Polytechniciens Justes parmi les Nations

Les polytechniciens Justes parmi les nations

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°782 Février 2023
Par Olivier HERZ (79)

Coup de pro­jecteur sur la place des poly­tech­ni­ciens par­mi ceux que l’État d’Israël a décidé de dis­tinguer en rai­son de leur rôle pour le sauve­tage des Juifs pen­dant l’Occupation. Le résul­tat de cette recherche est tout à l’honneur de la com­mu­nauté polytechnicienne.

Une loi israéli­enne de 1953 a créé le mémo­r­i­al de Yad Vashem à Jérusalem et a décidé d’honorer « les Justes par­mi les nations qui ont mis leur vie en dan­ger pour sauver des Juifs ». Plus haute dis­tinc­tion hon­ori­fique attribuée à des civils par l’État d’Israël, le titre de Juste par­mi les nations a été décerné à 28 217 per­son­nes, dont 4 206 en France (au 1er jan­vi­er 2022). Tirée du Tal­mud, l’expression orig­i­nale en hébreu sig­ni­fie lit­térale­ment « pieux des nations du monde ». Il nous est paru intéres­sant d’identifier les X ayant été nom­més Justes et de leur ren­dre ain­si hommage.


Tableau des X Justes parmi les nations

Poly­tech­ni­cien

Pro­mo

Com­mune du sauvetage

Dossier

Date

Jean Augeard (1923–2016)

1943

Alléri­ot (71)

6803

1995

Jacques Fau­re (1906–1993)

1926

Saint-Just-le-Mar­tel (87)

9930

2003

Pierre Gen­evey (1902–1972)

1921

Grasse (06)

7277

1996

Gas­ton Girousse (1880–1963)

1899

Paris (75)

11409

2008

Pierre Mer­lin (1914–2007)

1932

Saint-Avertin (37)

10560

2005

Pierre Robert de Saint-Vin­cent (1882–1954)

1903

Lyon (69)

3547

1993

Charles Sève (1890–1963)

1909

Ville­franche-sur-Saône (69)

1732

1980

La date est l’année de nom­i­na­tion au titre de Juste. Seuls Jean Augeard et Pierre Mer­lin ont reçu de leur vivant la médaille de Juste par­mi les nations.


La méthode de recensement

Une recherche dans La Jaune et la Rouge con­duit à Gas­ton Girousse (X1899), auquel son gen­dre, Pierre Mau­cour (X39), avait con­sacré un por­trait dans le numéro 654. Le site de Yad Vashem France nous con­duit à trois autres Justes, ain­si qu’à quelques cama­rades ayant été sauvés par des Justes, dont les frères Albert et Roland Glowin­s­ki (X58). Mais nous avons voulu rechercher l’exhaustivité, en employ­ant la méthode qui nous avait per­mis d’établir en 2017 la pre­mière liste des X médail­lés de la Résis­tance : voir dossier Le Grand Mag­nan 2017 annexé au numéro 727 de La Jaune et la Rouge.

Nous avons tout d’abord regroupé les listes des pro­mo­tions 1870 à 1945 (env­i­ron 17 000 ca­ma­rades) et des Justes de France (2 588 lignes, une même entrée pou­vant regrouper un cou­ple ou plusieurs mem­bres d’une même famille), trié l’ensemble par ordre alphabé­tique, puis cher­ché les per­son­nes com­munes aux deux listes, avec deux pré­cau­tions pour éviter les faux négat­ifs (X Justes pas­sant à tra­vers les mailles) : les noms à par­tic­ule et les prénoms (le prénom d’usage n’est pas tou­jours le pre­mier). Nous avons ensuite véri­fié les cor­re­spon­dances et écarté 131 faux posi­tifs (Justes homonymes d’X, nom et au moins un prénom com­mun). Ce tra­vail fut net­te­ment moins fas­ti­dieux que celui de 2017 (nous étions alors par­tis d’un annu­aire d’environ 48 000 médail­lés) et nous avons pu établir une liste de sept Justes X. Nous espérons n’en avoir omis aucun. 

Présentations sommaires

Jean Augeard et ses par­ents Mar­cel et Fer­nande, agricul­teurs, sont hon­orés pour avoir hébergé Ruth Ways de l’été 1942 à la Libéra­tion. Jean ter­min­era sa car­rière comme prési­dent de la CCI et de l’Union patronale de la Moselle. En mai 2016, un square des Justes est inau­guré à Thionville en présence du grand rab­bin de France et aumônier de l’X, Haïm Kor­sia (D17).

Jacques Fau­re et son épouse Simone, fille d’un offici­er mort pour la France 1915, sont hon­orés pour avoir accueil­li début 1944 une fil­lette de trois ans et demi, Viviane Fri­bourg. Offici­er d’artillerie, Jacques Fau­re ter­min­era sa car­rière comme général de division.

Pierre Gen­evey est recon­nu Juste avec son épouse Yvonne, fille du général Pierre Mat­ton (X1874). Lieu­tenant-colonel dans l’artillerie, il est en poste à Tarbes quand le cou­ple fait la con­nais­sance de Marie Red­lus, assis­tante de leur den­tiste. Début 1943, en rai­son de la tuber­cu­lose d’Yvonne, ils s’installent à Grasse chez le général Mat­ton, en emmenant Marie avec eux.

“Les X sont surreprésentés dans les statistiques de la Résistance et de la déportation.”

Prési­dent de com­pag­nies d’électricité, Gas­ton Girousse établit de faux doc­u­ments (cartes d’agent et ordres de mis­sion), per­me­t­tant à de très nom­breux Juifs et résis­tants de pass­er en zone libre. En par­ti­c­uli­er son avo­cat, Me Léon Net­ter, exclu du bar­reau, pour­ra trou­ver refuge en Suisse avec sa femme et sa belle-sœur, con­duits dans une voiture de ser­vice. Gas­ton Girousse aide aus­si d’autres per­son­nes, dont son cama­rade de pro­mo­tion Louis Cahen.

Pierre Mer­lin est nom­mé Juste avec son épouse Odile. Ingénieur des Ponts et Chaussées, il est affec­té en Indre-et-Loire où le cou­ple héberge début 1943 une gou­ver­nante juive, Rachel Cukier­man, placée par les sœurs de Notre-Dame de Sion. Pierre Mer­lin lui four­nit une fausse carte d’identité et la fait pass­er pour sa cousine. 

Un des fon­da­teurs de l’Amitié chré­ti­enne, œuvre fondée pour aider les Juifs per­sé­cutés, Pierre Robert de Saint-Vin­cent est gou­verneur mil­i­taire de la place de Lyon en 1942. Le 29 août, il refuse d’apporter le con­cours de l’armée à la gare de Per­rache pour procéder à la dépor­ta­tion de 550 Juifs vers Dran­cy. Il est limogé par Vichy le surlen­de­main et doit se cacher après l’invasion de la zone libre.

Charles Sève est nom­mé Juste avec son épouse Jeanne. À l’été 1936 en vacances en Angleterre, leur fille Bernadette ren­con­tre Denise Haltkows­ki. En vis­ite en août 1942 chez les Haltkows­ki réfugiés à Nîmes, Bernadette promet de les aider. Après l’invasion de la zone libre, Bernadette invite Denise à vivre chez elle comme « onz­ième enfant de la famille ».

Pour aller plus loin

Nous ne pou­vons entr­er davan­tage dans les détails et con­seil­lons les liens suiv­ants, le plus rapi­de étant de chercher via le numéro de dossier :

> https://righteous.yadvashem.org/ ;

> https://yadvashem-france.org/recherche-justes/ ;

> http://www.ajpn.org/ (Anonymes, Justes et per­sé­cutés durant la péri­ode nazie).

Par ailleurs, Pierre Robert de Saint-Vin­cent dis­pose d’une page sur Wikipé­dia et Gas­ton Girousse d’une biogra­phie sur le site de la bib­lio­thèque cen­trale de l’X.

Nous ter­minerons cet arti­cle en évo­quant quelques X dont les par­ents fig­urent au nom­bre des Justes par­mi les nations, étant enten­du qu’une recherche exhaus­tive serait très com­pliquée. Directeur de lycée, Arthur Varo­quaux (1879–1967), père de Jean-Arthur (X37), sauve le jeune Albert Kenigs­berg. À la tête d’une organ­i­sa­tion clan­des­tine, Roger Caza­la (1904–1944), père de Pierre (X54), sauve de nom­breux Juifs avant d’être arrêté sur dénon­ci­a­tion et de mourir en dépor­ta­tion. Émile Hugues (1901–1966) et son épouse Lucie Laf­fitte-Hugues (1890–1966), mère de Pierre Laf­fitte (X44), héber­gent Denys Levy, cama­rade de lycée de Pierre, et ses par­ents. Paul Ramadier (1888–1961), qui devien­dra prési­dent du Con­seil en 1947, et son épouse Mar­guerite (1889–1979), par­ents de Claude (X38), sauvent le pro­fesseur de droit Hen­ri Lévy-Bruhl et sa famille, ain­si que le député Salomon Grum­bach. Pierre Laf­fitte et Claude Ramadier ont par­ticipé en mai 1994 au voy­age du bicen­te­naire de l’École poly­tech­nique en Israël. À cette occa­sion, la famille Ramadier a dévoilé à Yad Vashem la plaque des Justes en l’honneur de Paul et Marguerite.


Si l’on con­sid­ère que les X représen­taient env­i­ron 0,035 % de la pop­u­la­tion adulte française sous l’Occupation, on con­state qu’ils sont sur­représen­tés dans les sta­tis­tiques qui suiv­ent. Nous n’entrerons pas dans les expli­ca­tions, il faudrait un autre arti­cle pour cela.

Médail­lés

Morts en

dépor­ta­tion

Com­pagnons

de la Libération

Justes par­mi

les nations

X

263

71

33

7

France

48 000

100 000 (*)

1 038

2 588 (**)

Fac­teur de sur-représentation

15

2

90

8

(*) Adultes unique­ment. (**) Nom­bre d’entrées du tableau. 


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