Clément Colson

Clément Colson (X 1873) vice-président du Conseil d’État et professeur d’économie politique sous la IIIe République

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°772 Février 2022
Par Jacques-André LESNARD

Clé­ment Col­son est un de nos grands anciens à la car­rière remar­quable quoique mécon­nue. Conseiller d’État déta­ché dans le corps des Ponts, il a pré­si­dé en fin de car­rière la Haute Assem­blée. Mais il fut aus­si un émi­nent pro­fes­seur d’économie poli­tique, d’abord dans les débuts d’HEC, puis à l’École des ponts, à Sciences Po et enfin à Polytechnique.

(Léon) Clé­ment Col­son entre trei­zième à l’École poly­tech­nique en 1873 (le major était Hen­ri Poin­ca­ré, le futur mathé­ma­ti­cien). Né à Ver­sailles le 13 novembre 1853, il est le fils d’un direc­teur des contri­bu­tions directes de la Seine et le neveu de Paul Amé­dée Audi­bert (X 1847), qui pour­suit une très brillante car­rière admi­nis­tra­tive (ins­pec­teur des finances, direc­teur des contri­bu­tions indi­rectes au minis­tère des Finances, il devien­dra pro­cu­reur géné­ral près la Cour des comptes en 1880 et mour­ra en fonc­tions en 1886). Clé­ment Col­son entre dans le corps des Ponts et Chaus­sées, mais l’attrait de l’administration et l’influence fami­liale l’incitent à pas­ser sa licence en droit pen­dant l’école d’application, puis à ten­ter (et réus­sir) le concours d’entrée au Conseil d’État de l’automne 1878. 

À la jonction du technique et de l’administratif

Nom­mé audi­teur à comp­ter du 1er jan­vier 1879, Clé­ment Col­son devient – pos­si­ble­ment par l’entremise de son oncle Audi­bert – dès mai sui­vant sous-chef, puis chef de cabi­net (février 1881) du ministre des Tra­vaux publics, Charles de (Saulces de) Frey­ci­net (X 1846), homme poli­tique de pre­mier plan de la IIIe Répu­blique (il fut quatre fois pré­sident du Conseil entre décembre 1879 et février 1892, pour un total res­pec­table dans ce régime de 48 mois, mais il sera ensuite une vic­time col­la­té­rale de l’affaire de Panama). 

Une pre­mière loi du 18 mars 1878 avait impo­sé son idée d’un ambi­tieux pro­gramme d’investissements de tra­vaux publics ; dans un second temps, un rap­port de juin 1879, auquel on peut pen­ser que le jeune Col­son a contri­bué, débou­cha sur la loi du 17 juillet 1879, dite plan Frey­ci­net. Celle-ci affec­tait, à titre prin­ci­pal, 3 mil­liards de francs-or pour le che­min de fer, avec 16 000 km de voies nou­velles dont 8 848 km d’intérêt local, visant à relier toutes les sous-pré­fec­tures et le maxi­mum de chefs-lieux de can­ton. Ce vaste pro­gramme sera presque ache­vé en 1914, même si ses effets macroé­co­no­miques res­te­ront dis­cu­tés, après un démar­rage contra­cy­clique judi­cieux, en période de marasme éco­no­mique rela­tif (phase mon­diale des­cen­dante du cycle Kon­dra­tieff, de 1873 à 1895). 

Clé­ment Col­son pour­suit un cur­sus à l’intersection de la tech­nique et de l’administratif, deve­nant maître des requêtes déta­ché dans le corps des ingé­nieurs des Ponts, une sin­gu­la­ri­té rare ! Il se spé­cia­lise dans les che­mins de fer, la grande prio­ri­té d’équipement d’infrastructure de l’époque, visant à décloi­son­ner par un finan­ce­ment éta­tique le monde rural sinon à le ral­lier à la Répu­blique, à une époque anté­rieure à l’automobile.

Nom­mé adjoint du direc­teur des routes, che­mins de fer et canaux, Alfred Picard (X 1862, cet ingé­nieur des Ponts entre­ra au Conseil d’État au tour exté­rieur en 1882, devien­dra pré­sident de sec­tion puis briè­ve­ment vice-pré­sident de la Haute Assem­blée, entre le 27 février 1912 et son décès le 8 mars 1913), il en devient logi­que­ment le suc­ces­seur en février 1894. Mais avec son carac­tère entier, défen­dant de manière opi­niâtre ses convic­tions, il se heurte à son ministre et démis­sionne l’année sui­vante. Il reste pas­sion­né par le mode de trans­port fer­ro­viaire et occu­pe­ra ulté­rieu­re­ment la fonc­tion d’inspecteur géné­ral des Ponts et Chaus­sées (de deuxième classe en 1908, puis de pre­mière classe en 1912), après la paru­tion en 1907de son Abré­gé de la légis­la­tion dans les che­mins de fer et les tram­ways.

Un enseignant-chercheur à la tête du Conseil d’État

Retour­né au Conseil, pro­mu conseiller d’État dès 1897, il devient un membre influent de la sec­tion des Tavaux publics en rai­son de son acti­vi­té d’enseignant-chercheur. Après la Grande Guerre, il prend en 1920 la pré­si­dence de la sec­tion des finances de la Haute Assem­blée. Tar­di­ve­ment, à 70 ans, il en devient pour un quin­quen­nat le res­pon­sable en qua­li­té de vice-pré­sident de 1923 à 1928, cou­ron­ne­ment de sa car­rière admi­nis­tra­tive comme pre­mier fonc­tion­naire de l’État. On rap­pelle que, sym­bole de la sou­mis­sion de l’administration au pou­voir poli­tique, c’est un ministre, tra­di­tion­nel­le­ment le garde des Sceaux, qui est le pré­sident nomi­nal du Conseil d’État ; la fonc­tion de vice-pré­sident est pla­cée pro­to­co­lai­re­ment au pre­mier rang de la hié­rar­chie administrative.

“Une profonde influence dans les sphères dirigeantes.”

Paral­lè­le­ment en effet, Clé­ment Col­son déve­loppe une intense acti­vi­té d’enseignement et de réflexion éco­no­mique. Dès 1885, il pro­fesse les trans­ports, pen­dant vingt ans, aux élèves de la jeune École des hautes études com­mer­ciales (fon­dée en 1881). Il publie en 1889 un livre sur La garan­tie d’intérêts et son appli­ca­tion à l’exécution des tra­vaux publics, appro­fon­dis­sant la réflexion sur les mono­poles, s’intéressant à la for­ma­tion des prix et des salaires, en s’appuyant sur les don­nées de construc­tion des gares. À par­tir de 1892 il délivre, et pen­dant près de qua­rante ans, un cours vite répu­té d’économie poli­tique à l’École des ponts. 

En 1905 il est char­gé de trans­for­mer le cours de cir­cu­la­tion natio­nale en une vraie chaire d’économie poli­tique, à l’École libre des sciences poli­tiques de la rue Saint-Guillaume. Élu à l’Académie des sciences morales et poli­tiques (sec­tion d’économie poli­tique, sta­tis­tique et finances) en 1910, qu’il pré­si­de­ra en 1922, il accepte, pour­tant sexa­gé­naire, en 1914, d’enseigner l’économie à Poly­tech­nique pour une quin­zaine de pro­mo­tions, jusqu’en 1928. 

Le maître de Jacques Rueff

Il se sou­cie de pro­lon­ger sa réflexion éco­no­mique en for­mant des dis­ciples et en les pla­çant dans de grandes ins­ti­tu­tions : ain­si Fran­çois Divi­sia (X 1909), trente ans pro­fes­seur au Cnam, qui lui suc­cé­de­ra comme ensei­gnant à l’X ; ou René Roy ; et le plus connu, Jacques Rueff (X 1919S) au très brillant cur­sus admi­nis­tra­tif comme poli­tique, figure de proue de cette pépi­nière d’ingénieurs-économistes que pro­meut Clé­ment Col­son. S’il est en la matière pro­fon­dé­ment libé­ral, croyant dans les ver­tus du mar­ché, il s’écarte de l’école de Vienne en ne reje­tant pas l’intervention de l’État, en tant que régu­la­teur et dis­po­sant par les règles juri­diques du pou­voir coer­ci­tif. Il incline au déve­lop­pe­ment de la théo­rie du ser­vice public, dans le fil de la concep­tion déve­lop­pée par le Conseil d’État au cours du pre­mier tiers du ving­tième siècle. 

Sou­cieux de la dimen­sion psy­cho­lo­gique dans l’analyse éco­no­mique comme para­doxa­le­ment d’un essor de l’économétrie mathé­ma­tique dont il pré­side l’association, il sera un dis­tin­gué pré­sident de la SEP (socié­té d’économie poli­tique), alors cénacle répu­té de réflexions et d’échanges sur les sujets éco­no­miques et sociaux. Sa pro­fonde influence dans les sphères diri­geantes sera mise en lumière lors de son sou­tien à la déva­lua­tion du franc par Ray­mond Poin­ca­ré en 1928, puis lors de la paru­tion sous sa hou­lette de l’ouvrage col­lec­tif La situa­tion finan­cière de la France (1926).

Che­va­lier de la Légion d’honneur dès 1881, fait offi­cier par Alfred Picard en jan­vier 1895, il est pro­mu com­man­deur en 1919, puis éle­vé à la digni­té de grand offi­cier en 1923. La base « Léo­nore » montre qu’il serait deve­nu grand-croix en 1929, lors de sa tar­dive retraite. Veuf depuis 1905 avec une seule fille comme héri­tière, cet agnos­tique qui n’était pas franc-maçon meurt le 24 mars 1939. Notons que Clé­ment Col­son aura donc eu un cama­rade et suc­ces­seur à la tête du Conseil d’État, en la per­sonne de Didier-Roland Tabu­teau (X 78) nom­mé en jan­vier dernier.

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