Une direction générale d’entreprise sous LBO

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006
Par Géraud FONTANIÉ (75)

EN TANT QUE cab­i­net de con­seil en man­age­ment des ressources humaines, Eurosearch Con­sul­tants inter­vient régulière­ment pour les fonds d’in­vestisse­ments auprès de leurs par­tic­i­pa­tions, notam­ment pour recruter leurs dirigeants. Nous avons voulu décrire, de manière humoris­tique, à tra­vers un cas d’en­tre­prise de taille moyenne, quelques sit­u­a­tions dif­fi­ciles spé­ci­fiques à ce type de mon­tage, et illus­tr­er les rôles de cha­cun, les jeux de pou­voir et les solu­tions appliquées.

Un obscur fleuron de notre industrie nationale

Le con­cours Lépine de 1934 est gag­né dans la caté­gorie mécanique par Mon­sieur Bertrand Brinque-Baland, grâce à un pro­duit par­ti­c­ulière­ment orig­i­nal : une soupière rem­plie en vrac de jar­retières métalliques est agitée mécanique­ment ; dans un bruit de volière, les pièces remon­tent sur des glis­sières le long des parois et sor­tent à vive allure mirac­uleuse­ment dis­posées tou­jours dans le bon sens.

Fort de ce beau suc­cès, la société anonyme “Bol Brinque Baland” naît la même année. L’en­tre­prise mul­ti­plie les dépôts de brevets, qui la con­duisent à devenir, après la guerre, un des prin­ci­paux four­nisseurs français de bols vibrants. Ses équipements ali­mentent en petites pièces les chaînes d’assem­blage et les machines spé­ciales et sont un des mail­lons de l’au­toma­ti­sa­tion. Ses prin­ci­paux clients sont l’in­dus­trie auto­mo­bile et l’élec­tromé­nag­er. Jouis­sant d’une forte notoriété, l’en­tre­prise mod­ernise son nom en B3 pour faciliter l’exportation.

B3 reste une société famil­iale. Son prin­ci­pal action­naire et prési­dent-directeur général est le petit-fils du fon­da­teur. Basée depuis tou­jours à Puteaux, quai de Dion-Bou­ton, elle emploie 300 salariés et réalise, bon an mal an, 45 M€ de chiffres d’af­faires. Elle exporte 10 % de ce chiffre vers la Bel­gique plutôt wal­lonne, la Suisse plutôt romande… et la Roumanie. À 62 ans, sans enfant, le Prési­dent s’est récem­ment remar­ié avec une splen­dide Roumaine, de trente ans sa cadette, avec laque­lle il aspire désor­mais à écouler des jours calmes et ensoleil­lés, loin de ses clients et de ses col­lab­o­ra­teurs, sur les bor­ds de la mer Noire. Il veut vendre.

Une bonne affaire

Cette ces­sion d’en­tre­pris­es de taille moyenne sus­cite l’in­térêt général des fonds d’in­vestisse­ments parisiens dans le non coté. L’ac­tion­naire les met habile­ment en con­cur­rence et c’est Sonchelles Pri­vate Equi­ty, vieille mai­son issue des sucreries du même nom, qui se mon­tre la plus intéressée. Car l’af­faire, gérée en bon père de famille, con­tient quelques pépites. Elle est pro­prié­taire de son immeu­ble à Puteaux, et dis­pose d’une tré­sorerie abon­dante. Elle a man­i­feste­ment une forte marge de pro­gres­sion : elle peut devenir le leader du marché français et accom­pa­g­n­er ses grands don­neurs d’or­dres dans leurs implan­ta­tions indus­trielles à l’export.

Après s’être assuré du poten­tiel, et avoir éval­ué les risques par une série d’au­dits financiers et juridiques fouil­lés de due dili­gence, Sonchelles PE veut con­va­in­cre le man­age­ment en place de s’en­gager à ses côtés dans une opéra­tion de rachat par LBO. François Bolduc, directeur com­mer­cial, Vin­cent Goupille, directeur indus­triel, et Gas­ton Pias­tre, compt­able, décou­vrent le mécan­isme du LBO et se font con­seiller par un inter­mé­di­aire sor­ti de leurs manch­es. Le pack­age qui leur est offert est attrayant. Leur rémunéra­tion de base est aug­men­tée d’une part vari­able allant de 20 à 50%. À eux trois, ils accè­dent à 25 % du cap­i­tal moyen­nant un investisse­ment per­son­nel de 100 à 300 K€ cha­cun. Au bout de cinq ans à la sor­tie de l’opéra­tion, leur mise ini­tiale pour­rait être mul­ti­pliée par dix. Sonchelles PE emporte l’affaire.

Un con­seil de sur­veil­lance et un direc­toire sont immé­di­ate­ment mis en place. François Bolduc, 38 ans, dynamique, com­pé­tent, intè­gre, en un mot recom­mandé par l’an­cien action­naire, est nom­mé prési­dent du Direc­toire. Il doit men­er, avec les deux autres man­agers action­naires et mem­bres du direc­toire, un busi­ness plan ambitieux de 10 % de crois­sance par an et autant de réduc­tion de coûts qui, com­binés, doivent dégager un cash-flow réguli­er per­me­t­tant de rem­bours­er la dette ban­caire sur cinq ans.

La pre­mière année est rude pour Bolduc. Il doit s’af­firmer comme le suc­cesseur légitime de Brinque-Baland, qui lui a lais­sé quelques dossiers dif­fi­ciles agré­men­tés de cadavres dans les plac­ards. Il sécurise en pri­or­ité les rela­tions com­mer­ciales que l’an­cien prési­dent avait con­servées. Il se sépare de quelques incom­pé­tents notoires pro­tégés trop longtemps. Il con­stru­it le dossier pour faire jouer la garantie de passif.

Sonchelles PE de son côté ne reste pas inac­tive. À tra­vers la hold­ing finan­cière, elle rachète un, puis deux bureaux d’é­tudes, en province, spé­cial­isées dans les bols vibrants, et accroît sig­ni­fica­tive­ment la part de marché nation­al de B3. Il faut fusion­ner les équipes, puis fer­mer les sites et rap­a­tri­er les hommes clefs. Cette stratégie de build up trans­forme B3 en leader nation­al et aug­mente indis­cutable­ment la valeur de l’ensemble.

Cette marche for­cée tend les rela­tions entre les mem­bres du Direc­toire. Vin­cent Goupille s’op­pose de plus en plus fréquem­ment sur la manière de faire. Il appa­raît comme un obsta­cle au change­ment à François Bolduc, qui con­va­inc les action­naires de se sépar­er de lui mal­gré les 10 % d’ac­tions qu’il détient. Gas­ton Pias­tre, plus effacé et con­nais­sant bien ses lim­ites en tant que man­ag­er, s’in­cline. François Bolduc devient le seul maître à bord.

Les trois années qui suiv­ent lui per­me­t­tent de réor­gan­is­er la société autour d’une démarche qual­ité couron­née par une cer­ti­fi­ca­tion ISO 9001. Il réalise une belle per­cée com­mer­ciale dans l’élec­tron­ique grand pub­lic, et dans la micro-infor­ma­tique. En par­al­lèle, il ori­ente sa poli­tique d’achat vers les pays à bas coût de main-d’œuvre.

Mal­gré ces efforts, le chiffre d’af­faires de B3 ne croit que de 3 % par an dans une con­jonc­ture d’in­vestisse­ments indus­triels totale­ment déprimée. Sous le feu des acheteurs de ses don­neurs d’or­dres, ses marges com­mer­ciales bais­sent d’au­tant. In bonis, B3 peine à dégager des résul­tats suff­isants pour rem­bours­er la dette ban­caire. Les investisse­ments en R & D et en équipements de pro­duc­tion en souf­frent. François Bolduc a la con­vic­tion que l’en­tre­prise a été achetée trop chère et que le rem­bourse­ment de la dette obère le développe­ment de l’en­tre­prise. Sonchelles PE est per­plexe ; le prési­dent du Direc­toire est-il vrai­ment l’homme de la situation ?

L’homme providentiel

Sonchelles PE est régulière­ment en con­tact avec des dirigeants de grandes entre­pris­es qui lui man­i­fes­tent leur intérêt pour repren­dre des PME. Ain­si s’est dernière­ment présen­té Igna­cio Mat­a­casa, vice-prési­dent d’Huri­cane Cor­po­ra­tion pour l’Eu­rope, le Moyen-Ori­ent et l’Afrique. De dou­ble nation­al­ité fran­co-espag­nole, ce poly­tech­ni­cien de 48 ans est aus­si diplômé de la Lon­don Busi­ness School. Il a accom­pli l’essen­tiel de sa car­rière dans ce groupe améri­cain de gros élec­tromé­nag­er pour lequel il a dévelop­pé un chiffre d’af­faires de 500 M°Ë en Alle­magne, en Angleterre, en France, en Turquie et en Égypte. Dirigeant inter­na­tion­al, mul­ti­cul­turel, charis­ma­tique, il a man­agé des équipes impor­tantes de plusieurs mil­liers de per­son­nes répar­ties sur trois continents.

Bril­lant, Mat­a­casa apporte de la hau­teur de vue, ce qui con­traste cru­elle­ment avec le côté terre à terre de Bolduc. Sonchelles PE lui con­fie une mis­sion de con­seil pour effectuer un diag­nos­tic et pro­pos­er une nou­velle vision stratégique. En quelques semaines, il est capa­ble de trac­er des per­spec­tives promet­teuses, de définir une nou­velle ambi­tion qui renoue avec une crois­sance à deux chiffres, et il pro­pose une nou­velle organ­i­sa­tion en busi­ness units. Il paraît être l’homme providentiel.

Avant de lui con­fi­er les rênes de B3, Sonchelles PE fait appel à Eurosearch pour con­forter son impres­sion favor­able par une éval­u­a­tion du can­di­dat et une prise de références pro­fes­sion­nelles. Mat­a­casa est incon­testable­ment vif comme l’é­clair et fasci­nant, mais on n’est pas sûr de com­pren­dre sa con­tri­bu­tion per­son­nelle aux suc­cès qu’il revendique. Les références vont con­firmer qu’il est un homme de grande entre­prise, qui sait s’ap­puy­er et tir­er par­ti de col­lab­o­ra­teurs com­pé­tents. Ses postes suc­ces­sifs n’ont jamais dépassé trois ans et il est dif­fi­cile de mesur­er sa pro­pre con­tri­bu­tion aux dires de ses pairs. Ses col­lab­o­ra­teurs ont par­fois du mal à suiv­re ses visions ful­gu­rantes. Leader charis­ma­tique, il est loin des contingences.

Dans une PME dont la taille est dix fois plus petite, il y a peu de relais et il faut non seule­ment don­ner l’im­pul­sion mais aus­si pilot­er et achev­er les actions engagées, aller jusqu’au bout de tâch­es ingrates. Igna­cio Mat­a­casa n’est pas adap­té à la taille de l’en­tre­prise qui requiert autant un stratège qu’un opéra­tionnel chevron­né, en somme un homme-orchestre.

Une recherche schizophrénique

Pour Sonchelles PE, le prob­lème reste entier et il con­fie alors à Eurosearch une mis­sion de recherche d’un nou­veau directeur général. Il s’ag­it de trou­ver un dirigeant entre­pre­neur capa­ble de repren­dre rapi­de­ment les rênes de l’en­tre­prise et de ren­forcer sa valeur à la sor­tie de l’opéra­tion finan­cière, dans un hori­zon de dix­huit à vingt-qua­tre mois. Il doit s’af­firmer comme le véri­ta­ble patron opéra­tionnel et met­tre de l’or­dre dans les défail­lances révélées par la mis­sion de conseil.

Le recrute­ment de ce dirigeant ne doit pas cepen­dant créer de rup­ture d’ex­ploita­tion. La mis­sion sera payée par B3, et, en con­séquence, doit être ven­due à François Bolduc. Celui-ci a déjà assez mal perçu la mis­sion de con­seil et accepte avec réti­cence de se dot­er d’un nou­veau mem­bre du Direc­toire. Il souhaite à la rigueur un directeur indus­triel com­pé­tent, loy­al, sans trop d’en­ver­gure qu’il puisse con­trôler sans dif­fi­culté. Le com­mer­cial ne lui serait bien sûr pas confié.

Beau­coup de nuances et de per­sua­sion per­me­t­tent de débouch­er sur un pro­fil accept­able pour les deux par­ties : un véri­ta­ble numéro 2 doté de pou­voirs réels. La dif­férence de points de vue n’est pas vrai­ment résolue. En cette matière, c’est l’ac­tion­naire qui est le décideur final. Il souhaite que le cab­i­net de chas­se lui présente des can­di­dats sur­di­men­sion­nés par rap­port au pro­fil affiché, tout en évi­tant de créer une crise de man­age­ment qui repousserait de plusieurs semes­tres la sortie.

Quel dirigeant acceptera de quit­ter son poste pour une mis­sion de tran­si­tion dans une PME à l’avenir borné à vingt-qua­tre mois par le change­ment d’ac­tion­naire prin­ci­pal ? Ce poste va cepen­dant attir­er des man­agers de pre­mier plan, qui souhait­ent devenir dirigeant investis­seur. Il ne s’ag­it pas pour eux d’obtenir un intéresse­ment en com­plé­ment de leur rémunéra­tion, mais bien de béné­fici­er de toute leur valeur ajoutée en tant qu’en­tre­pre­neur action­naire physique de leur entreprise.

Ces pro­fils se trou­vent dans les clubs de repre­neurs d’en­tre­prise, comme XMP-Entre­pre­neur, où sont act­ifs des dirigeants entre deux postes.

La négo­ci­a­tion de leur pack­age reflète leur moti­va­tion réelle. Leur rémunéra­tion salar­i­ale se doit d’être au niveau du marché avec une part vari­able de 20 à 50 %. Elle est sec­ondaire vis-à-vis de leur par­tic­i­pa­tion à la plus-val­ue réal­isée au moment de la vente de la société. Ain­si est-il néces­saire de les faire accéder au cap­i­tal dans des con­di­tions priv­ilégiées, par exem­ple à l’aide de bons de souscrip­tion en actions. Ils sont sou­vent encore plus motivés par la pos­si­bil­ité de réalis­er une nou­velle opéra­tion de LBO avec un autre fonds sur un hori­zon com­plet de cinq ans afin de béné­fici­er de la total­ité de l’ef­fet de levier.

L’ap­proche directe iden­ti­fie alors d’ex­cel­lents pro­fils dont la com­pé­tence pointue dans le domaine ciblé est avérée par des résul­tants probants dans des entre­pris­es, des fil­iales ou des busi­ness units de taille supérieure mais com­pa­ra­ble. Les can­di­dats sont motivés par l’en­tre­prise et le défi qu’elle leur pro­pose. Leur per­son­nal­ité et leur expéri­ence con­va­in­quent les actionnaires.

Un coup de tabac

Fin octo­bre, le Con­seil de sur­veil­lance exam­ine avec le Direc­toire les résul­tats du troisième trimestre. François Bolduc, la mine som­bre et l’air embar­rassé, annonce bru­tale­ment des résul­tats déce­vants, et passe aus­sitôt la parole à Gas­ton Pias­tre. D’une voix sin­istre, ce dernier présente en détail des chiffres forte­ment dégradés. L’en­tre­prise a fait des pertes au troisième trimestre ; l’ex­er­ci­ce annuel devrait se clô­tur­er juste à l’équili­bre, si la con­jonc­ture se redresse comme cha­cun l’e­spère et peu y croient.

Les admin­is­tra­teurs de Sonchelles PE sont con­sternés ; rien de tout cela n’é­tait prévu. Et leur colère monte vis-à-vis du prési­dent de Direc­toire qui n’a pas su éviter ce trou d’air qui repousse l’hori­zon de sor­tie. Ce lam­en­ta­ble Pias­tre n’a rien vu venir. Mal­gré un report­ing men­su­el, le con­trôle de ges­tion paraît man­i­feste­ment inefficace.

Face à cette sit­u­a­tion de crise, l’ur­gence d’un nou­veau directeur général s’af­firme un peu plus, mais son pro­fil vu par Sonchelles a changé. L’ex­péri­ence du dirigeant en matière de redresse­ment d’en­tre­prise leur paraît pri­mor­diale. Les qual­ités de développeur com­mer­cial, d’en­traîne­ment des hommes et de struc­tura­tion de l’or­gan­i­sa­tion s’ef­facent au prof­it d’une forte per­son­nal­ité, direc­tive et sans état d’âme, capa­ble de réduire les coûts, d’abaiss­er le point mort, de couper les activ­ités insuff­isam­ment renta­bles pour retrou­ver au plus vite des résul­tats positifs.

En par­al­lèle, Bolduc tra­vaille d’ar­rache-pied sur un plan de redresse­ment et de tré­sorerie pour le dernier trimestre. L’équipe en place a déjà démon­tré sa réac­tiv­ité dans le passé et la per­ti­nence de ses mesures de redresse­ment. Dans une telle sit­u­a­tion, un change­ment de direc­tion provo­querait un trau­ma­tisme qui risque d’an­cr­er durable­ment l’en­tre­prise dans la crise.

Eurosearch con­va­inc Sonchelles PE de con­serv­er le cap sur le pro­fil du dirigeant à recruter et de renou­vel­er sa con­fi­ance à l’équipe en place, tout en l’aidant dès main­tenant. Mal­gré son dévoue­ment et son courage, Gas­ton Pias­tre ne dis­pose pas de toutes les com­pé­tences. Le cab­i­net organ­ise une mis­sion d’in­térim de direc­tion pour ren­forcer le con­trôle de ges­tion. Un ancien directeur admin­is­tratif et financier d’une grande entre­prise d’ingénierie, fort de ses trente ans d’ex­péri­ence, les aide pen­dant trois mois à met­tre en oeu­vre une éval­u­a­tion et un suivi des risques, un con­trôle des coûts et un cal­cul de la marge opéra­tionnelle pour la con­duite de chaque projet.

L’attelage

Il faut main­tenant choisir par­mi les trois can­di­dats dirigeants investis­seurs qui ont été présen­tés. Cha­cun a fait ses preuves en tant que directeur général d’un cen­tre de prof­it dans un secteur con­nexe ; leur dif­férence réside prin­ci­pale­ment dans leur per­son­nal­ité. L’un d’en­tre eux, issu du secteur de la machine-out­il, con­naît déjà par­faite­ment les clients, les risques de cette activ­ité, et les ficelles du méti­er. Il a un pro­fil com­mer­cial comme Bolduc qui a un con­tact facile avec lui.

À l’autre extrémité du pan­el, se situe un out­sider, issu de l’élec­tromé­nag­er. Man­ag­er tout ter­rain, il a tra­ver­sé des sit­u­a­tions très dif­fi­ciles ; un peu lent dans son approche, il frappe par ses ques­tions sim­ples qui por­tent sur le fond des choses ; plutôt indus­triel, il est struc­turé autour de valeurs humaines fortes. Le troisième can­di­dat con­stitue une solu­tion de com­pro­mis sus­cep­ti­ble de réu­nir Direc­toire et Con­seil de sur­veil­lance en cas de dif­férend sur les deux pre­miers candidats.

François Bolduc écarte son clone et choisit courageuse­ment l’out­sider. Mal­gré les dif­fi­cultés prévis­i­bles dues à leur dif­férence de per­son­nal­ités, il priv­ilégie spon­tané­ment les com­pé­tences man­agéri­ales qui man­quent aujour­d’hui à B3. Sonchelles PE partage le même choix de son côté. Un con­sen­sus se crée facile­ment autour d’un homme en chair et en os plutôt que sur des idées.

La négo­ci­a­tion achevée sur son pack­age, l’heureux élu rejoint l’en­tre­prise une fois libéré de ses divers engage­ments, soit six mois après le démar­rage de la recherche. Le partage du pou­voir entre le prési­dent du direc­toire et ce nou­veau directeur général sera dif­fi­cile. Le périmètre des respon­s­abil­ités de cha­cun et leurs objec­tifs sont défi­nis pré­cisé­ment avec le con­seil de sur­veil­lance. Eurosearch suit pen­dant six mois l’in­té­gra­tion du nou­veau venu.

Le nou­veau directeur fait le tour des man­agers qu’il séduit par sa fer­meté. Il col­mate les brèch­es les plus sim­ples avec prag­ma­tisme et com­pé­tence. Il incar­ne rapi­de­ment un nou­v­el élan pour l’ensem­ble du per­son­nel qu’il fédère autour d’ob­jec­tifs à court terme. Il apprend à tra­vailler avec François Bolduc, de pair à pair. L’équipe de direc­tion appa­raît ren­for­cée aux yeux de Gas­ton Pias­tre et de tous les salariés.

L’ef­fi­cac­ité de leur tan­dem con­di­tionne en effet le suc­cès de l’en­tre­prise et sa valeur à la vente. François Bolduc en est bien con­scient. Il apprend à respecter et à estimer celui qui va lui per­me­t­tre de réalis­er pleine­ment la plus-val­ue de son investisse­ment financier en tant qu’ac­tion­naire. Il sait qu’il devra s’ef­fac­er puis se retir­er dans vingt-qua­tre mois pour lui laiss­er réalis­er un LBO sec­ondaire. Après tout, cela était déjà inscrit dans le con­trat ini­tial avec Sonchelles PE.

Sonchelles PE se réjouit de cette nou­velle équipe. Un recul sur cette crise lui mon­tre qu’il a été aveu­gle sur le fonc­tion­nement de l’en­tre­prise mal­gré un report­ing réguli­er. Son impli­ca­tion pour­rait lui être reprochée comme une ges­tion de fait en cas de dépôt de bilan. Eurosearch lui pro­pose de nom­mer au con­seil de sur­veil­lance un admin­is­tra­teur indépen­dant qui apporte un réel savoir-faire dans ce méti­er et saura à la fois détecter les signes précurseurs et con­seiller opéra­tionnelle­ment le directoire.

Épilogue mondain

La chronique nécrologique du Figaro nous apprend le départ soudain du regret­té Ben­jamin Brinque-Baland, ancien prési­dent-directeur général de la société B3 fondée par son grand-père en 1934, qui a été emporté par un acci­dent car­dio-vas­cu­laire, après six mois d’une cui­sine man­i­feste­ment trop grasse.

Neuf mois plus tard, le car­net du Figaro nous apprend l’heureux mariage de Madame Cal­lip­i­es­cu, ravis­sante veuve de Ben­jamin Brinque-Bra­land, avec Mon­sieur François Bolduc, ancien prési­dent du direc­toire de B3, venu chercher refuge après son départ de la société auprès de la veuve éplorée.

Le décès soudain de François Bolduc ne fit vrai­ment l’ob­jet d’au­cune pub­lic­ité dans Le Figaro. Alexan­dra Cal­lip­i­es­cu, en faisant le compte de ses droits de suc­ces­sion sur l’héritage de ses deux frag­iles maris, se dit qu’elle avait ain­si pu touch­er deux fois le prix de la vente de B3. Mais peut-être pas­sait- elle à côté d’une troisième oppor­tu­nité. Elle écriv­it le soir même un petit mot trag­ique implo­rant une ren­con­tre au prési­dent de Sonchelles PE, qui venait enfin de ven­dre B3 et dont le nom de famille com­mence très curieuse­ment par un B…

Conclusion

Mal­gré son ton satirique, ce cas présente des sit­u­a­tions vécues, dont quelques enseigne­ments peu­vent être tirés au titre de retour d’expérience.

1) On con­state une usure rapi­de du dirigeant, si ce dernier ne dis­pose pas de l’essen­tiel des com­pé­tences req­ui­s­es pour faire face à une grande var­iété de sit­u­a­tions. Les cadres dirigeants de grandes entre­pris­es ne sont pas néces­saire­ment pré­parés ni aptes à con­duire une struc­ture très mai­gre sans beau­coup de relais man­agéri­aux, sur le chemin d’une crois­sance à marche forcée.

2) Les chances de réus­sir le busi­ness plan de l’en­tre­prise peu­vent être sig­ni­fica­tive­ment accrues par quelques bonnes pratiques :

éval­uer au moment du rachat de l’en­tre­prise la com­pé­tence col­lec­tive de l’équipe dirigeante et son mode de fonc­tion­nement afin de dot­er l’en­tre­prise dès le départ des moyens humains néces­saires pour dou­bler la valeur en cinq ans ;
• s’ap­puy­er sur un admin­is­tra­teur indépen­dant qui pos­sède une con­nais­sance opéra­tionnelle du méti­er ou du marché de l’en­tre­prise afin de pou­voir débat­tre avec per­ti­nence de la stratégie, décel­er les sig­naux faibles et soutenir le dirigeant dans les moments cri­tiques que l’en­tre­prise ne man­quera pas de traverser ;
• préfér­er l’in­térim de direc­tion au con­seil en cas de besoin ponctuel, car, faute de relais man­agéri­aux, les meilleures idées restent sou­vent let­tre morte. La dif­fi­culté prin­ci­pale réside dans l’exécution.

3) La recherche d’un suc­cesseur au directeur général peut paraître déli­cate, mais, cor­recte­ment intro­duite, elle per­met de redonner du souf­fle à l’en­tre­prise et rend pos­si­ble un LBO sec­ondaire. Out­re une bonne ges­tion des risques, la mise en oeu­vre d’un plan de suc­ces­sion est donc une approche prag­ma­tique qui améliore la liq­uid­ité de la par­tic­i­pa­tion. 50% des sor­ties se font aujour­d’hui sous forme de LBO secondaire.

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