Un exemple concret de mise en œuvre de la RSE : le cas de Manexi

Dossier : RSEMagazine N°751 Janvier 2020
Par Damien RACLE (93)

L’auteur présente sur un mode très per­son­nel ses moti­va­tions, son expéri­ence et ses con­seils pour une appli­ca­tion des principes de la RSE dans une entre­prise réelle. Tant il est vrai qu’importe moins pour le suc­cès d’une telle démarche la tech­nique man­agéri­ale que l’implication pro­fonde et con­va­in­cue du management.

Pour com­pren­dre pourquoi nous nous sommes lancés dans la mise en place d’une poli­tique RSE au sein de Manexi, il me sem­ble impor­tant de don­ner quelques élé­ments de con­texte et mon­tr­er ain­si com­ment mes con­vic­tions autour de la RSE se sont forgées au fil de mes expéri­ences. Diplômé de l’École, je souhaitais tra­vailler dans les métiers de l’eau en sor­tie d’école d’application. Ce méti­er m’attirait car je le con­sid­érais comme « utile » et donc ayant beau­coup de sens. Œuvr­er au quo­ti­di­en pour capter, pota­bilis­er et dis­tribuer l’eau, ressource essen­tielle s’il en est, a été pour moi une révéla­tion : le car­ac­tère « utile » de mon job serait désor­mais une néces­sité absolue.

La RSE, le départ d’une aventure

En 2014, j’ai ressen­ti le besoin de vivre une aven­ture entre­pre­neuri­ale afin d’agir con­crète­ment en con­frontant mes con­vic­tions man­agéri­ales et socié­tales à la direc­tion d’une entre­prise. J’ai donc décidé de me lancer un défi très dif­férent : rejoin­dre une PME. Le pro­jet du moment était avant tout humain (com­ment man­ag­er autrement ? com­ment impli­quer des salariés dans la stratégie d’une entre­prise pour qu’ils ne la subis­sent pas mais qu’ils soient acteurs ?) et socié­tal (com­ment avoir un impact con­cret sur l’environnement ou la société ?).

C’est au cours de deux for­ma­tions à la reprise d’entreprise (XMP Entre­pre­neur et CRA Nan­terre) que j’ai eu l’opportunité de tra­vailler sur mon pro­jet. Le cahi­er des charges auquel j’ai abouti était le suiv­ant : « Repren­dre et dévelop­per une PME qui com­mer­cialise des pro­duits ou des ser­vices ayant un impact envi­ron­nemen­tal ou socié­tal. » Un pro­jet RSE qui s’ignorait… En mai 2015, j’ai rejoint Manexi en tant que dirigeant et action­naire minori­taire avec la con­vic­tion que je pour­rais réelle­ment « agir ».


REPÈRES

Manexi est un bureau d’études tech­niques du bâti­ment avec une équipe à la fois jeune (34 ans de moyenne d’âge), très tech­nique (impliquée dans les rédac­tions de normes et de bonnes pra­tiques) et ayant un dou­ble impact : envi­ron­nemen­tal (effi­cac­ité énergé­tique, label­li­sa­tion) et socié­tal (ges­tion des risques ami­ante et plomb, iden­ti­fi­ca­tion et traite­ment des prob­lèmes de sat­ur­nisme et d’insalubrité).


Les premiers pas

À l’issue de la fameuse péri­ode des cent pre­miers jours, j’ai défi­ni les grands principes de notre stratégie autour de qua­tre piliers (ges­tion et développe­ment des com­pé­tences ; développe­ment et mise en œuvre d’outils infor­ma­tiques adap­tés à nos métiers ; amélio­ra­tion de la qual­ité et de la per­for­mance opéra­tionnelle ; inno­va­tion et développe­ment com­mer­cial) et une philoso­phie sous-jacente : bâtir la stratégie de Manexi avec l’ensemble des équipes, dans une démarche de cocon­struc­tion impli­quant l’ensemble des salariés.

C’est dans cet esprit que nous nous sommes attaqués à notre pre­mier chantier RH : définir notre sys­tème de valeurs. Cha­cun a besoin de savoir dans quel environ­nement il évolue et s’il est en accord avec les déci­sions pris­es au sein de l’entreprise. De même, l’entreprise doit s’assurer que ses salariés adopteront en toutes cir­con­stances un com­porte­ment en cohérence avec sa stratégie. Nous avons ain­si établi un sys­tème de six valeurs dont nous pen­sions qu’elles seraient à même de fédér­er nos actions quo­ti­di­ennes : atten­tion portée à nos clients, qual­ité de nos presta­tions, mais aus­si le vivre ensem­ble, l’éthique et la con­science de l’impact de nos actions sur l’environnement.

Une mesure de l’adhésion aux valeurs s’est révélée intéres­sante à plusieurs titres : notam­ment le thème de l’engagement durable (ou de respon­s­abil­ité) est apparu comme très con­trasté et présen­tait un écart notable entre le comité de pilotage de l’entreprise et les équipes. C’est cette 6e valeur qui a été à l’origine de la suite du proces­sus. Nous avons donc décidé de pour­suiv­re l’effort en bâtis­sant notre future poli­tique RSE.

“Un projet avant tout humain.”

La construction de notre démarche

Lorsque j’ai repris Manexi, il exis­tait déjà une poli­tique RSE qui avait été définie par la précé­dente équipe de direc­tion. J’ai fait les con­stats suiv­ants : la poli­tique RSE de Manexi était peu ou pas con­nue des salariés ; elle était très peu liée à la stratégie ; un cer­tain nom­bre d’actions n’avaient pas été lancées et la ques­tion de leur car­ac­tère pri­or­i­taire ou de leur per­ti­nence se posait ; beau­coup d’axes avaient été défi­nis, ren­dant dif­fi­cile la mise en œuvre ou le suivi des actions. En résumé : trop com­pliquée, pas assez opéra­tionnelle, trop loin des par­ties prenantes, pas assez ori­en­tée « business »…

Les prin­ci­paux élé­ments du « cahi­er des charges » défi­ni pour une nou­velle poli­tique étaient les suiv­ants : dis­pos­er d’une poli­tique RSE qui soit le reflet de notre stratégie afin qu’elle soit au cœur de notre action quo­ti­di­enne et non pas « en par­al­lèle », voire « en plus » ; impli­quer l’ensemble des par­ties prenantes, les salariés, les clients, les four­nisseurs, les action­naires et les parte­naires de l’entreprise ; avoir un nom­bre raisonnable d’engagements et des objec­tifs lis­i­bles, étalés sur une péri­ode de trois ans, facil­i­tant la mise en œuvre et le suivi d’actions ambitieuses ; traduire dans les faits le lien entre per­for­mance sociale et per­for­mance économique.

Prendre en compte notre singularité

Nous avons fait le choix d’un ama­teurisme sincère et assumé : pas d’accompagnement par des pro­fes­sion­nels du sujet pour ne pas dupli­quer quelque chose qui existe déjà ; déf­i­ni­tion de thé­ma­tiques qui nous sem­blaient essen­tielles pour Manexi du fait de sa sin­gu­lar­ité (ses salariés, ses clients, ses action­naires…) ; plutôt une poli­tique accep­tée de tous qu’une poli­tique par­faite non com­prise. Pour la méth­ode, nous avons recon­duit celle qui nous avait per­mis de met­tre en place le sys­tème de valeurs : un groupe de tra­vail, des réu­nions d’échange, une ver­sion « brouil­lon » soumise aux col­lab­o­ra­teurs puis une ver­sion final­isée actée en CoDir et présen­tée lors de notre pre­mier sémi­naire (mai 2016). 

Nous avons mis en place, courant 2016, une poli­tique RSE artic­ulée autour de quinze engage­ments répar­tis sur qua­tre axes : cinq engage­ments pour les femmes et les hommes de l’entreprise ; trois pour nos clients ; deux pour l’environnement ; cinq pour un développe­ment durable de l’entreprise.

Après avoir procédé à une pre­mière éval­u­a­tion et tiré les pre­miers enseigne­ments de ce qui avait fonc­tion­né et de ce qui n’avait pas fonc­tion­né (notam­ment l’impos­sibilité de mesur­er cer­tains indi­ca­teurs), nous avons décidé de ren­forcer la démarche en inté­grant en fin d’année un col­lab­o­ra­teur en alter­nance. Objec­tif : nous aider à pré­par­er la suite de notre démarche (péri­ode 2019–2021) en inté­grant plus de retours d’expérience et des méth­odes et des stan­dards recon­nus, et en redéfinis­sant des indi­ca­teurs plus per­ti­nents. Ce tra­vail aura per­mis d’introduire plusieurs points impor­tants : les fon­da­men­taux de la norme ISO 26000 ; la mise en place d’un rap­port annuel (dès 2018, sur les résul­tats 2017) ; la mesure du degré de matu­rité de Manexi vis-à-vis de la RSE ; la car­togra­phie des par­ties prenantes ; la déf­i­ni­tion des enjeux matériels et la matrice de matéri­al­ité ; le lien avec le développe­ment de l’entreprise.

Les résultats et les enseignements

Début 2019, nous avons procédé à deux éval­u­a­tions de notre poli­tique RSE : la mesure de nos indi­ca­teurs, qui a don­né lieu à un bilan ain­si qu’à la rédac­tion de notre Rap­port RSE 2018 ; l’évaluation par un organ­isme extérieur, Eco­Vadis. Un de nos clients nous a en effet imposé cette éval­u­a­tion comme préreq­uis à la réponse à l’une de ses con­sul­ta­tions. C’est la pre­mière fois qu’une poli­tique d’achats respon­s­ables d’un client se matéri­al­i­sait ain­si. L’évaluation por­tait sur vingt et un critères répar­tis sur qua­tre grands thèmes (envi­ron­nement, éthique, social & droits de l’homme, achats respon­s­ables) aux­quels se rajoutent sept indi­ca­teurs de man­age­ment. Les scores obtenus (médaille d’or) nous ont agréable­ment sur­pris. Ils per­me­t­taient de mesur­er le chemin par­cou­ru au tra­vers des nom­breuses actions menées depuis 2016.

Le thème sur lequel nous avons eu le plus mau­vais score, l’éthique, per­met à lui seul de com­pren­dre la dif­férence entre une démarche arti­sanale, bien que sincère, et une démarche struc­turée. L’éthique est l’une de nos valeurs car nous la vivons au quo­ti­di­en à tra­vers le con­tenu des rap­ports que nous remet­tons à nos clients et l’ardeur que nous met­tons à ne pas nous laiss­er influ­encer. Et pour­tant, nous n’avons jamais écrit ce que nous fai­sions, ni traduit notre démarche en « politique ».

Une dynamique à incarner sans cesse

Au glob­al, la mise en place de notre démarche RSE aura été une belle aven­ture per­me­t­tant de fédér­er autour d’un pro­jet d’entreprise, de créer une dynamique impor­tante et d’ouvrir l’entreprise sur ses par­ties prenantes externes (clients et parte­naires notam­ment). Nos échanges avec les clients, parte­naires et four­nisseurs ont été intéres­sants, certes, mais le marché ne m’apparaît pas pour autant mature. La fonc­tion achat doit se réformer en pro­fondeur pour que le con­cept d’achats respon­s­ables devi­enne une réal­ité tan­gi­ble. Par ailleurs, l’investissement des col­lab­o­ra­teurs, impor­tant au lance­ment, est assez vite retombé. Une telle démarche doit être incar­née et ani­mée en permanence.

Pour tra­vailler sur l’évolution de notre démarche (péri­ode 2019–2021), nous pou­vons nous appuy­er sur trois élé­ments impor­tants : le tra­vail réal­isé sur la démarche, les out­ils, le pilotage ; la matière pro­duite et disponible (règle­ment intérieur, poli­tique HSE, proces­sus RH, poli­tique RSE, rap­port RSE, ges­tion des déchets, DUER (Doc­u­ment unique d’évaluation des risques), charte achats respon­s­ables…) ; le plan d’action pro­posé par Eco­Vadis à la suite de notre évaluation.

Par ailleurs, il con­vient de tir­er les enseigne­ments de la pre­mière péri­ode sur les points suiv­ants : déf­i­ni­tion des engage­ments et des indi­ca­teurs ; impli­ca­tion des salariés ; ani­ma­tion de la démarche. Nous avons donc décidé, pour définir et met­tre en œuvre le deux­ième volet de notre démarche, de créer un « col­lège RSE » con­sti­tué de six col­lab­o­ra­teurs + le DG, présidé par le DG ; mis­sions : fix­er les nou­veaux objec­tifs et les indi­ca­teurs asso­ciés, assur­er l’animation auprès de toutes par­ties prenantes et dans les opéra­tions, faire vivre un « sys­tème de man­age­ment RSE ».


Des résultats contrastés

On peut juger l’efficacité de la démarche en reprenant les objec­tifs qui lui avaient été assignés. Poli­tique RSE, reflet de notre stratégie : oui, totale­ment. Les engage­ments pris sont cohérents et per­me­t­tent de pilot­er l’entreprise. Impli­ca­tion de l’ensemble des par­ties prenantes : oui, assez large­ment, mais néces­site un tra­vail per­ma­nent. L’animation a sou­vent péché, c’est un élé­ment clé de la démarche. Nom­bre raisonnable d’engagements et objec­tifs lis­i­bles : le choix des engage­ments et des indi­ca­teurs s’est révélé peu per­ti­nent pour cer­tains d’entre eux. C’est le point à amélior­er pour la péri­ode suiv­ante. Nous avons égale­ment fait le con­stat que des champs impor­tants n’ont pas été explorés et que les objec­tifs du développe­ment durable ont mal été inté­grés à la démarche. Traduire le lien entre per­for­mance sociale et per­for­mance économique : le lien n’aura pas été prou­vé à court terme, au con­traire, car le tra­vail sur le bien-être a généré une aug­men­ta­tion impor­tante des coûts. Mais cette mesure doit être envis­agée sur un temps « long ».


Quelques conseils pour finir

À titre per­son­nel, je reste per­suadé que la RSE doit être con­sid­érée non pas comme un mal néces­saire ou un out­il mar­ket­ing, mais bien comme une démarche de man­age­ment dont l’objectif est d’assurer la péren­nité de l’entreprise et de ses emplois, en impli­quant les salariés dans la cocon­struc­tion de la stratégie et le bon traite­ment des enjeux de l’entreprise. Mais cette démarche de man­age­ment est sem­blable à toute démarche impli­quant un change­ment (Lean Man­age­ment, inno­va­tion …), elle ne fonc­tionne que si elle est ani­mée. Elle doit être incar­née par le dirigeant, mais les efforts doivent être démul­ti­pliés. La RSE incite réelle­ment à la per­for­mance glob­ale et à l’innovation tech­nique, man­agéri­ale et éthique. Enfin, il ne faut pas se con­tenter des champs « immé­di­ats » de l’environnement et du social, mais bien ten­ter d’adresser l’ensemble des thé­ma­tiques afin d’assurer une cohérence glob­ale de sa poli­tique RSE.

La nécessité de l’accompagnement

Men­er cette réflex­ion « seuls », sans aide externe, nous a per­mis de nous famil­iaris­er avec les con­cepts et a créé une réelle dynamique. Mal­gré tout, nous avons véri­ta­ble­ment pro­gressé lorsque nous avons mis des moyens sup­plé­men­taires sur le sujet (recrute­ment d’un col­lab­o­ra­teur en alter­nance) et recou­ru à l’audit extérieur. A pos­te­ri­ori l’accompagnement me sem­ble donc inévitable pour met­tre en place une démarche effi­cace, même s’il est essen­tiel que la con­duite du change­ment soit portée par l’entreprise elle-même. 

Manexi espère con­tribuer jour après jour à la con­struc­tion d’un avenir meilleur pour cha­cun. En témoigne notre impli­ca­tion forte sur la thé­ma­tique de la « finance respon­s­able », évo­lu­tion logique des con­cepts de la RSE appliquée à la ges­tion d’actifs, qui per­met d’avoir une mesure directe de l’impact socié­tal des investisse­ments. Les poly­tech­ni­ciens, par la qual­ité de leur for­ma­tion et l’écosystème dans lequel ils évolu­ent (recherche notam­ment), peu­vent et doivent avoir un impact en la matière pour peu qu’ils met­tent leurs com­pé­tences au ser­vice non pas de l’ingénierie finan­cière, mais de l’efficience des investisse­ments « verts » ou « responsables ». 

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