­qués, dons et mess­es offerts, et intérêt porté à la sépul­ture), on remar­que une nette évo­lu­tion au cours du XVIIIe siè­cle. Après 1760 la seule pra­tique qui per­dure est celle des dons et mess­es, d’ailleurs jusque bien après la Révolution.

Si les rentes seigneuri­ales et la dîme sem­blent avoir été subies sans trop de prob­lèmes, à en croire la qua­si-inex­is­tence de doc­u­ments rela­tant des con­flits sur ce sujet, les rela­tions avec le fisc, elles, s’avèrent avoir été mau­vais­es. Il est vrai que les impôts roy­aux ont beau­coup aug­men­té depuis Louis XIV.

La paroisse qui payait 1 927 livres en 1690, en payait entre 3 000 et 3 500 en 1718, et 4 400 en 1774. Il n’est pas éton­nant que, dans ces con­di­tions, le fisc n’ait pas été pop­u­laire et que des retards de paiement, nom­breux, aient con­duit à des inter­ven­tions de la force publique, qui se ter­mi­naient par­fois en échauffourées.

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Lorsqu’on les voit appa­raître au XVIIe siè­cle, les Ger­main, comme leurs pareils les Chas­tenet, Trarieux et Cousi­nou, ont comme but prin­ci­pal de leur vie de main­tenir et si pos­si­ble agrandir leurs ter­res ; ils sont capa­bles de pour­suiv­re le même objec­tif pen­dant des années, au prix d’un tra­vail acharné, et aus­si d’une austérité de vie qu’­ex­pri­ment claire­ment leurs habi­ta­tions. Les fer­me­tures approx­i­ma­tives et les sols dont l’isole­ment et la pro­preté ne pou­vaient être que rudi­men­taires rendaient éclairage et chauffage bien dif­fi­ciles dans un pays humide aux hivers froids.

On est frap­pé par l’en­com­bre­ment de cette pièce unique, dans laque­lle man­gent, dor­ment, nais­sent, tra­vail­lent et meurent des familles qui devaient sou­vent attein­dre dix per­son­nes. Quelle intim­ité pou­vait-il exis­ter pour eux ?

Ils ne con­nais­sent rien d’autre que leur coin de terre, le ciment de la famille rési­dant dans l’ex­is­tence d’un pat­ri­moine ter­rien intan­gi­ble, dont la trans­mis­sion d’une généra­tion à l’autre doit être inté­grale. Cette “civil­i­sa­tion” est par­faite­ment adap­tée aux tech­niques de l’époque. Elle sem­ble immuable.

II. L’ÉVOLUTION (1789–1939)

Au XVIIIe siè­cle, les idées nou­velles en matière d’a­gri­cul­ture qui couraient dans les sphères sci­en­tifiques n’ont pour ain­si dire pas touché les paysans lim­ou­sins. Au début du XIXe la sit­u­a­tion change, et d’abord grâce à l’ad­min­is­tra­tion mise en place par la République et per­fec­tion­née par l’Em­pire. Des enquêtes sont lancées, qui seront le début d’une con­nais­sance chiffrée de la réal­ité des ter­roirs français, indis­pens­able à toute recherche de pro­grès. Des rap­ports sont demandés aux Préfets, et on y trou­ve de mul­ti­ples propo­si­tions con­crètes, qui servi­ront de base aux déci­sions à met­tre en œuvre par les pou­voirs publics.

Par­al­lèle­ment, les pro­prié­taires s’or­gan­isent eux-mêmes pour amélior­er leur sit­u­a­tion : ce sera la créa­tion des comices agri­coles, qui a touché de près les Germain.

En effet, c’est en 1824 qu’est inau­guré celui de Lanouaille, un des tout pre­miers en France, dont l’ini­ti­a­teur et le prin­ci­pal moteur fut le colonel Bugeaud (le futur maréchal), que la Restau­ra­tion avait placé en demi-sol­de, et qui exploitait lui-même depuis, près de cette petite ville, une grande propriété.

Un pays qui change

L’é­conomie de la région s’ap­puie sur une démo­gra­phie rede­v­enue dynamique. Les petites com­munes comme Sar­lande atteignent leur max­i­mum de pop­u­la­tion vers 1850, et la ville de Saint-Yrieix vers 1900. C’est seule­ment ensuite que la décrue s’amorce, lente­ment d’abord. Il n’y aura pour ain­si dire pas d’ex­ode rur­al dans cette région avant la dernière guerre. En réal­ité, c’est tout le pays qui change. Nous allons le voir par l’ex­em­ple des moyens de communication.

Restée à l’é­cart des grands courants d’échanges, l’in­fra­struc­ture routière n’avait pas été gâtée par l’an­cien régime finis­sant. La carte de Cassi­ni (celle de la région a été tracée en 1780) mon­tre une seule route, qui joint Saint-Yrieix à Lanouaille puis Excideuil, tout le reste n’est que chemins ruraux. Les procès-ver­baux révè­lent que l’en­tre­tien et la créa­tion de routes seront dès l’o­rig­ine le prin­ci­pal sujet de préoc­cu­pa­tion et de dépense du con­seil munic­i­pal, et ce jusqu’à nos jours. On voit même plusieurs fois les plus gros con­tribuables, dont les Ger­main, pay­er cer­tains travaux de leurs deniers.

Quant au chemin de fer, les autorités locales et régionales ont toutes mené des actions vigoureuses pour infléchir les déci­sions de l’É­tat et de la Com­pag­nie à leur avan­tage. On réus­sit ain­si à faire con­stru­ire la ligne Limo­ges-Brive par Saint-Yrieix en 1875, avant celle de Limo­ges à Tulle. On mesure l’en­jeu économique lorsque l’on sait que la foire de Saint-Yrieix drainait les bovins de toute la région pour les expédi­er à Paris et Lyon, et qu’en sens inverse arrivait à un prix enfin abor­d­able la chaux indis­pens­able à l’a­mende­ment des ter­res acides du Limousin.

Les progrès : l’exemple des bovins

Les pre­mières sta­tis­tiques bovines de la région indi­quaient en 1813 des poids moyens de 270 kg pour les bœufs, 190 pour les vach­es et 45 pour les veaux. En 1900, les bœufs élevés dans les domaines Ger­main pesaient entre 550 et 800 kg et les veaux entre 250 et 350. Que s’é­tait-il passé ?

Cette amélio­ra­tion spec­tac­u­laire, qui a frap­pé les con­tem­po­rains, a été obtenue par des méth­odes en réal­ité très sim­ples, mais appliquées avec con­stance, pen­dant des dizaines d’an­nées, et par un pour­cent­age d’éleveurs de plus en plus grand. On a mieux sur­veil­lé le bétail grâce à un réseau de vétéri­naires de plus en plus dense ; amélioré les nais­sances par une sélec­tion sévère des tau­reaux repro­duc­teurs ; mieux nour­ri les bêtes, par l’amélio­ra­tion des prairies naturelles ou arti­fi­cielles, et, pour les veaux, en com­plé­tant le lait de leur mère par l’ap­point de vach­es de races laitières. Enfin on a cher­ché le pro­duit le plus rentable (en viande) et ce fut le fameux “veau de Lyon”, broutard ven­du autour de douze mois.

La race lim­ou­sine a été “car­ac­térisée”, et recon­nue par la créa­tion du herd-book en 1886. Elle reste de nos jours une des grandes races français­es qui s’ex­porte dans le monde entier.

L’organisation de la production

À la Révo­lu­tion, les Ger­main pos­sé­daient deux domaines ; en 1821, ils héri­tent d’un troisième. Dès lors leurs moyens, et par­al­lèle­ment leurs ambi­tions, peu­vent croître et l’on peut par­ler alors “d’en­tre­prise agri­cole”, dont l’or­gan­i­sa­tion ne peut plus rester celle d’un exploitant sur son seul domaine. Des pos­si­bil­ités nou­velles appa­rais­sent : on peut acheter ou louer (“pren­dre à ferme”) des ter­res ; on peut exploiter soi-même, avec ou sans domes­tiques suiv­ant la sur­face à tra­vailler, ou bailler ses domaines à des métay­ers ou à des fermiers.

De fait, pen­dant une cinquan­taine d’an­nées, ils vont expéri­menter toutes ces solu­tions, et choisir enfin, vers 1860, d’une part de renon­cer à pren­dre à ferme d’autres domaines que ceux qu’ils pos­sè­dent, d’autre part d’ex­ploiter eux-mêmes le pre­mier domaine du Puy Bar­ta­lard, et de faire exploiter les autres par des métay­ers sous leur direc­tion. Il sem­ble bien que ce choix ait été assez générale­ment celui de tout le pays environnant.

Quoi qu’il en soit, le XIXe siè­cle sera pour la famille la péri­ode du grand essor. Prof­i­tant de l’ex­pan­sion économique générale, et grâce à une “poli­tique mat­ri­mo­ni­ale” heureuse (alliances avec les Chas­tenet puis les Trarieux), les Ger­main parvi­en­nent à décu­pler leur pat­ri­moine fonci­er qui atteint en 1881 trois cents hectares en une dizaine de domaines. Jean Ger­main (1843–1910) vivra au tour­nant du siè­cle l’a­pogée de cette évolution.

La crois­sance des sur­plus, qu’il faut ven­dre, les fait entr­er dans le cir­cuit marc­hand, et dans le cir­cuit moné­taire qui lui est lié. Or, si le chemin de fer per­met de ven­dre les bovins jusqu’à Paris et de recevoir les engrais à des prix accept­a­bles, il per­met aus­si de recevoir les blés de Beauce qui sont moins chers et de meilleure qual­ité que ceux de la pro­duc­tion locale. Les Ger­main seront donc amenés à chercher à dévelop­per l’él­e­vage aux dépens de la pro­duc­tion céréalière.

Mais leurs métay­ers, si leur niveau de vie est plus élevé qu’au siè­cle précé­dent, con­tin­u­ent à ne dis­pos­er que de très peu d’ar­gent : ils payent tou­jours les ouvri­ers agri­coles et les arti­sans en nature, baig­nent dans une économie de troc, et par suite priv­ilégient tou­jours auto­suff­i­sance, poly­cul­ture et autar­cie. Le résul­tat de ces ten­dances opposées con­duit à une organ­i­sa­tion de la pro­duc­tion dans laque­lle “l’en­tre­prise agri­cole” pro­duira la quan­tité de grain juste néces­saire à la con­som­ma­tion des parte­naires (pro­prié­taire et colons), le reste des moyens d’ex­ploita­tion étant con­sacré en total­ité à l’él­e­vage. Ce sys­tème dur­era pra­tique­ment jusqu’à l’entre-deux-guerres.

L’économie

Le fonds Ger­main a con­servé un nom­bre impor­tant de reg­istres de comptes. Il s’ag­it de comptes de types divers, dont les plus intéres­sants pour nous sont les “comptes des domaines “, décrivant les rela­tions bailleur-pre­neur définies dans le bail, et les “comptes recettes-dépens­es”, sortes de reg­istre-jour­nal du pro­prié­taire pour l’ensem­ble de ses affaires.

Ils exis­tent, très incom­plets de 1836 à 1880, mais pra­tique­ment com­plets de cette date à 1963 pour les dix domaines. Ils sont, mal­gré leurs imper­fec­tions, une source extrême­ment riche à laque­lle un poly­tech­ni­cien a du mal à résis­ter. Je me suis donc lancé dans le tra­vail, impor­tant, de tran­scrip­tion de ces comptes pour en faire un out­il capa­ble de don­ner les élé­ments néces­saires à l’é­tude économique de cette entre­prise agricole.

On peut grâce à eux suiv­re le développe­ment de l’él­e­vage, en quan­tité (nom­bre de bêtes ven­dues), en qual­ité (poids), en type d’él­e­vage (engrais des bœufs, nais­sances, âge des veaux à la vente) ; étudi­er la crise des années 1845–1852 (vari­a­tions des prix et réac­tions des paysans) et celle des années trente ; suiv­re aus­si bien sûr la crois­sance des revenus moné­taires tant du pro­prié­taire que des métayers.

Une évo­lu­tion intéres­sante des domaines est celle des achats hors bétail. En effet leur mon­tant exprimé en pour­cent­age du chiffre d’af­faires (CA) est une bonne mesure de leur degré d’autar­cie : les deux sont inverse­ment pro­por­tion­nels. Ce mon­tant, pra­tique­ment nul au milieu du XIXe siè­cle, appa­raît au niveau de quelques pour cent avant 1900, pour attein­dre env­i­ron 15 % en 1914 et 20 % en 1939. Il dépassera 40 % en 1960.

Les reg­istres de comptes nous don­nent aus­si une vue pré­cise des revenus moné­taires, en dehors de l’au­to­con­som­ma­tion. On observe une crois­sance (en francs con­stants 1900) de 50 % du CA par hectare et 100 % du revenu par hectare entre 1880 et 1914, qui s’ex­plique par les pro­grès de l’él­e­vage : par exem­ple, le nom­bre de “pro­duits” (nom­bre de bêtes ven­dues moins nom­bre de bêtes achetées) par hectare passe de 0,09 à 0,13. La guerre donne un coup de fou­et de l’or­dre de 20 % au CA et au revenu, mais dès 1924 ils retombent au niveau d’a­vant-guerre et cela jusqu’en 1939 sous l’ef­fet de la crise mondiale.

Du paysan au notable

L’as­cen­sion économique de la famille Ger­main, dev­enue vers la fin du siè­cle pre­mier con­tribuable de Sar­lande, s’est traduite par une ascen­sion par­al­lèle dans la ges­tion des affaires locales. Cer­tains de ses mem­bres furent con­seillers munic­i­paux, et l’un d’eux fut maire de Sar­lande de 1871 à sa mort en 1881. Mais il n’ap­pa­raît nulle part une quel­conque ambi­tion poli­tique, il s’ag­it plutôt d’une prise de respon­s­abil­ité qui parais­sait à l’époque comme un devoir lié à une cer­taine fortune.

À la Révo­lu­tion, le seul mem­bre des qua­tre familles que nous suiv­ons à savoir lire et écrire était Jean Chas­tenet, ce qui lui val­ut sans doute d’être élu pre­mier mag­is­trat munic­i­pal, puis per­cep­teur. Aucun des autres ne savait sign­er son nom. Mais c’est peut-être cet exem­ple qui fit com­pren­dre aux paysans que le pou­voir local ne pou­vait être recher­ché que par ceux qui sauraient lire, écrire et par­ler français et que, s’ils ne voulaient pas être dirigés par des notaires ou des com­merçants, il était temps que leurs enfants ail­lent à l’é­cole. Tous les fils aînés nés dans le pre­mier tiers du XIXe siè­cle sont envoyés à l’é­cole, les cadets iront vers le milieu du siè­cle. Les filles, elles, atten­dront le dernier quart du siècle.

Jean Ger­main, qua­trième du nom, chef de famille à cette époque, a trois garçons, et sous l’in­flu­ence de son épouse, décide de quit­ter le domaine de la Bor­derie (Saint-Éloi) où il habite pour s’in­staller à Saint-Yrieix, et ain­si per­me­t­tre à ses fils d’en­tr­er au col­lège. Mais si ceux-ci vont ain­si accéder à un niveau d’in­struc­tion supérieur, la famille entière va chang­er de décor.

Le pre­mier Jean Ger­main, né au Puy Bar­ta­lard en 1777 dans la mai­son décrite plus haut, est mort en 1831 dans une autre, déjà bien dif­férente : trois pièces d’af­fec­ta­tions dif­féren­ciées, un mobili­er adap­té et var­ié, un équipement ménag­er com­plet. On ne vit plus comme quar­ante ans plus tôt. Et Jean IV, quand il quitte la Bor­derie pour Saint-Yrieix, laisse der­rière lui une habi­ta­tion encore améliorée : qua­tre pièces dal­lées, deux chem­inées dont une “bour­geoise”, meubles en bois fruiti­er, vais­selle de faïence. Mais c’est tou­jours une mai­son de vil­lage, don­nant dans une cour de ferme. À Saint-Yrieix, il aura une mai­son de deux étages sur rez-de-chaussée, don­nant d’un côté sur un grand jardin clos, de l’autre sur la rue : une mai­son de notable.

Est-il encore paysan ? Oui, bien sûr : ses biens sont exclu­sive­ment des ter­res agri­coles, il exploite lui-même un domaine, il est chaque jour à la cam­pagne ou sur un champ de foire, sa femme est, elle aus­si, née dans une ferme. Mais ses intérêts l’oblig­ent à regarder plus loin que Sar­lande, il vit à la ville, et cette sépa­ra­tion géo­graphique ajoute à la dif­férence de niveau social avec ses métay­ers et ses domes­tiques. Il se sent paysan, mais il est devenu un notable : il n’est certes pas ques­tion d’in­ve­stir dans l’in­dus­trie, le com­merce, ou la rente ; il con­tin­ue à acquérir, dès qu’il le peut, un domaine, un champ, un bois. Mais la vie de la famille n’est plus en jeu : la terre n’est plus un pat­ri­moine véri­ta­ble, c’est main­tenant tout au plus leur out­il de tra­vail… avant de devenir sim­ple­ment un capital.

III. LA FIN D’UNE DYNASTIE

Lorsque Hen­ri Ger­main suc­cède à son père Jean IV en 1910, il n’a aucune rai­son de crain­dre l’avenir. Il aime ce méti­er qu’il con­naît bien, l’en­tre­prise agri­cole est prospère, son frère Paul fait des études de notaire, lui-même vient de se mari­er et il a déjà une fille. Mal­heureuse­ment, s’il tra­verse la guerre et la crise des années trente sans graves dif­fi­cultés, la sit­u­a­tion de la famille en 1939 n’est plus du tout la même qu’en 1910. En 1917 son frère a été tué au Chemin des Dames, lui-même n’a pas eu d’autre enfant que sa fille, et celle-ci a épousé un Parisien tout à fait étranger à la terre, qui l’a emmenée vivre à Paris. Hen­ri se retrou­ve seul face aux dif­fi­cultés à venir.

Les dix années qui vien­nent de se pass­er, en effet, parais­sent inquié­tantes. L’in­fla­tion d’abord, phénomène nou­veau auquel on n’a pas encore eu le temps de s’habituer ; le besoin de mécan­i­sa­tion (donc d’in­vestisse­ment) qui com­mence à envahir toutes les tâch­es agri­coles, les charges d’ex­ploita­tion qui ne font qu’aug­menter, et les revenus qui stag­nent ou dimin­u­ent pour des raisons sur lesquelles on n’a aucun pou­voir. Et la guerre qui men­ace d’éclater.

La guerre éclate effec­tive­ment, les déci­sions à pren­dre devront atten­dre. Mais la paix rev­enue, l’im­men­sité des recon­struc­tions va emballer la machine économique, et ce sera, dans le domaine agri­cole, l’en­volée du machin­isme, la main­mise de la chimie puis de la biolo­gie sur les moin­dres détails des travaux paysans.

Ces boule­verse­ments de l’après-guerre se traduisent claire­ment dans les chiffres. Le nom­bre de pro­duits par hectare croît de façon spec­tac­u­laire, il dou­ble entre la péri­ode d’a­vant-guerre et les cinq dernières années de nos comptes. Il atteint 0,42, résul­tat de la spé­cial­i­sa­tion com­plète des domaines dans l’él­e­vage bovin. Le chiffre d’af­faires suit, oscil­lant au gré des prix jusque vers 250 F l’hectare (tou­jours en francs con­stants 1900) dans les années soix­ante. Par con­tre l’en­volée des dépens­es hors achats de bes­ti­aux qui dépassent 40 % du chiffre d’af­faires arrête la crois­sance du revenu qui stagne autour de 120 F l’hectare.

Pen­dant ce temps, la chute des prix de la terre d’une part et l’en­volée des matériels désor­mais indis­pens­ables à l’ex­ploita­tion d’autre part ont totale­ment changé la répar­ti­tion des investisse­ments : la terre, qui représen­tait 90 % de ceux-ci avant la Révo­lu­tion, et encore plus de 80 % en 1914, en représente moins du quart aujour­d’hui : l’é­conomie de l’él­e­vage bovin n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était avant la guerre.

Si Hen­ri veut suiv­re le mou­ve­ment, il lui faut inve­stir en machines, et pour cela ven­dre de la terre puisqu’il ne pos­sède rien d’autre ; il lui faut aus­si agrandir ses domaines, donc les restruc­tur­er ; com­ment se lancer dans une telle aven­ture à 75 ans (son âge en 1946), et pour qui ?

Bien enten­du, il y a renon­cé, sagement.

Aujour­d’hui le domaine du Puy Bar­ta­lard, berceau des Ger­main, reste la dernière pos­ses­sion de la famille en Limousin

6 Commentaires

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Vil­lot Elianerépondre
22 septembre 2013 à 14 h 35 min

Famille de paysans en Lim­ou­sin
J’ai beau­coup appré­cié votre tra­vail. Je suis moi-même petite fille de paysans du Lim­ou­sin. Mon père est né à Sav­i­gnac ‑Lédri­er, pas loin de St Yriex et ma mère en Cor­rèze près de Meymac.
Tous les 2 sont “mon­tés” à Paris comme l’on dit!! Où ils se sont ren­con­trés. Et les ter­res de leurs par­ents ont été ven­dues. Je n’ai donc plus de lien avec le Lim­ou­sin, si ce n’est sen­ti­men­tal ! Et de plus j’é­tais pro­fesseur d’histoire !
Mer­ci encore pour cet article.
Eliane Fay

Baus­savyrépondre
15 décembre 2016 à 8 h 36 min
– En réponse à: Villot Eliane

His­toire de Sornac au début du 20ème siè­cle
bon­jour, je tra­vaille sur un doc­u­ment à des­ti­na­tion du site inter­net de la com­mune de Sornac rela­tant en autres sujets l’im­mi­gra­tion des lim­ou­sins et plus par­ti­c­ulière­ment des cor­rèziens du plateau de Mill­e­vach­es vers Paris. Je recherche des pho­tos accom­pa­g­nées de témoignages de ce mou­ve­ment migra­toire. Les raisons et moyens util­isés pour par­tir, ceux qui sont restés com­ment ont ils survécu. Je remer­cie toutes les per­son­nes qui pour­raient m’aider dans l’élab­o­ra­tion de ce doc­u­ment par les infor­ma­tions qui me seront remises.

Aredius44répondre
14 octobre 2013 à 17 h 22 min

St-Yrieix, autour et alen­tours, histoire

Bon­jour, Mer­ci pour ce texte. Je suis orig­i­naire de St-Yrieix où j’ai vécu jusqu’à la Ter­mi­nale. Ma mère était d’Ex­cideuil. Et je passe à Sar­lande assez sou­vent, ayant con­servé une petite mai­son à Jumil­hac. J’ai entre les mains un livre de compte d’ancêtres qui étaient agricul­teurs à Bour­doux (Jumil­hac). Il y a plusieurs généra­tions sur ce livre. On y apprend quels étaient les con­trats, les prix des four­ni­tures et pro­duc­tions agricoles.

Si vous êtes intéressés par une con­fronta­tion avec vos sources, faites moi signe. Je rassem­ble ce que je peux trou­ver sur St-Yrieix sur http://saintyrieixlaperche.wordpress.com Je vais vous y citer. Au revoir

P.S. Je n’au­rais pas pen­sé écrire ce cour­riel dans un site de la jaune et la rouge, revue que j’ai décou­verte lors de la pré­pa­ra­tion d’un mémoire de DESS. L’his­toire : j’avais à citer un texte d’un écon­o­miste, cité dans plusieurs ouvrages. Or ce texte com­por­tait de grossières erreurs (maths niveau six­ième), repris­es partout. J’ai écrit à l’au­teur qui m’a dit que l’o­rig­i­nal était paru dans la Rouge et la Noir et me l’a adressé. Il savait que la Revue d’E­conomie Poli­tique avait pub­lié un tas de coquilles qui étaient passées plus facile­ment qu’un cal­cul rénal !

Aredius44répondre
16 octobre 2013 à 9 h 16 min

Sav­i­gnac-Lédri­er

Sur Sav­i­gnac-Lédri­er, les Combescot

http://lefenetrou.blogspot.fr/2010/06/pierre-combescot-et-les-forges-de.html http://jumilhac.blogspot.fr/2007/05/la-forge-de-savignac-ldrier-sur-lauvzre.html

AMBLARDrépondre
27 août 2016 à 7 h 31 min

trés intéres­sant, bien
trés intéres­sant, bien documenté !

Claude Juil­letrépondre
16 septembre 2018 à 15 h 17 min

Prix du betail
Je trou­ve votre arti­cle tres inter­es­sant. Vous devez avoir des con­nais­sances agri­coles plus appro­fondies que les mienne.
Ma ques­tion : Quel etait le prix du betail de ferme dans les annees 1925 dans le Lot ain­si que le mate­r­i­al ? J’y ai passe mes vacances la. Pas loin de Roca­madour actuellement.
Si quelqun peut m’aider je serai reconnaissant.
ps. J’habite le nord de L’En­gleterre et mon fran­cais est rel­a­tivem­nt rouilles, apres pres de 50 ans dans ce pays.
Mer­ci a l’avance.
Claude Juillet.

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