Le général de Miribel

Le général de Miribel (X1851) artisan majeur de la revanche

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°770 Décembre 2021
Par Jacques-André LESNARD

Le général de Miri­bel est tombé dans l’oubli alors qu’il a joué un rôle majeur dans la recon­struc­tion de l’armée française à la fin du XIXe siè­cle. Cet ancien mérite un bon rap­pel de ses mérites. Soulignons qu’il a présidé notre association…

Qua­trième enfant d’une fratrie de cinq, Marie, François, Joseph, Ambroise Copin de Miri­bel naît au château de Mont­bon­not (en Isère) le 14 sep­tem­bre 1831, dans une famille anoblie sous le règne de Louis XIV. Son père prénom­mé Artus, colonel de gen­darmerie et offici­er de la Légion d’honneur, sera un temps maire de Greno­ble (1842–1845). Il entre à Poly­tech­nique en 1851 et opte pour une car­rière d’officier d’artillerie, arme pour laque­lle il aura une prédilec­tion tout au long de sa car­rière. Sor­ti de l’école d’application de Metz en avril 1855, il par­ticipe dès juin à la guerre de Crimée avec éclat, étant pro­mu lieu­tenant dès octo­bre, puis il est au retour d’expédition affec­té au pres­tigieux rég­i­ment d’artillerie à cheval de la Garde. 

Un serviteur efficace du Second Empire

Lors de la cam­pagne d’Italie, il se dis­tingue à Magen­ta pour recevoir la croix de cheva­lier de la Légion d’honneur, le 17 juin, mais il est blessé aux mains par une balle, à Solferi­no, le 24. Il est pro­mu en fin d’année 1859 au grade de cap­i­taine, à moins de 29 ans. Il par­ticipe ensuite à l’expédition au Mex­ique. Il se com­porte bril­lam­ment au deux­ième siège de Puebla en 1863 : réchap­pant mirac­uleuse­ment d’une recon­nais­sance noc­turne soli­taire, il com­mande, sur sa demande, le lende­main 29 mars, l’assaut dans une brèche où il reçoit une blessure légère à la tête : cita­tion à l’ordre de l’armée et pro­mo­tion comme offici­er dans l’ordre de la Légion d’honneur. À son retour, il est choisi (mai 1865) comme aide de camp par le maréchal Ran­don, min­istre de la Guerre, qui est soucieux de détecter les « forts poten­tiels » de l’armée. Il est amené à se pencher sur les ques­tions de logis­tique et de mobil­i­sa­tion à l’échelon nation­al, ce qui met en évi­dence ses qual­ités d’organisateur, lesquelles res­teront un point fort de sa car­rière. Récom­pen­sé par le grade de chef d’escadron en jan­vi­er 1867, il part comme attaché mil­i­taire à Saint-Péters­bourg en octo­bre 1868. Il est réputé avoir joué un rôle d’initiateur de l’alliance fran­co-russe, par son aisance à se mou­voir dans la haute société locale, mais plus cer­taine­ment en ravi­vant les liens noués lors de son déplace­ment en qual­ité de prési­dent, en 1887, de la mis­sion mil­i­taire française d’observation des grandes manœu­vres russes.
Il sera acteur des négo­ci­a­tions secrètes des étés 1890–1891.

Une belle guerre de 1870

Rap­pelé de Russie fin août 1870 à l’état-major du général Ducrot, nom­mé respon­s­able de l’artillerie de la 3e divi­sion, il mène avec brio le com­bat du 21 octo­bre dit de la « porte de Long­boy­au », en lisière du bois de la Mal­mai­son et terme de la rue de Rueil qui pren­dra son nom. Lieu­tenant-colonel le 3 novem­bre, il par­ticipe bril­lam­ment à nou­veau au com­bat de Champigny, puis se voit con­fi­er la 2e brigade d’infanterie, avec le grade de colonel dès le 14 décem­bre. Il obtient une nou­velle cita­tion à l’ordre de l’armée pour sa con­duite au feu lors de l’ultime et sanglante sor­tie des sol­dats parisiens assiégés, à Buzen­val-Rueil-Mal­mai­son le 19 jan­vi­er 1871. Il com­mande ensuite le 8e rég­i­ment d’artillerie en 1872 et le trans­fère deux ans plus tard à Châlons-sur-Marne. Il com­mande ensuite la 31e brigade d’infanterie (Bourges et Avord), sin­gu­lar­ité pour un artilleur, mais cela mon­tre un souci de par­faire la for­ma­tion en tous domaines d’un futur haut respon­s­able. Il reçoit les étoiles de brigadier le 3 mai 1875 – à moins de quar­ante-qua­tre ans – puis la troisième de divi­sion­naire en juil­let 1880, bien avant ses cinquante ans, ce qui mon­tre com­bi­en il était dis­tin­gué par ses supérieurs et recon­nu par ses pairs pour accéder aux plus hauts postes de la hiérar­chie militaire.

Défense de la porte de Longboyau, au château de Buzenval, le 21 octobre 1870 par Alphonse Marie de Neuville (dit Deneuville) (1835-1885). Paris, musée de l’Armée.
Défense de la porte de Long­boy­au, au château de Buzen­val, le 21 octo­bre 1870 par Alphonse Marie de Neuville (dit Deneuville) (1835–1885). Paris, musée
de l’Armée.


L’alliance franco-russe

Cet accord de sou­tien mutuel défen­sif entre France et Russie en cas d’attaque d’un mem­bre de la Trip­lice (Alle­magne, Autriche-Hon­grie, Ital­ie) doit beau­coup au général Raoul (Le Mou­ton) de Bois­d­ef­fre. Ce saint-cyrien, né en 1839, développe sa car­rière dans l’équipe du général Chanzy (Paris et armée de la Loire en 1870, gou­verneur général de l’Algérie 1873–1879) et sera attaché mil­i­taire entre 1879 et 1882 auprès de son chef devenu ambas­sadeur à Saint-Péters­bourg. Colonel com­man­dant le 106e RI à Châlons-sur-Marne, Bois­d­ef­fre est remar­qué par Miri­bel, chef du 6e corps, qui le prend ensuite comme chef d’état-major puis obtient qu’il devi­enne son adjoint en qual­ité de sous-chef d’état-major général. Invité offi­ciel aux grandes manœu­vres russ­es de 1890, pied de nez à Guil­laume II, Bois­d­ef­fre entre­prend des pour­par­lers avec Nico­las Niko­laïe­vitch Obroutchev, le « patron » mil­i­taire russe, époux d’une Française ; celui-ci séjourne l’été suiv­ant en France chez son épouse ; la négo­ci­a­tion secrète pro­gresse, avec la présence de Miri­bel, pen­dant que la flotte française fait une escale reten­tis­sante à Cron­stadt. Bois­d­ef­fre, nom­mé sur sug­ges­tion de Miri­bel con­seiller d’État en ser­vice extra­or­di­naire de l’Armée par un décret du 19 novem­bre 1881, pour parachev­er sans entrav­es la négo­ci­a­tion, fait sign­er par les deux par­ties le 17 août 1892 l’accord mil­i­taire secret. Miri­bel souhaitait que Bois­d­ef­fre fût son suc­cesseur et le fait nom­mer à la tête de la 9e DI le 11 sep­tem­bre 1892, pour qu’il acquière aupar­a­vant l’expérience d’un com­man­de­ment opéra­tionnel de divi­sion­naire. Cette expéri­ence sera inter­rompue au bout de quinze jours afin qu’il suc­cède à Miri­bel. Bois­d­ef­fre sera ambas­sadeur extraordinaire
de la République aux obsèques d’Alexandre III en 1894, puis en 1896 pour le couron­nement offi­ciel de Nico­las II. L’affaire Drey­fus et le J’accuse d’E. Zola l’amèneront à démis­sion­ner de son poste en sep­tem­bre 1898.


L’accès au commandement suprême

Chef d’état-major du 8e corps d’armée, sta­tion­né à Bourges et com­mandé… par Auguste Ducrot, il est appelé par le min­istre de la Guerre Gaë­tan de Rochebouët, choisi par Mac-Mahon, à la fonc­tion de chef d’état-major général en novem­bre 1877, en plein dans la crise du 16 mai, de sorte que cer­tains, dans le micro­cosme politi­co-jour­nal­is­tique de l’époque, le soupçon­neront de com­plot­er con­tre la République, en liai­son avec les deux généraux préc­ités. Exilé peu après à Lyon avec le grade de divi­sion­naire à la tête de la 28e divi­sion, un com­man­de­ment ter­ri­to­r­i­al, il est rap­pelé aus­sitôt dans sa fonc­tion supérieure par Léon Gam­bet­ta, lors de la con­sti­tu­tion de son grand min­istère en 1881, ce qui démon­tre sa loy­auté à la République. Certes Miri­bel est d’une ten­dance per­son­nelle con­ser­va­trice (catholique pra­ti­quant, huit enfants avec son épouse depuis 1866, ultime descen­dante de la famille noble des Chaste­lard, dans la Drôme, et fille d’un poly­tech­ni­cien, Ernest de Grouchy, sor­ti dans le corps des Mines et devenu préfet d’Eure-et-Loir). Retourné à Lyon dès l’année suiv­ante mais par­al­lèle­ment prési­dent du puis­sant Comité de l’artillerie (1882–1888), il com­mande ensuite (1887) le 6e corps, chargé des fron­tières de l’Est et unité majeure face à l’adversaire alle­mand. Charles de Freycinet (X 1846), devenu min­istre de la Guerre, réus­sit à le ramen­er à la fonc­tion suprême de l’armée en 1890, au terme de grandes manœu­vres réussies à Châlons-sur Marne, et dans le cadre d’une vaste réor­gan­i­sa­tion qui en fait le généralis­sime désigné en cas de con­flit. Tous les deux adoptent et font met­tre en ser­vice le canon de 75 (mod­èle 1887, longue­ment étudié par le Comité de l’artillerie), ain­si que le fusil Lebel, armes per­for­mantes et robustes qui pèseront dans la Grande Guerre. Il déploie aus­si les nou­velles troupes de mon­tagne (alors dénom­mées batail­lons alpins de chas­seurs à pied), dont les douze pre­miers batail­lons sont prévus par une loi du 27 décem­bre 1888, et bien enten­du il met en œuvre la loi sur le ser­vice uni­versel (enfin) votée en 1889.

Quelle postérité ?

La plaque de grand offici­er de la Légion d’honneur lui est décernée en 1889. Il pré­side la société des anciens de Poly­tech­nique en 1890, mais il meurt pré­maturé­ment dans le manoir drô­mois de son épouse, ex-mai­son forte remon­tant à 1250, sis à Hau­terives, le 12 sep­tem­bre 1893 (à deux jours de ses 62 ans) d’une crise d’apoplexie qui le fit tomber de cheval, au retour d’une tournée d’inspection dans les Alpes. Une belle stat­ue du général orne la place cen­trale du vil­lage. Son par­cours mon­tre, à rebours de l’opinion générale, com­bi­en il a béné­fi­cié d’une for­ma­tion appro­fondie par des affec­ta­tions de choix et var­iées, même si, selon les experts, son cas demeure plutôt une excep­tion dans une con­cep­tion de la hiérar­chie mil­i­taire de l’époque où pré­domine l’ancienneté. Au-delà de son souci de réus­sir la mobil­i­sa­tion générale le cas échéant, Miri­bel cherchera à étof­fer la for­ma­tion d’état-major des officiers, de par l’exemple alle­mand (Moltke) ou, en sens con­traire, le con­tre-exem­ple russe ; et en réac­tion, peut-être, à la sup­pres­sion du corps spé­ci­fique des officiers d’état-major, à la prussi­enne, mis en place après 1870 mais vite aban­don­né au prof­it du sys­tème de l’École de guerre (créée en 1876), recy­clage d’une année à plein temps, après le par­cours d’officier sub­al­terne. Son décès pré­maturé, après à peine trois ans de fonc­tions, explique l’évanouissement de sa renom­mée, d’autant que la grande muette sera sec­ouée juste après, de manière pro­longée, par les épisodes suc­ces­sifs de l’affaire Dreyfus.


Une famille de polytechniciens

Le général de Miri­bel est le mem­bre majeur d’une famille de poly­tech­ni­ciens du XIXe siè­cle, puisque son frère aîné a suivi la même for­ma­tion, puis deux de ses fils à la généra­tion suivante.
Son frère aîné : Hen­ri (1828–1872) est X 1848. Deux de ses trois fils : Marie-Joseph, Hen­ri (1867–1946), X 1886, colonel d’artillerie ; Marie-Ludovic, Fer­nand (1879–1967), X 1898, car­rière dans l’artillerie puis ver­sé dans l’aviation, général de brigade aéri­enne, com­man­deur de la Légion d’honneur. À not­er que son troisième fils, Marie-François, sans faire l’X, ter­min­era tout de même général de brigade. Famille de mil­i­taires bien représen­ta­tive des CSP+ de la France du XIXe !

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